Signes et témoins


Les JMJ 2000: des vies de jeunes, des germes de spiritualité


P. Michel Besse

Le Père Michel Besse, spiritain, est membre de l'Equipe des Vocations Spiritaines de la Province de France. Habitant à Chevilly-Larue dans le Val-de-Marne, il a accompagné les jeunes pèlerins du Diocèse de Créteil aux Quinzièmes Journées Mondiales de la Jeunesse, à Rome, en Août 2000. Quelques mois après cet événement du Grand Jubilé, il reprend pour nous son expérience.

Une spiritualité de pèlerins

La douce ferveur
Il est 5h30, ce 21 août à Rome, et je traverse des parterres de jeunes encore endormis. Ils sont deux millions: un camp de nomades. La nuit a été froide. Si froide que certains n'en ont pas dormi: comme des veilleurs. Avec Jean-Luc, prêtre du diocèse de Créteil, nous progressons lentement vers l'autel où la messe sera concélébrée dans quelques heures. Nous sommes pris par ce silence, un silence habité. Au détour de quelques tentes de fortune brille une de ces lampes à huile, qui rappellent les premières communautés romaines. Près d'elle, assis-tailleur, un gars tout frisé, avec son bandana, s'applique à la lecture de l'évangile selon Marc. Impossible de voir dans laquelle des cinq langues que comporte ce petit livre il est en train de méditer; mais son attention calme, elle, est universelle. Il pose un regard sur ces deux prêtres qui passent, empressés, dans le petit matin. Puis il plonge à nouveau, tout sourire, dans son dialogue méditatif avec son Ami des évangiles. "C'est donc cela, la douce ferveur", me glisse Jean-Luc dans un souffle. Oui, c'est cela la douce ferveur des JMJ.

Cet évangile dans les mains de ce jeune: combien de temps encore? Que retiendra t-il? Et son voisin qui dormait? Et la foule? Les JMJ sont une question posée aux chrétiens sur la transmission de leur foi . Qui était ce gars? Comment reviendra-t-il? Quelles sont les attentes de ceux qu'il va retrouver chez lui? Comment sa paroisse donnera-t-elle un espace et une durée à son expérience de jeune, si passagère? Les JMJ sont une question posée aux Eglises, aux initiatives pastorales vers les jeunes.
Comment ces "fidèles laïcs jeunes" prennent-ils en main leur vocation baptismale? Que vont-ils faire pour fabriquer eux-mêmes leur identification chrétienne dans leur monde? Quels moyens trouveront-ils pour agir, s'engager, continuer, persévérer? Les JMJ sont une question posée aux jeunes chrétiens.

Des moyens au service de la vie spirituelle juvénile
La douce ferveur des JMJ est un des traits d'une spiritualité nomade. Tous les deux ans, depuis les débuts du pontificat de Jean-Paul II, cette spiritualité légère et mobile plante sa tente aux quatre coins du globe et attire les regards. Elle semble bien toucher des points sensibles, pour une jeunesse sensible elle aussi. Je crois que les JMJ ont su rendre un sens moderne à des gestes traditionnels: le départ, loin de chez soi, le rassemblement, l'effort pour communiquer dans un "sabir" de mots et de mimes, la fatigue et la liesse, la célébration collective et la réflexion individuelle. La douce ferveur serait en fait une manière dont chacun de ces jeunes prend le temps de reconstituer calmement, en lui, sa façon d'intégrer les divers éléments d'un tel pèlerinage.

S'il y a une spiritualité des JMJ, à la disposition des jeunes de ce XXIe siècle, alors, dans cette hypothèse, je relèverai trois aspects importants à mes yeux. Elle permet d'abord à ces pèlerins de poser les bases de leurs projets personnels et communautaires de vie chrétienne; elle me semble ensuite les aider à confirmer le sens de la foi (sensus fidei) qui donnera cohésion et avenir à leurs engagements personnels dans le futur ; ces moyens au service de leur vie spirituelle seraient enfin une initiation à une appartenance d'Eglise plus large qu'eux-mêmes (sensus fidelium).
Mon projet personnel: qui suis-je? Mon identité croyante: que dois-je croire? Ma place dans le monde et dans l'église: que dois-je faire? Les JMJ offrent les moyens traditionnels de l'Eglise pour ouvrir la personne au mystère qu'elle est elle même, d'abord; qu'elle est dans sa relation à son Dieu, ensuite; qu'elle est dans sa vie, ses décisions, ses engagements dans son monde, enfin.

Le "format JMJ": une pédagogie de la foi, de l'action, de l'envoi.
Les JMJ sont une parabole. Dans les évangiles, Jésus-le-Conteur ne fait rien. Rien d'autre que parler, et décrire en quelques mots des mondes et des histoires. Au terme de sa narration, Jésus projette ses auditeurs dans le récit, pour qu'ils puissent mieux donner sens à leur réalité. Jésus, lui, ne fait rien. Rien d'autre que raconter une parabole, mais c'est pour mieux envisager un avenir, bien réel celui-là, où ses auditeurs mettront leur intelligence en action. Ils mettront la parole en pratique: non pas en devenant tous des bons bergers, ou des chercheurs de trésor. Mais là où ils seront, et dans les conditions qui sont les leurs, ils seront à leur tour ceux qui envisagent un monde, leur monde, assaisonné au sel de l'évangile. "Va, et toi aussi fais de même".

Une parabole de la foi
Aux JMJ, rien n'a été fait. Quelques heures après la célébration finale, il ne restait rien. Ces dix jours ont été improductifs. Des mois de préparation, de réunion, de logistique, etc.: il ne reste rien. C'est vrai. Mais tout s'est fait en parabole. Une parabole qui n'a eu aucun sens obligatoire pour ces jeunes rassemblés. C'est peut-être d'ailleurs ce qui les aurait fait fuir!
Au contraire, la pédagogie de la foi que j'ai perçue lors de ces JMJ, c'est plutôt celle des paraboles de Jésus. C'est le sens de la foi (sensus fidei) de ces jeunes qui a été sollicité: un sens que chacun formulera à sa façon. "Nous étions deux millions, disait une jeune immigrée d'une cité de la banlieue parisienne lors d'une de ces innombrables "Célébration - Retour JMJ" organisées un peu partout. Deux millions, et personne n'est semblable. Si on nous avait demandé qui est Dieu, on aurait eu deux millions de réponses, toutes différentes. La foi, c'est être libre avec Dieu. Tous, on est d'accord pour être ensemble en son nom: mais ça, personne ne nous y oblige". Hélène, du diocèse de Créteil, ajoutait: "Il (Dieu) vient nous chercher là où on est, … mais il ne veut pas qu'on y reste. Il chemine avec nous, et, si nous le suivons, il nous fait trouver, à travers lui, la plénitude de notre humanité". Un jeune spiritain africain ajoutait: "Le Pape a répété plusieurs fois: "ici, nous sommes dans un dialogue". Ça me plaît. Le dialogue, c'est la liberté, sans imposition".
La proposition de la foi, aux JMJ, est remarquable par l'exigence de liberté et d'indépendance de ces jeunes qui sont bien de leur temps. On y a développé une pédagogie qui respecte la liberté de conscience, donc, mais relayée par une pédagogie de l'action.

Etre ensemble, faire ensemble, progresser
En effet les JMJ ont développé, particulièrement depuis l'édition 1997 à Paris, un cheminement qui donne aux participants de passer une série de seuils très intéressants. Les 12 jours sont une progression.
Tout d'abord la rencontre d'une église locale (pour ma part, et avec le diocèse Créteil, j'ai été accueilli en Emilie-Romagne à Imola). Les jeunes sont accueillis dans des familles. Les paroisses se mettent en quatre pour les promener, célébrer avec eux, etc.… Certains de nos lecteurs, ou de leurs amis, en 97, auront eux aussi reçu des chiliens, slovènes où burkinabés à la maison: et finalement, n'est-ce pas, on arrive toujours à se comprendre!
Cinq jours après, à Rome, c'est une autre expérience qui attend les pèlerins: l'expérience de la foule massive. A Rome, cette année, tout comme dans les couloirs du métro parisien en 1997, c'est une marée humaine et multicolore qui déferle. Drapeaux, chansons, échange de cadeaux, et d'adresses e-mail, à tous les coins de rue. Quelques heures suffisent à se faire un agenda planétaire. C'est le fameux miracle des JMJ: deux heures de file d'attente ne posent pas de problèmes; la chaleur ne se sent pas; ce birman et ce mexicain parlent dans une langue que je comprends; je prends mon repas de midi à 17h00; et s'il me manque quelque chose (stylo, portable, coup de main, etc.…), je le trouve dans un rayon de 3 mètres. Ces rencontres sont une occasion d'aller plus loin et beaucoup la saisissent. Ainsi Laure, de Nogent-sur-Marne: "Je suis partie à la rencontre de l'autre, et j'ai découvert Dieu. Je suis partie à la recherche de Dieu, et j'ai découvert l'autre".
Ce miracle fait partie de la pédagogie spirituelle des JMJ: on vit autrement. Un miracle extérieur en quelque sorte. Mais il est complété par un autre miracle, plus intérieur celui-là: l'étape plus personnelle qui consiste à choisir personnellement sa façon de croire.

Renvoyer aux choix personnels
Les JMJ de Paris avaient inventé les catéchèses. De quoi s'agit-il? Les catéchèses sont des rencontres de quatre à cinq heures, entre des évêques et des jeunes. Trois matinées consécutives sont consacrées à un dialogue personnalisé autour de grands thèmes de la foi, que développe un évêque. A Rome cette année, plusieurs centaines d'évêques ont planché, en plus de 70 langues, sur les thèmes proposés: "l'homme image de Dieu", "être les saints du troisième millénaire". Des animations, des chants, une messe bien préparé et bien participative, des conférences, etc.… Les catéchèses sont comme un écrin pour un joyau.
A mes yeux, c'est le temps de chapitre (pour reprendre un terme technique propre au Pélé-Etudiant de Chartres) qui est le diamant des JMJ. Le chapitre est un groupe de 8 personnes, jeunes et animateur, qui sont la cellule de base et l'embryon de communauté qui sert de terreau aux premières pousses de l'expérience de christianisme des pèlerins. Chacun peut redire, mettre en doute, ou questionner les éléments fondamentaux de la foi des chrétiens que l'évêque vient de commenter. Et le silence qui règne dans ces églises submergées de jeunes, en tout petits cercles de réflexion, est réellement impressionnant. Plus qu'un silence d'ailleurs, c'est un murmure continu. Une sorte de prière, peut-être; une quiétude, certainement. Emeline, du Val-de-Marne: "Il s'agit véritablement d'un cheminement intérieur".
Jean-Paul II a parlé du laboratoire de la foi, lors de la Veillée du samedi soir 20 Août. Je crois que ces longs temps paisibles et respectueux passés à écouter chacun avec attention et vérité, lors des chapitres ou durant les catéchèses, ont été le véritable laboratoire de la foi qu'ont offert ces JMJ aux jeunes. Une pédagogie personnalisée de l'expérience chrétienne a donc été offerte à travers les catéchèses.

L'impact des JMJ sur l'église

Depuis le lancement des années préparatoires au Grand Jubilé, dans nos paroisses, nos mouvements, et initiatives d'église, on a pris l'habitude de reprendre le slogan de l'épître aux Hébreux: "Christ, le même, hier, aujourd'hui, toujours". Autour de l'axe d'une célébration du Christ, unique sauveur et centre de la foi, les chrétiens ont été invités pendant trois ans à regarder les étapes du déploiement de la Révélation dans le passé, dans l'actualité, et d'y trouver les signes de l'avenir.

Transmission-Réception-Traduction
Que l'on se souvienne des trois étapes du baptême des adultes. Dans la jeune communauté romaine, au temps des églises domestiques nées durant le premier siècle, on vivait la même inspiration.
Le candidat apprenait à faire mémoire de l'événement fondateur du christianisme: l'Incarnation de Jésus et la Rédemption, accomplissement de l'histoire du Peuple de Dieu. Catéchumène, il devait accueillir le pardon de Dieu et se convertir à vivre l'évangile aujourd'hui. Néophyte, il accueillait la mission du Christ dans l'eucharistie, centre de la vie chrétienne, envoi par Dieu pour être témoin du don reçu.
C'est bel et bien pour reprendre ces étapes catéchuménales que l'évangile qui a trotté dans les musettes des pèlerins de Rome en l'an 2000 était le même que celui de la communauté romaines de l'an 70 après Jésus-Christ. On l'appelle l'évangile du catéchuménat: c'est le récit inspiré par la prédication de Pierre-Apôtre, adressé à des chrétiens animés d'un vigoureux esprit missionnaire. Mais, venus depuis peu à la foi, et menacés par les persécutions de l'empire, ils avaient besoin d'un instrument pour mieux comprendre et accueillir le mystère de Jésus, christ, fils de Dieu, sauveur, qu'ils avaient accueilli. C'est Marc, disciple de Pierre, qui a légué à l'église ce petit évangile. Chacun des jeunes pèlerins a reçu cet évangile. Les uns l'ont lu, ou seulement parcouru; d'autres l'ont laissé au fond du sac; d'autres encore l'ont médité, ou ont été intrigués par telle parole de Jésus.
Mais c'est lors des catéchèses que tous ont été invités à prendre tel ou tel passage: quelle surprise pour certains! Les uns pour les autres, nous avons dû jouer les guides: tout autant qu'à travers les pierres des églises paléo-chrétiennes de la Ville de Rome, il nous fallait nous frayer ensemble un sentier au milieu des paroles du Christ. Ainsi, chacun est devenu tour à tour catéchiste et catéchumène, dans un élan naturel de transmission et de reddition de la foi apostolique.
Les JMJ s'étaient donné pour fil rouge ce processus de la transmission-traduction de l'évangile pour la génération actuelle. Je crois qu'un bon nombre de participants en ont très bien saisi le sens profond. L'hier et l'aujourd'hui de la foi chrétienne, d'une génération à l'autre, ont pris un peu plus de consistance. Ainsi Hélène, de Vincennes: "Au dessus de la porte que le saint-père a passée symboliquement avec quelques jeunes à Tor Vergata, se trouvait un Christ en bronze, dont le cœur était fendu; en le voyant, on voyait aussi au-delà de Lui, derrière Lui. Le Christ nous ouvre un avenir".
Pourtant, même s'ils sont heureux d'ouvrir un évangile, beaucoup de jeunes des générations JMJ ont besoin de celui ou de celle qui lui posera la question: "Comprends-tu ce que tu lis?", et à qui il pourra dire avec confiance: "Comment comprendrai-je, si personne ne me l'explique?". Ce fut le rôle des accompagnateurs, des prêtres et des éducateurs.

Un acteur peu connu, présent à 20%
Dans aucun de ses discours Jean-Paul II n'a oublié de citer un élément clé du processus spirituel que les JMJ veulent soutenir. Pour que des jeunes puissent recevoir ce qui leur est transmis, puis en faire la synthèse dans le laboratoire de leur conscience, il est nécessaire que des accompagnateurs sachent organiser, animer et aimer ce qui se passe en eux et entre eux. Ils ont besoin de ces amis, adultes et accessibles. Ils apprécient un accompagnement sensible, tangible, présent, concret. On ne dira jamais assez combien des mères de familles françaises qui sont allées suer, dormir à la dure, se doucher à l'eau froide et prier des heures assises dans la terre battue, ont eu un ministère de proximité et d'affection évangélique pour ces jeunes. Il s'agit là d'une spiritualité de l'accompagnement qui reste gravée dans les cœurs, les esprits et les sentiments, de manière durable. "Moi, j'ai passé de l'eau à l'évêque!", raconte, triomphant, ce jeune. Cet autre apprécie d'avoir pu vivre avec des séminaristes d'autres pays pendant dix jours.
Et puis, pour d'autres, c'est l'occasion de se projeter dans ces adultes, et penser à leur avenir. Céline, du Val-de-Marne, raconte: "J'ai hésité à passer la porte sainte de St-Pierre. Mais une fois franchie, je me suis dit que je dois maintenant tenir les engagements que j'ai pris. Je me sens bien maintenant. J'ai l'impression que l'Esprit me conduit". Et sa copine Bénédicte: "On dit que les jeunes ne vont plus à l'Eglise, ne sont plus dans l'Eglise. Les JMJ ont prouvé que les jeunes sont présents. Ça me pousse encore plus. J'ai envie de prendre d'avantage d'initiatives au niveau de l'ACE. Ca me donne envie de pousser les autres jeunes".
A Rome, ils étaient plus de 300.000: c'est-à-dire près de 20% du total de ce rassemblement. Et combien plus nombreux encore sont ces animateurs, catéchistes, accompagnateurs, prêtres et éducateurs qui reçoivent, au retour, ces jeunes! La spiritualité des JMJ est aussi leur bien: ils contribuent à faire fructifier l'expérience, et ils gardent au quotidien le contact avec ces jeunes. Plus que jamais, ceux qui aiment et font confiance aux jeunes dans leurs initiatives sont en quelque sorte les petits ruisseaux qui pourront accueillir les grands fleuves de générosité des "idéaux les plus nobles" des jeunes, pour reprendre une expression du saint-père.

Jeunes et acteurs
Il faut ajouter à ces éducateurs adultes les jeunes eux-mêmes qui acceptent des responsabilités. Bon nombre d'entre eux n'attendent pas de devenir catéchistes ou animateurs: ils sont déjà en charge, et en répondent devant leurs camarades.
Ceux d'entre vous qui auront vu la messe du 21 Août se souviendront de ces jeunes, assis près du Pape, et qui ont pris la parole avec le Cardinal John Stafford. Celui-ci est le responsable de la Commission Pontificale de l'Apostolat des Laïcs. Jeunes apôtres, les 300 délégués venus de 107 pays le sont: ils ont passé leurs JMJ à travailler dur! C'était en effet le 7° Congrès Mondial de la Pastorale des Jeunes. Les conclusions de leurs réflexions ont inspiré bien des diocèses, dont plusieurs en France, qui font place à leur tour à des Conseils Diocésains des jeunes. Ils peuvent ainsi, à travers leurs représentants, trouver un lieu d'échange, et de participation active dans les orientations des églises locales.
"Au bout de ma route, j'ai fait une expérience exceptionnelle, raconte Agnès, de Charenton (94). Dans la ville qui a vu tant de martyrs, au contact des jeunes qui, aujourd'hui encore, subissent des persécutions, j'ai redécouvert le sens du mot témoigner. Je repense à la messe au Circo Massimo, au passage de la Porte à Saint-Pierre, à la profession de foi proclamée avec 2 millions de jeunes à Tor Vergata. Tous ces moments me rappellent que je ne dois pas avoir peur d'être, à mon tour, témoin du Christ, ici, dans le Val-de-Marne".
Emeline, elle, est allée à son retour visiter ceux qui l'avaient chargée de prier pour eux à Rome: ce sont les détenus de la Communauté Chrétienne de la Prison de Fresnes. "J'ai quitté mes facilités matérielles, mon univers petit et douillet, pour revenir comme au temps des premiers chrétiens. J'ai dû apprendre à me contenter de peu, tirer de la difficulté et de la pauvreté matérielles des leçons de force et de courage, chercher au delà du superficiel la vraie richesse spirituelle".

La nouvelle donne des JMJ
Pour terminer ces quelques impressions personnelles je retiens deux aspects des JMJ qui m'ont plus particulièrement fait réfléchir. En premier lieu le goût tout à fait intact de beaucoup de jeunes pour l'héritage spirituel de l'Eglise. Je pense en particulier à trois trésors auxquels les JMJ ont puisé largement. En second lieu, je retiens la liberté institutionnelle des jeunes dans leur relation à l'Eglise.

Trésor liturgique, biblique, ethico-social
Le trésor liturgique de l'Eglise a été accueilli avec une disponibilité remarquable. Des célébrations fluides, claires, participatives. Des temps longs, et même très longs parfois, ou le sentiment de durée pesante disparaît, pour faire place à une réelle sensation de portage dans une prière qui est celle d'un peuple. Je pense en particulier au chemin de croix, à la veillée du Samedi 20 Août au soir, ou encore à un temps de méditation biblique silencieuse soutenue par un texte d'Isaïe dans les jardins de la Maison Générale des Spiritains, à Rome. Ces expériences liturgiques ont toujours été vécues avec une disposition d'esprit positive. D'autant plus que librement, chacun pouvait tour à tour être attentif, dormir un peu, se connecter au thème, ou se brancher sur ses ondes perso… La créativité et la beauté liturgique ont été une occasion, pour beaucoup, de découvrir librement la richesse liturgique de l'Eglise.
Le trésor biblique, lui, a été une source ininterrompue de conversations, de questions, de prières. A plusieurs reprises on s'est exercé à des méthodes de lecture, des exercices de méditation et de contemplation du Christ dans les Ecritures. Là encore, j'ai été frappé par la disposition honnête et sans a-priori de ces jeunes lecteurs des évangiles. Il m'a semblé que leur état d'esprit, plutôt que d'être une critique systématique contre un soi-disant mythe biblique, est en fait une recherche, exigeante et sans complaisance, mais qui s'ouvre à l'écoute de la Parole de cet Homme Jésus, reçu par la tradition apostolique. Cette recherche n'attend pas de l'Ecriture qu'elle vienne justifier ce que l'on croit savoir: non, on attend bien plutôt de l'Evangile qu'il soit une interpellation qui fasse sortir de soi. Un groupe 18/25 ans de Créteil disait: "Aujourd'hui, je n'ai plus peur d'affirmer ma foi et d'annoncer la Parole du Sauveur, cette Parole qu'on a trop tendance à oublier pour se fondre dans la société".
Sortir de soi, et savoir prendre une place originale dans la société, c'est le troisième trésor que les JMJ m'ont semblé mettre à la disposition des pèlerins. Je l'appelle, à défaut d'autre chose, un trésor éthico-social. Je veux parler de ces ressources d'exemples, de modèles de service à la société, et autres figures emblématiques qui ont parlé aux jeunes. La présence entre autres d'une Chiara Lubich, fondatrice des Focolari durant la II° Guerre Mondiale, sous les bombes avec ses amies, était un signe fort. Mais je pense aussi aux centaines de conférences, rencontres, qui ont eu lieu durant les après-midi à Rome: sur les initiatives pour le désarmement, l'économie solidaire, le droit du travail, les enjeux de la mondialisation, etc. Aux JMJ, on n'a pas rêvé un monde parfait: les problèmes qui détruisent les vies de millions d'êtres humains ont été clairement mis sous les yeux de tous. Domingo, l'angolais orphelin de guerre, a calmement parlé le Samedi soir, devant ses deux millions d'amis. Il a évoqué le naufrage de sa famille dans les flots de haine qu'engendre la guerre chez lui. Par ce témoignage, et par bien d'autres encore, les jeunes ont été capables de dépasser leurs petits conforts. Je garde en mémoire la longue ovation de la foule à l'appel de cette jeune italienne, qui, le samedi soir 20 Août, appelait au refus de la peine de mort dans les pays d'où venaient chacun de nous. Je crois que ce goût pour une société nouvelle, juste et équitable, dans l'esprit de l'évangile, est partagé avec simplicité par un grand nombre de jeunes. Plus, ils sont disposés à réfléchir, pour comprendre, pour agir. Plus encore: bon nombre d'entre eux sont prêts à se remettre en cause dans leurs manières de voir, de consommer, de considérer la politique, etc.…

L'Eglise? Oui, librement
"L'Eglise? Oui, librement". C'est la formule qui me vient à l'esprit pour traduire la manière de se situer par rapport à l'Eglise de plusieurs jeunes avec qui j'ai pu parler. J'ai été heureux de voir combien, face aux multiples façons d'exprimer l'appartenance à l'Eglise, ils se sentent libres. Ils rencontrent un évêque et lui posent des questions sur sa vocation; ils voient un Pape et lui chantent leurs slogans; ils vous tirent à part pendant un repas pour un entretien personnel ou une confession; ils savent sourire lors d'une célébration, tout comme ils savent tirer une leçon spirituelle dans un moment de détente. Je veux parler d'une réelle souplesse dans leur adhésion personnelle à l'église.
L'Eglise librement, c'est encore cette disposition naturelle à la rencontre de l'autre: autre nationalité, autre mentalité, autre langue, autre histoire croyante, … Si c'est parfois en surfeurs qu'ils glissent sur ces réalités différentes, je crois qu'il y a aussi une réelle souplesse, là encore, pour se laisser bousculer par les différences.
L'Eglise librement, c'est enfin une façon de voir l'Eglise avant tout comme cette ressource, à laquelle chacun peut puiser les moyens d'une rencontre et d'un choix personnels du Christ comme Maître et Seigneur. Peut-être la conscience de ce que chacun peut apporter, à son tour, à l'église, est-elle encore faible. Peut-être l'état actuel des manières d'organiser la pastorale dans les paroisses que ces jeunes retrouvent au retour n'ont pas toujours d'espace disponible pour les inviter à passer la tenue de service.
Peut-être est-ce là une piste de réflexion pour élaborer quelques projets avec ces jeunes, et tant d'autres qui n'étaient pas à Rome: des actions simples, des initiatives à leur portée permettront de continuer le laboratoire de la foi.