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Connaissez-vous votre Mère ?

La maternité spirituelle de Marie

              
P. André BOULET, mariste


Il n’est pas rare qu'on parle de Marie aux chrétiens, dans les homélies, les articles de revues ou les documents du Magistère. Paul VI lui a consacré l’exhortation « Marialis Cultus » (MC, 1974), et Jean-Paul II l’encyclique « Redemptoris Mater » (RM, 1987). Ces réflexions veulent surtout mettre en valeur la foi de cette fille d'Israël et nourrir notre piété envers elle. Habituellement, la mère de Jésus est désignée sous le nom de « Marie », « la Vierge Marie » ou « la Sainte Vierge ». Curieusement, même si le mot « Mère » est employé, il est peu question de la maternité de Marie. De sa maternité divine, mais aussi de sa maternité "spirituelle" à l'égard de chaque homme et de l'humanité entière. La richesse de contenu immense du vocable « Mère » n’est guère expliquée : que veut-il dire exactement ? Comment Marie exerce-t-elle cette maternité sur chacun de nous et sur la Famille-Eglise entière ? Quelle doit être l'attitude des chrétiens et des communautés de fidèles envers leur Mère ? Toutes ces questions ne trouvent guère de réponses, comme si appeler Marie notre Mère revenait à lui décerner un simple  titre honorifique.

Il y a pourtant là un enjeu capital. Si Jésus a voulu que Marie, sa mère, devienne « notre Mère », c’est parce que, comme telle, elle occupe une place essentielle dans le dessein de Dieu sur chacun de nous et sur l'humanité entière. Pas plus qu’une mère de famille ne joue un rôle accessoire auprès des siens, Marie n’occupe un rôle accessoire auprès de la famille-Eglise. Les conséquences de cette affirmation sont immenses pour la vie des communautés chrétiennes, de l’Eglise entière, et très spécialement pour toute démarche d'évangélisation. Comprendre son rôle de Mère, c’est mettre Marie à sa vraie place dans notre foi, celle-là même que Dieu a voulue pour elle.

La source principale de l’enseignement de l’Eglise sur la maternité spirituelle de Marie, c’est le chapitre 8 de la Constitution dogmatique sur l'Eglise, « Lumen Gentium », promulguée par le concile Vatican II, et appuyée sur toute la Tradition de l’Eglise. A propos de ce texte,  Paul VI a déclaré que "c'est la première fois qu’un concile œcuménique présente une synthèse si vaste de la doctrine catholique sur la place que Marie très sainte occupe dans le mystère du Christ et de l'Eglise ".(13)

« Pétrie du Saint Esprit pour l'accomplissement de sa mission »

Etre « Mère de Dieu », être aussi « Mère des hommes et de l'Eglise », c’est une mission si grande et si difficile qu’il fallait pour la remplir une femme tout à fait exceptionnelle. Dieu a conçu cette femme de telle sorte qu'il n'y ait en elle aucune de ces tendances désordonnées, de ces égoïsmes, de ces enténèbrements de l’esprit qui sont le lot, depuis le péché des origines, de tous les êtres humains. Le Concile Vatican II le dit en ces termes : "Marie fut pourvue par Dieu de dons à la mesure d'une si grande tâche. Rien d’étonnant, par conséquent, à ce que l'usage se soit établi chez les saint Pères (de l’Eglise) d’appeler la Mère de Dieu la toute sainte, indemne de toute tache de péché ayant été comme pétrie par l'Esprit Saint et formée comme une nouvelle créature »(14). Enrichie dès le premier instant de sa conception d'une sainteté éclatante absolument unique, la Vierge de Nazareth est saluée par l'ange de l'Annonciation, sur l'ordre de Dieu, comme « pleine de grâce », ou plus exactement, selon la traduction du grec «  kékaritoméné » : « celle qui fut et continue d’être l’objet de la faveur de Dieu ». Ce mystère d’amour, nous le désignons traditionnellement par l’expression « Immaculée Conception de Marie ».

L’ expression « pétrie par l'Esprit Saint », appliquée à Marie, signifie que l'Esprit Saint est présent à toutes les fibres de son être. Il n’y a en elle aucune pensée, aucune parole, aucune décision, aucune  action, aucun sentiment qui ne soient pleinement d’elle, jaillis du plus intime de sa personne, et en même temps façonnés en elle par l'Esprit d'Amour. Tout, en Marie, est « pétri d'Amour ». Elle n’est le sujet d’aucune de ces tendances désordonnées que nous connaissons bien, nous qui sommes atteints, selon l’expression de Paul VI, par la "maladie congénitale de l'espèce humaine" : tendances à l’orgueil, la jalousie, la sensualité, la cupidité, la soif de pouvoir, etc... On comprend l'immense bonheur d'une Catherine Labouré, d'une Bernadette... et de tant d'autres "voyants" lorsqu'ils contemplaient cette Femme, la plus "gracieuse" que le monde ait jamais portée, le chef-d’œuvre de la création, en qui Dieu révèle quelque chose de son propre mystère.

Mère de tous les hommes
La Constitution "Lumen Gentium », sans employer l'expression "maternité spirituelle de Marie", en affirme plus d'une dizaine de fois la réalité. Citons quelques passages : "Mère des membres du Christ" (53), "elle joue un rôle maternel à l'égard des hommes" (60), "elle est devenue pour nous dans l'ordre de la grâce notre Mère" (61), "la maternité de Marie dans l'économie de la grâce se continue sans interruption jusqu'à la consommation définitive de tous les élus"(62), "l'Eglise ne cesse de faire l'expérience de ce rôle maternel de Marie" (61).

L’enseignement de l’Eglise sur la maternité spirituelle de Marie trouve sa source dans l’Ecriture. Très particulièrement dans ce passage de saint Jean : "Près de la croix de Jésus se tenaient debout sa mère, Marie femme de Clopas et Marie de Magdala. Voyant ainsi sa mère et près d'elle le disciple qu'il aimait, Jésus dit à sa mère : "Femme, voici ton fils." Il dit ensuite au disciple : "Voici ta mère." Et depuis cette heure-là, le disciple la prit chez lui"  (ou, selon une traduction plus exacte : « la prit dans son intimité ») (Jn 19,25-29). En employant le mot "mère" ('èm en hébreu, métèr en grec), Jésus veut de toute évidence nous renvoyer à la réalité naturelle des mères de la terre. Comme l’explique Jean-Paul II, «il y a analogie entre la maternité dans l'ordre de la grâce et ce qui dans l'ordre de la nature caractérise l'union entre la mère et son enfant" (RM). Pour comprendre la maternité de Marie sur ses enfants, il faut donc tout simplement regarder ce que fait une mère dans l'ordre naturel.

Une mère de la terre fait principalement quatre choses :
- elle porte en elle son enfant, puis le met au monde (dans la souffrance le plus sou vent) ;
- elle le nourrit et l’éduque, lui apprend à parler, à marcher, à s'intégrer dans la société humaine. Bref, elle l'achemine vers la maturité ;
- elle le défend contre tout ce qui peut menacer sa vie ou sa santé ;
- elle s'emploie, lorsqu'elle a plusieurs enfants, à maintenir ou rétablir, s'il y a lieu, la bonne entente entre tous ;
Pour mener à bien cette tâche, en étroite coopération avec le père de l’enfant, elle reçoit du Créateur des dispositions particulières de tous ordres – physiques, psychologiques, spirituelles - qui lui permettent de déployer  pleinement les inspirations de son cœur.

Nous voici pourvus de tous les éléments qui permettent de faire jouer l’analogie en l’appliquant à la maternité de Marie telle qu’elle s’exerce à notre égard :
- Marie nous enfante à la Vie divine : au Calvaire, tandis que le Christ, par son sacrifice, obtient à tous les hommes la Vie, Marie les enfante, dans la douleur, à cette même Vie. Le "fiat" qu'elle prononce intérieurement au pied de la croix l’associe à l’œuvre de son Fils : au nouvel Adam est associée la nouvelle Eve, la "Mère des vivants" ;
- elle nous éduque à la Vie divine, nous apprend à vivre à la manière des fils de Dieu, selon l'esprit de foi, dans la prière, la charité, l'humilité, la patience, ... ;
- elle nous défend contre ce qui menace la Vie divine en nous, principalement contre Satan, le "père du mensonge", "homicide dès l'origine" ; elle est la "femme" qui écrase la tête du Serpent (Gn 3,15) ;
- elle travaille sans cesse à nous rassembler et à nous garder unis dans l'Eglise (Lumen Gentium, 69).
De plus, tout comme une mère accueillante au don de la vie souhaite agrandir sa famille, Marie trouve sa joie à accroître le nombre des enfants de Dieu, frères et sœurs de son Premier-né, Jésus.

Pour exercer sa maternité, Marie reçoit une grâce très particulière. C’est comme une reprise intérieure de tout son être par l'Esprit Saint, une « suractivation » de son cœur et de toutes ses facultés, qui la rend capable de connaître, d’aimer, d’éduquer personnellement chacun de ses enfants en vue de la place qu'il est appelé à tenir dans le Corps du Christ. Cette présence maternelle active de Marie à chacun de ses innombrables enfants de la terre et du ciel est possible, entre autres, grâce aux propriétés particulières de son Corps glorieux : depuis son Assomption, tout comme le Christ ressuscité,  elle est affranchie des limites de l'espace et du temps et peut comme démultiplier sa présence.
L’action maternelle de Marie n’est efficace que moyennant l’action du Christ et de l'Esprit Saint. Le fondateur des Marianistes, le P. Chaminade, aimait dire que c'est « par l'action de l'Esprit Saint que nous sommes conçus dans les entrailles de Marie ». Elle est en quelque sorte "l'instrument de l'Esprit Saint", le lieu maternel partout présent là où le Christ doit germer et grandir. Sa grâce maternelle lui donne une connaissance personnelle de chacun de ses enfants. Elle peut agir de façon directe à l’intime de nous-même, en atteignant ces profondeurs de notre personne où naissent les élans de foi, de prière, de charité, d'humilité, et en favoriser l'éclosion, mais sans jamais peser sur notre liberté. Elle peut aussi remplir sa tâche de mère auprès de ses enfants en passant par un intermédiaire. Elle s'est ainsi servie de Catherine Labouré pour répandre la « Médaille miraculeuse », source d'innombrables bienfaits, et de Bernadette Soubirous pour que naisse le pèlerinage de Lourdes où ses enfants reçoivent par milliers des guérisons spirituelles et parfois physiques. Elle se sert quotidiennement des parents ou des catéchistes pour que les enfants apprennent à prier, des infirmières pour que les malades trouvent le réconfort. Sans cesse, elle fait appel au concours d’intermédiaires pour tisser l'Eglise de son Fils. Elle les associe à son action, en recourant à toutes les richesses de leurs dons et charismes. Paul VI va jusqu'à dire que « l'action de l'Eglise dans le monde est comme un prolongement de la sollicitude de Marie » (MC 26).

Mère de l'Eglise
A la fin de la 3ème session du Concile, Paul VI a décerné publiquement et solennellement à Marie le titre de "Mère de l'Eglise". Pour en comprendre le sens, il faut de nouveau faire appel à l’analogie déjà utilisée avec la maternité terrestre. Une femme, mère de plusieurs enfants, n'est pas seulement mère de chacun de ces enfants. Son rôle s’étend à l’ensemble de la communauté familiale : père, enfants et même tous ceux qui, à divers titres, font partie de la maisonnée. Marie, Mère du Christ, est également mère de toute la famille que constitue l’Eglise. Soucieuse de l’unité de cette famille, elle exerce sur elle sa maternité de bien des façons :
- elle enfante et éduque chacun de ses enfants pour occuper telle place dans l'Eglise, Corps du Christ, y remplir telle fonction ;
- elle s'emploie inlassablement et efficacement à établir, maintenir, et faire grandir l'unité dans l'Eglise. Plus que quiconque, elle est partie prenante et agissante dans la grande cause de l'œcuménisme ;
- comme elle a veillé sur l'Eglise naissante, après la Pentecôte, elle continue de veiller sur l’Eglise et d'en accompagner la croissance.

Une mère ne connaît un accomplissement plénier de sa maternité que si elle trouve, dans le cœur de ses enfants, une réponse d’amour véritablement filiale. L’analogie joue de nouveau pour la maternité spirituelle de Marie : « la vraie dévotion (envers Marie) … nous pousse à aimer notre Mère d'un amour filial et à poursuivre l'imitation de ses vertus » dit le Concile (LG 67). Pour dégager toutes les harmoniques de cet amour filial, il suffit de regarder le comportement d’un enfant aimant envers sa mère : confiance absolue, docilité, imitation en sont les traits dominants. Pour se développer, cet amour nécessite une vie d’intimité entre la mère et l’enfant, de sorte qu’une osmose s’accomplisse, et que les traits du cœur maternel se reflètent dans celui des enfants. Cet amour filial n’atteint lui-même sa plénitude que lorsqu’il se traduit en dévouement actif : aidée par ses propres enfants qui se mettent à son service, Marie peut alors déployer toutes les potentialités de sa maternité pour révéler à tous les hommes l’amour dont ils sont aimés, et ouvrir ainsi leur cœur à l’Espérance qui ne déçoit pas : « A l'homme d'aujourd'hui souvent écartelé entre l'angoisse et l'espérance, prostré par le sentiment de ses limites et assailli par des aspirations sans bornes, troublé dans son âme et déchiré dans son cœur, l'esprit obsédé par l'énigme de la mort, oppressé par la solitude alors qu’il tend vers la communion, en proie à la nausée et à l'ennui, la Vierge Marie, contemplée dans sa vie terrestre et dans la réalité quelle possède déjà dans la cité de Dieu, offre une vision sereine et une parole rassurante : la victoire de l'espérance sur l’angoisse, de la communion sur la solitude, de la paix sur le trouble, de la joie et de la beauté sur le dégoût et la nausée, des perspectives éternelles sur les perspectives temporelles, de la vie sur la mort. » (MC 57)

II n’est pas si rare qu'un homme miné par la maladie et la peur de la mort appelle sa mère. Les chrétiens de ce 3ème millénaire sauront-ils révéler aux hommes accablés par de terribles menaces qu'ils ont une Mère,  une Mère très aimante et très puissante, et qu'elle les entendra s'ils crient vers elle ?
André BOULET sm


13- Discours pour la conclusion de la 3ème session du Concile
14- Le texte latin dit : « quasi a Spiritu Sancto plasmatam novamque creaturam formatam ». Cette phrase est empruntée à Saint Germain de Constantinople, un Père de l’Eglise du VIIIe siècle