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Le commerce équitable


Jacqueline Tirard

En novembre dernier plusieurs événements importants nous ont rappelé notre devoir de solidarité avec les plus pauvres. D'abord le deuxième Forum Social européen qui s'est tenu à Paris, puis la sixième semaine de la Solidarité Internationale et enfin les Semaines Sociales de France qui avaient pour thème : l'argent. Ces différents lieux d'échange, de contestation, de propositions sont des temps forts de la vie sociale qui mettent l'homme, et non le profit, au centre de l'économie. De nombreux chrétiens étaient présents à ces rencontres soit individuellement, soit en associations, telle que le Secours Catholique ou le CCFD. Pour les chrétiens en effet, il s’agit " d’organiser la charité " en permettant à un plus grand nombre de personnes de retrouver dignité et liberté. Jacqueline Tirard, du comité de rédaction d’Esprit Saint, nous dit la dimension chrétienne du commerce équitable.
Parmi les actions internationales de solidarité, se développe de plus en plus le commerce équitable. Il s’agit des relations commerciales entre les pays dits du Sud et les pays dits du Nord. Les produits concernés sont des produits alimentaires : café, thé, cacao, riz, sucre, le jus d'orange, miel ainsi que des produits de l'artisanat, venant d'Amérique du Sud, d'Afrique ou d'Asie et consommés en Europe.

Les bases du projet
Ce qui fonde le commerce équitable c'est l'article 23 de la déclaration universelle des droits de l'homme : "Quiconque travaille à droit à une rémunération équitable qui lui assure une existence conforme à la dignité humaine". Non seulement les chrétiens adhèrent à cet objectif mais il faut reconnaître que plusieurs ont été des " inventeurs " pour promouvoir le commerce équitable. Qui sait par exemple que "artisans du monde" doit sa naissance à l'Abbé Pierre ?

Les acteurs
Plusieurs associations unissent leurs moyens pour avancer dans cet objectif.
"Artisans du monde" représente aujourd'hui en France, 3000 bénévoles et vingt salariés pour 100 magasins. Son origine est en 1971, lorsque la terrible misère du Bengladesh a été répercutée en France par les médias. L'Abbé Pierre, comme beaucoup de Français de cette époque, touché par cette misère, a l'idée de proposer aux communes de France d'aider les bengladeschis en leur achetant des produits de leur artisanat. Un réseau d'échange est mis en place, la première pierre des magasins " artisans du monde " est ainsi posée.
" Artisanat-sel " vend par correspondance des produits qui respectent les règles du commerce équitable. Cette association est l'émanation d'une première association fondée par un groupe de chrétiens protestants. Elle vend des produits de l'artisanat et des produits alimentaires mais elle mène aussi des actions de développement, de parrainage d'enfant et d'aide médicale dans les pays du sud.
L'association " Max Havelaar ", est connue pour son label sur les produits alimentaires vendus en grandes et moyennes surfaces. Comment a-t-elle vu le jour? En 1986 dans la région du Chiapas au Mexique, le Père Franz van Der Hoff, prêtre ouvrier néerlandais a acheté quelques vaches et des poules. Il partage la vie des petits producteurs indiens. Un jour l'un d'eux lui dit : " Nous ne demandons pas la charité. Nous ne sommes pas des mendiants. Si on nous payait notre café à un prix juste, nous n'aurions plus besoin de l'aide de l'ONG hollandaise. "
Au cours d'un séjour en Holande le Père Franz rencontre un responsable de l'association Solidaridad, organisation œcuménique d'aide au développement pour l'Amérique Latine. Il leur faudra deux ans pour inventer et réaliser le projet de label sur les paquets de café achetés directement à la coopérative de petits producteurs à un prix juste. Aujourd'hui le café portant le label Max Havelaar et bien d'autres produits alimentaires sont en vente dans dix-sept pays du Nord.

Les résultats visés
Le label Max Havelaar est attribué par une commission paritaire de producteurs, de commerciaux et d’associations. Il garantit aux producteurs :
- un prix juste d'achat de leurs récoltes couvrant les frais de production et leurs besoins élémentaires, ainsi qu'une prime de développement pour les investissements collectifs : écoles, centre de santé, route...
- une sécurité durable par des contrats à long terme avec les acheteurs.
- l'autonomie grâce à un système de préfinancement partiel des récoltes pour leur éviter de dépendre des intermédiaires et des usuriers.
Aux consommateurs le label garantit :
- le respect des droits de l'homme dans le travail
- la transparence du fonctionnement et la traçabilité des produits
- la protection de l'environnement.
Le commerce équitable permet aujourd’hui à un million de familles environ de vivre décemment.

Ce qu’en disent les petits producteurs concernés
En République Démocratique du Congo, un administrateur de la coopérative des producteurs de café écrit : " Le commerce équitable n'est pas de l'humanitaire, c'est d'abord l'expression d'une nouvelle solidarité entre les peuples du Nord et ceux du Sud, un type de partenariat nouveau qui respecte la dignité des producteurs et enfin une nouvelle forme de lutte contre la pauvreté. Nous ne venons pas solliciter l'aide comme des assistés. Nous proposons nos produits de qualité à un prix suffisamment rémunérateur pour rester acteurs de notre destin. Nous retrouvons un pied d'égalité face à nos partenaires commerciaux. Le commerce équitable représente pour nous la seule manière de vivre de notre travail ; sans cela nous serions réduits à la misère. "

La dimension chrétienne
À toutes les époques de l'histoire de l'Eglise, des chrétiens, avec d'autres, ont été les initiateurs inventifs de " remèdes " ou de solutions alternatives aux problèmes sociaux. Ce faisant, ils répondent aux appels de l'Évangile que l'Eglise actualise régulièrement, par exemple l'encyclique du pape Paul VI sur le développement des peuples en 1967 ou "Maîtriser la mondialisation " des évêques de France en 1999. Conjointement l'Eglise par sa prière garde les chrétiens en éveil sur l’ouverture de l’amour.
"Seigneur, tu demandes à ton Eglise d'être le lieu où l'Evangile est annoncé en contradiction avec l'esprit du monde. Donne à tes enfants assez de foi pour ne pas déserter mais témoigner de Toi devant les hommes en prenant appui sur Ta Parole" (Liturgie des heures, le vendredi matin première semaine).