Signes et témoins


L'Esprit Saint agissant dans la vie des communautés
en Amazonie du Brésil


P. Daniel Beguin, Spiritain

L'Esprit Saint reçu à notre baptême a pour mission d'être une force et un dynamisme pour vivre les valeurs de l'Évangile que Jésus est venu annoncer ; l’Esprit Saint confié pour entrer dans l' histoire du salut, commencée il y a près de deux mille ans avant Jésus Christ, selon la bible. Elle poursuit son cours, se vivant dans des communautés d'hommes et femmes implantées dans différentes régions du monde. Je vous propose d'en porter témoignage, avec modestie, de cette région du globe qu'est l'Amazonie et plus spécialement de la Préfecture Apostolique de Téfé au Brésil, Eglise qui s'étend sur un territoire grand comme presque la moitié de la superficie de la France et composée de près de 200.000 habitants. L'Amazonie, c’est bien connu, c'est le monde de la forêt et des eaux.. Ayant des voies de communications presque uniquement fluviales rendant les moyens de transports lents, longs à cause des distances, avec une Eglise ayant un clergé peu nombreux et venant de l'extérieur, avec des communautés villageoises dispersées et isolées, comment l'Esprit Saint fait-il son travail dans ce contexte particulier? I1 nous rappelle, que dès la Création, Il planait au dessus les eaux...

Par quels signes et expressions perçoit-on son activité? En analysant l'expérience vécue, on pourrait y distinguer trois lieux principaux: -la vie quotidienne des gens, leur témoignage d'espérance. - la vie communautaire et l'esprit prophétique. - des ministères au service de la communauté.

- La vie quotidienne des gens
est simple et difficile à la fois, avec la préoccupation d'alimenter la famille. Le poisson et la farine de manioc sont les nourritures de base. En ville, généralement, il faut se rendre au marché pour acheter le poisson. A certaines époques, celle des eaux hautes, il devient difficile à pécher et plus rare parce que éparpillé dans la forêt inondée; alors il faut s'armer de patience pour le prendre ou en acheter,(il est plus facile de prendre un poisson dans un petit volume que dans un grand). Malgré la persévérance, il arrive que la prise est maigre. Lors des visites des communautés, j'ai pu expérimenter cette situation de disette : "que va-t-on donner à manger ? L souci de bien accueillir l’équipe pastorale de la paroisse, stimule les gens à partager le peu qu'ils possèdent (volaille...). L' esprit de partage des biens que l'on a pour subvenir aux nécessités du moment m'a été bien des fois donné de le voir se vivre dans les communautés chrétiennes, comme on peut l'imaginer du temps de celui. des Actes des Apôtres. Le peu que l'on q se transforme en joie d'être offert à l'autre vu comme une présence invisible du Christ, un frère que l'on honore à sa table; c'est d'abord lui qui est servi en premier et qui doit se sentir satisfait. Le partage se vit aussi dans la communauté villageoise. Celui qui a pêché distribue une partie de sa prise, sachant ce qu'est d'avoir eu faim et d'avoir été secouru. C'est le cœur généreux qui parle et qui un jour ou l'autre comprend qu'il revoit plus qu'il a donné.
C'est la dynamique de la fructification et de la sagesse; "demain j'aurai besoin de l'autre, alors je dois en prendre soin." La relation fraternelle se cultive et se tourne solidarité avec les frères et Dieu aussi. La sagesse populaire fait dire: "c'est grâce à Dieu". I1 est reconnu comme Maître du partage possible, car cela vient de Lui. La sagesse n'est-elle pas un des Dons de l'Esprit!. Ainsi l'angoisse de rien avoir à manger se transforme en soulagement grâce au partage fraternel,.., et à Dieu! On retrouve aussi dans ce vécu les mots de l'apôtre Paul, Eph 4,32: " Soyez bons les uns pour les autres, ayez du cœur".

- Leur témoignage d'espérance
Vivre au bord des fleuves ou des lacs (étangs) facilite l'accès au point d'eau, mais amplifie la précarité dans les terres soumises aux inondations presque annuelles et dévastatrices certaines années quand elles arrivent avant la maturité du manioc, ainsi que pour les plantations des bananiers qui ne les supportent pas trop longtemps. Par compte les inondations sont salutaires, fertilisant les terres gracieusement; les agriculteurs le reconnaissent et espèrent en l'avenir avec : "Se Deus quiser", si Dieu le veut. La vie n'est qu'une succession de morts et résurrections. Quand on plante du manioc ou des bananiers, on sait qu'il y a des risques de pertes, mais l'espérance est plus forte: une bonne récolte est possible, comme celle de la parabole du semeur, "alors comptons avec l'aide de Dieu... et de son Esprit pour nous".

- La vie communautaire et l'esprit prophétique.
Depuis plus de vingt ans déjà, un gros effort d'organisation communautaire des villages a été réalisé par la Préfecture Apostolique de Téfé comme option pastorale, en vue de promouvoir plus le droit à la vie et son respect, en ce qui concerne le poisson donnant l'aliment vital ; c'est mis en route la préservation des lacs-étangs. Visites, réunions, sessions de formation pour leaders de communauté, mise en valeur du message de la Bible dans le vécu du quotidien, ont aidé un certain nombre de communautés villageoises à faire naître un début de mieux être, une petite. avancée du Règne de Dieu. La lutte n'est pas toujours facile, et parfois les résultats décourageants ; certaines communautés n'ont pas toujours résisté à l'esprit prophétique de la préservation des lacs, qui supposait pour réussir une bonne organisation de la communauté, l’union des options, des efforts solidaires et courageux dans les moments de difficultés, des conversions d'attitudes, mais aussi l'appui efficace des autorités de l'État.
La communauté est un corps ou chaque membre a une fonction bien précise, comme l'est un corps humain, mais tous travaillent pour le bien commun, dans le cas des communautés travaillant pour la préservation : voir de nouveau les poissons abondants dans les lacs et ne plus voir des bateaux de pécheurs industriels faire leurs razzias dévastatrices sur les territoires communautaires. De bons résultats ont été obtenus au prix de grands sacrifices: gardes nocturnes et fidèles où il faut supporter le manque de sommeil, les moustiques, l'humidité de la nuit, dépenses financières, dialogues compréhensifs, renoncement à la violence forte. Aujourd'hui, quel bonheur de voir un lac destiné seulement au repeuplement où se manifeste la présence de nombreux types de poisson! Le maître de la parabole des talents y trouverait aussi sa joie; l'audace de la préservation d'un lac vaut la peine, c'est le compte en banque qui grossit chaque jour. Un autre lac est lui consacré à la subsistance des familles qui vont y pêcher ; il donne le poisson nécessaire à l'alimentation quotidienne ; il sera repeuplé par le lac de reproduction, par la communication des eaux au moment des inondations. La sagesse du Créateur souhaite la coopération des hommes pour assurer la vie, des générations futures. La lutte persévérante a besoin du secours de l'esprit prophétique de certains qui ont ramé et rament encore avec courage, malgré les forces contraires, les menaces de mort, la rumeur conflictuelle, pour gagner le défi.
J'ai pu apprécier avec admiration le travail de quelques communautés et leaders déterminés à sauver la préservation des lacs. Ces exemples sont devenus modèle d'une certaine réussite, encore fragile certes, construite grâce au sens du bien commun, du respect, de la foi. Ils témoignent ainsi que l'Esprit Saint peut construire et promouvoir la vie par l'union qui en fait sa force visible. Dans les moments de persécutions, d'impuissance, face aux invasions de plusieurs dizaines de braconniers et leurs destructions de désolation, il faut bien la puissance de l'Esprit pour y croire de nouveau, recommençant dans l'humilité et la paix, la préservation. Le langage de Paul dans 2 Co 12,9 peut inspirer ce combat : " Ma grâce te suffit ; ma puissance donne sa mesure dans la faiblesse. "

- Des ministères au service de la communauté.
Les paroisses de la Préfecture Apostolique de Téfé sont au nombre de dix. Elles sont généralement composées d'un centre, ville de trois à dix milles habitants, et de 30 à 60 villages-communautés. Un village comprend aux alentours de 5 à 30 familles (quelques unes arrivent à 50-60) vivant le long des fleuves et lacs. Un prêtre, une ou deux religieuses ou des missionnaires laïcs constituent le noyau principal de l'équipe pastorale. Tel est le contexte général de la situation d'Église devant animer le milieu rural et la ville. Comment servir au mieux l'Evangélisation avec des moyens limités en personnel? Les communautés attendent beaucoup les services du prêtre, mais il ne peut tout faire... alors devant les nécessités il faut s'organiser autrement et du mieux possible! La Parole de Dieu ne peut faire les frais des manques, d'où l'importance d'avoir dans les communautés plusieurs animateurs, assumant un réel service spirituel qui demande des compétences qui s'acquièrent avec de la formation, de fidélité par la présence aux célébrations, de reconnaissance qui vient d'un témoignage de vie chrétienne.
Envoyé pour servir ainsi, le service de l'animation devient ministère avec l'appui des responsables de l'Église locale. C'est une satisfaction pour l'équipe pastorale que de voir une communauté chrétienne organisée, célébrer fidèlement la Parole de Dieu chaque dimanche. Une personne une fois me disait:" Dieu mérite bien une heure par semaine pour Lui, réunis tous ensemble pour écouter sa Parole, Lui parler, Le remercier de tout ce qu'Il nous donne". L'année passée, année de grandes inondations, notre surprise fut grande de savoir que même avec des planchers de maisons dans l'eau, une communauté avait continué de célébrer la Parole de Dieu tous les dimanches. Rien ne l'avait arrêté. Avec un peu de foi, les difficultés peuvent être surmontées. Rien n'arrête l'Esprit Saint d'agir quand on l'accueille dans sa maison.
Dans la ville divers ministères animent la vie communautaire, signe que l'Esprit Saint nous envoie vers les autres pour sentir la présence aimante du Dieu Trinitaire. Généralement la gratuité et la générosité s'allient pour faire grandir en chacun le goût de vivre pour le Christ, en donnant de son temps, de sa personne. Bien des vocations ministérielles expriment l'action de l'Esprit Saint reçu où confirmé au service de la communauté. L'expression des visages est aussi un critère pour sentir la présence de l'Esprit Saint dans la vie de ceux qui assument un ministère: paix intérieure, joie communicative, accueil de l'autre dans l'humilité, liberté ...etc.. Le ministre, se sent heureux de son identité de chrétien donnant un visage du Christ. Quand divers ministères sont assumés dans une communauté, on peut dire que l'Esprit agit. Dans la dernière paroisse où j'ai exercé mon ministère presbytéral, j’ai rencontré plusieurs ministères assumés par des laïcs (préparation aux sacrements de baptême et de mariage, catéchistes, animateurs de secteur de plusieurs communautés, de distribution de l'Eucharistie...) ainsi que des formes de service ministériel en voie de maturation de cheminement.
La lettre aux Ephésiens (4, 4-6) rappelle qu'il y a un seul Esprit, un seul baptême (même si certaines Eglises pentecôtistes ou évangéliques baptisent une seconde fois comme si il y avait deux esprits ou que le leur soit meilleur!) qui agit dans la vie des communautés des chrétiens pour rendre visible le Règne de Dieu. C'est le même Esprit, présent à chaque sacrement, qui nourrit la foi par le pain de
l'Eucharistie, qui guérit les plaies humaines par la Réconciliation, qui aide à continuer les conversions pour se rapprocher de la sainteté. Puisse l'Esprit Saint continuer d'agir dans l'Église qui est à Téfé.