Chemins de vie

DIVERSES FORMES DE PRIÈRE

Christian de Mare, Spiritain

Le P. Christian de Mare est membre du Comité de rédaction de la Revue Esprit Saint. Il est supérieur de la communauté spiritaine de la rue Lhomond à Paris après des années consacrées à la formation des jeunes spiritains.
Autant de personnes, autant de manières de prier ! Chacun de nous prie à sa façon, la prière étant le reflet de son histoire personnelle et de sa personnalité. Il n’y a donc pas de prières identiques. Pour nous en persuader, il existe de nombreux livres et de bonnes revues pour nous offrir des textes divers de prières ; des amis même nous les recommandent. Mais lorsque nous les ouvrons, les textes qui nous sont proposés peuvent bien nous laisser sur notre faim. Même les prières qui sont présentées comme le testament spirituel de tel ou tel grand mystique ne nous inspirent pas nécessairement.
Pourtant, malgré que la prière porte toujours le caractère de la personne en qui elle germe, on peut en repérer différentes formes ; elles se retrouvent tout au long de l’histoire de la spiritualité.
Diverse dans son expression, la prière est une avant tout dans son fond ; elle suppose une attitude spirituelle qui doit se retrouver dans toutes les expressions et toutes les formes diverses qu’elle prend ; cette orientation, au moins implicite, nous la voyons exprimée très bien dans la prière de St Augustin à l’Esprit Saint :
Respire en moi, Saint-Esprit, afin que je pense ce qui est saint.
Agis en moi, Saint-Esprit, afin que je fasse ce qui est saint.
Attire-moi, Saint-Esprit, afin que j’aime ce qui est saint.
Affermis-moi, Saint-Esprit, afin que je garde ce qui est saint.
Garde-moi, Saint-Esprit, afin que je ne perde jamais ce qui est saint.
Ce qui est saint, c’est ce qui vient de la vie de Jésus en nous ; et l’Esprit Saint engendre constamment en nous la vie de Jésus. La prière nous rend disponibles à cet engendrement de la vie de Jésus, de sa propre prière en nous.
La sainteté est la vie, mais la vie de Dieu en notre Seigneur Jésus-Christ, et par notre Seigneur Jésus-Christ en nous: ‘En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes’. L'homme a, lui aussi, sa vie, mais cette vie est ténèbres, lorsqu'elle est séparée de la vie de Dieu en notre Seigneur Jésus-Christ : ‘Et la lumière luit dans les ténèbres’. Quand elle a cette vie divine en elle, elle est illuminée, et cette lumière est la sainteté de Jésus-Christ qui la sanctifie et la vivifie en Dieu son Père.
Voilà donc notre point de départ : on ne peut appeler ‘prière’ que l’attitude de notre cœur qui s’ouvre à l’Esprit Saint pour qu’Il nous revête de la vie même de Jésus. Et pour qu’elle se consolide, il faut que la prière se poursuive régulièrement :
Les soucis étrangers et les affaires affaiblissent jusqu’au désir de prier ; c’est pourquoi, à heure fixe, nous les écartons pour ramener notre esprit à l’affaire de l’oraison… Il n’est pas défendu ni inutile de prier longtemps, lorsqu’on en a le loisir, c’est-à-dire lorsque cela n’empêche pas d’autres occupations bonnes et nécessaires, bien que, en accomplissant celles-ci, on doive toujours prier, comme je l’ai dit, par le désir. Car si l’on prie un peu longtemps, ce n’est pas, comme certains le pensent, une prière de bavardage. Parler abondamment est une chose, aimer longuement en est une autre (St Augustin, Lettre à Proba sur la prière).
Diverses sont les formes de prière, mais elles jaillissent toujours de la même source : aimer Jésus et se laisser à l’Esprit pour qu’il nous en fasse vivre. Toute prière est donc ‘personnelle’. Mais tâchons de regarder les diverses formes qu’elle pourrait prendre.
La prière que nous vivons seul ou en la partageant en petit groupe, dans un espace silencieux et à l’écart des autres occupations quotidiennes. Le propre de cette prière est que l’Esprit Saint la fait naître en chacun de nous lorsque nous mettons en pratique le conseil de Jésus :
Pour toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte, et prie ton Père qui est là, dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret, te le rendra. (Mt 6,8)
Cette forme de prière, la plus répandue sans doute, à laquelle on attribue souvent le qualificatif de ‘personnelle’ - les autres sont-elles moins personnelles ? - a souvent besoin d’un soutien pour pouvoir se maintenir dans la durée, par ex. la lecture d’un passage d’Evangile, une formule biblique ou non, etc. La prière du chapelet entre dans cette forme de prière, que nous l’égrenions seul ou avec d’autres, en méditant les mystères de notre salut en présence de Marie. Pour toutes ces prières de dévotion, l’essentiel réside dans la disponibilité à l’Esprit pendant un temps prolongé, plusieurs minutes en tout cas.
Ce que nous appelons habituellement ‘oraison, ou ‘méditation’ : c’est une forme de prière à laquelle on se livre seul, même si plusieurs s’y adonnent dans le même lieu ; elle a en propre que l’attention demeure fixée, autant que possible, pendant un temps assez long - une demi-heure par exemple. Elle fait l’objet de nombreuses sessions et de nombreux ouvrages ; qu’on pense, par exemple, aux Écoles de Prière, celle du P. Caffarel en particulier.
La méditation, seul ou à plusieurs, signifie que l’on réfléchit sur un texte afin de s’en pénétrer ; l’oraison est une forme de prière plus simple : elle consiste essentiellement à être présent au Seigneur pour lui être tout donné, et ceci pendant un temps prolongé, par exemple :
Tenez-vous devant Jésus comme un pauvre misérable enfant devant son père; pas davantage. Ne cherchez pas avec effort à lui exprimer les sentiments que vous avez ou que vous voudriez avoir ; ne lui exposez pas vos besoins avec effort; tenez votre âme devant lui dans toute sa pauvreté et sa bassesse. Regardez-vous devant lui comme une chose lui appartenant, qui est là en sa présence pour qu'il en fasse et en dispose selon toute l'étendue de sa divine volonté.
Toute simple qu’elle est, l’oraison suppose que notre foi soit bien éveillée pour nous tenir ainsi devant le Seigneur, parfois dans la grande joie de ressentir sa présence, mais le plus souvent avec peu d’écho dans les sentiments. La méditation est plus accessible dans les commencements, parce qu’elle fait appel à l’activité de l’esprit en quête de comprendre : et nous sommes habitués à ce travail mental ; au reste, il existe de bonnes méthodes, ou de bons conseils, pour favoriser la méditation. Pour l’oraison, par contre, elle n’est vraie que si nous en recevons la grâce à mesure que notre foi a plus d’influence sur notre vie quotidienne.
L’expérience de l’oraison que les moines ont acquise, donne à certains d’entre eux, en Orient surtout, d’enseigner une ‘technique’ particulière : prier calmement au rythme de la respiration, en disant - intérieurement - quelques mots très brefs sur le temps de l’aspiration (un désir du cœur) et sur celui de l’expiration (l’abandon de soi). La prière de Jésus peut se dire de cette manière : " Jésus Sauveur, prends pitié de moi ". Un très grand nombre de spirituels pratiquent cette prière tout simple, comme une litanie qui crée un espace d’union profonde à l’Esprit Saint.
La prière qui émaille nos occupations quotidiennes.
Ici, il ne saurait être question de se mettre " à l’écart dans un lieu désert " (Mc 6, 31) ; c’est dans le courant de nos activités, de nos relations, de notre réflexion que la prière jaillit sous forme de mouvements brefs de notre cœur, comme des éclairs du fond de notre foi. Souvent, nous userons de formules brèves dans lesquelles nous nous retrouvons bien ; ce sont des ‘mantras’ qui nous reviennent facilement à la pensée : Béni sois-tu, Jésus… Jésus, fils de David, prends pitié de moi… Seigneur, que je voie. Les évangiles nous rapportent beaucoup de ces cris aussi simples que sincères…Parfois, ces courtes phrases peuvent être chantées, comme on aime à le faire à Taizé, et nous aimons nous les chanter intérieurement ; elles nous aident à nous réorienter vers la disponibilité à l’Esprit Saint.
La prière liturgique, quant à elle, se déroule ordinairement de façon communautaire, parce que c’est justement la définition de la Liturgie : c’est la prière de l’Eglise que les communautés chrétiennes particulières offrent au nom de tous, des membres de ces communautés locale d’abord, mais aussi au nom de toute la communauté humaine. La prière liturgique est plus qu’une dévotion : c’est un ministère, c’est à dire un service confié par l’Eglise. Ainsi, lorsque nous célébrons un baptême, ou bien le sacrement de la réconciliation, ou encore celui des malades, nous célébrons la grâce du salut pour tous les hommes, et en particulier pour les bénéficiaires de ces sacrements. Prêtres, diacres et laïcs célèbrent ensemble Jésus Christ Sauveur dans un acte véritablement sacerdotal qui ressort du caractère baptismal et de l’ordination.
C’est (donc) à juste titre que la liturgie est considérée comme l’exercice de la fonction sacerdotale de Jésus-Christ, exercice dans lequel la sanctification de l’homme est signifiée par des signes sensibles et est réalisée d’une manière propre à chacun d’eux, dans lequel le culte public intégral est exercé par le Corps mystique de Jésus-Christ, c’est à dire par le Chef et par ses membres. (Vat.II, la Liturgie n°7)
L’Eucharistie est le sommet de toute activité liturgique, parce que tous, baptisés et ordonnés, nous offrons le sacrifice du corps livré pour tous et du sang répandu pour la multitude, et nous le ‘faisons ceci en mémoire’ de Lui. L’Eucharistie est le sacrement de la communion universelle en Jésus notre Sauveur.
C’est donc de la liturgie, et principalement de l’Eucharistie, comme d’une source, que la grâce découle en nous et qu’on obtient avec le maximum d’efficacité cette sanctification des hommes dans le Christ, et cette glorification de Dieu…(Vat.II. la Liturgie n° 10)
L’Office liturgique, Laudes et Vêpres principalement, nous donne d’accomplir la mission de louange, d’adoration, et de supplication du Seigneur, et d’intercession auprès de lui au nom de toute la famille que le Père se rassemble en Jésus Christ. Dans bon nombre de communautés paroissiales et religieuses, des fidèles se joignent à ces offices liturgiques pour mettre en œuvre la vocation sacerdotale qu’ils ont reçue par le baptême.
Il existe aussi une forme originale de prière donnant naissance à des démarches particulières, largement communautaires : ce sont les pèlerinages et les processions. Ces manières de prier associent l’activité corporelle, la marche particulièrement - et parfois exigeante - à l’action de grâces, la supplication et l’intercession ; outre les grands pèlerinages traditionnels, comme celui de St Jacques de Compostelle, il y en a bien d’autres plus à la portée de tous, celui de Chartres par exemple. D’autres types de marches se sont multipliés, comme les marches en haute montagne : elles offrent la parabole de la randonnée en altitude comme un cheminement spirituel, exigeant, mais inoubliable. Au reste, les ‘marcheurs’ ne visent pas toujours une expérience de prière. Ils peuvent simplement chercher une expérience spirituelle, celle des profondeurs humaines, ne se référant pas explicitement à un engagement de foi.
Mais redisons-le en terminant : si diverses que soient les formes et les tonalités que prend la prière, elle est toujours une attitude de disponibilité à ‘la grâce du moment’, celle que nous offre l’Esprit Saint, pour nous aider à prier comme Jésus lui-même.