Vie chretienne
Actualité

2003-2004, année Madeleine Delbrêl

Jacqueline Tirard

L’association des amis de Madeleine Delbrêl, forte de 500 membres, nous propose une année "Madeleine Delbrêl" d’octobre 2003, centenaire de sa naissance, à octobre 2004, 60ème anniversaire de sa mort. Cette année sera marquée par un certain nombre d’événements plus ou moins importants en France, en Italie et en Allemagne car Madeleine est connue et admirée au-delà de son pays natal. Sa cause en béatification a même été introduite en 1993 par l’évêque de Créteil. Jacqueline Tirard nous fait participer à cette année Madeleine Delbrêl
L’année Madeleine Delbrêl avait pour but de la faire mieux connaître et d’informer de quelques événements plus importants qui en ont marqué la célébration.
Un spectacle grand public a été créé et présenté à la Médiathèque d’Ivry en janvier; il est maintenant itinérant, ce sont les " Méditations poétiques ". Un livre du Centenaire "Madeleine connue et inconnue" est paru en mars ainsi qu’une nouvelle édition de "Madeleine Delbrêl , rues des villes, chemins de Dieu".
Plusieurs Colloques Universitaires auront lieu en France, en Italie et en Allemagne mais aussi, bien sûr, de nombreux micro-événements. Enfin un site Internet est également accessible à ceux qui le souhaitent: www.madeleine-delbrel.net.
De Madeleine, nous connaissons sans doute le livre: "Nous autres gens des rues", paru deux ans après sa mort. Nous savons aussi qu’elle était assistante sociale à Ivry, ville marxiste de la banlieue parisienne. Nous connaissons peut-être moins son itinéraire.

J’étais strictement athée
Madeleine est donc née en 1904 à Mussidan en Dordogne. Sa maman est de milieu bourgeois, son père d’origine ouvrière mais autodidacte cultivé fait une belle carrière aux Chemins de Fer. Le couple était mal assorti et sa désunion sera toujours une souffrance pour Madeleine. Fille unique, elle est élevée chrétiennement par tradition. Quand sa famille arrive à Paris elle a 13 ans, elle dira plus tard: "Dés mon arrivée à Paris vers treize ans, l’intelligence avec un grand "I" eut la première place dans mon échelle de valeurs… A quinze ans, j’étais strictement athée et je trouvais chaque jour le monde plus absurde".
Elle fréquente alors des cercles littéraires agnostiques, la Sorbonne et des ateliers d’artistes. Son intelligence est vive, elle est musicienne, dessine et écrit des poèmes. "Depuis que j’avais l’âge de raison, mes parents m’avaient destinée à être pianiste" dira-t-elle lors de sa dernière conférence à Ivry en 1964. Cependant elle aime la vie et est entourée d’amis. Parmi eux, un garçon brillant dont elle est amoureuse mais qui la quitte brutalement et entre chez les dominicains. Elle en est meurtrie et tombe malade; à peu prés au même moment son père devient aveugle.

Eblouie par Dieu.
Madeleine qui disait à l’âge de 17 ans : "Dieu est mort, vive la mort", rencontre de jeunes chrétiens et commence à penser que Dieu n’est peut être pas impossible. Elle se met à prier et en 1964 à l’âge de 20ans, c’est la conversion. Elle est "éblouie" par Dieu et cet éblouissement ne la quittera plus. Pendant plusieurs années, elle cherche sa route. Elle pense à entrer au Carmel. Une certitude absolue l’habite : faire connaître et aimer ce Dieu que l’a éblouie. Au hasard de la paroisse et du scoutisme elle rencontre l’abbé Lorenzo qui lui fait découvrir la radicalité de l’Evangile.
Avec quelques compagnes issues comme elle du scoutisme, elle se prépare à une tout autre orientation de vie :"une vie au coude à coude avec les pauvres et les incroyants". Elle suit alors une formation d’assistante sociale. Et en 1933 c’est l’installation de la petite fraternité dans un Centre Social Paroissial à Ivry.

Au milieu des incroyants.
Madeleine découvre la réalité communiste et noue des amitiés avec les militants qu’elle admire pour leur dévouement. En 1939 le maire lui confie le service social du canton où on l’appréciera pour son sens de l’organisation, son efficacité et sa présence aux personnes.
Le nombre de ses compagnes a augmenté, elles sont maintenant 15 au 11 rue Raspail à Ivry mais aussi à Longwy, Abidjan et Tizi-Ouzou. Le 11 de la rue Raspail est devenu lieu de fraternité pour un foule de gens de toutes sortes. Madeleine se consacre à l’équipe de ses compagnes et se démène pour tous. Elle crée une coopérative de production ouvrière, combat pour la justice et le respect de l’homme autant que pour faire connaître Dieu. Elle est aussi mêlée étroitement aux débats de l’Église, participe à l’orientation du séminaire de la Mission de France et est en relation avec le Père Jacques Loew.
Elle est sollicitée pour des conférences, voyages et conseils. Sa collaboration avec Monseigneur Veuillot aboutit à la publication en 1957 du livre "Ville marxiste, terre de mission".
D’une santé toujours fragile, affectée par la mort de ses parents, Madeleine doit souvent s’arrêter malgré son grand courage. Ses compagnes la trouvent sans vie à sa table de travail le 13 octobre 1964.

Quel est son secret ?
L’histoire de Madeleine a pu nous toucher. Certains moments de sa vie ont pu rejoindre la nôtre : sa période d’athéisme, ses fiançailles rompues, sa conversion, son changement d’orientation professionnelle, sa décision de quitter son milieu bourgeois pour vivre en petite communauté fraternelle dans une ville marxiste de la banlieue parisienne. Au delà de nos premières impressions, il est bon d’entendre le message qu’elle laisse à l’Église et donc à chacun de nous : celui d’une foi engagée dans la vie ordinaire.
Ce message pourrait-il aider d’autres croyants autour de nous? Pourrait-il provoquer des incroyants dans leur recherche de sens ? Les amis de Dieu se laissent conduire par son Esprit; ils n’écrivent pas de théories. Après leur mort c’est à travers leurs lettres, leurs notes et autres écrits de circonstance que nous pouvons saisir le secret qui les a fait vivre. Le cardinal Veuillot qui l’a bien connue disait d’elle :"Le secret de la vie de Madeleine, c’est une union à Jésus Christ telle qu’elle lui permettait toutes les audaces et toutes les libertés. C’est pourquoi sa charité sut se faire concrète et efficace pour tous les hommes".
Madeleine ne voulait vivre que de l’Evangile. "L’Evangile est le livre de la vie du Seigneur. Il est fait pour devenir le livre de notre vie". Et dans l’Evangile c’est le mystère de l’Incarnation qui est central pour elle. Jésus est l’incarnation de l’amour du Père pour l’humanité. Ce mystère de l’Incarnation se continue aujourd’hui en nous les croyants. Ecoutons Madeleine dans une de ses méditations poétiques intitulée " Le Nouveau Jour " : "Un jour de plus commence. Jésus en moi veut le vivre. Il ne s’est pas enfermé. Il a marché parmi les hommes. Avec moi il est parmi les hommes d’aujourd’hui. Il va rencontrer chacun de ceux qui entreront dans la maison, chacun de ceux que je croiserai dans la rue".
Madeleine ne prétendait pas innover en matière de spiritualité. Tous les saints ont désiré vivre unis à Dieu. Son originalité est d’avoir vécu cette union à Dieu en milieu marxiste qu’elle décrivait elle même comme dangereux : "C’est si grave et dangereux d’être avec le Christ au milieu d’eux". Elle ne se plaignait pas de cette situation, au contraire l’athéisme qui l’entourait a stimulé sa Foi et éveillé en elle un sens aigu de la mission.

L’Evangile tout simplement.

Cette situation d’incroyance dans la ville d’Ivry s’est maintenant étendue en France, elle est souvent la nôtre. Madeleine nous apprend non seulement à ne pas nous en plaindre mais à comprendre que nous, chrétiens, ne pouvons pas vivre en ghetto. Comme elle, nous pouvons vivre en plein monde si l’Evangile lu, partagé et prié en Église devient notre unique référence.

Pour conclure, écoutons Monseigneur Labille, évêque de Créteil, nous la présenter: "Par ses engagements sociaux à Ivry, son témoignage de vie évangélique en milieu défavorisé et déchristianisé et par l’ampleur de ses écrits aux accents pionniers, Madeleine Delbrêl, est une grande figure spirituelle pour notre temps.
Les Evêques de France l’ont récemment citée, avec Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, comme "balise" nous guidant au seuil du troisième millénaire. Son secret: avoir puisé dans l’Evangile, tout simplement sans commentaire surajouté, de quoi éclairer et fortifier notre foi en Dieu et en l’homme. Au travers de sa vie discrète avec des compagnes, elle a ouvert une voie de sainteté dans la vie ordinaire en plein cœur du monde, notre monde aimé de Dieu et qui le refuse souvent. Il nous semble que son message a une portée universelle".