Chemins de vie


Centrés sur l'essentiel


Père Gérard Eschbach OP


Le P. Eschbach, dominicain, est délégué auprès des diocèses d'Allemagne et d'Europe Centrale pour les Communautés Catholiques francophones. Il assure aussi l'aumônerie de la Communauté francophone de Dusseldorf en Allemagne. Il a été auparavant missionnaire au Congo, aumônier des Francophones à Washington et Directeur des Editions du Seuil.
L'Eucharistie célèbre la grande convivialité de Dieu avec nous et de nous avec Lui. A travers elle la verticalité de Dieu traverse nos horizontalités et leur rend un sens infini.
L'acte eucharistique fonde et noue la Communauté ecclésiale. Dès lors il ne peut pas ne pas être le `centre' absolu, et partant incontournable, de chacune de nos communautés. Sans l'Eucharistie, une communauté se disant `chrétienne' ne risquerait-elle pas de n'être qu'un `club' ou une `amicale' flottant au gré des sensibilités, des goûts et des modes ?
Je voudrais apporter ici une petite contribution à une réflexion sur l'Eucharistie comme source et centre de notre vie communautaire.

Chaque dimanche la fête...
La fête chaque dimanche? Les premiers qui le sentent très fort ce sont nos petits. Difficile de résister à leur insistance. Suivez-les. Ils savent bien que quelque chose de très important se passe ce jour-là à l'église. Ils y viennent, nombreux, avec un cœur ouvert et avec un sourire large comme ça! Au fond, ils ont raison. Et nous le savons bien, au-delà de nos conformismes et de nos paresses, qu'ils ont raison de vouloir participer à quelque chose qui est plus grand qu'eux. A quelque chose qui est plus grand que nous.
Peut-être, mieux qu'eux, sentons-nous, les plus âgés, que nos vies se vident lamentablement lorsque nous perdons nos convivialités essentielles. C'est-à-dire nos liens vivants avec Celui qui seul donne sens à nos existences.
Les enfants entrent dans la ronde d'emblée. Il suffit donc, avec eux, de se laisser convier à la fête... Célébrer Jésus parmi nous. Célébrer notre communion avec Lui. Chaque dimanche...

Il est grand le mystère de la foi
La 'fête'? On pense `divertissement'. Et parfois nous sommes tentés d'en rester là à nous faire mutuellement plaisir par une `belle cérémonie', en fredonnant des chansonnettes dans le vent et en singeant ce qui fait recette sur d'autres tréteaux. Mais à ce compte nous resterons de toutes façons toujours loin derrière la concurrence. Et c'est très bien ainsi. Célébrer le mystère est en effet d'un radical autre ordre.

Il m'arrive de `tester' les enfants de la Communion et parfois même leurs parents en posant la question suivante: Imaginons que le pape fasse inopinément son entrée dans notre église au moment de la prière eucharistique, que conviendrait-il de faire? Les suggestions fusent. Une seule réponse, pourtant, s'impose. Rien. Absolument rien de spécial. Le pape serait le premier à se jeter à genou devant ce mystère qui est grand. Ce mystère qui le dépasse. Ce mystère qui nous dépasse.

Invités à la table des Trois. .
La Communauté `chrétienne' ne prend sens et consistance qu'en communion avec Dieu lui-même. Ce Dieu qui, déjà, est `communauté' du Père, du Fils et du Saint Esprit.
La communion de notre communauté à la communauté divine s'accomplit à travers l'Eucharistie au cours de laquelle, forts de la promesse de Jésus, et en profonde anamnèse avec ce qu'il a accompli lui-même, nous prions le Père.
Le triple mouvement, véritablement trinitaire, de la grande prière eucharistique:
Père, envoie ton Esprit sur ce pain et sur ce vin.
Père, fais qu'ils deviennent pour nous le corps et le sang de ton Fils.
Père, fais qu'en ayant part au corps et au sang du Christ,
nous soyons rassemblés par l'Esprit Saint en un seul corps.
Ainsi donc trois se fait quatre. Dans l'ordre: le Père, l'Esprit, le Fils, et nous. Nous sommes intégrés et devenons participants des Trois. Ici le mystère trinitaire se célèbre dans son extension maximale. Le Souffle Saint envoyé par le Père transforme pour nous le pain et le vin au Corps et au Sang du Christ. Rassemblés en un seul corps par le même Esprit nous actualisons ce que nous devenons en vérité, à savoir fils et filles d'un même Père, soeurs et frères d'un même Fils.

La célébration centrée sur l'essentiel du mystère.
La liturgie nous fait célébrer en Église la grandeur du mystère. En même temps nos célébrations peuvent très facilement en `divertir'. Les enfants en particulier, mais pas seulement eux, risquent d'être perdus dans le dédale de la complexité de notre liturgie. Ils ont plus de chance de s'y retrouver lorsqu'ils commencent à en comprendre les grandes articulations.
Cette compréhension passe aussi par leurs jambes. Dans `assistance' il y a `assis'. Et cela est gênant. L'acte liturgique est action. Il ne met pas seulement l'assistance debout. Il la met en marche. C'est ainsi que la célébration peut prendre sa dimension totale, mobilisant non seulement l'esprit et l'âme mais aussi le corps. C'est ainsi également qu'est donnée sa chance à une célébration festive. D'où l'importance des `processions' qu'il ne faudrait jamais réduire à une déambulation simplement abstraite et symbolique de quelques figurants. C'est toute l'assemblée qui, en principe, y est invitée. Les premiers à y trouver leur épanouissement ce sont les enfants, principaux agents de la dimension festive de nos célébrations. Le miracle de la fête se produit lorsque les grandes personnes s'y sentent entraînées.
Pédagogiquement la diversité doit s'unifier et la complexité passer par un schéma simple. J'ose donner ici celui que je ne cesse d'utiliser: la célébration de l'Eucharistie à travers les quatre processions. L'expérience montre qu'à partir d'un tel schéma simple, progressivement développé et explicité, les enfants accèdent plus facilement au mystère. Et lorsque l'enfant y entre, les grandes personnes ne peuvent pas y entrer aussi.


A la procession d'offertoire nous apportons. A la procession de communion nous recevons. Et nous recevons `plus' que ce que nous n'apportons: Jésus lui-même que le Père nous donne par la puissance du Saint Esprit à travers la grande prière eucharistique.

En communion de grâce.
Dans la mesure où nos célébrations sont vraies, dans la mesure où nous permettons à l'Eucharistie d'être vraiment ce que le mot signifie, à savoir 'merveilleuse grâce', nous vivons personnellement et communautairement une expérience étonnante. L'expérience de la grâce.
L'état de grâce n'est pas une abstraction théorique. C'est une réalité vivante que nous expérimentons dans le fin-fond de nos coeurs. Un `état' plus qu'une activité. Un état de divine météorologie. Comme ailleurs il vente ou il fait beau, ici 'il fait Dieu'! Ici 'ça prie' avant même que 'nous' prions... Lorsque jubile en nous l'Agapè de Dieu répandu dans les profondeurs de nos coeur par le Saint Esprit (cf. Romains 5,5). Lorsque l'Esprit, en nous, vagit notre divine filiation de grâce en criant `Abba!' 'Papa!'(cf. Galates 4,s). C'est justement la célébration de l'Eucharistie qui nous fait vivre cet état de grâce d'un seul coeur. En communauté. En communion.
Le mystère eucharistique qui nous dépasse révèle et réalise notre propre mystère qui nous dépasse également. Entre ce que nous célébrons et ce que nous sommes en vérité, entre les deux mystères, l'Esprit ne peut que jouer la parfaite symphonie. Il suffit de laisser faire l'Esprit. Il se crée alors avec lui un milieu `écologique' avec son `climat' spécial, plus originaire et plus profond que ce qui relève simplement de la psychologie et où la 'cérébralité' risque de se perdre. Car là nous sommes `compris' avant même de comprendre.

Prophétique
Une communauté chrétienne qui vit du souffle de l'Esprit, centrée sur l'Absolu, ne peut pas ne pas être signe prophétique. Notre monde qui ne peut que naviguer à vue dans le relatif des valeurs flottantes, risque d'oublier ses dimensions véritables et de perdre ses repères. A moins que ne se lèvent des prophètes qui témoignent de l'essentiel. Le prophète n'est pas d'abord celui qui `prédit' l'avenir. Etre prophète c'est mettre en lumière. C'est dégager le sens profond des choses. C'est jeter un nouvel éclairage sur le présent et le futur. C'est faire l'expérience de la rencontre de l'Autre et d'en témoigner.
Notre communauté est appelée à être signe prophétique. Pour elle-même et pour ceux qui l'entourent. Et elle l'est authentiquement. Chaque fois qu'à partir de l'Eucharistie elle vit sa propre transfiguration et se trouve emportée à partager sa Foi, son Espérance et son Amour.

L'Eucharistie... Tout en découle. Tout y reflue.
Combien peut être fallacieuse la présentation que nous donnons parfois de notre communauté, lorsque la célébration de la messe dominicale y apparaît simplement comme un des moments de son emploi du temps. Un parmi d'autres. Faut-il lire: à prendre ou à laisser ?
En réalité l'Eucharistie est notre centre absolu. Tout découle d'elle. Et tout reflue vers elle. Tout. En commençant par notre communauté elle-même. Il ne faut pas confondre cause et effet. L'Eucharistie dominicale n'est pas d'abord une activité produite par la communauté. C'est, au contraire, la communauté qui est l'effet de cette Eucharistie. C'est l'Eucharistie qui réalise au sens fort du terme la communauté ecclésiale.
Alpha et Oméga d'un authentique `projet' communautaire, l'Eucharistie est la source et l'aboutissement de la totalité des engagements et des activités d'une communauté. Sa liturgie. Sa catéchèse. Son effort de formation. Ses moments de prière. Sa convivialité. Son partage. Ses ouvertures sur les urgences de notre monde.
Les conséquences pratiques sont innombrables. Et exigeantes. Dans les limites de cet article je m'en tiens à l'essentiel. Et quoi de plus essentiel que nos enfants?

Nos enfants et l'Eucharistie.
Tout découle de l'Eucharistie. Tout reflue vers elle. La catéchèse ne fait pas exception. Au contraire! La catéchèse ne commence pas dans une salle de classe. Elle commence le dimanche à l'Eucharistie. Et elle reflue vers l'Eucharistie au cours de laquelle se célèbrent les sacrements d'initiation chrétienne.
Les plus engagés de nos enfants se font `ministrants' et `ministrantes'. C'est ainsi que nous préférons appeler celles et ceux qui servent à l'autel. Ils sont tout excepté des 'figurants'! Leur place dans nos liturgies est importante et minutieusement préparée. Autour de l'autel ils forment en quelque sorte le `premier cercle', relais ou interface entre le mystère qui s'y célèbre et toute l'assemblée qui y participe.
Une communauté chrétienne ne doit pas craindre de cultiver une grande tolérance envers `la sainte marmaille'. Tout particulièrement au cours de l'acte central de sa vie qu'est l'Eucharistie. Laissez-les 'célébrer' comme ils l'entendent. Moins vous les régimentez, plus ils 'participent' à leur manière au mystère. Même s'il leur arrive de babiller ou de se hasarder tout près de l'autel. Laissez-les se déplacer librement. Ils ont de ces façons de venir regarder avec des yeux écarquillés. L'essentiel du mystère ne doit pas leur échapper. Et qu'ils aiment participer aux processions d'offertoire ou venir au moment de la communion recevoir un geste d'accueil qui les prépare à recevoir le Corps du Christ.
C'est déjà avant la naissance de l'enfant que commence l'éveil à la foi.. Les pas encore nés, eux aussi, font partie de la même communauté rassemblée dans le même Souffle de l'Esprit. Il est important qu'ils `se sentent' en communion. L'étude de leurs possibilités intra-utérines ne fait que balbutier. Mais déjà nous savons qu'ils sont très loin d'être sourds et muets et appellent quelque chose comme une catéchèse prénatale. A une maman qui, inquiète de garder un 'petit païen' à la maison, aurait voulu le faire baptiser le plus rapidement possible, même en plein carême, j'ai répondu "Mais il a déjà fait sa première communion!" Elle me lance un regard d'une extrême incrédulité. Je réponds par une question. Etait-elle donc seule tous ces dimanches où, enceinte, elle venait recevoir le Corps du Christ ?

Si ça ne commence par chanter au fin-fond de toi...
Combien de fois, préparant nos célébrations, n'essayons-nous pas de chercher notre salut du côté des `recettes' et des 'trucs' ? Saint Augustin nous répondrait: Aura et quod vis fac. Aime et le reste te vient par surcroît. Laisse chanter Agapè. Laissons communautairement chanter Agapè. Ne rien faire d'autre que de laisser chanter cet Agapè de Dieu répandu au fin-fond de nos coeurs par le Saint Esprit. Et ce sera réellement la fête. Chaque dimanche.