Parole de Dieu


PORTER DU FRUIT


P. Pierre Buis, spiritain
Le P. Pierre Buis nous fait entrer dans cette exigence biblique de " porter du fruit ". Ainsi en est-il de la grâce du Jubilé pour l’Eglise et pour nous.
" Quelqu'un avait un figuier planté dans son verger. Il vint y chercher des fruits mais n'en trouva pas. Il dit au vigneron : " Voilà trois ans que je cherche des fruits sur ce figuier et je n 'en trouve pas; coupe-le donc ; pourquoi donc encombre-t-il la terre ? Mais celui-ci lui répondit : " Maître, laisse-le encore cette année, le temps de creuser tout autour et d'y mettre du fumier ! Peut-être va-t-il donner des fruits à l 'avenir ... sinon tu le couperas " (Lc 13, 6-9).

Il n'est pas difficile de décrypter cette brève ‘parabole’ proposée par Jésus, le figuier doit être le peuple de Dieu menacé de destruction puisqu'il ne porte pas les fruits attendus. On aurait ici un écho du célèbre oracle d'Isaïe contre la vigne stérile (Is 5, 1-7). Mais Jésus y ajoute un personnage: le 'vigneron' qui prend la défense de l'arbre et s'engage à le faire produire et le récit s'arrête là, laissant attendre 'la fin de l'histoire'. Verra-t-on l'arbre grâcié donner ses fruits ou faudra-t-il le couper ? Le contexte ferait plutôt prévoir la deuxième hypothèse ; en commentant deux tragédies récentes Jésus concluait ; " Si vous ne vous convertissez pas vous périrez tous de la même façon " (Lc 13,3-5).

Figurer un peuple par un arbre n’a rien d'insolite. Nous parlons bien d’arbres généalogiques ; nos familles ont des branches, des racines, des souches ... Dans la Bible la figure classique est celle de la vigne : La vigne du Seigneur Sabaoth c’est la famille d’Israël (Is 5,7). Jésus utilise lui aussi cette figure (Mc 12,1-9 ; Jn 15,1-8) mais il y ajoute celle du figuier. Les deux arbres sont souvent associés comme les signes de la prospérité et de la paix (1R 5,5 ; Is 36,16). Mais c'est un figuier que la tradition juive reconnaissait dans l'arbre fatal du paradis (Gn 3,7). Et Jésus nous propose dans l'observation de son bourgeonnement au printemps la figure des signes de sa venue (Lc 21, 29-30). Retenons surtout l'épisode du figuier stérile qu'il maudit (Mc 11,12-14.20.21) raconté dans un contexte où on comprend facilement qu’il s’agit de cette génération mauvaise et incrédule (Lc 9,41 ; 11,29).

Ce qui amène à relire la petite parabole du figuier comme une allégorie et reconnaître, dans le vigneron-avocat, Jésus lui-même. Car c’est bien ainsi qu'il définissait sa mission : ramener Israël à sa vérité pour en faire un peuple saint, source de salut pour les nations. Il ne vient pas pour juger mais pour restaurer et sauver. II incarne la patience du Dieu de l'alliance qu'avaient déjà révélée les prophètes : ainsi Jérémie - " Ephraïm est-il donc pour moi un fils si cher, l’enfant de ma joie, que si j’en parle, je me souviens encore et que mes entrailles s'émeuvent, que je ressens l'amour que j'ai pour lui " (Jr 31,20 , cf. Am 7, 1-14 ; Os 11 ).

Saint Luc avait pris soin de placer au début de son récit l'exposé du programme de Jésus qui reprend à son compte celui qu'il lisait au chapitre 61 d'Isaïe : "l'Esprit du Seigneur est sur moi, car il m'a consacré ; Il m'a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux pauvres proclamer la liberté pour les captifs et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année agréée par le Seigneur. " (Lc 4, 18-19). Une année de faveur, c'est justement ce qui est demandé par notre vigneron. L’activité publique de Jésus a sans doute duré plus d’un an mais pas sa période de succès. Rapidement les Evangélistes doivent signaler les oppositions, les menaces de mort et surtout la désaffection des foules. Ce qui fait prévoir que l’histoire amorcée dans notre parabole se terminera mal, pour Jésus comme pour son peuple.

Retenons donc ces deux mentions d’une année de grâce. Et si on se réfère au texte hébreu d'Isaïe 61, on y trouve justement le mot de `libération' qui en Lv 25, 10 définit le jubilé.

Faire grandir les dons de Dieu

Porter du fruit est la condition normale dans le peuple de Dieu. C'est la loi de la nature depuis la création : "fructifiez et multipliez-vous " (Gn 1 28) est-il dit au premier couple humain. Tout être vivant produit des fruits. Il est normal que Dieu réclame souvent dans la Bible les fruits de sa vigne ; il veille à ne rien laisser improductif, le sarment improductif doit être coupé. Comme d'ailleurs les arbres sans fruits. Même les affaires commerciales doivent fructifier et l'inertie du gérant doit être punie.

C'est la loi de la grâce de Dieu. C'est Dieu qui donne la vie et qui la fait fructifier ; tel l’arbre de vie du jardin d'Eden mais son fruit était réservé à Dieu (Genèse 3,22). Si le peuple de Dieu porte du fruit (Ephraïm signifie : "qui fait fructifier") c'est grâce à Yahwé. La terre ne peut produire que si Dieu donne la pluie. Sans pluie, c'est le désert. Sans Yahwé, l'homme ne peut porter des fruits (Dt 32,32) ; il doit donc prier pour avoir cette pluie (Jc 5,17). Mais c'est l'homme qui cultive et prépare le terrain. Le grain semé dans les épines ne pourra produire. S'il est semé en terre bien travaillée, il rapporte 30, 60 ou 100 pour un (Mt 13,8). La croissance est donnée par Dieu. (Mc 4,26).

La croissance permet le discernement.
"L'arbre bon produit de bons fruits, l'arbre mauvais produit de mauvais fruits ; on reconnaît l’arbre à son fruit " (Mt 12, 33). Le bon grain pousse en même temps que l’ivraie, il faut les laisser croître jusqu’au temps de la moisson pour les distinguer. La loi de l'existence chrétienne ajoute que la croissance passe par le sacrifice: " si le grain de blé ne meurt pas en terre, il reste seul; s'il meurt il porte beaucoup de fruits " (Jn 12,24). Ainsi en a-t-il été pour le Christ lui-même: envoyé pour annoncer le mystère de Dieu, il a accepté de passer par la mort pour manifester la gloire de Dieu. Il peut dire aux siens : "c'est moi le vrai cep et mon Père est le vigneron. Tout sarment qui ne porte pas de fruits, il le coupe; s'il porte du fruit il l'émonde pour qu'il en porte davantage " (Jn 15,1). C'est la vie chrétienne : être greffé au Christ, être émondé par le Père, porter les fruits de l'Esprit. Le fruit de l'Esprit porté par la sève du Christ se multiplie en charité et en toutes les vertus chrétiennes : " les fruits de l’Esprit sont : amour, joie, paix, largeur d’esprit, générosité, bonté, foi, douceur, maîtrise de soi " (Ga 5,22).

Les dons de Dieu et les ministères dans l'Eglise ont pour but de faire porter du fruit : " je vous ai institués pour que vous alliez et que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure " (Jn 13). Dans l'Eglise du Christ, Dieu est le maître de la croissance. Nous devenons dans le Christ les coopérateurs de Dieu pour édifier son œuvre (1 Co 3, 9). Le royaume doit s'étendre à tout l'univers, le nombre des disciples doit grandir (Actes 6,7; 16,5). Le véritable progrès n'est pas visible; c'est celui de la connaissance de Dieu et de Jésus dans la foi (2 P 3,18) avec les toutes les œuvres qu'elle suscite (2 Co 9,10) dans les cœurs et dans le monde. L'arbre de vie de apocalypse, (22,2) n'est autre que la croix du Seigneur ressuscité, capable de guérir les païens eux-mêmes et de porter dans ces branches toutes les créatures et tous les élus.

Si la parole de Dieu est à ce point explicite et exigeante pour que toute grâce porte du fruit, nous faisons bien de chercher comment faire fructifier la grâce du jubilé. Par le ministère de l’Eglise Dieu a accordé à son peuple (et à l’humanité) une année de grâce. Quel en est le bilan et comment lui donner une suite fidèle. Continuons à demander et à accueillir l’Esprit Saint, Lui qui fait revivre les morts et reverdir l’arbre desséché. Que les pages qui suivent nous y aident.