Signes et témoins


L’Esprit conduit la mission

P. Guy Pannier, Spiritain
Le P. Pannier nous donne ici un poignant témoignage sur ses 35 ans de vie missionnaire au Congo. L’histoire récente de ce pays déchiré a été bien lourde pour tous ceux qui lui ont consacré leur vie ; mais a été aussi l’occasion de bien des purifications dans la fidélité à Celui qui conduit la mission.
 
Lorsque Saint Paul s'est adressé aux sages d'Athènes, (Actes 1722-32), il a utilisé une argumentation qui, selon lui, devait éclairer les gens intelligents qui l'écoutaient, en leur faisant comprendre que ce "Dieu inconnu" était le seul Dieu pouvant s'adresser aux hommes pour leur donner un message de salut. Un "sermon" bien charpenté qui, selon son auteur, devait profondément bouleverser ces sages et leur faire connaître le vrai Dieu, un Dieu devenu homme comme eux, mort et ressuscité. On connaît la suite..., ce fut presque un fiasco ! Au cours des années qui vont suivre, Paul aura l'occasion de tester et de convaincre ses disciples que la Parole de Dieu ne pénètre pas les cœurs des hommes seulement par la prédication, mais que c'est surtout la façon de vivre de ceux et celles qui la reçoivent qui peut la propager : comme un incendie, ou comme un feu qui couve lentement.

Chaque jeune missionnaire en partance vers le peuple qui lui est assigné sait qu'il va devoir porter la Parole de Dieu : c'est l'essentiel de sa vocation, ce pour quoi il est envoyé. Il a étudié, médité cette parole au temps de sa formation, il sait déjà par expérience de vie personnelle et par ce qu'on lui a dit, que la Parole est toujours à redécouvrir, qu'il ne cessera pas d'y trouver toujours du nouveau ; et c'est pourtant en arrivant dans son pays de mission, pris par les multiples tâches et contacts qui l'enserrent de plus en plus, qu'il se rend compte peu à peu, qu'il a de moins en moins de temps, et peut-être de moins en moins de goût gratuit pour approfondir cette parole selon les méthodes qu'on lui avait enseignées.


C'est dans la connaissance progressive de la vie et de la pensée de ceux qui l'entourent qu'il va découvrir combien la révélation de la personne de Jésus-Christ, le Verbe de Dieu va être bonne nouvelle pour tous ceux au milieu desquels il a commencé à vivre malgré son statut d'étranger. Alors qu'il pensait sans doute que c'est à lui d'enseigner les "vérités de la foi" selon les normes établies et ce qu'il a appris dans sa propre culture, s'il veut que la Parole qu'il annonce soit vraiment LA PAROLE, et non sa parole, il va être obligé de se mettre à l'écoute de toutes ces petites paroles que vont lui proférer ceux auxquels il voue sa vie. Il va apprendre une chose essentielle, c'est que Dieu ne l'a pas attendu pour déposer le germe de sa Parole dans le cœur de ces hommes et de ces femmes. Malgré des apparences qui le choquent, il va découvrir peu à peu, combien, dans leurs pauvretés et leurs richesses ils ont besoin de l'enseignement que Jésus a appelé lui-même Bonne Nouvelle et comment ils savent y réagir positivement ; et que cet enseignement n'est pas seulement prédication, mais révélation de l'amour de Dieu dans les actes de la vie quotidienne

En revoyant plus de trente années de vie missionnaire au Congo, il me semble que, partis pour "planter" l'Église de Jésus-Christ avec ses structures, sa doctrine, son catéchisme de règles morales à observer, les missionnaires de ma génération en sont arrivés peu à peu à annoncer d'abord la personne de Jésus, reflet intime de la personne du Père qui est d'abord Amour. Changement de stratégie, modification de la méthode d'évangélisation due à l'influence de Vatican Il ? Peut-être, dans la mesure ou certaines évolutions des structures de l'Église sont nécessaires ! Mais, dans le cas concret de l'évolution de ce pays, nous y avons vu une des conséquences de la remise en question de toute notre action apostolique qui a été imposée par la destruction d'une bonne partie de ces fameuses structures héritées d'un autre temps et qui finissaient par scléroser cette bonne nouvelle : hostilité du nouveau pouvoir marxiste né de l'indépendance envers la foi, nationalisation des écoles, dissolution de tous les mouvements catholiques, menaces sur la présence de prêtres étrangers...
Dans la discrétion rendue nécessaire par la nouvelle donne, ce ne sera plus la grande prédication, le triomphalisme ecclésial qui va dominer, mais la constitution de petites communautés de chrétiens qui vont essayer de vivre l'évangile "au ras des pâquerettes", en famille, au quartier, au village. Un évangile qui sera fait d'actions de fraternité, d'amour mutuel, de pardon, de souci de faire connaître Jésus-Christ aux autres. Une Parole de Dieu insérée dans la vie concrète de chacun et chacune de ceux qui sont attirés par sa nouveauté et qui veulent la faire partager aux autres. Une Parole de Dieu méditée en commun dans la prière partagée à l'intérieur de la communauté et qui donne lumière et force pour la vie personnelle de chacun. Une Parole de Dieu qui va même, par endroits, tellement former des hommes-citoyens, que ce seront des chrétiens qui seront choisis par la voix populaire pour gérer les affaires civiles de bourgs et de villages dans un environnement théoriquement marxiste. C'est la Parole de Dieu, le Verbe incarné, la personne même de Jésus et sa façon d'agir qui est scrutée pour savoir comment mener la vie de la communauté chrétienne du quartier ou du village ; une Parole de Dieu qui n'est pas seulement méditation et prière, ou "piété" personnelle, mais qui rejaillit même sur le développement social et politique du pays en concernant tous ses habitants, chrétiens ou non.

Vingt ans après la période à laquelle je fais allusion, le pays est retombé dans les luttes politiques et a vécu des drames humains affreux. Les causes en sont multiples et la façon de vivre de l'Église peut y être pour quelque chose, dans la mesure ou elle a parfois oublié l'importance de la Parole et de ses exigences pour se laisser bercer par la douceur d'une vie ecclésiale privilégiant les structures confortables. C'est le danger de l'installation qui a toujours menacé les hommes, depuis le peuple hébreux regrettant les oignons d'Égypte, jusqu'à la chaleur communicative de nos grands rassemblements de jeunes qui font oublier un moment que la Parole doit s'incarner dans le quotidien de l'existence et concerner tous les hommes.

La Parole incarnée, le Verbe de Dieu, Jésus-Christ nous dit par toute son existence que la résurrection ne peut avoir lieu s'il n'y a pas eu auparavant la mort en ses différentes formes. Il ne peut y avoir le salut, s'il n'y a pas eu auparavant et simultanément (puisque le Royaume est déjà parmi nous) cette recherche de la présence de Jésus-Christ qui agit en nous et autour de nous, par la force de l’Esprit saint.

La Mission continue, l'annonce de la bonne nouvelle pour notre temps doit se poursuivre car le commandement de Jésus "allez enseigner toutes les nations... " est valable jusqu'à la fin des temps. Que l'Esprit-Saint qui nous précède toujours comme il a précédé Saint Paul, nous aide simplement à toujours annoncer la Parole, celle de Dieu incarnée en Jésus-Christ, et non pas notre petite parole humaine. Notre petite parole, le Seigneur la veut car c'est celle-là qui est intelligible pour ceux qui nous écoutent : qu'elle soit seulement le reflet de cette grande Parole qui illumine notre vie profonde. .