SPIRITUALITE DE COMMUNION


P. Jean Savoie, spiritain

En avançant dans la vie spirituelle et dans la fidélité à l’Esprit Saint, nous nous mettons à préférer certains passages de la Parole de Dieu, à méditer souvent sur telle ou telle attitude de Jésus, et à faire plus attention à certains points de la pratique chrétienne. Cela constitue notre façon personnelle d’être présent à Dieu, notre propre spiritualité. On peut en proposer de nombreuses plus ou moins caractéristiques, mais une est certainement au cœur de l’Evangile, c’est la spiritualité de communion.

Un thème très fréquent dans l’expérience religieuse.
Dieu c’est fait connaître comme celui qui est solidaire de son peuple, celui qui donne et qui se donne, celui qui vient soutenir particulièrement les plus petits. Nous connaissons ces textes révélateurs de l’attitude de Dieu envers les petits, nous les rappelons brièvement.
La première grande expérience du peuple hébreu, c’est celle du Dieu libérateur : " j’ai vu la misère de mon peuple et je suis venu le sauver " (Ex ). Dieu se laisse émouvoir par les souffrances de son peuple et il entend les prières qui lui sont adressées. Il agit alors avec force contre l’oppresseur.
La loi du Deutéronome est très attentive à défendre les catégories les plus faibles du peuple : veuves, orphelins, opprimés, pauvres sont protégés par la loi comme pour obliger à être attentif comme Dieu aux personnes en situation de précarité.
La prière d’Israël est pleine de cette louange au Dieu qui soutient les petits. Le livre des Psaumes s’en fait souvent l’écho : " Le Seigneur garde à jamais sa fidélité, il fait justice aux opprimés, aux affamés il donne le pain, il délie les enchaînés, il ouvre les yeux des aveugles, redresse les accablés ". (Ps.145, 7-9)
Le livre de Ben Sirac le Sage emploie cette belle expression : " les larmes de la veuve coulent sur la joue de Dieu " (Si 35,18). C’est une forte expression de la proximité et de la solidarité de Dieu avec nous.
Dans les livres du Nouveau Testament, le texte bien connu du Magnificat de la Vierge Marie, reprend des prières qui existaient déjà. " Le Seigneur a regardé la petitesse de sa servante… Il élève les humbles et renvoie les orgueilleux ". Jésus lui-même décrit la mission reçue de son Père dans les mêmes termes : " l’Esprit du Seigneur est sur moi, il m’a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres, libérer les prisonniers, nourrir ceux qui ont faim, proclamer une année de grâce " (Lc 4). Nous aurons remarqué que le beau passage des béatitudes est dans le même esprit : " heureux les pauvres, heureux les doux, heureux les cœurs purs, heureux ceux qui pleurent, heureux ceux qui sont persécutés… ".
Nous pensons aussi à la parabole du jugement dernier : j’avais faim et vous m’avez nourri, j’avais soif et vous m’avez donné à boire, j’étais en prison, malade, persécuté et vous m’avez secouru ". Nous pourrions passer en détail l’enseignement de Jésus sur la loi, sur la prière, sur le l’aumône, et nous trouverions toujours cette attention aux plus petits, cette solidarité envers les plus démunis.
Si cette attitude de Jésus est si habituelle pour lui, c’est qu’elle est importante pour nous qui voulons le suivre dans la lumière de l’Esprit Saint. Le visage du Christ Jésus nous révèle le visage de Dieu. C’est un Dieu qui s’est fait proche de nous tous, du plus petit d’entre nous. C’est un visage humain plein de tendresse et d’attention qui voudrait tellement que chacun de nous soit " heureux ", " béni du Père ", " recherché " " pardonné ". C’est la brebis perdue qui compte le plus et qui lui procure le plus de joie à son retour, comme au retour du fils qui était parti et qui est revenu.

L’Eglise dans son histoire témoigne de cette tendresse de Dieu.
Les premières communautés chrétiennes, dans la référence au Christ ressuscité, voulaient à instaurer de nouveaux rapports économiques : d’un seul cœur, " ils mettaient tout en commun ". L’unité dans la foi au Christ ne se limitait pas à croire, mais comportait des façons d’agir nouvelles, dans le but bien clair que nul ne soit dans le besoin. Chacun recevait selon ses besoins.
Les communautés de Saint Paul ont su organiser des collectes toujours pour subvenir aux besoins des frères. Dans les relations avec les autres communautés, les exigences seront allégées mais il restera toujours à se souvenir de secourir les plus pauvres.
Dans la vie de l’Eglise, le point de vérification d’authenticité chrétiennes a toujours comporté un élément social. Les œuvres de miséricordes ont été longuement décrits par les pasteurs de toute époque et de tout niveau. Nous avons en mémoire des épisodes célèbres : le diacre Laurent, le moine Martin, le frère François,
Beaucoup de Congrégations religieuses sont nés pour répondre à un besoin caritatif ou plus largement social, dans la conscience d’un appels de Dieu à ne pas laisser des êtres humains dans des situations inhumaines.
Les Congrégations missionnaires qui portent le souci de proposer la foi à des populations qui en ont été écartées, ont commencé par répondre aux besoins les plus immédiats des gens, créant fermes, écoles et dispensaires, en même temps que des églises. Des organismes nombreux dans l’Eglise organisent cette solidarité pour un meilleur partage, citons par exemple les Œuvres Pontificales. Ces missions d’échange avec les plus démunis sont relayées encore par des organisations humanitaires qui portent ce souci de solidarité entre les hommes.
Ainsi le visage de l’Eglise, comme celui du Christ, porte les traits d’une Eglise servante et pauvre, qui " se sent obligée de faire l’option préférentielle " pour les pauvres . Le Pape dans la Lettre du début du Nouveau Millénaire nous a invité fortement à regarder l’héritage reçu du Christ pendant le Jubilé, pour partir au large sur les espaces de la charité.

Pour une spiritualité de communion 
Cette ligne de fond dans la parole de Dieu et cette pratique dans la vie de l’Eglise, dans la ligne du premier commandement, nous invite à en faire une dimension centrale de notre vie chrétienne. Jésus nous a recommandé d’ " être  parfaits comme notre Père céleste est parfait ". C’est plus qu’une invitation, c’est une vocation.
Le pape a présenté cette spiritualité de communion dans sa lettre apostolique du début du Nouveau Millénaire. Il s'attarde dans la quatrième partie à décrire les moyens du témoignage chrétien sous le titre " témoins de l'amour ".
Il part du texte de Saint-Jean : " ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres ". Si nous avons vraiment contemplé le visage du Christ, nous ne pourrons pas ne pas nous inspirer du commandement nouveau qu’il nous a donné : comme je vous ai aimé ; aimez-vous les uns les autres.
Le pape donne ici une grande et profonde définition de la communion : " la communion est le fruit et la manifestation de l'amour qui, jaillissant du coeur du Père éternel, se déverse en nous par l'Esprit que Jésus nous donne (Rm 5,5), pour faire de nous tous un seul cœur et une seule âme (Ac 4,32) ". Et le pape cite Saint-Paul : s’il nous manque la charité il nous manque tout ; ainsi que Thérèse de Lisieux: " Je compris que l’Eglise avait un coeur, et que ce coeur était brûlant d’amour. Je compris que l’Amour seul faisait agir les membres de l'église, qu'il renfermait toutes les vocations et qu'il était tout. "
Le grand défi dans le millénaire qui commence, si nous voulons être fidèle au dessein de Dieu et répondre aux profondes attentes du monde, dit encore le pape, sera de faire de l'église la maison et l'école de la communion :
- Une spiritualité de communion consiste avant tout en un regard du coeur porté sur le mystère de la Trinité qui habite en nous et dont la lumière doit aussi être perçue sur le visage des frères qui sont à nos côtés.
- Une spiritualité de la communion cela veut dire la capacité d'être attentif à son frère dans la foi pour savoir partager ses joies et ses souffrances, deviner ses désirs, répondre ses besoins pour lui offrir une amitié vraie et profonde.
- Une spiritualité de la communion c'est aussi la capacité de voir surtout ce qu'il y a de positif dans l'autre pour l'accueillir et le valoriser comme un don de Dieu et un don de Dieu pour moi.
- Une spiritualité de la communion c'est enfin savoir donner une place à son frère en portant les fardeaux les uns des autres.
" Sans ce cheminement spirituel les moyens extérieurs de la communion serviraient à bien peu de choses et deviendraient des façades sans âme, des masques de communion " (Jean-Paul II ib.). Tirons-en quelques convictions pour notre conduite chrétienne.
D’abord la conviction que Dieu nous a créés à son image, dans une égale dignité et une même destinée. Ensuite la révélation que par son incarnation, le Christ s’est en quelque sorte uni à chacune des personnes concrètes. Il s’en suit une grande dignité de toute personne humaine dans laquelle nous voyons le visage du Christ. Il s’en suit aussi de fortes exigences spirituelles et sociales pour notre vie ensemble. Il s’en suit enfin qu’en regardant la situation de notre monde aujourd’hui, nous sommes appelés spirituellement à une solidarité concrète qui peut bouleverser nos vies.
Le visage du chrétien, vivant cette spiritualité de communion, dans la lumière de l’Esprit Saint, reproduit les traits du visage du Christ et du visage de l’Eglise. Il doit choisir ses engagements, modifier ses attitudes pour qu’elles soit cohérentes avec la façon dont Dieu s’est révélé à nous. Il ne peut trouver d’union spirituelle avec Dieu qu’en reproduisant les préférences et les attentions du Père, inscrites dans les attitudes du Christ, et inspirées en nous par l’Esprit.
" Les chrétiens qui regardent ce tableau de la pauvreté actuelle dans le monde, doivent apprendre à faire un acte de foi dans le Christ et à déchiffrer l’appel qu’il lance à partir de ce monde de la pauvreté " (NMI Jean Paul II, Pour un nouveau millénaire n° 50)