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La lecture des événements en Renouveau.

Pierre Chieux, coordinateur de l’instance de communion
des communautés du renouveau

Pour beaucoup, le Renouveau est caractérisé par une folie, ou tout au moins une absence totale de sens des réalités qui fait que l’on exprime de façon intempestive des sentiments en décalage avec le vécu. Se mettre à rendre grâces à Dieu publiquement à propos d’un contretemps anodin passe encore, mais s’il s’agit de quelque chose de plus impliquant: un vol subi, une injustice subie, une maladie, alors non, c’est intolérable. Où donc est passé le temps de l’indignation, de la colère, de la révolte? Que deviennent les combats légitimes contre la souffrance, l’injustice, et le mal? Nous voilà de retour au Moyen-Age, la religion comme opium du peuple. Ne retombons jamais dans de tels comportements anesthésiants. Quand on critique les "dévisseurs d’ampoule" et chanteurs d’alléluias, ce n’est pas seulement une affaire de sensibilité spirituelle (comme on dit), cela peut être une réaction contre ce qui est perçu comme une véritable menace pour notre propre identité personnelle et collective de chrétiens responsables.
Comment certaines personnes d’origine et de culture variées, y compris des européens de famille athée et de culture scientifique et technique, ou des membres d’ordres religieux séculaires peuvent-ils arriver à de tels comportements? En fait, comme pour toute véritable démarche religieuse, il n’est pas possible de décrire le Renouveau de l’extérieur. Et pour l’appréhender de l’intérieur, il faut y plonger. Nous voilà donc face à un véritable discours de secte : venez et voyez. L’illumination si elle vous est donnée, éclairera votre jugement. Rien ne peut autant faire monter l’agacement à son extrême.


L’évènement fondateur sans lequel rien ne prend sens.

A ce point nous sommes face à une alternative radicale. Ou bien nous arrêtons tout dialogue, et interrompons ici notre échange, et que le lecteur se sente bien libre en ce choix, ou bien nous essayons par images et approximations d’avancer dans la connaissance d’une réalité qui d’une certaine façon nous dépasse et nous échappe. Nous avons des situations analogues lorsque nous parlons d’une expérience esthétique (paysage, spectacle...) ou relationnelle (amitié, amour...) à une personne à qui l’on souhaite partager notre découverte. Je veux, dans le cas présent, parler de l’expérience fondatrice vécue par les membres du renouveau et que l’on appelle communément "l’effusion (ou baptême) de l’Esprit". En effet c’est cette expérience qui ouvre ceux-ci à une lecture entièrement nouvelle de la réalité extérieure et des événements.
De quoi s’agit-il? Il faut d’abord passer outre le piège du vocabulaire. L’expression ‘effusion de l’Esprit’ est un jargon d’initiés, comparons-la aux personnes qui se présentent à nous en disant: ‘moi je suis une convertie’. Cette dernière expression réfère à une expérience qui nous paraît positive et valorisante même si nous-mêmes ne l’avons pas vécue. En effet nous avons traditionnellement et culturellement une certaine perception de la conversion. Cette perception est d’ailleurs ambiguë puisqu’elle n’explicite pas : ‘convertie au Christ’, et que nous pouvons trop vite l’entendre: convertie aux mêmes façons de penser, à notre culture religieuse. Maintenant, comment réagissons-nous à quelqu’un qui nous annonce: ‘moi j’ai reçu l’effusion de l’Esprit tel jour à tel endroit?’ Il me semble que c’est l’annonce d’une expérience fondatrice, mais pour laquelle il nous faut remonter aux débuts de l’Eglise pour la situer traditionnellement (Actes de Apôtres). Alors la simple curiosité, qui n’est pas déplacée car elle pousse au témoignage et à la relecture d’un vécu intense, est de dire: qu’as-tu vécu exactement?
Il est courant dans les premières présentations entre membres du Renouveau de se dire en quelques mots ce qu’a été pour chacun cette expérience fondatrice d’effusion de l’Esprit. Et il est remarquable de reconnaître que la matérialité (temps, lieux, ressenti, effets...) de l’expérience est d’une extrême variété, mais que ce qui fonde la reconnaissance mutuelle et la fraternité c’est la découverte concrète que Dieu est vivant et a parlé à l’intime de chacun de façon spécifique. Il a non seulement parlé mais a touché d’une touche de vie, ouvert un jaillissement de vie, au centre de ce qui y était encore fermé. Il s’agit là d’une naissance. Comment la situer par rapport au baptême, telle est la question immédiate. C’est l’appropriation relationnelle du baptême (que nous avons souvent reçu dans nos premiers jours) : les cieux s’ouvrent, Dieu que je connaissais par ma culture, mon éducation chrétienne, mon adhésion de pensée, de conviction, de Foi, me devient intime. Je pense à ce jour où mon propre père, qui m’impressionnait beaucoup et que je respectais profondément, s’est adressé à moi de façon intime en se livrant et en me parlant au cœur. J’ai compris ce jour-là que j’étais pour lui un homme. Vis à vis de Dieu, les expériences peuvent être très variées, mais la naissance et l’approfondissement de la relation ouvrent à l’infini. La découverte peut concerner tour à tour l’une ou l’autre des personnes de la Trinité, mais la première ouverture de la relation intime, de la relation d’être à être, est quelque chose de fondateur. Elle peut avoir eu lieu très tôt dans la vie, ou n’être vécue que très tardivement, même par des chrétiens de souche. Elle peut avoir été oubliée, négligée, rejetée. Elle a besoin d’être entretenue et approfondie, car elle n’est qu’un commencement. Ce qui est caractéristique du Renouveau c’est d’en parler, d’échanger à cet égard et de souhaiter s’entr’aider à aller plus loin dans la relation d’amour avec le Seigneur.
Je me souviens d’une personne qui réagissait vivement jadis au ‘strip-tease spirituel’ des assemblées de prière du renouveau. Je n’avais plus depuis longtemps pensé à cette remarque qui m’avait à l’époque, laissé sans voix. Il est vrai que d’une certaine façon la découverte de la relation intime avec Dieu, fait entrer dans une certaine forme d’innocence, comme les enfants. Le péché et ses conséquences (la nudité que l’on veut cacher) sont vaincues, ce qui compte d’abord et avant tout c’est la relation intime d’amour. Les enfants peuvent ensemble se réjouir de cette relation à leurs parents lorsqu’ils la vivent.

La lecture relationnelle des événements
Cet aperçu sur l’événement fondateur qu’est pour chaque membre du renouveau la découverte vivifiante de la relation personnelle intime avec Dieu, permet de situer la façon dont sont vécus les événements extérieurs. Ils sont vus de l’intérieur, il sont relus à la lumière de la relation intérieure de filiation avec Dieu. Qui me séparera de l’amour de Dieu disait Paul, ni la vie ni la mort, ni le présent ni l’avenir... si Christ est pour moi, qui sera contre moi? Folie?
En fait, j’ai envie de me référer ici à mon expérience professionnelle de chercheur quant à la structure et la dynamique de la matière. Cette expérience me permettait plusieurs lectures de mon environnement (de la ‘réalité’ environnante). Une lecture commune (dans la culture médiatique d’aujourd’hui, sérieusement relativisée d’ailleurs par un long séjour à l’étranger), une lecture selon la physique macroscopique classique de mes études de jeunesse, une lecture selon la physique atomique et subatomique, une lecture tenant compte davantage des lois universelles, une autre plus centrée sur la dynamiques des forces interactives, une autre centrée sur les événement singuliers, chaotiques, hors d’équilibre, etc.... des lectures selon les diverses sciences humaines, ou religieuses, dans la mesure où j’en étais averti, etc... Alors rien ne m’a gêné quant à une lecture qui en toute occasion cherche à sortir de l’impact brut de l’événement pour le resituer quant à sa capacité de m’isoler ou de m’ouvrir aux autres, au tout Autre. Et la meilleure façon de sortir du piège de l’enfermement que cause l’événement singulier et inexpliqué est de proclamer que dans l’Amour (en Dieu relation d’Amour) tout peut prendre sens. Si je me situe là, d’emblée, j’y trouve une force qui me permet d’aborder un travail d’apprivoisement du soi-disant réel brut, froid et sans faille. En fait l’expérience de la rencontre de Dieu, m’a plus que jamais fait prendre conscience de l’emprise culturelle dans laquelle peut nous enfermer une culture trop scientifique (au sens réducteur du terme qui veut une explication logique immédiate à tout), ou une connaissance trop basée sur le savoir acquis. La recherche m’avait appris que le progrès de la connaissance nécessitait de s’avancer avec risque dans le domaine du non-savoir. Le Renouveau m’a fait découvrir que la relation au Tout-Autre source de Vie, ouvre à la liberté de lire tout événement extérieur dans le sens d’une chance pour l’approfondissement de la relation d’amour vis à vis de soi-même, des autres, et du vrai Dieu. Ceci va radicalement à l’encontre du fait que certains événements seraient d’une gravité telle (d’un impact tel) qu’ils pourraient nous détruire radicalement, nous enlever la Joie de la relation gratuite d’Amour. C’est dans ce contexte que de louer Dieu devant tout obstacle qui risque de nous voler la Joie peut prendre son sens, comme une véritable oeuvre de l’Esprit au cœur de notre humanité blessée. "Soyez toujours joyeux et priez sans cesse, en toutes choses rendez grâce à Dieu". Bien sûr, lorsqu’ après avoir risqué publiquement une telle attitude, (et affronté le doute ou la colère qu’elle ne manque pas de susciter), s’entrouvrent des indices de vie, d’espoir, de restauration de relation, alors s’élève un chant nouveau que rien ne peut arrêter.
Les exemples sont nombreux dans le vécu des groupes et communautés du renouveau où la proclamation de la victoire relationnelle (en Christ) sur l’événement ou la situation douloureuse et enfermante, ont anticipé et facilité une issue bénéfique. Il ne s’agit en aucune façon d’un comportement facile, mais d’un combat à renouveler sans cesse dans la Foi et l’Espérance. L’issue n’est pas nécessairement la guérison (sans cependant l’exclure à priori), mais la victoire du don de soi dans la relation d’amour, amenant paix et Joie au cœur même de la détresse.

La vérité de notre relation à Dieu,
aux autres, à nous-mêmes, aux événements.

Nous avons d’une façon générale tenté de déchiffrer une attitude de lecture des événements qui sort de nos schémas culturels modernes de lecture et en rappelle la limite (nous ne pouvons sans danger de mort mettre la main sur l’arbre de la connaissance). Il nous faudrait sans doute détailler les divers types d’évènements (purement extérieurs et naturels, ou impliquant des rapports humains plus ou moins altérés, conflictuels ou même déviants et pervers). Dans chaque cas et suivant l’histoire personnelle de celui (ou du groupe) qui les subit, ce sont les blessures relationnelles qui seront mises à nu de façon spécifique et interpellante. Et cela jusqu’à révéler la qualité de notre être profond, de notre relation au Dieu vivant qui se révèle et se donne à nous si nous le laissons être Celui qu’Il est. La blessure engendre la colère, la révolte, la fuite en avant, la volonté de nier l’évidence, la frénésie de reconstruire à l’identique... La blessure provoque au repli sur soi, au refus du dialogue, à l’utilisation du recours magique à des forces cachées pouvant modifier le cours des choses et manipuler les relations. Cependant aucune époque n’a jamais autant eu soif de vérité et de Lumière. De quelles façons celle-ci peut-elle jaillir?
Dans un groupe relationnel relativement petit, il est difficile de faire semblant, c’était jadis le cas dans les communautés villageoises, c’est vrai en profondeur dans un groupe de chrétiens, dans un groupe de prière charismatique. Mais on peut pendant longtemps avoir caché son jeu. Et toute infortune même anodine peut soudain être une occasion de tomber les masques... au prix de la reconnaissance de notre vulnérabilité. Ce n’est jamais facile. Et nous découvrons à cette occasion à quel point notre ego fait preuve de ressources de camouflage insoupçonnées, même dans un groupe très fraternel. La louange publique est une redoutable pierre d’achoppement. Si je n’ai pas le cœur à louer, je peux être tenté de mimer la louange des autres, ou simplement de me taire, plutôt que de dire mon impuissance. Le faire serait risquer de mettre à jour ma blessure secrète. Tous les arguments sont bons, refus de nous mettre en avant, caractère anodin de l’affaire, volonté d’ascèse et de persévérance dans l’épreuve, respect de la dignité de notre fonction si l’on est en responsabilité... Il suffit d’un mot : ‘pouvez-vous prier pour moi car aujourd’hui je suis incapable de louer’, et tous les masques tombent. Il suffit d’un geste, de se mettre à genoux pour demander la prière des frères (pratique courante des groupes de prière, qui a son analogue dans la vie monastique en cas de manque à la fraternité), et l’enfermement mortel est pulvérisé. C’est une véritable expérience que de découvrir que la prière des frères, des plus simples d’entre eux, est d’une telle efficacité, car nous avons tellement été éduqués au secret de la prière intérieure. Mais quel secret voulons-nous cacher lorsque nous faisons semblant que tout va bien dans notre louange, alors que la tristesse sort par tous nos pores? Expérimenter cela c’est découvrir la puissance active de l’Esprit-Saint dans le Corps du Christ vivant. Cela peut s’expérimenter aussi entre groupes de chrétiens (entre confessions...).
S’entr’aider mutuellement à entrer dans la louange en toutes circonstances est un peu comme être les gardiens du Feu, c’est une tâche vitale pour notre temps. C’est un long travail qui a des hauts et des bas, et qui par le concours des événements, touche à tous les domaines de notre vie et de nos relations. Cela peut bousculer nombre de nos habitudes et comportements culturels. Il n’y rien qui ne doive être mis à la Lumière du Christ et à sa Seigneurie. Aucun appui hors de Dieu ne pourra être suffisamment solide face à la rigueur des temps qui viennent. Nous ne pouvons occulter la dimension eschatologique de cette attitude. L’Esprit et l’Epouse disent: Viens. Que le Seigneur vienne à travers tout événement quel qu’il soit. Nous demandons à Marie qu’elle nous aide à pressentir sa venue, là où justement nous pensons qu’il est impossible qu’il vienne.