Signes et témoins

"Rendre les pauvres heureux, c'est tout !"

(Jeanne Jugan)
Le nom de Jeanne Jugan ne vous est peut-être pas connu ? Celui des Petites Sœurs des Pauvres, congrégation qu'elle fonda en 1839 pour l'accueil et le soin des personnes âgées les moins favorisées, vous est probablement plus familier ! Réparties en trente et un pays des cinq continents, les Petites Sœurs ont un cinquantaine d'établissements en France, tous appelés "Ma Maison".

"On peut dire que Jeanne Jugan avait reçu de l'Esprit comme une intuition prophétique des besoins et des aspirations profondes des personnes âgées", soulignait le Pape Jean-Paul II en la proclamant "Bienheureuse" le 3 octobre 1982.
C'est aux Petites Sœurs des Pauvres, filles de Jeanne Jugan, que nous avons demandé un témoignage sur "l'accompagnement des personnes âgées".

La canicule de l’été 2003 et ses effets néfastes sur les plus fragiles d'entre nous, notamment les personnes âgées, ont fait et continuent à faire l'objet d'interventions, d'articles, d'études, d'enquêtes sur les aînés, peu habitués à être ainsi le point de mire de l'actualité.
Le drame du jeune Vincent Humbert a, de son côté, ravivé les passions et les oppositions sur le droit ou l'interdiction à choisir soi-même l'heure de sa mort. La possibilité d'une législation sur l'euthanasie a refait surface.
Les réflexions qui suivent ne reviennent pas sur ces problèmes, quelque douloureux et graves qu'ils puissent être. Leur but est de montrer qu'un des plus grands désirs des filles de Jeanne Jugan est de faire le maximum pour "rendre les pauvres heureux", ce qui inclut de leur assurer les soins, l'attention, le respect et l'amour, de les accompagner jusqu'au terme de leur existence. Et de le faire dans l'Esprit du Christ, "tendresse de Dieu", auquel elles ont voué leur vie entière.
"Mes petites, répétait Jeanne Jugan aux novices près desquelles elle vivait, pour être de bonnes Petites Sœurs des Pauvres, il faut être bien petites et bien humbles… Gardez l'esprit d'humilité de simplicité, de petitesse… Aimons beaucoup le bon Dieu et le Pauvre en Lui… C'est une grande grâce que le bon Dieu vous fait de vous appeler à le servir dans les Pauvres car, en les servant, c'est Lui-même que vous servez… N'oubliez jamais que le Pauvre, c'est Notre-Seigneur…"

Dans son très beau livre "Jeanne Jugan. Le Désert et la Rose", le Père Éloi Leclerc écrit : "On pourrait résumer le message de Jeanne aux novices en ces deux choses : être petite pour être proche des plus humbles et être proche pour les rendre heureux. Tout est là. On ne saurait mieux définir le charisme fondateur des Petites Sœurs des Pauvres…
"Rendre les pauvres heureux n'est pas chose facile… On peut loger, nourrir, vêtir, soigner les pauvres, sans pour autant les rendre heureux. La plupart des personnes âgées sont marquées par la vie. Elles portent un lourd fardeau : celui de leur corps et de leurs infirmités, mais aussi celui de leur âme, souvent blessée par des expériences douloureuses de séparations,
de deuils, de solitudes et parfois de rejet… Certaines sont des écorchées vives (…) La solitude des personnes âgées ! Sait-on vraiment ce que c'est ? "La grande douleur des pauvres, disait l'une d'elles, c'est que personne n'a besoin de notre amitié." Et de cette solitude, certaines en meurent.(…)
"Venez à moi, vous tous qui ployez sous le fardeau et je vous soulagerai…" Ces paroles de Jésus exprimaient le regard miséricordieux de Dieu. Ce n'était pas un simple regard de compassion, mais bien plutôt un regard de résurrection. Un regard qui redonne vie et grandeur. Un regard qui confère à chacun un nom. Bref, un regard d'amour. "Mes brebis, disait Jésus, je les connais chacune par leur nom."
"Rendre les pauvres heureux", c'est cela : les arracher à leur solitude anonyme, leur redonner un nom, un visage, les ouvrir à une nouvelle conscience d'eux-mêmes et de leur
dignité. Pour ce faire, il faut les aimer. (…) "Rendre les pauvres heureux", c'était pour Jeanne leur apporter cette qualité de regard et d'attention qui leur fait prendre conscience de leur dignité, de leur grandeur de fils ou de filles de Dieu…"

Simple et poignant à la fois, voici le cheminement de Mme Olga décrit par la Petite Sœur qui l'a accompagnée.
"Russe, de religion orthodoxe, cette personne vit en France depuis de longues années. Son mari et son unique fille sont morts ; seule lui reste une petite-fille qui, malgré la distance qui les sépare, vient de temps à autre lui rendre visite.
"De semi-valide, Mme Olga est devenue invalide. Sa mauvaise vue la prive de son passe-temps favori, la lecture, et une surdité tenace l'isole beaucoup. Vivant ainsi un réel état de pauvreté, elle s'exprime mal en français mais sait se faire comprendre.
"Quelques semaines après mon arrivée dans le service où elle est soignée, je m'entends interpeller sur un ton impératif : "Sœur, sœur, tuez-moi, tuez-moi… Sœur, faire piqûre, tuez-moi !" Interloquée, je m'approche, me mets à sa hauteur et nous essayons de nous comprendre. Elle redit les mêmes paroles puis continue en une plainte douloureuse : "Sœur, je souffre, je souffre. Je ne sers à rien, ne peux plus rien faire…" Et, joignant les mains, elle répète sa demande.
"Assez maladroitement, j'avance une réponse qui se voudrait affectueuse : "Mme Olga, je suis ici pour vous soulager, vous aider à mieux vous porter, non pour vous faire mourir. Vos petits-enfants en auraient bien du chagrin ! La vie appartient à Dieu, on ne doit jamais l'arrêter de soi-même. C'est Lui qui nous appelle, quand Il le juge bon, pour nous prendre avec Lui pour toujours".
"Et je la laisse sur ces paroles, avouons-le, trop brèves, essayant cependant par la suite de lui témoigner l'affection dont elle a soif et de correspondre à ses moindres désirs, pour la soulager et l'aider.
"Un soir, alors que je l'aide à se coucher, elle me dit : "Sœur, bientôt moi mourir. Que faire, après ? Ne sais pas, ne sais pas bien."
"Ne sachant pas très bien moi-même où elle en est en matière de foi et d'amour du Seigneur, un dimanche où nous étions seules, au moment du coucher, je l'approche de la fenêtre et lui dépose entre les mains un crucifix assez grand où le corps du Sauveur, très
blanc, se détache bien sur un bois sombre.
Mme Olga le regarde, hésite un moment et me demande :
- "Christ ? Christ ?"
- "Oui, Christ", lui dis-je.
"Alors, dans une attitude où se mêlent un grand respect et une affection profonde, elle approche de ses lèvres le crucifix et baise en silence sa tête et ses plaies, puis me le rend et se couche apaisée, sans mot dire.
"Depuis lors, de temps en temps, nous reprenons ensemble cette forme de préparation au grand passage vers la Vie. Elle ne demande plus du tout que l'on mette fin à ses jours, elle est devenue calme et ne se montre plus exigeante… Quand, avant de s'endormir, elle me prévient de son besoin d'affection en me disant : "Sœur, moi bientôt mourir", je lui réponds en souriant : "Oui, vous allez vers Dieu". Elle paraît alors réconfortée et ferme les yeux."

 
"Nous les prenons pour notre famille"

 
"Petites Sœurs des Pauvres, nous sommes au service des Personnes Agées, nous les prenons pour notre famille et, dans le quotidien de la vie, cherchons à leur montrer que notre dévouement est spontané, fidèle, gratuit", disent nos Constitutions (art. 97).

Et encore : "Le mot 'Sœur'… est chargé d'un sens profond. Il ne signifie pas seulement notre consécration à Dieu, mais l'exigence acceptée, aimée, d'être pour les Personnes Agées pauvres des 'Sœurs'… L'esprit de famille de la Congrégation, partie intégrante de notre mission hospitalière, trouve sa source et son expression dans le nom de 'Sœurs' " (art. 12).

Valoriser le grand âge, aider les aînés à l'assumer sereinement et même avec joie, est essentiel à notre vocation.

"Nous désirons le bonheur des personnes âgées, leur offrant par toute une ambiance familiale et de modestes moyens, la possibilité de se savoir utiles, de s'adonner à des occupations de leur choix, de réaliser des projets récréatifs ou de participer à des actions de solidarités avec une ouverture sur le monde".

Nous essayons de favoriser un climat d'accueil entre les résidents, dans le quotidien d'une vie "en commun" : repas, rencontres à travers la maison, promenades, animations diverses, avec l'apport de personnes extérieures à "Ma Maison", temps de prière pour certains… Ainsi "l'esprit de famille", voulu par Jeanne Jugan dès les origines, reste vivant… C'est dans cet esprit que nous essayons de tisser des liens qui soient signes d'un véritable accueil. Ceci avec l'aide du personnel, de bénévoles qui collaborent à notre service, mais aussi des familles des résidents. Ajoutons l'intérêt apporté par les jeunes, qui viennent les visiter, individuellement ou en groupes, et qui "adoptent" parfois certains aînés pour leurs grands-parents.

Dans une lettre ouverte aux aînés d'une maison du Sud-Ouest, un jeune écrivait : "N'oubliez pas ce que disait le renard au Petit Prince de Saint-Exupéry : "On ne voit bien qu'avec le cœur". Ne pensez-vous pas que l'on ne vieillit bien qu'avec la jeunesse du cœur ? un rien, un peu de parfum, une robe de couleur, des cheveux bien coiffés… et voilà la preuve que le temps ne nous a pas vaincus. Votre habilité en couture, en jardinage, en musique, tous ces détails, ces travaux donnent sens à votre vie. Vous avez l'avenir de votre expérience et la sagesse des années. Même si par moments un peu de lassitude vous effleure, sachez que sans vous le monde ne vivrait pas. Vous en êtes les témoins… La simplicité, le gratuit, le sourire sont des perles très rares en notre monde… Votre maison est vivante, et il est bon d'être parmi vous. Après tout, nous les jeunes, nous ne sommes jamais que les aînés de demain… Alors, apprenez-nous à préparer notre cœur à l'avenir de nos jours !"

Prendre les personnes âgées pour notre famille, c'est aussi favoriser leurs propres liens familiaux, les respecter, tout faire pour renouer ces liens s'ils ont été rompus. Le cas s'est présenté plus d'une fois dans nos maisons, particulièrement au moment du grand passage.

"Ancien navigateur, M. Pierre avait sillonné bien des mers ! Ses nombreuses absences l'avaient éloigné de son épouse et de leur fille. Vieilli, il sollicita son entrée dans l'une de nos maisons de France. Il y vécut une quinzaine d'années. Discret et réservé, il était très attaché à l'ambiance familiale qu'il y trouva. Il aimait converser avec l'un des prêtres résidents. Croyant, il ne pratiquait pas, n'allant à la chapelle que pour les obsèques des
"Monsieur Pierre était rayonnant de paix tandis que Madame ne le quittait pas des yeux avec, sur son visage, une expression d'infinie tendresse… Jusqu'à la nuit, elle resta près du lit du mourant personnes âgées de la maison ou lorsqu'une messe était célébrée pour les parents défunts des Petites Sœurs.
"Sa fille, qui habitait à une vingtaine de kilomètres, avait renoué avec son vieux père, à l'insu de sa mère demeurant avec elle.
"M. Pierre était soigné depuis des années pour une artérite des membres inférieurs. Son état s'aggrava subitement ; il dut être hospitalisé d'urgence. Son mauvais état général et cardiaque ne permettait pas l'amputation, malgré la gangrène menaçante. Sans illusion sur son état, il demanda à sa fille de signer une décharge pour lui permettre de rentrer "chez lui", à "Ma Maison". Dès son retour, il exprima son désir que l'on prévienne son épouse, suppliant que l'on veuille bien intervenir auprès d'elle, ce qui fut fait par l'intermédiaire de sa fille.
"Le malade sommeillait lorsqu'on vint le prévenir de la visite désirée. Soutenue par sa fille, son épouse s'approche de son lit. En nous retirant pour les laisser seuls tous deux, nous la vîmes se pencher de sa petite taille sur le visage de son mari, douloureux et tendu par l'émotion, et le caresser de ses deux mains en lui disant : "Mon petit, mon petit !" Lui-même fit alors effort pour entourer de ses bras les épaules de son épouse…. Après un long moment, leur fille entra, très émue. Son père, tenant la main de sa mère, demanda à voir son ami, le prêtre résident, pour "se réconcilier avec Dieu après l'avoir fait avec son épouse". Il demanda le sacrement des malades et exprima le désir de communier avec sa femme. Le prêtre leur partagea la même hostie
Monsieur Pierre était rayonnant de paix tandis que son épouse ne le quittait pas des yeux, avec sur son visage une expression d'infinie tendresse… Jusqu'à la nuit, elle resta près du lit du mourant, avec sa fille et la Petite Sœur qui le soignait, priant ensemble ou silencieusement. Elle continuait de caresser le visage et les mains de son mari qui, malgré la souffrance, continuait lui aussi à sourire. Il balbutiait : "Je suis heureux comme un enfant". Puis il s'endormit paisiblement. Son épouse le quitta vers 21 heures. Sa fille et la Petite Sœur restèrent à son chevet. Lucide jusqu'au bout, il remercia sa fille pour ses visites et sa démarche auprès de sa mère ; la Petite Sœur, pour toute l'amitié et l'affection trouvées à "Ma Maison" et, d'une voix de plus en plus faible, dit sa joie de partir réconcilié avec les siens et avec Dieu, certain de sa Miséricorde… Puis il s'endormit pour s'éveiller doucement en Dieu, le matin. Lui, le marin qui avait tant aimé les lointains infinis des océans, arrivait enfin au port éternel!"

 
Le partage de leurs richesses

"J'ai tant reçu de mes quatre grands-parents" écrivait dans le Journal "La Croix", du 11 décembre 2002, Mgr Benoît Rivière, évêque auxiliaire de Marseille, petit-fils par sa mère d'Edmond et de Marie Michelet.

Combien d'entre nous pourraient reprendre à leur compte cette confidence, en dépassant le cercle familial pour l'étendre à bien des personnes âgées !

Voici le témoignage donné par une jeune, dans l'une de nos maisons du Midi, lors du Jubilé des personnes âgées, le 17 septembre 2000.
"Au début de l'été, j'ai perdu à quinze jours d'intervalle un grand-père et une grand-mère. L'amour qui nous unissait, c'était aussi une amitié, une complicité. Avec eux j'ai appris, au fil des ans, le sens de l'Histoire, des traditions, de la famille. Eux seuls savaient reconnaître, sur les photos jaunies, tous nos ancêtres, et nous raconter ces petites histoires qui font de notre famille une famille unique. Plus tard, j'ai appris avec eux la patience : savoir les attendre, les écouter, les soulager. Car avec le temps est venue la souffrance, et j'ai alors appris à souffrir pour eux, avec eux. Ils m'ont enseigné, en ces derniers jours de leur vie, la lutte, la sérénité, la confiance, le courage. Ils m'ont appris le dépassement de soi, pour ceux qui restent.
"C'est avec tous ceux-là, oui, avec vous tous présents aujourd'hui, que je mesure combien ce que vous nous apportez est grand, chers résidents de "Ma Maison", vous et tous ceux de votre génération qui n'ont pas la chance d'être ici.
"Je voudrais tout simplement vous dire merci de l'exemple que vous nous donnez, merci de ce que vous faites pour nous !"

Dans sa "Lettre aux Personnes Agées" du 1er octobre 1999, le Pape Jean-Paul II a écrit que "le temps de la vieillesse a son rôle à jouer dans le processus de maturation progressive de l'être humain en marche vers l'éternité. De cette maturation, tout le groupe social auquel appartient la personne âgée ne pourra que tirer profit (n° 10).
"Les personnes âgées aident à prendre tous les événements d'ici-bas avec plus de sagesse, car les vicissitudes les ont dotées d'expérience et de maturité… Nous connaissons tous des exemples éloquents de vieillards d'une jeunesse et d'une vigueur d'esprit surprenantes. Celui qui s'en approche est stimulé par leur exemple. Puisse la société valoriser pleinement les personnes âgées, qui, dans certaines régions du monde – je pense en particulier à l'Afrique -, sont estimées à bon droit comme des 'bibliothèques vivantes' de sagesse, des gardiennes d'un patrimoine inestimable de témoignages humains et spirituels." (n° 12)

Une Petite Sœur ne peut que souscrire à ces paroles et aux témoignages qui les précèdent. Nous avons toutes tellement reçu des personnes âgées ! Avec Jeanne Jugan, nous pouvons redire que "notre bonheur, c'est d'être une Petite Sœur des Pauvres", bonheur réel malgré les difficultés et fatigues inhérentes au service concret de l'hospitalité.

Comme les autres âges de la vie, la vieillesse a ses richesses, ses valeurs, son dynamisme propres. Les mettre en lumière, les développer, éveiller la responsabilité et la collaboration de tous, est l'un de nos objectifs, partagé par les bénévoles de "Ma Maison" et, à des niveaux divers, les membres d'un personnel aujourd'hui indispensable.

 
Jusqu'au bout de la route

"Nous sommes heureuses de partager entre nous la veille des mourants, afin de ne jamais les laisser seuls. Cette préparation de leur âme à l'éternelle rencontre est le sommet de notre action apostolique. Elle nous associe au mystère de l'agonie du Sauveur." (Const., Art. 101)."

Toute Petite Sœur a vu souvent mourir. S'y habituer serait la pire chose. Mais pour ceux et celles qui vivent avec les personnes âgées, qui ont reçu mission et grâce de les accompagner jusqu'au seuil de la mort, celle-ci a perdu son caractère "tabou". A l'instar de la naissance, et plus qu'elle, la mort est perçue comme le grand événement, l'acte sacré d'une existence humaine, son terme, son achèvement terrestre.
Permettre aux aînés de vivre à plein et sereinement leur vieillesse, c'est leur faciliter l'acceptation de la mort. Les aider à se réconcilier avec la vie – leur vie présente, leur vie passée, ses joies et ses peines, ses échecs et ses réussites, sa grâce et son péché – c'est déjà les aider à se réconcilier avec la mort.
Loin d'augmenter l'angoisse, la familiarité avec la mort l'apaise. Toute personne âgée porte en elle cette inquiétude, exprimée ou non, du dernier passage. Le fait de savoir que "Ma Maison" sera la leur jusqu'à la mort est source d'authentique sécurité. Etre témoin ensuite de la façon dont les mourants sont veillés, entourés de soins, d'attention et de prière, les apaise profondément. "Quand ce sera mon tour, je voudrais que cela se passe de même. Maintenant, je n'ai plus peur!" De telles confidences ne sont pas rares après un décès à "Ma Maison" et, plus qu'un sentiment de tristesse, c'est une paix et une espérance renouvelées qui suivent habituellement le départ d'un résident.
L'accompagnement jusqu'au bout suppose parfois un patient et long cheminement avec ceux et celles qui voient venir la mort de loin et s'y refusent… avant d'être vaincus par elle. Car il existe des cheminements douloureux où nous sommes confrontées à notre impuissance et où la seule action est d'être là, offrant cette impuissance même pour celui qui s'en va.
Plus souvent nous sommes témoins de morts paisibles. Il nous est aussi donné de "vivre" certaines morts marquées d'une telle plénitude que l'action de grâces jaillit spontanément de nos cœurs.
Face aux mourants l'essentiel n'est-il pas la "présence" ? Présence fraternelle, aimante, infiniment respectueuse, qui saura trouver les moyens d'atténuer la souffrance physique, d'apaiser l'angoisse, d'accompagner jusqu'au bout, silencieusement, sans dérobade devant les questions que le mourant porte au fond de lui-même et qu'il exprimera peut-être à ceux qui l'assistent. Une présence chrétienne qui rejoint le baptisé, le croyant, dans ses aspirations les plus profondes. Une présence de vérité près de l'incroyant qui attend peut-être de nous le réconfort de notre propre espérance, la promesse de notre prière ou tout simplement notre silence.

"Jésus, visage de la tendresse de Dieu"

Récemment, une de nos communautés avait choisi de porter sa réflexion et son effort sur "l'hospitalité", cette hospitalité envers les personnes âgées à laquelle nous nous engageons par un quatrième vœu. Voici la contribution apportée, sous forme de prière, par une Petite Sœur, âgée de 86 ans.

"Seigneur Jésus, au cours de ta vie terrestre, tu as été le Visage de la tendresse de Dieu. Maintenant que tu t'es rendu invisible, c'est à nous, tes petites sœurs, de montrer ton Visage d'humilité, de gentillesse et de bonté…
"Apprends-nous à être le sourire de ta cordialité car, à travers moi, à travers nous, c'est Toi que les personnes âgées peuvent rencontrer.
"Seigneur Jésus, ne reste pas caché au-dedans de moi. Inspire-nous l'attitude à prendre, les paroles à dire, le silence à observer, l'écoute des autres.
"Habite-nous, Seigneur Jésus !
"Efface-nous en Toi !
"Rends-nous transparents de ta présence !"
Une Petite Sœur des Pauvres