Signes et témoins

DISCERNEMENT AU NOVICIAT


P. Etienne Osty, spiritain


            Mon expérience du discernement spirituel est une expérience de maître des novices, exclusivement dans les pays du Sud. Elle est de ce fait limitée et située. Pendant huit ans, de 1988 à 1996, j’ai été maître des novices de la Fondation Spiritaine d’Afrique Centrale, à Mbalmayo, au Cameroun. J’ai accompagné durant cette période une soixantaine de novices spiritains. Depuis septembre 2001, je me retrouve dans le noviciat de la Fondation de l’Océan Indien avec d’autres novices à accompagner.

Il n’est jamais facile de discerner et d’accompagner la fidélité à l’Esprit Saint. Ici, il s’agit surtout du discernement de la vocation et de l’accompagnement spirituel spécifique mis en œuvre dans un noviciat pour faire ce discernement. Les moyens “ classiques ” du discernement au noviciat spiritains sont à peu près les mêmes que dans les autres noviciats du monde.

La Règle de vie.

Selon la Règle de vie spiritaine le noviciat « permet au novice, dans la docilité à l’Esprit-Saint avec l’accompagnement du maître des novices et le soutien de la vie communautaire, d’approfondir la grâce de sa vocation… c’est d’abord un temps de structuration de la vie spirituelle… c’est aussi un temps de discernement de la vocation … c’est également un temps d’initiation et de formation à la vie religieuse apostolique..».

Le novice va épanouir ses qualités humaines et chrétiennes, dans l’écoute de la Parole de Dieu, la pratique des sacrements, la prière personnelle et liturgique, l’accompagnement spirituel et la contemplation du mystère du salut.
Il devra accepter le travail patient de Dieu en lui. C’est un chemin de conversion difficile qui va exiger de lui beaucoup de persévérance pour entrer dans le mystère pascal ; mystère de mort et de résurrection du Christ. Il va s’agir pour lui d’approfondir ce que veut dire mourir à soi-même pour suivre le Christ, chaste, pauvre et obéissant.
Souvent il ne percevra pas immédiatement le résultat de ses efforts. Peu à peu cependant, dans ce chemin de fidélité, le novice va prendre davantage conscience de ce qu’il est. Il va mieux reconnaître ses potentialités, ses qualités mais aussi ses fragilités et ses défauts. Surtout il va mieux découvrir que l’amour de Dieu le précède et l’accompagne et que le salut lui est offert gratuitement.

Le temps du noviciat est fait pour que le novice s’initie à l’esprit de la Congrégation, à son histoire, à sa tradition et à sa spiritualité pour vérifier l’authenticité de l’appel entendu. Côté Congrégation, c’est le maître des novices qui est chargé de vérifier si cet appel est en convergence avec le charisme de la Congrégation. C’est pour cela qu’une bonne partie des cours dispensés au  noviciat est consacrée à l’étude des fondateurs, Poullart des Places et Libermann, et à l’histoire de la Congrégation.

Il faut dire que les jeunes qui arrivent au noviciat spiritain ne partent pas de zéro ; ils disposent déjà d’une bonne base de formation. Généralement, ils ont eu une ou deux années de postulat ou de propédeutique, suivie de deux et parfois trois années de premier cycle de formation cléricale ; ce qu’on appelle le philosophat. Quelquefois, ils ont fait une année de stage pastoral dans une communauté spiritaine. L’année du noviciat se situe donc en plein milieu de leur formation, souvent durant la quatrième ou la cinquième année. Dans un tel contexte, le noviciat doit être un temps d’approfondissement et de confirmation d’une vocation déjà bien enracinée plus qu’un temps de discernement vocationnel qui en principe est déjà fait. Cela, en théorie car en pratique, il y a des surprises.

Le novice va s’ouvrir à la vie religieuse telle que la comprend l’Eglise. D’où les cours sur l’histoire de l’Eglise, sur la théologie, sur le droit religieux. Il va s’ouvrir à la vie religieuse telle que la Congrégation la conçoit aujourd’hui, en s’inspirant du charisme des fondateurs, de sa tradition vivante et de son histoire missionnaire. Là encore les cours sur la vie religieuse, l’enseignement sur les vœux religieux permettront au novice de faire les vérifications nécessaires. Un engagement pastoral approprié va aussi contribuer à cela.

Comment fonctionne concrètement ce discernement ?

L’accompagnement spirituel personnel 

Cela se fait au minimum une fois par mois avec le maître des novices, quelquefois plus souvent. Les thèmes des rencontres varient en fonction des sujets abordés durant les cours ou les inter-noviciats quand ceux-ci existent. Chaque novice peut bien sûr toujours et à tout moment aborder le sujet qui le préoccupe “ aujourd’hui ”.
Dans notre tradition spiritaine, nous donnons la possibilité au novice d’avoir un accompagnateur autre que le maître des novices. Ce système contribue, me semble-t-il, à favoriser un meilleur équilibre de l’accompagnement ; la distinction entre le for interne et le for externe en particulier est bien prise en compte.

Les temps forts spirituels :

Ce sont les récollections et les retraites. Un mot des retraites : Dans le noviciat spiritain,  nous avons trois retraites de huit jours : conversion, oraison et profession. Je donne toujours moi-même la première retraite celle de conversion. J’utilise la méthode Ignatienne de l’accompagnement individuel quotidien. Chaque jour, le novice vient me voir et me parle de sa prière. Fruits constatés avec cette méthode :
Chaque novice entre immédiatement et à fond dans l’expérience de la prière puisqu’il sait qu’il doit en parler avec l’accompagnateur. Curieusement beaucoup de jeunes, malgré une expérience déjà longue dans la formation, font pour la première fois une véritable expérience de la prière. Pour peu que les choses se passent bien, ils entrent avec l’enthousiasme des commençants dans une expérience fondatrice et expriment des regrets que la retraite ne dure que 8 jours. Ils voudraient prolonger l’expérience comme les apôtres sur le Thabor.
Autre fruit de cette méthode : C’est la libération de la parole. Arrivant au noviciat, souvent avec la peur d’être renvoyés, c’est une caractéristique des pays du Sud, cela  permet de parler, de s’exprimer sur un sujet finalement peu compromettant. Cette prise de parole favorise l’ouverture du cœur. Certains aiment entrer dans des confidences sur leur vie passée qui ne leur sont point demandées, du moins à ce moment-là. Généralement, après une telle expérience, tous se sentent plus à l’aise, même s’ils ne sont pas toujours totalement libérés de la peur.
Pour le maître des novices, cela lui donne une meilleure connaissance de chacun des novices, très précieuse pour la suite du noviciat. J’ai constaté que la qualité de l’année du noviciat dépendait beaucoup du sérieux de l’engagement lors de cette première retraite.

La prière quotidienne :

C’est l’oraison matinale faite ensemble ; il est important pour tous de durer ensemble dans la prière silencieuse. C’est encore l’animation de la prière liturgique, préparée à tour de rôle par un novice. C’est l’Office divin et l’Eucharistie quotidienne. La fidélité et la qualité de l’investissement de chacun dans cette préparation est un gage du sérieux de l’engagement du novice dans la vie religieuse.

Les cours et inter-noviciats :

C’est à peu près la même chose pour ce qui concerne les cours au noviciat ou les enseignements lors des inter-noviciats. L’investissement consenti par chacun pour leur préparation par les lectures conseillées et par les réponses préparées à l’avance aux questionnaires appropriés  est un élément important d’appréciation du sérieux de l’engagement du novice.

L’attention à la vie affective :
 
Au Cameroun, nous avons des inter-noviciats mixtes : garçons-filles. C’est un lieu intéressant où chacun peut vérifier  la qualité de son engagement dans des relations interpersonnelles saines, libérées et libérantes. Celui qui face à un environnement féminin n’arrive pas à trouver ses marques, et se risque à jouer “ le petit coq ” se fait immédiatement repérer. Le regard des maîtresses des novices est sur ce point-là bien plus aiguisé que celui des hommes. Cela permet d’interpeller fraternellement au retour des jeunes qui manifestent une grande fragilité à ce niveau. Cela révèle parfois une trop grande immaturité affective chez l’un ou l’autre. L’inter-noviciat reste un lieu de formation intéressant pour vérifier la maturité affective des jeunes.

L’engagement pastoral :

C’est aussi un bon moyen de discernement. Dans beaucoup de noviciats, durant l’année canonique, les novices n’ont pas d’engagement pastoral.
Dans une Congrégation missionnaire où c’est la mission qui unifie toute notre vie spirituelle, nous ne négligeons pas cet aspect et chaque novice a l’équivalent d’une après-midi par semaine d’activité pastorale.
Cet engagement révèle souvent des qualités insoupçonnées chez certains jeunes. A Mbalmayo, un jeune m’accompagnait tous les dimanches à la messe à la prison dont j’étais l’aumônier. Il  revenait ensuite visiter les prisonniers une après-midi par semaine. Certains novices sont arrivés très vite à connaître tous les prisonniers, leur histoire. Ils n’ont rien à leur donner mais simplement prennent du temps pour les écouter. Cela aide beaucoup les prisonniers. Quelques novices ont manifesté un véritable charisme pour les plus pauvres dans ce ministère de compassion difficile.
Les novices préfèrent souvent s’engager dans la catéchèse auprès des jeunes et des adolescents ou comme guides dans des mouvements de jeunesse. Le résultat est ici beaucoup plus mitigé et souvent décevant. Outre que cela constitue pour les curés de paroisse un vivier un peu trop commode d’ouvriers apostoliques corvéables et serviables à merci, la difficulté principale vient du suivi, pas toujours possible pour le maître des novices ni pour les prêtres des paroisses. Le travail le plus sérieux  s’est fait  le plus souvent avec un suivi par des  religieuses.

Capacité à vivre la vie communautaire :

 Pour nous spiritains, la vie commune est un point très important voulu par nos deux fondateurs. La devise de la Congrégation est : “ Un seul cœur, une seule âme ” . Certains novices manifestent une incapacité à vivre sereinement la vie commune. Je pense à  C…, qui appelait son papa : “ Kadafi ”. Il n’a pas été admis aux voeux tant son rapport à l’autorité était conflictuel. Il acceptait tant bien que mal l’autorité du maître des novices mais ne pouvait accepter la moindre remarque venant d’un co-novice même si elle se voulait fraternelle : “ Tu es qui, toi, pour me dire quoi ? ”
Je pense encore à J…, qui après six mois au noviciat n’avait pas un seul ami parmi ses frères novices. Lui aussi portait des blessures familiales qui le rendaient incapable d’établir des relations interpersonnelles satisfaisantes. Il est parti de lui-même après 6 mois de noviciat.
Il faut encore être très attentif aux manifestations d’agressivité et parfois de racisme. Quand cela existe à un degré fort, cela parait insurmontable quelques soient les efforts du novice.
De même, il faut être très attentif à un jeune qui n’arrive pas à surmonter sa peur et reste fermé avec le maître des novices. Normalement au bout de quelque mois de noviciat, le jeune même s’il est arrivé tout tremblant va surmonter cette peur. Cela se traduira par une certaine franchise avec le maître des novices et surtout par un épanouissement humain fait de paix et de joie. C’est ce que l’on appelle l’ouverture de cœur. Celui qui n’arrive pas à cela, aura beaucoup de mal à trouver son épanouissement.

Autres moyens de discernement moins classiques :

En plus de ces moyens de discernement forts traditionnels, qui gardent toute leur pertinence, il en est d’autres plus prosaïques auxquels on ne porte pas toujours une attention suffisante et qui pourtant révèlent beaucoup de la personnalité d’un jeune et de sa capacité à affronter l’avenir. En plaisantant, je dis aux novices que la spiritualité spiritaine est celle de la carte de Séjour et de la machette !

Spiritualité de la “ carte de séjour ” :

C’est l’insistance sur l’internationalité. C’est la capacité à être à l’aise dans un pays qui n’est pas le mien, (et où je dois donc avoir une carte de séjour) avec des gens qui n’appartiennent pas à ma culture, qui souvent n’ont pas la même langue maternelle que la mienne.
Nos jeunes viennent de tous les pays de la zone francophone de l’Afrique, depuis le Sénégal jusqu’au Zaïre ou de toutes les îles de l’Océan Indien. Inutile de vous dire qu’entre un Sénégalais et un Zaïrois, les mentalités sont bien différentes. Il faut d’abord s’apprivoiser. Cela prend un certain temps et provoque assez souvent des maladies psychosomatiques.
Je dois dire que les deux ou trois ans du premier cycle se faisant en commun, ce travail est pratiquement fait en arrivant au noviciat. Je n’ai eu que rarement à faire face à ce problème. L’internationalité me parait un des points les mieux intégrés chez les novices spiritains et j’ai vu fleurir de belles amitiés entre  Sénégalais et Centrafricains par exemple. Cependant, il faut y être vigilant.

Spiritualité de la machette :

Cela veut dire l’importance du travail et particulièrement du travail manuel. Nous disposons à Mbalmayo d’un terrain que nous avons mis en valeur par le défrichage et par la création de petits élevages de volailles et de porcs, par une petite industrie de séchage des bananes.
Je n’ai pas eu de difficultés à faire admettre la nécessité du travail manuel. Les activités doivent être valorisantes et permettre aux jeunes d’apprendre quelque chose, pas seulement de couper l’herbe. Les novices sont parfaitement conscients que ce travail les équilibre et qu’ils apprennent quelque chose qu’ils pourront reproduire un jour. Ils sont généralement heureux de participer ainsi à l’autofinancement, venant de familles le plus souvent pauvres, et donc incapables de payer leur formation.
Je peux dire qu’en travaillant avec eux, j’ai appris plus sur eux qu’en les regardant prier à la chapelle. J’ai acquis la conviction que celui qui est irresponsable dans une petite charge matérielle risque fort plus tard d’être tout aussi irresponsable quand il aura charge d’âme. L’attitude durant les sports collectifs révèle pareillement la personnalité des jeunes.

Pour conclure :

Du côté du maître des novices :

Généralement 4 ou 5 mois de noviciat sont nécessaires au maître des novices pour être à peu près fixé sur la personnalité des novices, et cela quel que soit leur nombre. Les autres mois de noviciat n’apportent que peu de changements et ne font que confirmer, le plus souvent la première impression. Cela mérite d’être signalé car le maître des novices a parfois peur de se tromper sur un jeune, d’être injuste dans son appréciation ? Dans ce type de discernement, il faut savoir que c’est la première impression qui est la bonne. Chaque fois que j’ai voulu passer outre à ce principe, je me suis lourdement trompé. Lorsque j’ai des doutes sur la vocation d’un novice, cela doit me suffire pour ne plus en avoir.

Du côté du novice :

Pour discerner sa fidélité à l’Esprit-Saint dans sa vocation, il doit regarder de près sa capacité a être heureux au service de son Seigneur. Cela va toucher à son caractère, à sa psychologie, à son équilibre nerveux, à sa force et à sa santé, à sa capacité à entrer en relation avec les autres, à accepter les remarques, à son aptitude à la vie communautaire pour pouvoir supporter un certain nombre de blessures, pour affronter les conflits sans les fuir pour s’en protéger. Il doit encore regarder de près à sa capacité à se détacher de sa famille, à sa liberté par rapport à l’argent et aux biens, à sa liberté par rapport à sa sexualité, à ses pulsions. Est-il assez mûr ? Est-il assez libre par rapport à son moi, à son besoin d’autonomie et d’indépendance ? 

Du côté de l’Eglise et de l’Institut :

Pour porter les défis du monde d’aujourd’hui et se donner à la mission, il faut avoir entendu l’appel de l’Evangile. Le critère ecclésial est donc très important. Le jeune doit accepter de se soumettre au jugement de l’Eglise. Il ne peut pas forcer la porte. C’est l’Eglise et la Congrégation par ses responsables qui appellent. Ce n’est pas le novice qui a le “ vocatiomètre ” ! Que de fois ai-je entendu cette réflexion quand un novice n’est pas admis à la profession !

Voilà. J’ai bien conscience de ramener les choses les plus spirituelles à des réalités très humaines et finalement très terrestres mais le Seigneur a besoin de ces médiations au raz du sol pour nous faire connaître sa volonté et les chemins par lesquels il veut nous faire passer quand il nous appelle à la vie religieuse missionnaire.