La
Consécration Spiritaine à l’Esprit Saint
P. Alphonse Gilbert, Spiritain
Le
P. Gilbert nous présente diverses expressions de la consécration spiritaine et
notamment le texte de Nicolas Warnet, supérieur général en 1845.
La
consécration des membres d'un institut religieux est étroitement liée au
charisme du fondateur. Elle synthétise l'essentiel du mode d'appartenance à
Dieu et de l'engagement à l'église tant au plan personnel qu'au plan collectif.
Le
cas des spiritains est spécial. Car ils sont héritiers d'un double fondateur.
Le premier, M. Claude Poullart des Places, avec ses premiers compagnons, se
consacre à l'esprit Saint sous la tutelle de Marie immaculée, dans l'église
Saint-Étienne des Grès, à Paris, « aux fêtes de Pentecôte 1703 ». Le second, le
Père François Libermann, avec ses premiers missionnaires, se consacre au Saint
Coeur de Marie pour appartenir par elle a l'esprit Saint, dans l'église de
Notre-Dame des Victoires, à Paris également, le 25 septembre 1841.
En
1848, des affinités providentielles amènent les deux congrégations à fusionner,
car « elles se préparent à la même oeuvre, marchent dans la même ligne »,
dit François Libermann, mais a ses yeux comme à ceux des « Placistes »,
l'affinité essentielle est celle de leur commune consécration. C'est sur cette
double et unique consécration que nous souhaitons porter notre réflexion.
Les
premiers disciples de Monsieur Des Places utilisaient une consécration en
latin, qui doit remonter au fondateur lui-même ; elle s'adressait à Marie,
dénommée « ma bonne mère et ma souveraine, afin que vous aidiez votre serviteur
à se donner, se consacrer, et se vouer à l'esprit Saint, votre très noble époux
»...
«
Comprenons bien l'étendue de ces trois mots : se dedicantem, se consecrantem, se voventem , commente
Monsieur Warnet qui sera plus tard à la tête de la congrégation, dans une
allocution du 8 décembre 1837, pour la fête de l'Immaculée, et une autre de
Pentecôte 1839 conservées aux archives des spiritains à Chevilly : en disant : « je me dédie, je me consacre »,
c'est en quelque sorte la dédicace et la consécration que nous faisons de
nous-mêmes au Saint Esprit comme des temples dédiés à son culte, comme des
vases consacrés en son honneur. »
«
Cette consécration, continue-t-il, fait partie essentiellement de l'esprit de
nos constitutions ; les saintes promesses que nous y faisons sont comme
l'héritage que nos pères nous ont laissé. Ils étaient pauvres des biens de ce
monde et ne voulaient être riche que des dons du Saint Esprit qui faisait tout leur
trésor. Aussi ont-ils légué un témoignage de leurs pieux sentiments dans une
formule de consécration que nous devons honorer d'une vénération toute
religieuse parce qu'elle est comme leur testament spirituel... être dévoué au
Saint esprit, c'est faire tout ce qui peut lui être agréable... nous nous
offrons à lui tout entier, « pour toujours. Autrement quel serait le sens de
notre consécration ?...
Il faut se
laisser gouverner par le Saint Esprit, ne suivre que ses inspirations, n'avoir
d'autre affections et d'autres intentions que celles qu'il inspire, lui faire
confiance et rejeter toute inquiétude...
Enfants de
Marie et du Saint Esprit, nous nous appliquerons, par nos discours et par nos
exemples, à les faire connaître, aimer et servir. C'est ainsi que nous
marcherons sur les traces de nos pères, assurés que c'est le chemin le plus sûr
pour appeler Marie notre mère ; nous serons sa famille et l'Esprit Saint nous
gardera comme ses enfants. »
«
Marcher sur les traces de nos pères »... on pressant combien cette consécration
a marqué puissamment la congrégation du Saint Esprit à travers son histoire.
Forts de cette spiritualité, les Placistes en porteront les fruits dans les
milieux pauvres de France, et, au-delà jusqu'en Asie, au Canada, à
Saint-Pierre-et-Miquelon et autres possessions françaises !
On
retrouve dans ce texte de M. Warnet des expressions quasi conformes à celles du
Père Libermann. Dans un article du Dictionnaire de spiritualité, le Père
Lécuyer a pu écrire : « tout l'enseignement spirituel du Père Libermann se
ramène à une école de docilité à l'Esprit Saint » (tome III, col. 1494). Il
invite constamment à vivre au niveau du coeur profond, là où est agissant
l'Esprit Saint, s'efforçant d'être présent à l'aujourd'hui de Dieu. « Que nous
sommes heureux, s'écrit-il, lorsque nous sommes sous la puissance du divin
Esprit, sous l'influence complète de l'Esprit d'amour de Jésus, » livrant ainsi
le secret de sa paix profonde. Pour lui, c'est à l'intérieur même de
l'apostolat qu'en étant fidèles, comme Marie et avec elle, à l'Esprit de
sainteté et de Pentecôte, ses missionnaires assureront, en même temps que leur
propre sainteté, l'authentique fécondité apostolique. Ils prendront
spontanément la défense des plus faibles dont ils seront les « avocats », si
les brûle le feu de Pentecôte et si les anime « le Coeur éminemment
apostolique de Marie ».
Au
lendemain de la fusion des deux congrégations, dont il devient le supérieur
général, il explicite dans les Règlements de 1849 la consécration de la
nouvelle congrégation du Saint Esprit et du Saint Coeur de Marie d'une façon
lumineuse et manifestement inspirée : « la congrégation consacre spécialement
(ses membres) à l'Esprit Saint, auteur et consommateur de toute sainteté et
inspirateur de l'esprit apostolique, et à l'immaculé Coeur de Marie, rempli
surabondamment, par le divin Esprit, de la plénitude de la sainteté et de
l'apostolat, et participant le plus parfaitement à la vie et au sacrifice de
Jésus-Christ, son Fils, pour la rédemption du monde... ils considéreront
l'immaculé Coeur de Marie comme un modèle parfait de fidélité à toutes les
saintes inspirations du divin Esprit. Ils y trouveront un refuge, auquel ils
auront recours dans leurs travaux et dans leurs peines. »
Ce
texte est au coeur de la mystique spiritaine, il fait le lien entre les deux
traditions ; c'est un chemin de sainteté ! Le Père Libermann formule alors un
acte de consécration qui l’explicite :
« Veuillez, ô ma mère, accepter
l'offrande que je vous fais de tout moi-même ; donnez-moi à l'Esprit Saint,
votre époux bien-aimé. Je veux me dévouer et me consacrer tout entier au divin
Esprit et tout entier à votre Coeur immaculé. Je désire vivre et mourir, me
dévouer et m'immoler à la suite de Jésus, dans la société des missionnaires
toute dévouée au tout-puissant Vivificateur des âmes et tout consacré à votre
immaculé Coeur... J'ouvre mon coeur et je l'abandonne au divin Esprit : qu'il
le remplisse, qu'il le possède et qu'il y agisse en Souverain Maître. Je veux
sous sa conduite, répandre son saint amour dans toutes les âmes qui me sont
confiées… » (N.D. X, 499)
Le texte
est, sous la carapace du langage de son temps, d'une grande richesse
théologique. Marie est sollicitée de « donner » l'apôtre à l'Esprit
Saint. Ailleurs il dit, d'une façon prophétique : « Marie doit conduire en nous
l'Esprit Saint. » Celui-ci est le Vivificateur des âmes, à qui il infuse la
sainteté de Dieu, en y agissant en maître souverain. Mais il est aussi l'Esprit
de Pentecôte qui infuse l'amour – qu il est lui-même - dans le monde par le
truchement de son apôtre. « Le peuple africain ne sera pas converti par les
efforts de missionnaires habiles et capables », écrit-il à 1851, un an avant sa
mort, à un jeune Père, le Père Lainé, qui vient de débarquer sur les côtes
d'Afrique : « c'est la sainteté et le sacrifice de ses Pères qui doivent le
sauver. Soyez saint comme Jésus était saint, c'est le seul moyen de racheter et
de sanctifier les âmes », deux verbes qu'il associe sans cesse : l'apôtre
est porteur du salut, mais aussi l'animateur des saints de Dieu dans sa
mission. Et comment être Saint ? » Que l'Esprit de Jésus anime tous vos actes,
qu’il forme tous les sentiments de votre âme ».
La
nouvelle règle des spiritains en 1987, exprime leur consécration en ces termes
: « nous sommes vraiment apôtres dans la mesure où nous sommes totalement
abandonnés à l'Esprit Saint dans toute notre vie » (nº 85). « Marie est notre
modèle de docilité et de fidélité à toutes les inspirations de l'esprit Saint.
» (Nº 89).
Je
suis frappé devoir aller que les jeunes de notre temps, en discernement, ne
demandent pas d’abord : « qu'est-ce que fait tel institut ? À quelle œuvre
est-il voué dans l'Eglise ? » Mais bien : « qu'est-ce qui fait vivre les
membres de cet institut ou ces prêtres diocésains ? » En d'autres termes : «
quelle est leur consécration ? » Car l'engagement d'Eglise y est inclus, mais
c'est en la vivant pleinement qu'on accède avec enthousiasme à la mission
qu’elle comporte. Et qu’on permet à l'Esprit de Dieu de nous introduire aux arcanes
de l’adorable Trinité...