Signes et témoins

L’ORAISON DANS MA VIE

Marie-José Béranger

dir> Madame Béranger est membre de la Fraternité des Veuves Notre-Dame de la Résurrection. En gardant la vie de famille, ces veuves consacrent leur veuvage à une fidélité plus radicale à Dieu, notamment par l’oraison, la messe quotidienne, la prière et l’action pour les foyers. La Fraternité les accompagne dans cet épanouissement de leur vie. Marie José Béranger nous parle ici de son expérience de prière.
L’oraison, que j’ai longtemps cru réservée aux religieux et aux moines, attire maintenant de nombreux chrétiens laïques qui désirent rencontrer Dieu quotidiennement de façon plus personnelle.
Mon initiation à la prière a commencé dès l’enfance, nourrie par des prières vocales et de très belles formules apprises par cœur. La prière en couple et en famille m’a ensuite préparée à une prière plus personnelle. Après le décès de mon mari (j’avais 44 ans), j’ai perçu un appel à ne pas me remarier et à vivre ma foi plus profondément. Très attirée par la spiritualité d’un groupe de veuves, la Fraternité Notre-Dame de la Résurrection, je m’y suis engagée en adhérant aux moyens proposés pour répondre à cette vocation. L’oraison quotidienne est un moyen privilégié qu’il est demandé de suivre fidèlement. J’ai donc commencé à faire oraison et j’ai eu la chance d’être guidée par une accompagnatrice dans la découverte progressive de l’oraison. Ses conseils m’ont aidée à vivre la dimension trinitaire de cette prière : l’Esprit-Saint prie en moi, le Fils me conduit et le Père façonne mon cœur et me convertit.
"L’Esprit Saint vient en aide à notre faiblesse,
car nous ne savons pas prier comme il faut."
(
Rm 8, 26).
Ce verset de Saint Paul m’est un grand réconfort. Le don de la prière est en moi, mis au plus profond du cœur par l’Esprit-Saint. Cette découverte m’a libérée de la peur de prendre le chemin de l’oraison. Elle m’a soutenue dans ma décision et mon engagement de faire oraison chaque jour. Je ne suis pas seule, l’Esprit que j’invoque vient à mon aide pour vivre cette rencontre avec Dieu présent en moi depuis le baptême. Ce n’est pas une technique à suivre, mais un rendez-vous d’amour à vivre avec Dieu dans l’intimité et la fidélité, comme toute relation d’amitié et d’amour.
Chaque matin, pendant une demi-heure, j’entre dans un silence intérieur qui m’ouvre à la Présence, à l’écoute et à l’attente, le cœur et l’esprit orientés vers le Seigneur. Ainsi entrée dans le calme, décentrée de mes activités, préoccupations et soucis, je m’efforce, malgré les distractions, de rester disponible à ce Dieu d’amour qui attend son enfant. Je converse avec Dieu comme on parle à un être cher, simplement dans la confiance et la vérité, malgré ma pauvreté, ma faiblesse. Ce temps offert au Père gratuitement, seul cadeau que je puisse lui faire, construit ma relation au Dieu invisible, mais dont la foi m’assure qu’il est présent.
L’oraison développe en moi le désir, la soif de Dieu qu’exprime le psaume 62: " Dieu, mon Dieu, je te cherche dès l’aube, mon âme a soif de toi ". Cette union d’être à être me conduit à le contempler et lui rendre grâce. En faisant ainsi au Seigneur l’offrande de ce que je suis et de ma vie, je m’ouvre à la lumière de Dieu.

" Jésus répond à Thomas :‘Personne ne va vers le Père sans passer par moi’. " (Jn 14, 6)
L’oraison ne consiste pas à faire le vide, comme certaine technique de méditation orientale, mais à faire le plein. Ce plein d’amour, je le trouve dans la Parole de Jésus, Parole vivante qui me révèle le Fils et me conduit au Père.
Très souvent je prends les textes de la liturgie du jour proposés par l’Église pour être unie à la prière de toute la grande communauté des chrétiens. J’en retiens une phrase, un mot ou une péricope biblique qui peuvent nourrir toute mon oraison. Par exemple la simple invocation de l'aveugle Bartimée, " Jésus, Fils de David, aie pitié de moi !" (Mc 10, 47). La méditation de la tempête apaisée peut éclairer la façon de vivre ou de calmer la peur. La contemplation de Jésus en croix m’assure que le Fils participe à la souffrance humaine.
Bien qu’il fut en communion permanente avec son Père, Jésus ne s’est pas dispensé de ces temps d’intimité avec lui. Il se retirait dans le silence, à l’écart des apôtres, afin de mieux s’ajuster à la volonté divine. L’oraison est pour moi aussi une union de volonté à volonté, où j’essaie de laisser le Père façonner mon être, ma liberté, mes relations :"Père, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux"  (Mc 14, 36).
Contempler le Christ et l’Amour dont il est témoin dans ses paroles et ses actes, touche le cœur et le transforme en cœur de chair. L’Écriture m’est donc un soutien indispensable pour l’oraison, mais je m’efforce de ne pas me laisser emporter dans une réflexion ou une étude cérébrale du texte. Cela semble intellectuellement séduisant, mais ce serait une fuite du cœur à cœur.

" Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis …afin que vous donniez du fruit " (Jn 15, 16)
La conversion du cœur est l’un des fruits de l’oraison. C’est là que j’ai appris à lâcher prise, à entrer dans une confiance totale en Dieu mon Père, qui est le Vivant et qui m’aime. Son commandement d’amour : " Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit " (Lc 10, 27) s’est gravé en moi et me comble de joie. Cette demi-heure donnée chaque jour à Dieu m’habite tout au long de la journée et je me surprends à prier au milieu de mes activités. J’appréhende autrement les évènements. Mon regard s’ouvre aux germes de vie, de paix et d’espérance qui croissent dans notre monde et mon cœur se laisse toucher par les personnes souffrantes et blessées. Ma vie s’unifie peu à peu et des moments de grande paix remplacent tensions et tiraillements. Les choix et les décisions portés dans la prière sont pris avec radicalité. Une prise de conscience de ma pauvreté, devenue plus évidente à la lumière du Seigneur, me rend plus docile, plus obéissante au vrai Maître de ma vie. Et je suis plus heureuse !

" Avance en eau profonde. " (Lc 5, 4)
Prendre le chemin de l’oraison est une très belle aventure qui débute dans l’enthousiasme et donne le goût de cette rencontre spirituelle régulière. Un jour pourtant ce temps de paix et d’intimité avec le Seigneur peut être perturbé par de durs combats : les distractions nombreuses, l’imagination débordante, l’aridité et la sécheresse apparente du dialogue, le sommeil, peuvent suggérer que l’on n’est plus tout à Dieu…et donner motif à déserter. Une invocation à l’Esprit-Saint ou la reprise orale de la Parole qui soutient mon oraison me remettent alors en contact avec Dieu. J’ai donné gratuitement ce temps à Dieu, je ne dois pas attendre d’éprouver des consolations, ni des sentiments de réussite. Je n’ai pas à porter un jugement sur la qualité de ma prière. Dans la foi, je crois que je suis attendue par le Seigneur et aimée telle que je suis. Désormais je ne me pose plus beaucoup la question : est-ce que je prie bien ? Mais plutôt :suis-je disponible, suis-je en vérité écoute de Dieu? Ces longues années d’oraison ont changé toute ma vie, me gardant chaque jour dans la confiance. Ce rendez-vous m’est devenu indispensable, vital.
Seigneur, je te rends grâce pour ce temps quotidien où je t’accueille toi-même, où tu me construis sur le roc. Face aux soucis familiaux que j’affronte dans ma vie de veuve, face à la maladie, tu m’as donné l’endurance, la force nécessaire pour traverser les difficultés, tu m’as fait pénétrer dans ta sagesse pour discerner ta volonté.
Oui, j’ose conseiller à tous ceux qui n’ont pas encore pris le chemin de l’oraison, de la prière du cœur, de ne pas faire attendre plus longtemps le Seigneur : il nous précède dans cette rencontre quotidienne, il désire nous transfuser son amour pour nous faire participer avec lui à la construction de son Royaume.
Marie-José BELLANGER