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Parole de Dieu

Seul l’Esprit de Dieu fait connaître Dieu


P. Bernard Ducrot, spiritain

Le P. Bernard Ducrot a été membre du conseil de rédaction de la Revue. Il nous présenté plusieurs fois la Parole de Dieu. Il prépare actuellement un nouveau départ comme missionnaire en Angola. Nous le remercions pour ses services à la revue Esprit-Saint.
Le fruit de l’Esprit

Par deux fois, dans le chapitre 5 de l’épître aux Galates, saint Paul exhorte les chrétiens à marcher sous l’impulsion de l’Esprit Saint (Gal 5, 16.25) puis il leur dit que le fruit de l’Esprit c’est l’amour (5,22), comme pour leur donner le moyen de vérifier s’ils sont sur la bonne voie. C’est ce passage que nous nous proposons de méditer.

Ecoutez-moi : Marchez sous l’impulsion de l’Esprit et vous n’accomplirez plus ce que la chaire désire. Car la chair et ses désirs s’oppose à l’Esprit et l’Esprit à la chair ; entre eux c’est l’antagonisme ; aussi ne faites-vous pas ce que vous voulez. … On connaît les œuvre de la chair… leurs auteurs, je vous en préviens, n’hériteront pas du royaume de Dieu. Mais voici les fruits de l’Esprit : amour, joie, paix, patience… Ceux qui sont au christ ont crucifié leur chair avec ses passions et ses désirs. Si nous vivons par l’Esprit, marchons aussi sous l’impulsion de l’Esprit. (Gal 5, 16-25)

Marcher sous l’impulsion de l’Esprit ce pourrait être une belle définition concrète de la liberté dont saint Paul a parlé dans les chapitres précédents et qui est une caractéristique de la vie chrétienne. " Si le Christ nous a libérés, c’est pour que nous soyons vraiment libres " (5,1) rappelle l’apôtre pour, tout aussitôt, mettre en garde contre les dangers qui guettent la liberté : on peut l’abandonner (5,1) et on peut se tromper dans l’usage qu’on en fait (5,13).

C’est le Christ qui nous libère et c’est l’Esprit nous permet de faire un bon usage de la liberté que le Christ nous a acquise. Le Christ et l’Esprit Saint agissent toujours conjointement, ils sont, selon la belle image de saint Irénée, " les deux mains du Père ". Tout comme l’Esprit nous rend capable de comprendre la parole du Verbe de Dieu, c’est lui aussi qui nous permet de vivre dans l’état de liberté dans lequel le Christ nous a placé par sa mort rédemptrice sur la croix. Il s’agit de la liberté par rapport à la Loi. Une liberté que les Galates perdraient en se replaçant sous le joug de la Loi (5,4).

L’enjeu était d’une telle importance que saint Paul s’était présenté avec toute son autorité d’apôtre pour déclarer : " Quant à nous, c’est par l’Esprit, en vertu de la foi, que nous attendons fermement que se réalise ce que la justification nous fait espérer. Car, pour celui qui est en Jésus Christ, ni la circoncision ni l’incirconcision ne sont efficaces, mais la foi agissant par l’amour "(5, 5-6). Notre salut est absolument gratuit. Don de Dieu il ne dépend pas de nos actions, de nos efforts, de nos mérites, mais notre adhésion de foi implique une vie dans l’amour. L’Esprit est le garant de la liberté chrétienne, il en assure le plein épanouissement dans l’amour. Dans cette formule lapidaire, la foi agissant par l’amour, amour et foi sont indissociables, l’amour est comme l’élément dynamique de la foi qui est elle-même réponse à l’amour premier du Christ.

Vous, frères, c’est à la liberté que vous avez été appelés. Seulement, que cette liberté ne donne aucune prise à la chair !." (5,13). La liberté est un appel, une vocation à laquelle il nous faut répondre. Cette vocation traduit l’espérance que Dieu a en chaque homme. La foi de Dieu en l’homme précède, oriente et guide la foi de l’homme en Dieu. Savoir que Dieu espère et croit en nous, se savoir aimé, cela change une existence et transforme une vie; tous les amoureux en font l’expérience et les éducateurs aussi.

Pourtant, rien n’est gagné d’avance ni pour toujours, tout dépend de notre consentement, jour après jour, à l’action de l’Esprit en nous. " Nous pouvons lui manquer./ Ne pas répondre à son appel./ Ne pas répondre à son espérance. Faire défaut. Manquer. Ne pas être là./ Effrayant pouvoir./  Les calculs de Dieu par nous peuvent ne pas tomber juste./ Les prévisions, les prévoyances, les providences de Dieu par nous peuvent ne pas tomber juste./… Effrayante liberté de l’homme./ " disait Péguy dans sa méditation sur Le porche de la deuxième vertu. Et Paul d’expliquer ce pouvoir de manquer à l’appel de Dieu par la présence en l’homme de deux forces antagonistes qui s’affrontent, deux principes d’action : la chair et l’Esprit (5,17). La chair désigne habituellement l’homme dans sa faiblesse et ses limites, ici le mot chair indique plutôt la propension inhérente à chacun de se laisser entraîner par le mal. Ainsi, il y a en chaque homme une lutte entre la chair et l’Esprit. La vie spirituelle est un combat, c’est aussi une marche.

Cette marche n’est pas de tout repos, elle exige un effort toujours renouvelé, elle fait penser à une ascension en montagne. L’Esprit nous entraîne vers la cime mais il est si facile de se laisser entraîner vers l’abîme… cette force négative mais combien puissante que Paul appelle la chair. L’homme livré à ses seules forces ne saurait y résister mais pour que l’Esprit en lui vienne à bout de toutes les résistances il faut que l’esprit de l’homme y consente.

" Par l’amour, mettez-vous au service les uns des autres. Car la loi tout entière trouve son accomplissement en cette unique parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même." (5,14). Est vraiment libre celui qui se laisse recréer par l’Esprit de Dieu en vivant dans l’amour. En présentant ce résumé de la Loi, Paul s’attache surtout, ici, à l’amour du prochain, tout comme le faisait la règle d’or qui s’énonçait ainsi : " Ce qui est haïssable, ne le fais pas à ton prochain ". Jésus reprend cette règle à son compte mais il la formule de façon positive : " Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : c’est la Loi et les Prophètes " (Mt 7,12). C’est la même règle, le même résumé de la loi mais, formulé de manière positive, Jésus en multiplie à l’infini les exigences comme il le fait pour tous les commandements de la loi nouvelle (Mt 5, 21-48) qui culmine dans cette invitation : " Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait " (Mt 5,48). Une seule voie possible vers ce but inaccessible : l’amour.

Ecoutez-moi : Marchez sous l’impulsion de l’Esprit " (5,5). Paul se fait pressant pour relayer l’appel de Dieu à la sainteté. L’image de la marche est traditionnelle dans la Bible : " Marche devant ma face et sois parfait " (Gn 17,1) disait déjà Dieu à Abraham. Cette marche sous l’impulsion de l’Esprit fait que le chrétien n’agit pas pour obéir à des règles qui lui seraient extérieures mais, au cœur de chaque événement, de chaque situation, l’Esprit d’amour lui inspire une conduite qui va nécessairement dans le sens de l’amour. On comprend alors la prière de saint Thomas d’Aquin qui embrasse toutes les activités de l’homme : le penser, le dire et l’agir :

" O Esprit Saint,
Amour du Père et du Fils,
inspirez-moi toujours ce que je dois penser,
ce que je dois dire, ce que je dois taire,
ce que je dois expliquer,
comment je dois agir, ce que je dois faire,
pour promouvoir votre gloire,
le bien des âmes et ma propre sanctification.
O Jésus, toute ma confiance est en Vous! "

" On les connaît les œuvres de la chair : libertinage, impureté, débauche, idolâtrie, magie, haines, discorde jalousie, emportements, rivalités, dissensions, factions, envie, beuveries, ripailles et autres choses semblables ; leurs auteurs je vous en préviens, comme je l’ai déjà dit, n’hériteront pas du royaume de Dieu " (19-21). Les œuvres de la chair, multiples et variées, ce sont toutes les caricatures ou perversions de l’amour des autres, de Dieu, de soi-même. Il n’est guère besoin de s’y attarder.
En contraste avec la longue énumération des œuvres de la chair, le fruit de l’Esprit est unique : " Voici le fruit de l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi ; contre de telles choses, il n’y a pas de loi. Ceux qui sont au Christ ont crucifié la chair avec ses passions et ses désirs. Si nous vivons par l’Esprit, marchons aussi sous l’impulsion de l’Esprit " (22-25).
Il y a bien une liste mais le fruit est au singulier. En tête de la liste figure l’agapè, l’amour, la charité. L’Esprit produit un seul fruit, la charité qui est à la source de tout le comportement moral du chrétien. La suite de la liste vient comme détailler les composantes de l’amour un peu comme le prisme décompose la lumière blanche ; ou encore, du tronc unique qu’est l’amour éclatent, tels des bourgeons, les multiples vertus qui portent l’homme à un agir plus humain et plus chrétien. Il est vrai que la vie chrétienne est simple puisqu’elle consiste à se mettre, dans la mouvance de l’Esprit d’amour, au service du prochain (5,13).
Dans l’Esprit c’est l’amour de Dieu qui a été répandu dans nos cœurs. Il est l’effet de la foi. Comme c’est l’amour d’un chrétien il est orienté d’abord et avant tout vers Dieu. Mais dans ce passage Paul pense avant tout à l’amour du prochain qui se manifeste à travers les actes. Dans la mesure où l’amour est fruit de l’Esprit Saint il comporte nécessairement et du même mouvement l’amour dû à Dieu. " L ‘amour se suffit à lui-même, il plaît par lui-même et pour lui-même. Il est à lui-même son mérite, il est à lui-même sa récompense. L’amour ne cherche hors de lui-même ni sa raison ni son fruit : son fruit c’est l’amour même. J’aime parce que j’aime. J’aime pour aimer… Quelle grande chose que l’amour, du moins il remonte à son principe, s’il retourne à son origine, s’il reflue vers sa source pour y puiser un continuel jaillissement " (saint Bernard commentant le Cantique des Cantiques). L’amour, c’est le nom de Dieu et le cœur du christianisme.
La joie est signe de l’amour. Il s’agit de la joie suscitée par l’Esprit et communiqué par Lui. Cette joie est au cœur de l’Evangile. Lorsque Luc veut définir ce qu’est l’Evangile, il fait dire aux anges de la nativité " Ce sera une grande joie pour tout le peuple " (Lc 2,10). Elle est sans rapport avec une émotion simplement passagère. A la base de toute vie chrétienne il y a la conscience de se savoir aimé de Dieu et la joie dans l’Esprit Saint naît de cette certitude. Comme toute joie elle s’extériorise, se communique, se partage, car nul ne fait la fête tout seul. Se savoir aimé de Dieu et avoir envie de partager la joie qui en résulte est la source du témoignage et de la vie missionnaire. C’est encore l’Esprit qui fait tressaillir le Christ de joie dans l’action de grâce au Père, pour ce que celui-ci a disposé dans sa bienveillance : " Il exulta sous l’action de l’Esprit Saint et dit : je te loue Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout petits " (Lc 10,21-22 // Mt 11,25-27). La joie est un des signes extérieurs de la présence de l’Esprit dans le cœur des croyants. Et c’est pourquoi saint François de Sales disait, en commentant ce passage : " un saint triste est un triste saint ".

La paix c’est comme le degré suréminent de la joie, comme elle, elle appartient à l’essence du royaume de Dieu qui " ne consiste pas dans le boire et le manger : il est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint " (Rm 14,17). Les harmoniques de la paix sont multiples, la paix intérieure, la tranquillité de l’âme, qui permet de supporter tout, même les contradictions, mais aussi la paix avec les autres... Le mot hébreu Shalom, (paix) donne une idée de plénitude, de bien-être et de bonheur. C’est tout ce qu’on peut espérer et souhaiter de meilleur : le don de Dieu qui condense toutes ses bénédictions et qui doit rejaillir dans le quotidien : " Heureux les artisans de paix " (Mt 5,9). Enfin, Paul comprend le salut comme étant la paix établie par le Christ : " Lui qui est notre paix " (Eph 2,14-17).
Puis viennent les manifestations de cet amour : patience, bonté, bienveillance. Ce sont des vertus qui maintiennent la joie et la paix entre les hommes. La patience, c’est plus qu’attendre le moment opportun, c’est souvent le synonyme de l’espérance avec une connotation de fidélité et de constance dans les épreuves. La patience permet de supporter l’autre. La bonté et l’amour sont largement synonymes. Pour les chrétiens elle est contemplation et imitation du Christ Jésus et vit de la foi, de l’espérance et de la charité dans l’Esprit. Par la bienveillance nous faisons nôtre le regard plein d’espérance qu’a Dieu pour tout homme.
La foi, la douceur et la maîtrise de soi viennent conclure cette liste fournie par l’apôtre qui ne cherche évidemment pas à tout dire. La foi est à la racine de l’amour (5,6). La douceur, qu’on traduit parfois par l’humilité, comme dans le texte liturgique, c’est l’attitude des humbles qui se laissent conduire par le Père, elle caractérise le Christ, " doux et humble de cœur " (Mt 11,29). C’est avant tout une attitude de vérité à l’égard de Dieu, des autres, de soi-même. Emerveillement devant le Dieu d’amour et regard positif posé sur les autres, l’humilité permet d’entrer dans une relation d’accueil et de réciprocité tout en s’acceptant soi-même. La maîtrise de soi, c’est la vertu de la mesure en toutes choses, encore un effet de la présence de l’Esprit dans le cœur de l’homme.

Contre de telles choses il n’y a pas de loi " (5, 23) car le comportement inspiré par l’Esprit n’est jamais condamnable, et c’est pourquoi saint Augustin peut dire : " Aime et fais ce que tu veux ". Dans cette description du fruit de l’Esprit on peut voir, comme en filigrane, se dessiner le visage du Christ, le seul qui soit allé jusqu’aux ultimes conséquences de l’amour. C’est donc seulement en contemplant la croix et en en acceptant les conséquences en notre vie qu’on peut répondre à l’invitation de marcher sous l’impulsion de l’Esprit pour en produire le fruit.