Signes et témoins

Un diocèse du Sénégal organise la communion

Mgr Pierre Sagna, spiritain

Mgr Sagna est évêque émérite de Saint Louis du Sénégal. Il a suivi sa formation en France. Il est devenu spiritain et a exercé son ministère missionnaire en Guinée et au Sénégal avant d’être nommé évêque de Saint Louis. Ce diocèse comprend 4000 baptisés et 1 500 000 musulmans. " Ils se montraient assidus à l’enseignement des Apôtres, fidèles à la communion fraternelle, à la fraction du pain, et aux prières. (Ac 2, 42) … La multitude des croyants n’avait qu’un coeur et qu’une âme. Nul ne disait sien ce qui lui appartenait en propre, mais entre eux tout était commun. (Ac 3, 32) C’est à partir de cette description de la première communauté de Jérusalem, telle que nous la présente les Actes des Apôtres, que le diocèse de Saint-Louis du Sénégal a voulu vivre sa vocation à la communion fraternelle. Après trois années de prière, de réflexion et de recherches, prêtres et laïcs, ont établi un plan pastoral " permanent " pour vivre en témoin de l’amour du Père, sous la houlette de leur nouvel évêque, fils du pays et membre de la Congrégation du Saint Esprit. Ensemble, en 1978, au dimanche de prières pour les vocations, ils ont décidé de lancer les " cellules d’Église " au sein des paroisses et des missions qui existaient déjà, et voici le plan pastoral lancé ensemble : constituer des " cellules d’Église ", les former, les accompagner.

Créer des cellules vivantes
Tout être vivant est constitué de cellules et sa croissance s’opère par les divisions successives de celles-ci. Notre Église qui vit à Saint Louis " n’échappe point à cette loi naturelle : elle est " cellule d’Église ". Nous ne parlerons pas de " communautés de base " du style Amérique latine, ni d’équipes de travail comme dans les mouvements d’Action Catholique, ni d’association de vie spirituelle telle que nous en connaissons au pays,  Imitateurs de la Ste-Famille, Société St-Antoine ou Ste-Marthe. On a voulu faire surgir des communautés de disciple du Christ qui soient des frères au sens strict du mot car ils ont le même Père, Dieu et la même mère, l’Église : c’est la famille. Il s’agit donc de se mettre à l’école de la toute première communauté des disciples et de vivre ensemble. Pour cela il faut rester assidus à l’enseignement des Apôtres, cela veut dire scruter les Ecritures, et comprendre leur enseignement pour en vivre. Il faut encore de rester fidèle à la communion fraternelle, c’est à dire que chacun s’ouvre à son frère mettant en commun tous ses dons personnels, non seulement les biens matériels, mais aussi ses trésors spirituels et moraux, les talents naturels que chacun développe pour la cohésion de la communauté et sa survie et son rayonnement… Les dons et talents pourront ainsi rapporter 20, 50, 100 pour un, à la grande joie du Père et des frères. Que nul ne s’enferme en soi-même, vivant seul les dons de Dieu, ou subissant la portée des défaillances et les misères d’une nature faible et fragile. La communion fait vivre et épanouit chaque individu. C’est l’Eucharistie, ce pain partagé, que le Christ a voulu instituer comme ferment de l’unité, le bien premier de notre unité, : " Nourris du même pain, Joyeux du même vin, nous sommes le corps du Christ ". En nous voyant vivre unis et fraternels, les autres s’émerveilleront  : " voyez comme ils s’aiment ! " Nous ne nous rassemblons pas seulement pour l’Eucharistie, mais aussi pour la prière ; elle est la louange qu’ensemble nous adressons à notre Père, par son Fils, notre Frère, en communion avec marie sa mère et notre mère. La prière est aussi la supplication que nous lançons pour nous libérer des assauts de l’ennemi. Elle est la soumission affectueuse à son Plan de salut pour chacun et pour l’ensemble de ses enfants.

Former ces " cellules " et les accompagner
On a donc d’abord constituer des équipes sans un espace restreint, pour faciliter les rencontres, en regroupant les chrétiens de toute catégorie, même les catéchumènes et les sympathisants, et en discernant parmi eux des leaders naturels qui seraient les animateurs (convocations, direction des échanges, mise en pratique). L’usage dictera plus tard le nombre de cellules à susciter dans chaque paroisse et le nombre de membres à ne pas dépasser dans chaque cellule, s’ il y en a trop, la cellule se scinde. L’activité principale consistera dans l’écoute et le partage de la Parole, la prière qui est accueil de la Parole, la communion fraternelle qui est la mise en pratique de la Parole et la fraction du pain de temps en temps qui est le sommet de la communion. On cherchera enfin ensemble à  approfondir le Message, à fixer les objectifs prioritaires de l’action pastorale, à prendre les initiatives qui s’imposent en vue de l’annonce de la Parole et à les proposer eux pasteurs, pour discerner, dans la foi, les éléments traditionnels pouvant être conservés comme les ruptures rendues nécessaires pour une véritable pénétration de la Bonne Nouvelle dans tous les secteurs de la vie ! Que feraient alors les prêtres et religieux(ses) dans ces cellules? Le Prêtre est irremplaçable dans une communauté chrétienne : il est "le dispensateur des mystères de Dieu". Mais il n’aura plus besoin de veiller à tous les détails matériels et restera fidèle à la prière et au service de la Parole" (Act.6,4) . La participation des Religieux(ses) devrait être plus assidue . Ils sont un élément de l’Église leur présence est nécessaire dans les cellules, un ou deux dans chaque . Ils n’en seraient pas les animateurs directs, sauf carence des laïcs. Mais constitueraient comme. la conscience et le modèle de. la communauté, un rappel constant , et une invitation au dépassement. Les chrétiens laïcs gagnent à côtoyer de plus près ceux qui "professent" le radicalisme de l’Evangile.

Les objectifs de ce plan pastoral
Ce plan pastoral peut donner son vrai visage à l’Église du Christ qui est à St-Louis. On parle beaucoup d’africanisation, cela ne signifie rien d’autre que l’évangile vécu par les Africains avec leur sensibilité d’Africains. Or l’Église fondée par le Christ est  Communion aimante avec Dieu qui nous adresse la Parole tout autant que Communion fraternelle avec tous les hommes (ni Juifs, ni Grecs ni hommes libres, ni esclaves …). Voilà qui vient "accomplir’’ le sens religieux et l’"instinct " communautaire que tout le monde reconnaît à l’Africain. Les chrétiens ne seront plus de passifs consommateurs de la Parole et des Sacrements, ni de simples exécutants d’ordres venus d’en haut. Dans chaque cellule chacun peut s’exprimer plus librement. On y retrouve l’ambiance traditionnelle de la palabre où l’on traitait des affaires du groupe. On y libère l’esprit d’initiative des plus timides. Dans ce cadre restreint on apprendra, au contact d’autrui, à voir, juger, agir et réagir comme le Christ Jésus et c’est cela en définitive être chrétiens.

Propositions concrètes
D’abord il s’agit de convaincre les pasteurs et faire l’unanimité dans l’équipe sacerdotale du diocèse. Il faut entraîner toute l’équipe apostolique de la paroisse (religieux (ses), laïcs engagées) et intéresser les mouvements existants. Ensuite on pourra atteindre et conscientiser les chrétiens (tâche ardue), leur parler abondamment de ces petites cellules, leur en montrer les avantages et les exigences, les leur faire désirer par eux-mêmes. Enfin il faudra peut-être procéder à la division de la Paroisse ou de 1a Mission. Ce nécessite une connaissance précise de l’implantation de la population chrétienne et les limites naturelles de chaque groupe humain. Des choix seront à faire, choix judicieux (plutôt que vote) des responsables et animateurs : hommes ou femmes dynamiques, entreprenants, dévoués, honnêtes, admis par tous, malgré les réticences africaines : il s’agit bien de conversion. Le lieu des réunions est à étudier, un lieu spécialement aménagé, ou la maison d’un membre. Voilà, qui peut bouleverser nos tranquilles habitudes apostoliques, mais c’est une nécessité pour les chrétiens comme pour leurs prêtres. Tous doivent unir leurs efforts, car c’est ensemble que nous formons "la race élue, la nation sainte, le sacerdoce royal, le peuple que Dieu s’est acquis pour proclamer les merveilles de celui qui nous appelle des ténèbres à son admirable lumière " (1 Petr. 2,9).

Que dire du résultat ?

La communauté chrétienne du diocèse, a-t-elle été école de communion dans toutes ces années de travail en commun ? Il faut d'abord déplorer que toutes les paroisses et missions ne se soient pas mises au travail... On s'est contenté des activités traditionnelles, en laissant chacun vivra sa relation au Christ de façon personnelle, pour ne pas dire " individualiste ". La mission, la paroisse, c'est le prêtre qui vous reçoit pour la messe dominicale, qui vous rend visite à domicile, et qui vous apporte les secours dont vous avez besoin. Heureusement que là aussi, l'Esprit agit. Mais chez ceux qui ont essayé de vivre ce projet de communion en a senti que la fraternité chrétienne n’était pas un vain mot. La parole de Dieu a été au centre des résolutions et des initiatives. Les écoles ont fonctionné avec une équipe de chrétiens consciente du message à transmettre, au-delà des résultats aux examens. Les dispensaires n'ont pas certes pas commencé les soins par la lecture de la parole de Dieu, mais les Soeurs infirmières surtout ont réussi à dissuader plusieurs de ceux qui mettaient toute leur confiance dans les marabouts et les fétiches. Pour ce qui est du développement, les fruits de la terre et du travail des hommes sont apparus comme des dons de Dieu Créateur qui a fait l’homme pour dominer la nature. Les mouvements d'Action catholique et le scoutisme n'ont exclu personne pour son appartenance religieuse ; au contraire, ils se sont ouverts à tous en respectant la conscience et les convictions de chacun. Pierre a semé, Paul à arrosé, Jean a émondé, mais c'est le Père qui a fait mûrir la moisson.