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Les dimensions de la Charité du Christ<.h2>

P. Jean Savoie

Le Christ nous révèle un Père plein de tendresse et de miséricorde. Dieu s’est approché de nous en Jésus-Christ pour nous dire son amour. Cet amour s’adresse à toute personne concrète, qui existe, qui a existé ou qui existera : amour du Père dans l’acte créateur, amour du Fils dans la rédemption, amour de l’Esprit en tous ceux qui l’accueille dans la sainteté de leur vie.

1. Les paraboles de l’Amour.
Pour nous faire soupçonner quelque chose de son intimité, Jésus utilise de nombreuses images et paraboles. La plus connue est celle du bon pasteur qui connaît et aime ses brebis ; il appelle chacune par son nom. Il marche devant elles et elles le suivent (Jean 10, 1-6). Nous comprenons pourquoi il les aime.
" Je suis le bon pasteur, le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. Je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent, comme mon Père me connaît et que je connais le Père. J'ai encore d'autres brebis, qui ne sont pas dans cette bergerie ; il faut aussi que je les appelle elles entendront ma voix et il n’y aura qu’une seule bergerie et un seul pasteur ". (Jn 10, 7-16)
Jésus parle aussi de cette centième brebis qui s'était égarée du troupeau. Le berger va la chercher ; il la trouve, la met avec joie sur ses épaules et il la ramène au bercail ; il rassemble ses voisins et propose une fête, car celle qui était perdue est retrouvée (Luc 15,47).
Mais la parabole qui a toujours exprimé la profondeur de l’amour du Père est celle de l’Enfant prodigue. Ce jeune quitte le foyer paternel, ayant exigé sa part d’héritage, il s'en va vers des pays lointains dissiper son bien dans la débauche. Quant vient l’heure des angoisses et des fatigues, naît en lui la nostalgie de la maison perdue. Il pense alors retourner vers le père en disant " j’ai péché ". Les paroles de ce père, courant à la rencontre de l’égaré et le ramenant à la maison sont l'expression non seulement du pardon mais d'un plus grand amour. " Apportez le plus beau vêtement et habillez-le. Mettez-lui un anneau au doigt et des chaussures au pied. Tuez le veau gras pour nous réjouir, car mon fils était mort et le voici revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé " (Mt 15, 11-32).
Il faudrait rappeler aussi la parabole des ouvriers de la onzième heure si étrange et presque choquante pour tous ceux qui font leur travail à longueur de journée avec l’impression d'avoir bien mérité leur salaire. Les derniers arrivés au travail reçoivent la même rétribution que les premiers. Et la raison donnée est que ce maître veut être bon pour tous (Mathieu 20, 1-17). Il dépasse la logique parce qu'il porte sur la personne un regard plus global sur sa vie ; dépassant ce qui serait exigé, il donne davantage parce qu’il est bon.
Il faut rappeler enfin la parabole du bon Samaritain. Il s'agit de bien accomplir la loi et notamment le premier commandement. On ne peut limiter le prochain à ceux qui sont naturellement proches, parce que Dieu s’est fait proche de tous. Aimer c’est avoir envers chacun cette délicatesse à cause de l’amour de Dieu.

2. La vie spirituelle de Jésus.
L’évangéliste saint Jean nous fait entrer plus intimement dans la façon dont Jésus vit sa relation avec Dieu et avec les hommes. Nous percevons par là les dimensions de la charité de Jésus. St Jean se présente comme le témoin qui a vu l’amour de Dieu manifesté en Jésus : il a vu, il a cru, il témoigne. Cela nous est précieux pour croire aujourd’hui et recevoir cette révélation qui donne un nouveau sens à notre vie. Le témoignage de Jean porte sur l’amour du Père pour Jésus et l’amour de Jésus pour le Père.
Jésus en fait l’expérience et en vit. C’est un père qui aime son fils. " Le Père aime le Fils et a tout remis entre ses mains " (Jn 3,35) Il aime et il donne. Il confie à Jésus de réaliser son dessein de salut et lui attribue tout pouvoir. Aimer de charité c’est faire confiance, c’est estimer et honorer, c’est tout donner.
La charité de Jésus envers son Père est aussi forte et active : " j’ai mis en pratique le commandement du Père " (Jn 15,10). L’amour fidèle se manifeste dans l’obéissance : " j’aime le Père et j’agis selon son commandement " (Jn 14,31). Ce n’est pas seulement faire la volonté du Père, c’est aussi être en accord d’âme et de cœur avec lui.
Le Christ accueille cet amour du Père. " Le Père m’aime parce que je donne ma vie pour ses brebis " (10, 17). Le Christ et le Père ne cessent de s’aimer, de se le dire et de se le prouver : le Père aime son Fils et le comble, Jésus aime le Père et le glorifie, dans la prière, la parole, la mission. Jésus définit sa vie spirituelle en ces mots : " je demeure dans son amour " (Jn 15, 10). Cet amour réciproque est unique : " le Père et moi, nous sommes un " (Jn 10 30). Et le mystère chrétien c’est que Jésus nous donne part à cet amour unique.

3. En Jésus, Dieu nous manifeste son amour.
Quel est cet amour que Jésus nous manifeste ? Jésus a manifesté une amitié spéciale à quelques personnes concrètes. Il a une prédilection pour Jean qui le lui rend bien. Il aime bien Marthe, Marie et Lazare et il fait des douze ses amis. Il est venu pour rendre présent l’amour du Père à notre monde. Bien plus, il s’est incarné et il est mort pour nous transmettre réellement cet amour. Il le révèle et il le communique par l’Esprit. Ainsi apparaissent les deux traits de la personnalité de Jésus : la charité envers son Père et la charité envers les disciples. Il nous faut détailler un peu les qualités de cet amour :

C’est un amour déclaré, sans cesse réaffirmé et toujours prouvé. Le Seigneur veut convaincre ses disciples de l'attachement qu'il leur porte: "  Je vous ai aimés " (Jn 13,34), et il relie cette charité à celle du Père à son égard et vis-à-vis des hommes.
C’est un amour de respect, car toute la mission du Sauveur est ordonnée à ceux que le Père lui confie et que celui-ci "  attire " vers son Fils ; d'où le prix des disciples aux yeux de Jésus et l'attention avec laquelle il les reçoit (Jn 6,37).
C’est un amour délicat, d'une extrême sollicitude qui veut exclure toute crainte dans le cœur de ceux qu'il aime, leur communiquant sa paix et sa joie, les exhortant à la confiance (Jn 16, 26-33).
C’est un amour de prédilection, car c'est Lui qui a choisi ses disciples par une initiative gratuite: " C’est moi qui vous ai choisis " (Jn 15,16), tel un berger connaissant ses brebis et appelant chacune par son nom.
C’est un amour d'intimité.
Les "  siens "  sont ses familiers et même ses amis, qu'il initie aux secrets de la Vie trinitaire. Sachant ce qu'est l'épreuve de l'isolement, il veut l'épargner à ses disciples, et il réalisera une intime présence mutuelle, malgré la séparation corporelle ; ce sera précisément une " demeure dans la charité " (Jn 15,4-9), en attendant la réunion définitive dans la maison du Père. Le vœu suprême de la charité est cette communion: " Moi en eux et eux en moi ".
C’est un amour de miséricorde et de générosité.
Non seulement Jésus ne vient pas pour juger, mais toute sa mission est de sauver des ténèbres, du péché, de la mort. Offrant l'eau vive à quiconque a soif, il veut communiquer la vie divine en surabondance (Jn 10,10) la participation à sa gloire et à sa béatitude. Médiateur de la charité divine, le Fils transmet ce qu'il a reçu du Père, tout ce qui le remplit intérieurement; ses dons s'identifient à sa Personne (Jn 6,35), de sorte qu'en se donnant lui-même, il donne tout, la vérité, la vie, la résurrection, la lumière ; il enverra même " un autre Paraclet qui soit à demeure avec vous pour toujours " (Jn 14,15).
C’est un amour de don.
La charité, que le Christ a manifestée aux siens depuis le premier appel au bord du lac et dans la vie intime de nomades partageant la même tente, culmine dans son immolation au Calvaire. Celle-ci est à la fois la preuve la plus décisive de l'amour et le fait d'un amour extrême. Ayant toujours aimé les siens, le Sauveur termine sa vie en se sacrifiant pour eux. C'est la charité suprême: " De plus grand amour, personne ne peut en douter et en donner une preuve plus convaincante que celui qui livre volontairement sa vie pour ceux qu'il aime "(Jn 15,13).
Saint Jean l'a compris: " C'est en ceci que nous avons reconnu la manifestation de la charité: Celui-là a offert pour nous sa vie " (1 Jn 3,16). Mais en révélant sa propre charité, le Christ veut tout autant faire connaître l'amour même de son Père: " Je leur ai fait connaître ton Nom et je le leur ferai connaître, afin que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux " (1 Jn 4,16). Dans et par le Christ, les hommes peuvent percevoir ce qu'est " la charité de Dieu ".

4. En Jésus, la vie fraternelle participe à la vie trinitaire
Par la charité de Dieu, manifestée en Jésus, les relations entre les hommes prennent un sens nouveau. C’est un nouveau commandement dans la nouvelle alliance. " Comme le Père m’a aimé, je vous ai aimés… comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres " (Jn 15, 19)
Aimer comme le Christ, c’est aimer religieusement, saintement, humainement, de tout cœur. C’est la charité chrétienne unique et originale : elle est de source divine, et apte à unir tous les enfants de Dieu en Eglise. Elle est aussi une tâche que nous n’aurons jamais fini d’accomplir ; seul le Christ l’a réalisée pleinement.
Cette charité (agapè) est l’amour propre de Dieu, révélé en Jésus Christ et participé par les chrétiens, amour de respect et de bienveillance. Cette charité si riche dont parle St Jean peut se décrire ainsi : " une plénitude jaillissante, issue de l'être même de l'aimant et l'exprimant adéquatement: ‘C'est à cela que tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples, si vous manifestez de l'amour de charité les uns envers les autres’ (Jn 13,35), toute spontanée et gratuite. Amour de sainteté et de beauté, fait d'estime et de souverain respect, de complaisance et de bienveillance. Tantôt il vibre de compassion au spectacle de la misère d'autrui, tantôt il se réjouit du bonheur goûté par l'aimé : ‘Si vous m'aimiez de charité, vous vous réjouiriez de ce que je vais au Père’ (Jn 14,28). Demeurer dans l'amour, c'est-à-dire posséder en soi celui qu'on aime, est le secret de la joie parfaite. Toute sa vie, le charitable s'efforce d'aimer de son mieux et de mieux en mieux " (Spicq op. cit. p.210).