Vie Spirituelle

L’Esprit conduit notre vie spirituelle

Monique Hébrard

Journaliste et écrivain, Monique Hébrard est toujours attentive à saisir les manifestations de l’Esprit Saint dans les communautés chrétiennes. On connaît bien son livre " les nouveaux disciples ". Elle a bien voulu nous dire ici quelque chose de sa riche expérience spirituelle.
Qui suis-je donc pour oser écrire sur l’Esprit et sur ses fruits de paix et de joie dans notre vie spirituelle ? Puisqu’on me le demandait, j’ai essayé de le faire, au titre du simple partage fraternel, à partir de ce que j’ai moi-même vécu. Partir de l’expérience me semble important car, outre le fait qu’elle permet de situer celui qui parle, elle est incontournable dans la quête spirituelle contemporaine.

 
Tous ceux qui sont allés au catéchisme ou qui fréquentent les Eglises ont entendu parler de l’Esprit saint. Ils savent qu’Il est présent et agissant dans la vie des personnes et dans celle de l’Eglise. Mais tous n’en n’ont pas fait l’expérience évidente et vitale, même si, ces dernières années, un grand nombre de personnes l’ont faite. Les Pentecôtistes et les charismatiques en sont l’émergence visible (six cents millions de chrétiens ont été baptisés dans l’Esprit estiment certains sociologues spécialistes), mais l’expérience de l’Esprit dépasse les frontières de ces mouvements ; elle dépasse aussi l’espace des Eglises chrétiennes.
Pour que l’Esprit saint conduise notre vie spirituelle, il faut d’abord qu’Il nous fasse naître à cette Intériorité qui a été étouffée depuis des décennies. C’est ce dont je voudrais tout d’abord témoigner

Un tournant dans ma vie.
Pour ma part, la prise de conscience de la réalité de l’action de l’Esprit saint et l’éveil à l’intériorité, remontent à la fin des années soixante dix, et restent une date à partir de laquelle rien n’a plus été comme avant : le début d’une lente remontée vers la lumière, une promesse de paix et de joie, une lente naissance à la Vie.
Journaliste toujours curieuse de la nouveauté, j’étais donc partie pour un reportage d’une semaine dans ces communautés dites charismatiques, nées comme par enchantement d’une " effusion de l’Esprit ", et encore très peu connues du grand public.
A cette époque de l’après Mai 68, la société vivait dans le rejet de toute autorité, de toute loi, de toute référence transcendante, avec un esprit critique dévastateur sur toutes les valeurs traditionnelles… La référence était le désir du sujet, devenu lui-même sa propre référence. C’est dire que l’Esprit saint était bel et bien oublié, Lui qui vient d’En Haut et dont le souffle est fragile ! L’Eglise elle-même était contaminée par l’air du temps, et plus préoccupée de secréter ses propres réformes que de se mettre à l’écoute de l’Esprit.
Du jour au lendemain, ce reportage me plongeait dans un milieu totalement à l’opposé de l’air du temps, prônant des valeurs absolument anti-modernes telles que l’obéissance, le manque d’esprit critique, la piété, la soumission de la femme, le prosélytisme, etc. ... Et pourtant ces jeunes charismatiques étaient irradiés de bonheur et d’espérance. Il y avait là une énigme à la fois insupportable et séduisante. Ce premier reportage fut un ébranlement dans mes certitudes, si bien que je le prolongeais pour en faire un livre (1).
La première fissure dans ma suffisance mortifère se produisit le 14 avril 1978 au théâtre municipal de Grenoble. La communauté de la Sainte Croix y donnait un spectacle d’évangélisation intitulé " Lumière Joyeuse ". La salle de 900 places était comble, en majorité de jeunes qui applaudissaient, chantaient et pleuraient de joie. Le spectacle n’était pas de grande qualité mais une scène est restée gravée en moi, celle de l’histoire des os desséchés d’Ezéchiel. Décor de mort, scène jonchée de corps sans vie… puis un souffle dans ce silence mortel. Les corps se mettent à bouger, s’animent de plus en plus, pour finir dans une danse joyeuse. Ma réserve critique devant ce spectacle de patronage craquait et je me mis à pleurer. Je venais de comprendre que cette vallée de la mort c’était la société de ces années soixante dix, c’était aussi mon état personnel. Révélation incroyable : l’Esprit, par son souffle, pouvait redonner vie et joie à ces êtres morts ! Cela illustrait bien les témoignages que je recueillais dans ces communautés, mais cela n’était pas pour moi. Comme le jeune-homme riche de la parabole, je ressortis très triste car je n’étais pas prête à abandonner le vieil homme. Il me fallut ces longs mois de reportage et d’écriture pour accueillir ce don de l’Esprit pour moi-même. Un pas décisif fut franchi en juillet, lors d’un week-end donné par la CCF de Poitiers (aujourd’hui Fondacio). Assister à tout ce week-end avait été le passage imposé par le fondateur pour obtenir une rencontre avec lui. J’en étais furieuse car cela me semblait être une entorse insupportable à la sacro-sainte objectivité du journaliste. La brèche grenobloise dans mon rôle de spectateur objectif devint cratère, notamment au cours d’un jeu scénique (de grande qualité celui-là) représentant l’Homme était tiraillé entre les séductions de petits démons noirs et l’invitation douce et insistante de Jésus. A la fin c’était Jésus qui se mettait à genoux aux pieds de l’Homme… qui finissait par se jeter dans ses bras. C’était le drame du monde, épuisé par sa résistance à l’invitation de Dieu, et celui de ma propre vie ! Cette fois là le message était pour moi. Il était recevable parce que tout le week-end m’avait fait entrevoir un Dieu qui n’était plus le justicier tyrannique et exigeant de l’Ancienne Loi, que la société de mai 68 avait rejeté et que je fuyais, mais le Jésus doux et humble de cœur de la Nouvelle Alliance, qui attend seulement que nous acceptions de répondre à son immense amour.
Cette ouverture du cœur à la réalité de la Nouvelle Alliance et à la Loi inscrite au fond des coeurs est vraiment un fruit de l’Esprit. Notons qu’une révélation forte ne dispense pas d’un long travail de volonté, d’intelligence et de nombreux combats.

La joie d’être un vivant.
Ce qui m’apparut - dans le témoignage des charismatiques, comme dans ma propre vie - comme le premier effet du passage de l’Esprit dans une vie, c’est la joie, une certaine légèreté de l’être.
" Que le Seigneur fasse briller sur toi son visage ! " (Nombres 6,22). Oui, le visage de ceux qui avaient reçu la grâce de l’Esprit rayonnait de joie. Quel contraste avec l’état mental de la société totalement conditionnée par " l’esprit du monde " au sens de saint Paul ! Depuis Mai 68, nous nous prétendions heureux puisque libérés de l’oppression de la Loi et de l’Autorité, mais sous la profusion des paroles et des slogans incantatoires se cachait l’immense tristesse d’un peuple d’orphelins. Quand l’Esprit n’est pas accueilli, le monde et la personne sont dans la tristesse. Quand l’homme centre sa vie sur lui-même, il s’enferme dans une prison, et se prive d’une dimension essentielle à son être. Combien d’hommes et de femmes - notamment des jeunes - tombent dans la dépression voire sont conduits à la drogue ou au suicide parce qu’ils se meurent, au sens fort du mot, parce que l’être spirituel et la relation avec un Autre n’ont pas pu éclore en eux ?
Au contraire les jeunes charismatiques que je rencontrais exultaient, car ils étaient nés de Dieu.
Au fil de ce reportage qui dura des mois j’ai moi-même fait l’expérience progressive de la sortie de la tristesse et de la mort, du retour à la joie et à la vie. Mon regard de journaliste sur le monde et sur l’Eglise changeait : le voile de tristesse et de mort qui me semblait les recouvrir se levait, et l’Esprit saint me donnait de voir des pousses de vie, des promesses d’espérance. Je revivais, comme les os d’Ezéchiel.
Celui qui s’ouvre à Dieu et accepte de l’accueillir, ou celui qui a l’immense grâce d’une irruption gratuite de l’Esprit en sa vie, découvre une joie et une paix profondes, une douceur de vivre jamais goûtée. L’Ecriture est pleine de ces constats. L’Esprit fait de nous des vivants. Lui seul peut animer durablement notre être. On peut être profondément vivant et joyeux même dans l’épreuve. C’est la vision d’Isaïe, au cœur même de l’Exil, quand tout est échec et désespérance pour le peuple élu. " Peuple de Sion, toi qui habites Jérusalem, jamais plus tu ne pleureras. Quand tu crieras le Seigneur se penchera vers toi… Dans l’angoisse, le Seigneur te donnera du pain, et de l’eau dans ta détresse. Celui qui t’instruit ne se dérobera plus et tes yeux le verront… " (30, 19-21). Cette joie nous est donnée par la conscience des bienfaits de Dieu sur notre vie, de son amour inconditionnel, par tant de signes qu’Il est au travail en chacun et dans son Eglise. Cette joie est fondée sur cette certitude que Dieu prend soin de nous. Elle ne pousse pas à la passivité, ne dispense pas de la réflexion, ne supprime pas les interrogations et les doutes… mais il y a un Roc qui ne bouge pas.
L’apparition des charismatiques a bien été dans l’Eglise le signe d’une nouvelle Pentecôte. Dieu a regardé son peuple qui était dans l’affliction, dans cette sorte de tristesse profonde que donne la fausse indépendance, et Il a envoyé son Esprit Saint pour lui redonner un avenir, pour lui montrer la joie, la paix et la vie. Dieu a regardé ses enfants, Il a eu pitié et Il leur a donné la vision d’une Terre promise, à eux qui ne voyaient pas plus loin que le bout de leur nez. En annonçant le Concile, le Pape Jean XXIII avait supplié l’Esprit qu’il " renouvelle l’Eglise comme en une nouvelle Pentecôte. " Et voici que l’Esprit saint envoyait ses langues de feu, comme il y a 2000 ans, sur une Eglise un peu exsangue et démoralisée secouée, desséchée.

Une intelligence nouvelle.
Avec cette joie de se sentir un vivant, un autre critère de l’Esprit à l’œuvre dans une vie est le renouvellement de l’intelligence. Et cette intelligence nouvelle est, elle aussi, source de joie et de paix. Le père de Clorivière écrit : " Une des fins principales de la venue de l’Esprit, pour ne pas dire la première de toutes, a été de faire connaître de plus en plus Jésus-Christ et de donner l’intelligence de ses mystères ". (2)
C’est ce qui se passe à la Pentecôte. Pendant leur vie aux côtés de Jésus, les Apôtres avaient souvent une compréhension limitée de ses gestes et de ses paroles. Après la Pentecôte ils perçoivent le sens caché de l’Ecriture et ils reçoivent une force tranquille pour annoncer que Christ est ressuscité alors que, quelques minutes auparavant, ils étaient enfermés, morts de peur, au cénacle. La force et le courage sont un autre don de l’Esprit.
Dans mon métier de journaliste, qui consiste précisément à regarder le monde et les évènements pour essayer de les comprendre et de les décrypter pour le lecteur, ce fruit de l’Esprit qu’est le don d’une intelligence nouvelle fut évident. J’avais un regard obscurci, qui ne voyait que les ombres et les échecs. Peu à peu mes yeux se sont ouverts, et la réalité apparaissait dans une autre lumière. Les " faits " restaient les mêmes, mais le regard perçait le sens au delà de l’immédiatement visible. La société m’apparut alors non plus comme libérée et forte de sa toute puissance, mais terriblement blessée et souffrante parce que privée de référence, de cet abandon qui procure tant de bien être et de paix.
Quant à l’Eglise elle perdit peu à peu à mes yeux son allure de hiérarchie dominatrice et arrogante, n’ayant pour but que de brider la liberté de ses sujets, mais comme une mère, dont les traits étaient certes alourdis par les rides et les erreurs de sa longue vie, mais malgré tout pleine de sagesse et de tendresse.
Mon échelle des valeurs était elle aussi secouée : celles que je croyais premières me semblaient désormais dérisoires. C’était toute ma vie qui prenait sens sous cette lumière nouvelle ; la mémoire m’était rendue, donnée. Dans la Bible, comme en psychologie, Avenir et Mémoire sont liés.

Le don de l’incarnation.
Dans sa Première Lettre, au chapitre 3, Jean rappelle le commandement de Dieu : " avoir foi en son fils Jésus Christ et nous aimer les uns les autres ". Au chapitre 4, il donne des recommandations pour distinguer les vrais et les faux prophètes. " Voici comment vous saurez si l’esprit de Dieu les inspire : tout inspiré qui proclame que Jésus Christ est venu parmi nous dans la chair, celui-là appartient à Dieu ".
Voilà un critère d’une grande pertinence à l’heure où fleurissent tant de spiritualités désincarnées et trompeuses : l’Esprit envoyé par le Dieu des chrétiens n’est pas un pur esprit si j’ose dire, il n’emmène pas ses fidèles dans les rêveries cosmiques ni les signes magiques. Il les emmène dans l’amour, dans la reconnaissance que Dieu habite toute chair depuis que Jésus en a vécu tous ses besoins, toutes ses misères, y compris la mort. Il l’a rendue aimable jusque dans sa laideur et sa décrépitude.
L’Esprit saint, contrairement au diable, est le maître du réel. Il ne nous conduit que sur des voies concrètes et réalistes, loin des rêves et des fantasmes. Ce oui au réel est un passage obligé pour retrouver une mémoire, un avenir et un goût de la vie.
Le Dieu des chrétiens inspire de l’amour envers soi-même et envers le prochain : " Celui qui dit j’aime Dieu et n’aime pas son prochain est un menteur. " Le baiser de saint François d’Assise au lépreux est un don de l’Esprit. L’Esprit saint est en effet un feu très doux, capable de faire fondre les cœurs les plus durs, de changer les cœurs de pierre en cœur de chair.
L‘enracinement dans la réalité incarnée, et la miséricorde envers soi-même et envers les autres sont aussi source de paix et de joie.

Remise de soi à Dieu.
Un autre critère de la vie dans l’Esprit qui donne aussi paix et joie est la remise de soi à Dieu dans la confiance.
Quand, après la multiplication des pains les apôtres qui n’avaient rien compris à ce qui s’était passé car " leur cœur était aveuglé ", remontent dans la barque pour gagner l’autre rive du lac, ils rament en vain contre des vents contraires. Quand Jésus, qui les rejoint sur les eaux, monte dans la barque tout s’arrange. Quand la barque de notre vie est livrée à nos seuls bons vouloirs et désirs, elle a vite fait d’être aux prises avec des vents contraires qui l’empêchent d’avancer. Inviter Jésus à monter dans notre barque et lui en abandonner la conduite de l’Esprit n’a rien de frustrant. Au contraire la paix naît de cette harmonisation de tout l’être qui vient de notre accord profond avec Dieu, du consentir, du sentir avec, d’un sentiment de vie comblante et comblée. Il y a un texte-test de notre état d’esprit : " Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur et vous trouverez le repos. Oui mon joug est facile à porter et mon fardeau léger. " (Mathieu 11, 29-30). 
A celui qui n’est pas entré dans l’économie de l’Esprit – comme nous l’étions globalement dans les années soixante dix – le mot joug est insupportable, il est signe d’esclavage, et révolte la mentalité moderne si exigeante quant à son autonomie. Pour celui qui est habité par l’Esprit, ce joug, qui est remise de soi dans les mains de Dieu, et ouverture désireuse à son amour, ce joug est au contraire d’une douceur infinie. Il est le signe que " l’Esprit du Seigneur repose sur moi ", qu’Il m’aime inconditionnellement et dans le respect. La vie n’est plus le casse tête que je m’efforce de mener par la force de mes poignets, elle est confiance en Celui qui la mène et la " fait reposer dans les prés d’herbe fraîche. "
C’est encore le père de Clorivière qui écrit : " Le vrai chrétien a en lui-même le principe de son bonheur : c’est la conformité de sa volonté avec celle de Dieu ".
Nos contemporains, qui ont tellement soif de bonheur, ont du mal à croire – sauf s’ils l’ont expérimenté – que seul l’Esprit est source de cette qualité de bonheur.
S’il est un " modèle " pour une vie conduite par l’Esprit, c’est bien Marie. Elle était tellement " remise ", disponible à Dieu que les fruits de l’Esprit ont dépassé en elle toutes les attentes imaginables.

1. Les nouveaux disciples. Ed Centurion 1978.
2. Exercices des Trente Jours.