Vie chretienne
Chemin de Vie

Prière personnelle et prière liturgique

Fr. Clément de Rome

Dans notre vie chrétienne, nous cherchons toujours comment mieux prier. Il est intéressant d’accueillir l’expérience de ceux qui s’engagent dans le chemin de la prière. Le Frère Clément de Rome de la Communautés des Béatitudes nous y aide.
Une évaluation de la situation de l’Église du 20e siècle en Europe nous conduit rapidement à un constat peu optimiste. La moyenne d’âge dans les paroisses est généralement élevée et l’engouement que suscitent les grands événements comme la Journée Mondiale de la Jeunesse tarde à se concrétiser dans le vécu quotidien de l’Église. Parallèlement à cela, il n’est pas rare d’entendre que l’avenir de l’Église, ce sont les communautés nouvelles. On y trouve une prière fervente et des jeunes ! Ce genre de bilan de la situation ecclésiale est bien sûr hâtif et appelle d’importantes précisions que nous donnerons dans les lignes qui suivront.
Toutefois, notre sujet étant la prière comme chemin de Vie, nous témoignerons volontiers des merveilles et des joies que le Seigneur nous donne d’expérimenter dans notre prière. Il ne s’agit donc pas de se mettre en avant, mais de publier Ses merveilles pour les hommes.
Notre réflexion comporte deux grands volets. Tout d’abord nous évaluerons la situation présente à la lumière des siècles passés, montrant en quoi la prière telle qu’elle est vécue dans le Renouveau est une réponse pour notre temps. Par la suite nous reprendrons la distinction entre la prière liturgique et la prière personnelle, dans leur nature et dans leur forme, montrant les spécificités qu’elles prennent au sein du Renouveau.

Le Renouveau, une réponse à notre époque

La prière, un lieu catéchétique
Lorsque, en route vers Jérusalem, un disciple demande à Jésus " Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean l’a appris à ses disciples, Lc 11, 1 ", le maître leur répond en trois temps. Tout d’abord il leur enseigne le Pater manifestant ainsi vers qui nous nous tournons lorsque nous prions. Ensuite, au moyen de la parabole de l’ami importun, il les avertit que la persévérance, la durée dans l’attitude orante, porte immanquablement son fruit. Enfin, Il les interpelle vivement en résumant ces deux premiers points : " Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui l’en prient ". (Lc 11, 13)
Jésus attache donc une grande importance à la formation de ses disciples sur ce sujet, il les invite même à prier sans cesse (Lc 18, 1). A sa suite, l’Église n’a eu de cesse de nourrir la prière des fidèles.
Pour mieux saisir la baisse actuelle de la fréquentation des paroisses, il convient de préciser la distinction faite par l’Église entre la prière liturgique et les prières non-liturgiques. Affirmons dans un premier temps que cette distinction ne contient par elle-même aucun jugement, ni dans un sens, ni dans l’autre. Il ne s’agit pas de voir dans les prières liturgiques un formulaire mal vieilli ou dans les prières non-liturgiques des élucubrations de mystiques sans lendemain.
Les prières dites liturgiques recouvrent la dispensation des sacrements et la liturgie des heures. Les prières non liturgiques recouvrent les prières personnelles telles les exercices de piété, les dévotions mais encore, relativement à notre sujet, les assemblées charismatiques ou les prières de guérison.
Tout l’enjeu de notre sujet réside donc dans le lien qu’il faut établir entre ces deux types de prières et la réponse que propose le Renouveau.

Une problématique déjà ancienne
Aux temps apostoliques, prières liturgiques et prières non liturgiques s’interpénétraient largement, pour la simple raison que leur domaine respectif restait encore à définir. A Troas, lorsque Paul rompt le pain le premier jour de la semaine (Ac 20, 7-12), il parle jusqu’au milieu de la nuit, si bien qu’Eutyque chute du troisième étage, emporté par le sommeil. Paul prie pour lui, rompt le pain, mange et parle de nouveau. Eutyque, quant à lui, rentre chez lui sain et sauf.
La seule mise en garde spécifiquement liturgique dans le Nouveau Testament réside dans l’injonction faite par Paul aux Corinthiens. Celui qui mange et boit, mange et boit sa propre condamnation, s’il ne discerne le Corps (1 Co 11, 29). L’absence d’une telle démarche de foi explique, selon l’Apôtre, la présence parmi eux de beaucoup d’infirmes et même de morts. (1 Co 11, 23-34).
Ce n’est qu’à partir du 4ème siècle que les rites commencent à se fixer au moyen de normes promulguées par les Evêques et les synodes régionaux. La problématique du lien entre prière liturgique et prières non liturgiques débute ici. Au Moyen-Age, la liturgie garde le latin et, en se complexifiant, devient toujours plus cléricale. Les fidèles perdent progressivement le sens véritable de la liturgie, l’écart se creuse entre la prière liturgique et les autres formes de piété vers lesquels se tournent les croyants.

Trois réponses au cours de l’histoire à ce dualisme
Les Ordres religieux de vie apostolique , franciscains, dominicains, etc. nés au 13e siècle, ont pour objectif l’évangélisation. A cet effet, des prières non liturgiques sont mises en place, telles l’adoration du Saint-Sacrement ou la prière du rosaire. Le tout se fait dans le souci de ramener à l’Église ceux qui s’en étaient éloignés.
Les écoles de spiritualité : Ignacienne, Française…., au 15e siècle, favorisent la méditation de l’humanité du Christ, son enfance, sa vie, sa passion. Un ouvrage témoin de cette époque et qui subsiste encore de nos jours est l’Imitation du Christ. Ces méditations permettent au peuple de Dieu de rentrer dans une véritable relation avec le Seigneur à une époque où la communion à l’eucharistie se fait rare.
Les mouvements missionnaires à partir du 16e siècle, en parallèle avec la liturgie officielle de l’Église, développent toute une pastorale qui prend en compte le phénomène d’inculturation indispensable pour une bonne réception du message chrétien dans les cultures non-européennes.

Une prise de conscience, la réforme liturgique
Le 19e siècle apporta une contribution majeure à la résolution de cette difficulté. En effet, l’Église connut plusieurs renouveaux. Parmi eux, les renouveaux ecclésiologiques et liturgiques furent particulièrement importants. L’Église se comprend de plus en plus comme cette unité constituée des clercs et des laïcs. En raison de cela, la participation active des fidèles au cours des liturgies devient une préoccupation centrale dans les débats théologiques de l’époque. Un rapport nouveau s’instaure entre la prière liturgique et les autres types de prière. Toutefois, il faut attendre le concile Vatican II pour voir le premier aboutissement de cet élan.

Comment ce survol historique nous éclaire pour notre époque ?
L’histoire nous montre que, depuis ses débuts, l’Église a du faire face à des défis pastoraux nouveaux. Chaque fois, l’Esprit Saint suscita des mouvements qui apportèrent, selon leur charisme propre, une spiritualité ainsi qu’un type de prières non-liturgiques qui répondaient aux nouveaux besoins. Il revenait à Rome d’authentifier ou, le cas échéant, de réfuter, ces nouveautés. Ainsi en est-il encore pour la situation présente sur laquelle nous allons nous arrêter maintenant.

Prière liturgique et personnelle
Qu’en est-il de nos jours ?
Alors que Jean-Paul II parle de Nouvelle Evangélisation, il serait inutile de nier que le monde entier a besoin d’entendre l’Évangile proclamé. Le renouveau charismatique se place très précisément dans cette optique, apporter sa contribution à ce défi que l’Église toute entière relève de nos jours.
Le Renouveau charismatique catholique est avant tout une réponse surabondante à une prière que le pape Jean XXIII proposa à tous les fidèles afin que les pères conciliaires se laissent guider par l’Esprit Saint. Un extrait de celle-ci est suffisamment évocateur : Renouvelle en nos jours les prodiges d’ une nouvelle Pentecôte… La prière du peuple de Dieu fut effectivement exaucée…
En ce qui concerne notre sujet, le document conciliaire sur la Sainte Liturgie, Sacrosanctum Concilium (S.C.), explicite parfaitement les deux types de prières, liturgiques et non-liturgiques. Les communautés de vie, issues du Renouveau Charismatique, présentent la spécificité de vivre ces deux types de prières.

Spécificité et unicité de la prière liturgique
En ce qui concerne la prière liturgique, les communautés désirent respecter soigneusement les rites promulgués par Rome, mais aussi les vivre dans l’esprit que définit le concile. " Par suite, toute célébration liturgique, en tant qu'œuvre du Christ prêtre et de son Corps qui est l'Eglise, est l'action sacrée par excellence dont nulle autre action de l'Eglise ne peut atteindre l'efficacité au même titre et au même degré ". (S.C. 7)

Si l’efficacité de la prière liturgique ne peut être égalée, c’est en raison de ses éléments essentiels qui ont été institués par la volonté du Christ. Elle revêt une valeur sotériologique. Ainsi, dans la liturgie, le croyant se retrouve plongé au cœur de l’événement fondamental du Salut : la Passion, la Mort et la Résurrection.
Le sommet de la vie ecclésiale réside donc dans la sainte liturgie (S.C. 10). Les prières non liturgiques lui sont subordonnées et trouvent en elle leur finalité. Voici un aspect essentiel qu’il convient de bien affirmer. La prière liturgique marque le lien de filiation avec l’Église.
Au sein de la communauté des Béatitudes, la spécificité des célébrations des prières liturgiques réside donc dans les temps conséquents qui lui sont consacrés. De plus, une attention particulière est portée aux chants et aux ornements liturgiques.
Toutefois, un sincère et véritable respect du rite ne doit pas engendrer non plus la rigidité. C’est ainsi qu’une certaine forme de liberté peut prendre place, tel que des prières spontanées ou un chant en langues lorsque celui-ci est inspiré.

Quelle place alors donner aux prières non-liturgiques ?
Si la liturgie est de nature supérieure, elle n’est pas le tout pour autant ! " Cependant, la vie spirituelle n'est pas enfermée dans la participation à la seule liturgie ". S.C. 12
Le Concile reconnaît lui-même les autres formes de prières. Celles-ci bien sûr se doivent d’être vécues dans la soumission. De plus, leur finalité doit être la prière liturgique, c'est-à-dire faire rentrer le croyant dans le salut par le baptême mais aussi l’eucharistie et la confirmation.
Nous en arrivons maintenant au point le plus spécifique dans la prière du Renouveau charismatique, les différentes formes de prières non liturgiques. Bien qu’il soit impossible de passer en revue tous les types de prières, nous évoquerons ceux qui nous semblent capitaux.

La prière secrète
Le Seigneur lui-même invite à ce type de prière : " Pour toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte, et prie ton Père qui est là, dans le secret… " Mt 6, 6.
Ce type de prière est indispensable. Tout ceux qui ont fait une expérience de vie de prière communautaire le savent bien. Il est si facile de se rendre mécaniquement à la messe, aux offices, sans qu’il y ait une adhésion intérieure, tout simplement parce que la cloche a sonné ! Le meilleur moyen de lutter contre ces automatismes, c’est de maintenir une prière privée, secrète et gratuite où la décision intérieure prime sur le phénomène de groupe.
Dans ce sens la communauté des Béatitudes s’inspire fortement de l’école française de spiritualité. Celle-ci engage à vivre chacun des instants de sa vie en présence du Christ. Nous abordons là un point absolument fondamental que le Renouveau porte en lui dès ses origines : une vie d’intimité recherchée avec les trois personnes de la Trinité. L’Esprit Saint n’est pas seul. La prière se fait dans le Fils, mû par l’Esprit et tourné vers le Père.

La prière du Rosaire
Le Renouveau charismatique catholique se replace d’une manière générale dans une grande piété mariale. La prière du rosaire est mise à l’honneur. Toutefois, la communauté des Béatitudes le perçoit d’une manière plus spécifique, alliant renouveau charismatique et renouveau marial, l’Esprit Saint et la Vierge. La nouvelle Pentecôte d’Amour que l’Église attend passera par les mains de Marie.

Les assemblées de prière charismatiques
Il existe un autre type de prières non liturgiques : l’assemblée de prière avec exercice des charismes tels qu’ils sont définis par saint Paul (1 Co 12-14). Ce dernier type intrigue et engendre bien souvent la méfiance car il est trop souvent mal compris.
Tout d’abord rappelons que l’on trouve des traces de vie charismatique, pris au sens paulinien, jusqu’au 6e siècle chez les pères de l’Église, à titre d’exemple écoutons Cyrille de Jérusalem qui parle d’une grande maladie qui nous prive des charismes qui proviennent de Dieu.  Celui-ci distingue deux types de foi, celle dogmatique qui est nécessaire au salut et une autre qui est prodiguée par l’Esprit et cause de prodiges. Par la suite, on perd la trace de ce type de manifestations. Cela ne réapparaîtra dans l’Église catholique que dans les années 1970.
Pour ceux qui désirent un exposé complet sur les charismes, il est préférable de relire ce que Paul en dit dans la première épître aux Corinthiens, chapitres 12 à 13. Nous voudrions simplement ici relever deux aspects qui montrent l’importance de ce renouveau pour notre époque.
Tout d’abord notre époque évolue dans une contradiction flagrante. D’une part notre société est clairement positiviste, elle ne croit que ce qu’elle peut démontrer. D’autre part, elle manifeste un immense désir de religiosité, ce qui explique le formidable essor du New Age et du syncrétisme de nos jours.
La dimension charismatique répond à ces deux attentes. D’un côté elle montre que Dieu est agissant, Il est vivant et oeuvrant au milieu de son peuple. La prédication de Jésus et des apôtres fut accompagnée de signes authentifiant la véracité du message. Ainsi en est-il de ceux qui croient, selon les Paroles de Notre Seigneur : des signes accompagneront ceux qui croiront : en mon Nom, ils chasseront les démons, ils parleront des langues nouvelles…ils imposeront les mains aux infirmes et ceux-ci seront guéris (Mc 16, 17-18). Cette visibilité répond au scepticisme d’une mentalité positiviste.
D’autre part en prêchant un baptême dans l’Esprit, qui n’est autre que l’investissement complet de tout notre être par l’Esprit Saint, le Renouveau répond aux besoins spirituels de notre époque qui attend une expérience tangible.

Prière, chemin de Vie
Après avoir précisé les notions de prières liturgiques et de prières non liturgiques, nous avons vu comment, au cours de l’Histoire, l’Église a répondu au fossé qui parfois séparait ces deux types de prières. Ce rapide survol historique nous a permis d’envisager sereinement notre condition actuelle, remarquant que l’Église a su dépasser des situations bien plus critiques. De plus, cela nous a amené à considérer le Renouveau Charismatique comme un mouvement que l’Esprit Saint suscite pour répondre aux besoins de notre époque.
Le Renouveau vit lui-même des prières liturgiques. Elles sont le sommet de sa vie de croyant, voie d’accès au Salut proposé par le Christ. Par ailleurs, il propose d’autres formes de prières qui correspondent aux besoins de Nouvelle Evangélisation de notre époque. Celles-ci vont de la prière secrète et personnelle à des assemblées charismatiques de guérisons. Le but de celles-ci est d’éveiller le désir de prière liturgique, notamment l’eucharistie et la confession, aux fidèles qui s’en éloignent.
En finale, le chemin que propose la prière dans le Renouveau n’est autre que le Chemin Lui-même. C’est le chemin que propose tout type de prière vraie et sincère et ce, depuis tout temps. Toutefois, en demandant au Seigneur de manifester sa gloire, de guérir les malades, de nous baptiser dans Son Esprit Saint par une expérience palpable, le Renouveau offre à ce monde un Dieu proche, aimant et agissant ! Il ne s’agit là que des promesses du Christ et non pas d’une supériorité quelconque accordée à une élite. Il revient à chacun de se saisir des Paroles du Christ et de les mettre humblement au service de l’Église, considérant les autres comme supérieurs à nous-mêmes ( Ph 2, 3 ).
Fr. Clément de Rome, Communauté des Béatitudes.