Dialogues

JUIFS ET CHRETIENS EN DIALOGUE

P. Arsène Aubert, spiritain


Le conflit entre Israël et les Palestiniens met en danger la paix dans le monde. Attentats, mur de protection, (Jean-Paul II préférerait des ponts) ! Une Juive dit : Lisez la Bible et vous verrez que Gaza appartient au territoire d’Israël. Mgr Sabbah, Palestinien : " Si l’une des trois religions (juive, chrétienne, musulmane) réclamait aujourd’hui au nom de la religion, un droit politique sur la terre (promise à Abraham), les deux autres auraient le droit d’en faire autant, pour la même raison ". Donc un imbroglio politique et religieux complexe.
L’Église demande pardon ! La télévision a montré Pape Jean-Paul II déposant en 2000 dans le Mur des Lamentations à Jérusalem une demande de pardon pour les crimes commis contre les Juifs, la télévision israélienne en a retransmis l’image pendant plusieurs semaines. En plusieurs pays, les évêques ont demandé pardon pour l’attitude de l’Église envers les Juifs pendant la persécution nazie, ainsi en France à Drancy. Que penser de ces " actes de repentance " ?
Le dialogue officiel entre l’Église et le Judaïsme est né après la persécution des Juifs par les Nazis pendant la seconde guerre mondiale. Dialogue difficile, parfois ignoré ou mal compris, mais nécessaire pour des raisons politiques (la paix dans le monde) et religieuses (le mystère et l’identité de l’Église). Ce dialogue, pour le chrétien, a valeur spirituelle car il marque sa relation vivante à Dieu.

1. L’Église est née dans le judaïsme, puis s’en était séparée
L’Église est née dans le judaïsme.
Comme Jésus, les premiers chrétiens sont juifs et ne veulent pas quitter le judaïsme ; ils fréquentent le Temple et les Synagogues et observent la Loi. La foi de l’Église primitive est juive et chrétienne : pour Marie le Seigneur relève Israël son serviteur, se souvient de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et de sa race à jamais (Lc 1,54s) ; Zacharie bénit le Dieu d’Israël qui visite et rachète son peuple, mémoire de son alliance sainte, serment juré à notre père Abraham (Lc 1,67ss) ; Syméon bénit Dieu pour Jésus lumière des nations et gloire d’Israël ton peuple (Lc 2,29s).
Saint Paul annonce, d’abord aux Juifs réunis à la synagogue le jour du sabbat puis après aux non Juifs, Jésus messie, mort pour nous selon les Écritures, ressuscité selon les Écritures. Ses conflits avec des Juifs, comme ce fut le cas pour Jésus, sont des conflits entre Juifs sur l’interprétation des Écritures juives (Loi de Moïse). La Synagogue et l’Église divergent sur Jésus, non sur son identité juive, mais sur sa personnalité hors du commun que les chrétiens placent à la droite de Dieu qui l’a glorifié et établi Messie et Seigneur. Par le baptême " au nom de Jésus ", et non par la circoncision, des Païens participent aux promesses faites à Abraham, sans être soumis à la Loi. La foi au Dieu d’Abraham unit Juifs et Chrétiens, la foi des chrétiens en Jésus les divise. C’est pour Paul une grande tristesse et une douleur incessante (Rom 9,2), un mystère : l’endurcissement actuel d’une partie d’Israël durera jusqu’à l’entrée de l’ensemble des païens ; c’est ainsi qu’Israël tout entier sera sauvé… L’annonce de l’Évangile en a fait des ennemis de Dieu, et c’est à cause de vous ; mais le choix de Dieu en a fait des bien-aimés, et c’est à cause de leurs pères. Les dons de Dieu et son appel sont irrévocables (Rom 11,25-29).
La rupture entre Église et Synagogue suit la destruction du Temple (70). Les autorités juives refusent aux Juifs chrétiens l’accès aux synagogues et les maudissent. L’Église marque ses distances avec le judaïsme, choisit pour Pâques une autre date que celle des Juifs, passe du sabbat (jour de repos pour les Juifs) au dimanche (résurrection du Christ). L’Église voit les Juifs comme un danger, c’est une longue et triste histoire qu’un Juif français, J. Isaac (sa femme, ses deux filles et son gendre sont morts dans les camps d’extermination) résume dans un livre classique : L’enseignement du mépris (1962) ! On parlait de peuple déicide, sur qui pèse la malédiction pour avoir rejeté Jésus, cite le mot de St Augustin : ils sont témoins de la justice divine (punis pour avoir crucifié Jésus) comme les chrétiens sont témoins de la miséricorde de Dieu. Souvent ils sont enfermés dans des ghettos, privés de droits civiques ou bannis, on tente des conversions forcées et brûle ceux qui refusent, on détruit les maisons dont la cheminée ne fume pas le jour du sabbat. Rois et évêques, soit recourent à eux pour les transactions financières, soit les emprisonnent et volent leurs biens. La Révolution Française vote leur émancipation, le titre du livre de l’abbé Grégoire, leur avocat, en dit l’intention : Régénération politique, physique et morale du peuple juif (1787) et le décret de Napoléon en 1807 sur le statut des Juifs est appelé par eux le décret infâme. L’affaire Dreyfus (1894-1899) en France est l’occasion d’un antijudaïsme inouï, représenté par le journal La Croix à Paris ou La Civiltà Cattolica à Rome qui depuis ont fait amende honorable : Le peuple juif est déchu depuis le jour du déicide et de la malédiction… On doit certes beaucoup de charité aux Juifs, et les papes en ont donné l’exemple, mais les admettre dans la société chrétienne, c’est déclarer que le déicide dont ils portent la malédiction perpétuelle ne touche plus notre génération. Pie X répond au fondateur du sionisme, Theodor Herzl, le 25 janvier 1904: Les juifs n'ont pas reconnu Notre Seigneur, c'est pourquoi nous ne pouvons pas reconnaître le peuple juif (J. Dujardin p.224).

2. Le choc de la Shoah
Hitler voulait exterminer les Juifs, six millions de morts dont un million d’enfants ; ce fut une entreprise systématique et scientifique, bénéficiant de complicités étendues (participation, recherche de profit, silence quasi général).
Hitler dit avec cynisme à des évêques allemands en 1933 : Depuis mille cinq cents ans l’Église catholique a considéré les Juifs comme des êtres nuisibles et les a relégués dans le Ghetto, car on savait ce que valent les Juifs, [...] je reprends ce que l’on a fait pendant mille cinq cents ans et peut-être est-ce que je rends ainsi au christianisme le plus grand des services.
Le 30 janvier 1939, Hitler menace devant le Reichstag d’exterminer les Juifs : Aujourd'hui, je serai encore un prophète : si la finance juive internationale en Europe et hors d'Europe devait parvenir encore une fois à précipiter les peuples dans une guerre mondiale, alors le résultat ne serait pas la Bolchevisation du monde, donc la victoire de la juiverie, au contraire, ce serait l'anéantissement de la race juive en Europe. Pour Hitler l’Allemagne a perdu la guerre 1914-1918, qu’elle espérait gagner, à cause d’un prétendu complot juif entraînant l’entrée en guerre des États-Unis et la victoire du communisme à Moscou. Quand en 1941, l’armée allemande piétine devant Moscou (qui d’allié est devenu ennemi) et que, après Pearl Harbour, les États-Unis déclarent la guerre, Hitler décide en secret, avec des généraux et des chefs d’entreprise, la déportation massive des Juifs en Pologne (Auschwitz) en vue de les exterminer hors d’Allemagne. En janvier 1942, à Wannsee, Reinhardt Heydrich et ses invités organisent cette "solution finale", expression qui figure en toutes lettres dans le procès-verbal rédigé par un certain Adolf Eichmann !
L'impossible fut tenté pour occulter les faits (Saul Friedländer, juif). Cependant l’information fut connue. G. Riegner, cofondateur du Congrès juif mondial à Genève, envoya aux Alliés en juillet 1942 un télégramme pour annoncer que la décision de mettre en œuvre la solution finale avait été prise. Le télégramme arrive au département d'État américain et fait l'objet d'une large diffusion en Europe. En Grande-Bretagne, l'annonce de l'extermination est évoquée à la Chambre des communes. Mais les Alliés restent inactifs et n'ont qu'une réponse : il faut d'abord gagner la guerre (Libération, 10/11/1998). Tous aveugles, conclut un historien !
Le Pape Pie XII fut informé. Il en parle à son Radio Message de Noël 1942 : Ce vœu [de justice et de paix], l’humanité le doit aux centaines de milliers de personnes qui, sans aucune faute de leur part, et parfois par le seul fait de leur nationalité ou de leur origine, ont été vouées à la mort ou à une extermination progressive. Le pape a parlé, mais d’une manière trop générale et sans désigner nommément ni les bourreaux ni les victimes. Pie XII préférait la voie diplomatique aux déclarations publiques, craignait le communisme plus que le nazisme. Le Vatican aida des Juifs à fuir et des autorités juives l’ont remercié. Mais le silence de Pie XII pèse encore lourd dans les débats.
Les Évêques des pays d’Europe de l’Ouest ont reconnu publiquement que, sauf réactions individuelles courageuses pour protéger les Juifs voués à la mort, la majorité des représentants de l’Église s’abstint d’intervenir, a laissé faire et a failli à sa mission. Plus tard, ils en chercheront les motifs et en demanderont pardon.
Après la guerre, ce réseau de complicités actives ou passives, (politiques, économiques et religieuses) a suscité une sorte de " mauvaise conscience " dans l’Occident dit chrétien. Plusieurs points étaient presque tabous et on en parlait peu. Puis des intellectuels (Maritain, Mauriac, Camus), des historiens (Poliakov, Le bréviaire de la haine) et des théologiens ont parlé, des rescapés des camps de la mort ont dit leur immense souffrance (Primo Lévi, Si c’est un homme. Elie Wiesel, La nuit). Théâtre et cinéma ont contribué à remettre le débat sur la scène publique, parfois brutalement et sans l’objectivité requise.

3. Lien spirituel et vital avec le judaïsme.
En 1965 le Concile de Vatican II publie un texte capital sur la religion juive : Scrutant le mystère de Église, le Concile rappelle le lien qui unit spirituellement le peuple du Nouveau Testament avec la lignée d'Abraham. Du fait d'un si grand patrimoine spirituel, commun aux chrétiens et aux Juifs, le Concile veut encourager et recommander entre eux la connaissance et l'estime mutuelles, qui naîtront surtout d'études bibliques et théologiques, ainsi que d'un dialogue fraternel. Encore que des autorités juives, avec leurs partisans, aient poussé à la mort du Christ, ce qui a été commis durant sa Passion ne peut être imputé ni indistinctement à tous les Juifs vivant alors, ni aux Juifs de notre temps.
Cette déclaration ne s’appuie sur aucun texte de papes ou de conciles antérieurs. Elle représente l’attitude nouvelle de l’Église envers le judaïsme. Soulignons trois expressions : en scrutant son mystère l’Église se souvient de son lien spirituel avec les Juifs, elle recommande la connaissance et l’estime mutuelles, elle refuse d’imputer aux Juifs de tous les temps la mort de Jésus. Sans la Shoah qui n’est pas nommée, cette déclaration contre l’antijudaïsme chrétien séculaire n’aurait pas existé. Le lien spirituel et vital qui unit Église et Judaïsme fait partie de l’identité de l’Église et de son mystère. Présenter l’Église sans ce lien identitaire, c’est la mutiler. " La lignée d’Abraham " désigne la descendance d’Abraham jusqu’à aujourd’hui !

En visite à la grande synagogue de Rome, 13 avril 1986, Jean Paul II déclare : La religion juive ne nous est pas "extrinsèque" mais, en un certain sens elle est "intrinsèque" à notre religion. Nous avons donc à son égard des rapports que nous n’avons avec aucune autre religion. Vous êtes nos frères préférés et, dans un certain sens, on pourrait dire nos frères aînés.
Le 16 avril 1973 la Conférence épiscopale française publie des " Orientations pastorales " qui développent la déclaration de Vatican II : Le Judaïsme doit être regardé par les Chrétiens comme une réalité non seulement sociale et historique, mais surtout religieuse; non pas comme la relique d'un passé vénérable et révolu mais comme une réalité vivante à travers le temps… Le peuple juif n’a pas été dépouillé de son élection... Il est faux d'opposer Judaïsme et Christianisme comme religion de crainte et religion d'amour… Le sens de la transcendance et de la fidélité de Dieu, de sa justice, de sa miséricorde, de la repentance et du pardon des offenses, sont des traits fondamentaux de la tradition juive. Les Chrétiens qui revendiquent les mêmes valeurs auraient tort de croire qu'ils n'ont plus rien à recevoir aujourd'hui même de la spiritualité juive... On s'efforcera de présenter la vocation particulière de ce peuple comme la " Sanctification du Nom "... Cette vocation fait de la vie et de la prière du peuple juif une bénédiction pour toutes les nations de la terre.
Contre de fréquents préjugés, ces orientations affirment que le judaïsme est surtout une réalité religieuse, qu’il reste " le peuple choisi par Dieu " avec la mission de sanctifier le Nom de Dieu au milieu des nations. C’est une religion d’amour et non de crainte. Il invite à mieux connaître le judaïsme vécu aujourd’hui, pas seulement tel qu’il vivait au temps de l’Ancien Testament.

4. L’Église demande pardon
De 1996 à 2000 plusieurs Conférences Épiscopales demandent pardon pour leur attitude envers les Juifs pendant la guerre. Ainsi les évêques de France reconnaissent que, au temps de l'Occupation, on ignorait encore la véritable dimension du génocide hitlérien…
Pendant des siècles, a prévalu dans le peuple chrétien, jusqu’au Concile Vatican II, une tradition d’antijudaïsme marquant à des niveaux divers la doctrine et l’enseignement chrétiens, la théologie et l’apologétique, la prédication et la liturgie. Sur ce terreau a fleuri la plante vénéneuse de la haine des juifs.
Dans la mesure où les pasteurs et les responsables de l’Église ont si longtemps laissé se développer l’enseignement du mépris et entretenu dans les communautés chrétiennes un fonds commun de culture religieuse qui a marqué durablement les mentalités en les déformant, ils portent une grave responsabilité...
Dès lors, les consciences se trouvaient souvent endormies et leur capacité de résistance amoindrie quand a surgi, avec toute sa violence criminelle, l’antisémitisme national-socialiste, forme diabolique et paroxysmale de haine des juifs, fondée sur les catégories de la race et du sang et visant ouvertement l’élimination physique du peuple juif...
Chaque Conférence adapte sa demande de pardon à son pays. Des éléments se retrouvent à peu près dans toutes les déclarations. D’abord l’Église n’a pas assez fait pour protéger les Juifs persécutés par le nazisme qui s’est servi de l’antijudaïsme pour endormir les consciences. Puis ce " laisser faire " vient de l’antijudaïsme chrétien séculaire, présentant les Juifs comme le peuple déicide, puni et dispersé parmi les nations pour avoir refusé le Christ, vivant une religion de rites extérieurs. Enfin elle conteste un supposé général : Quand Jésus meurt sur la croix, le voile du Temple se déchire, son culte et sa religion sont abolis et sans valeur devant Dieu ; désormais c’est l’Église qui est " le peuple de Dieu, le peuple de l’Alliance " ; c’est ce qu’on appelait la théologie de la substitution : l’Église substituée à Israël dans le projet de Dieu sur le monde. L’enseignement du mépris des Juifs a marqué les mentalités en les déformant et l’Église reconnaît sa responsabilité.

5. Oui, mais un peu tard et insuffisant
Ces demandes de pardon ont été assez largement bien accueillies. Lors de la Déclaration des Évêques de France, le Président du C.R.I.F déclarait : Votre demande de pardon si intense, si forte, si poignante, ne pourra qu’être entendue par les victimes survivantes et par leurs enfants… Elle laisse espérer un dialogue plus fraternel, une reconnaissance pleine et entière de la légitimité de la foi de l’Autre. Tout en restant chacun fidèle à ses propres croyances, à ses propres traditions, respectons-nous, respectons les autres, ouvrons nous au pluralisme dans la plus grande tolérance.
Les critiques sont venues de divers côtés. Pourquoi demander pardon pour des fautes que nous n’avons pas commises puisque nous n’étions pas nés. C’est oublier que nous sommes membres d’un corps qui a son histoire et sa responsabilité ; de plus, nous ne jugeons pas les consciences de ceux qui nous ont précédés. D’autres reprochent à ces démarches d’être un moyen de se donner bonne conscience sans rien réparer. Mais justement la réparation tentée par les évêques, c’est d’une part de changer la présentation du judaïsme dans la catéchèse et la liturgie et d’autre part de favoriser les rencontres entre Juifs et Chrétiens pour se mieux connaître et respecter. Beaucoup de Juifs voient dans ces déclarations le signe positif d’un changement de l’Église à leur égard, mais pour plusieurs elles viennent trop tard (40 ans après les événements) et sont incomplètes n’osant pas aborder clairement le droit des Juifs à revenir sur la Terre promise à Abraham.
Le Vatican a fait rechercher et publier les documents du Vatican couvrant la période de la Guerre. Douze volumes furent publiés. Mais les historiens attendent l’accès direct aux Archives du Vatican afin d’expliquer le silence de Pie XII sur le génocide juif. Sur ce point aussi, une déception demeure. La même déception s’est manifestée lorsque le Vatican a publié une encyclique sous le titre " Nous nous souvenons " jugée trop discrète sur le silence de Pie XII et la responsabilité d’autres représentants de l’Église.

6. Et aujourd’hui ?
Près de 200 responsables juifs (en majorité américains) ont signé une " déclaration juive sur les chrétiens et le christianisme " (Documentation Catholique N° 2237, 3/12/2000) Voici les sous-titres : 1.Juifs et chrétiens adorent le même Dieu. 2.Juifs et chrétiens s’en remettent à l’autorité du même livre, la Bible. 3.Les chrétiens peuvent respecter le droit des juifs à la terre d’Israël. 4.Juifs et chrétiens acceptent les principes moraux de la Torah. 5.Le nazisme n’a pas été un phénomène chrétien. 6.Le différend humainement irréconciliable entre juifs et chrétiens ne se règlera pas tant que Dieu n’aura pas racheté le monde entier selon la promesse des Écritures. 7.Une nouvelle relation entre juifs et chrétiens n’affaiblira pas la pratique juive. 8.Juifs et chrétiens doivent travailler ensemble pour la justice et la paix.
Le 23 mars 2000, Rabbin Eric Yoffie, président de l'Union des communautés juives américaines, déclare : Jacob et Ésaü étaient des frères qui, très jeunes, furent emportés par la haine. Jacob s'enfuit et ils ne se revirent que 22 ans plus tard. Jacob craignait pour sa vie, mais ses craintes s'avérèrent sans fondement. Ésaü courut à sa rencontre. Ils s'embrassèrent en pleurant. Chacun se déclara content de ce qu'il avait. Ils cessèrent de jalouser ce que l'autre avait reçu. Le frère Jacob devint Israël et la tradition juive a rattaché Ésaü à Rome. La note de réconciliation dans le récit biblique décrit parfaitement la relation entre Israël et Rome, c'est-à-dire entre le peuple juif et l'Église catholique. Je le répète, notre travail n'est pas fini. Mais nous sommes à coup sûr à l'un de ces rares moments de grâce où juifs et catholiques peuvent, pour l'essentiel, accepter leurs différences et enrichir mutuellement leurs vies. L'histoire d'Ésaü et de Jacob débute dans le conflit et s'achève dans la paix. Partis en rivaux, ils finissent, simplement, en frères.

Les voies du dialogue entre Juifs et Chrétiens sont diverses
Il ne s’agit pas d’une belle route sur terrain plat, mais de chemins rocailleux, sinueux, semés d’obstacles. Mais ce dialogue délicat est nécessaire pour la paix et très enrichissant pour la foi.
Ce dialogue grandit la foi au Christ qui surpasse toute connaissance. Chercher à redécouvrir le lien spirituel qui unit l’Église au judaïsme, à croire que Dieu maintient son Alliance avec son peuple Juif et qu’il continue à lui confier de " sanctifier son Nom " au milieu des nations. Cette recherche ne peut qu’approfondir notre foi et notre prière. " Il est grand le mystère de la foi " et nous ne pouvons pas séparer la Passion du Christ de celle des membres de son Corps Mystique (chrétiens martyrs), ni de celle des membres de son Corps historique (ses frères Juifs à travers les siècles), ni celle des membres de l’humanité (toutes les victimes de l’injustice) avec laquelle Il s’est uni par son Incarnation et son Mystère Pascal.
Ce dialogue, parce que difficile et délicat, apprend à mieux respecter l’autre tel qu’il se définit lui-même et pas tel que nous le pensons. Par exemple, dire que le judaïsme est le peuple de l’Ancien Testament, c’est trop insuffisant, car même après la Pentecôte le judaïsme a continué d’être vivant et de se développer, il place sur le même plan la Bible et le Talmud (vaste collection des Maîtres juifs pendant plusieurs siècles après la ruine de Jérusalem). Le Juif se définit par l’élection divine, l’alliance et la Loi, et aussi par la promesse de la Terre, et nous ignorons comment concilier ce retour à la terre promise en respectant les droits des Palestiniens qui l’habitent aussi depuis des siècles.
Ne pas mettre trop de conditions au dialogue et accepter de ne pas arriver à un accord sur tous les points. Rabbin Eric Yoffy a une bonne expérience du dialogue et ses remarques sont judicieuses : Notre point de départ doit être que nos deux communautés religieuses reconnaissent purement et simplement que nous avons bien peu de possibilités d’arriver à un accord sur nombre de questions difficiles, historiques et religieuses, en rapport avec la Shoah. Quand il n’y a aucune chance qu’on puisse me convaincre, vous devez cesser à un certain moment de tenter de me convaincre. Et vice versa. Cela ne veut pas dire que nos conversations doivent cesser, mais cela veut certes dire que nous devons avoir des attentes modestes et réalistes concernant le point où ces conversations peuvent nous mener.