Parole de Dieu

LE PÈRE BROTTIER A ACCUEILLI
et VÉCU LA PAROLE DE DIEU

Pierre Loubier, spiritain

Pierre Loubier après de longues années en Afrique, est aumônier dans l‘Œuvre d’Auteuil. Il exprime bien ici comment Brottier n’est pas un exégète ou un théologien, mais bien plutôt homme d’action selon l’Evangile.

Je ne connais pas beaucoup de textes bibliques commentés par le Père Brottier. Certes, les mots quotidiens qu'il adressait aux jeunes à partir de l'Évangile étaient ajustés et percutants. Le prédicateur fougueux qu'il était, savait donner aux adultes, à partir de son expérience, un message fort ; ses paroles permettaient des prises de conscience et des engagements concrets. Daniel Brottier n'était pas un bibliste au sens moderne. Par contre, il a vécu la Parole de Dieu avec une grande intensité. II l'a fait à partir de ce qu'il était, son histoire, sa sensibilité, son activité et son charisme.

Mon souhait dans ces pages, serait de vous livrer quelques paroles et attitudes qui m'ont paru inspiratrices de sa vie, de son action, de sa vision du monde et de l'Église.

" J'ai vu la misère de mon peuple,
j'ai entendu son cri devant ses oppresseurs ;
oui, je connais ses angoisses "
(Ex. 3,17)

II s'agit ici d'un cri adressé à Moïse, d'un cri qui sort des entrailles de Dieu. Ses entrailles sont blessées par l'injustice que les Egyptiens font subir au peuple des Hébreux, pour qui il a une affection particulière. Dieu a tellement mal au cœur qu'il partage sa douleur, sa passion, sa volonté de libération à Moïse. C'est bien la miséricorde.
Cette vision là a imprégné la vie de l'Aumônier Militaire. Imaginons le, visitant les malades, les blessés dans les salles de fortune des hôpitaux de guerre. Du premier coup d'œil, Brottier a vu la misère des blessés aux membres mutilés, aux plaies béantes, aux corps dénudés, exposés à la discrétion du personnel médical. Plus d'intimité. Difficile d'être respecté. Aussitôt Brottier demandait à la Maison Mère des sous-vêtements pour ses blessés.
Sensibilité profondément humaine. Sensibilité Féminine ? Son frère et sa belle sœur ont parlé d'une sensibilité maladive. " Sa répugnance instinctive pour les malades et les mourants était telle, que le sentiment souverain du devoir était seul capable de la lui faire surmonter " Pichon, p. 103. En réalité, Brottier, depuis sa jeune enfance était atteint par la maladie : " je n'ai pas passé de journée sans maux de tête. Cette vulnérabilité l'avait rendu sensible et attentif aux fragilités et défaillances des autres. En plus, il avait un cœur d'enfant. En grandissant, ce cœur se découvrira si maternel qu'il se penchera naturellement vers le faible pour protéger sa vie. Par la suite, l'affrontement aux grandes épreuves fera surgir de ce cœur toute la force de l'homme pour porter secours au faible et au blessé.
Au retour de guerre, il dira à sa famille : " maintenant, vous pouvez tous mourir. Le plus tard possible bien entendu! Je vous fermerai les yeux, je vous habillerai, je vous déposerai dans votre cercueil sans crainte comme sans embarras. J'en ai tant enseveli de pauvres soldats, durant ces années terribles ! Ah!, Ce fut un rude apprentissage. Mais, maintenant, c'est fini, je suis aguerri pour toujours. "
Ainsi, Brottier était devenu capable de voir la misère d'en saisir les contours, d'y remédier en tout ce qu'il peut faire - car il se veut efficace - mais sans s'y engloutir. II incarne ainsi cette passion de Dieu pour l'homme blessé, humilié, afin de le libérer.

L'amour du Christ me presse " (2 Cor 5, 14)
Evidemment, une telle personnalité ne pouvait qu'attirer les faibles, les déprimés, les personnes dans le besoin matériel, psychique ou spirituel. A peine arrivé à Auteuil,- le 20 novembre 1923 - il voit son bureau assailli par les orphelins, les abandonnés, les pauvres petits, les sans appui.
" Misères d'enfants, écrit-il! Que de tristesses en ces deux pauvres mots, et comme je voudrais vous faire partager, cher amis d’Auteuil, l'émotion qui m'étreint lorsque se présentent chaque jour, plusieurs fois par jour, ces misères d'enfants que je ne peux plus voir arriver, sans que malgré l'habitude, mes yeux se mouillent et que le cœur ne batte un peu plus fort. Misères d'enfants, pauvres victimes du sort ! Misères imméritées, misères impuissantes de malheureux gamins que personne ne peut accueillir parce que la charge est trop lourde. Aussi quelle cruauté quand il faut faire comprendre à l'infortuné qui venait plein d'espoir, que malgré sa misère, on ne peut le garder. On sent alors, une immense détresse l'envahir: il sait d'où il vient, il comprend où il va retourner. Et ces larmes en disent long sur l'état d'âme de ce pauvre petit " (Pichon p. 160).
" Est-il défendu, écrira-t-il, chers amis d’Auteuil, de conclure que c'est le sentiment de miséricorde pour les douleurs humaines et spécialement les plus pitoyables - les douleurs d'enfants orphelins - et le commun désir de les soulager, qui vous dictera votre attitude de plus en plus charitable à l'égard de l'Œuvre d’Auteuil "
Ainsi, Brottier vivait l'amour de l'Apôtre Paul pour ses communautés de façon intense pour tous ceux qui l'approchaient et particulièrement pour les orphelins.

Entrer dans le cœur de Dieu
Comment un homme si fort, à l'aspect quelquefois bourru, pouvait-il se laisser remuer par tout ce qu'il découvrait d'inhumain et d'indigne au cœur de toute personne ? Comment pouvait il entrer dans de tels sentiments de compassion et de miséricorde ? Comment passer de la compassion à la miséricorde de Dieu ?
Son cœur d'enfant tant éprouvé depuis son jeune âge l'avait rendu sensible à la souffrance de l'autre. Il le sentait, dès qu'il avait posé un regard sur lui. Ce regard pénétrait du premier coup le jeune qui se sentait reconnu ou interpellé. Alors, une complicité se nouait entre le jeune et Brottier, à l'image de celle que ce dernier vivait avec Thérèse.
Par ailleurs, il était habité par un sens de l'observation très poussé. II se faisait proche des personnes, découvrait les besoins immédiats. Comme le Bon Samaritain s'approchait du blessé, en lui mettant de l'huile et du vin sur les plaies, et conduisant l'infortuné jusqu'à l'hôtellerie, Brottier savait deviner la souffrance du jeune comme celle de l'adulte.
" L'orphelin, dit il, est un blessé de la vie dans son cœur et dans son âme. Il faut le soigner, lui redonner une famille, et tout particulièrement une mère. Sa mère de la terre l'a quitté. II a droit plus que tout autre, en vertu de la souffrance intime de n'avoir pas de mère pour essuyer ses larmes ici-bas, à une mère.. mère dont le sourire est tendre.. comme le sourire de celle qui jadis, pendant bien des jours nous enveloppa, enfants de ses regards fixés sur nous. "
Ainsi que tout bon éducateur, il savait passer du temps dans la cour des jeunes d'Auteuil, II avait observé que les pluvieux après midis du dimanche en automne et en hiver étaient longs. " Mortelles heures passées dans la cour par nos garçons, les pieds dans la boue, les mains dans les poches, à ne rien faire, à s'ennuyer à 100 sous l'heure... à critiquer, à jacasser, et parfois plus ou moins propres. " (Pichon 278). Pour parer à cette situation inconfortable, il instaurera le premier cinéma populaire le Bon Cinéma ; iI proposera des films adaptés aux besoins des jeunes, les dimanche après midi.
Dans l'exercice d'observation, il aiguisait son regard, se laissait éclairer par celui de Dieu dans la prière. A 5 heures du matin, il se levait pour se rendre à la chapelle, se renouveler dans l'oraison et célébrait l'Eucharistie. De cette manière, il puisait son énergie à la Source de la compassion et de la miséricorde. A 7 heures, il accueillait les jeunes dans la cour pour un éveil à la prière.
Habité d'une présence, il ne regardait pas la misère humaine seulement du point de vue de l'homme, mais en homme de Dieu. Dans la force de l'Esprit qui l'animait, il trouvait des attitudes qui étaient souvent à l'encontre de celles des hommes.
Sur le front de l'Artois ou de Verdun, il sera toujours au premier plan avec les hommes de troupe, alors que la prudence humaine l'aurait mis plutôt en position de retrait.
A son arrivée à la rue La Fontaine, les caisses étaient vides, le personnel mal payé, les factures attendaient d'être réglées. En dépit de cela, 10 jours après son arrivée, il proposera au Cardinal Dubois la construction d'une chapelle qui sera dédiée à Ste Thérèse de l'Enfant Jésus. Le Cardinal suggérera le patronage d'un saint qui soit plus proche des garçons. Mais lui de rétorquer. " Ils auront avec Thérèse une maman qui saura s'occuper d'eux ". Cette réponse emporta l'adhésion de l'Archevêque.
Poussé par le vent de l'Esprit, Brottier percevait des situations avec une telle vivacité que sa conviction balayait les obstacles. Plus rien ne pouvait l'arrêter dans sa course. II avait reçu sa conviction dans la prière.
Nous sommes le 22 mars 1916, sur le front de Verdun. " Ordre est donné d'attaquer dans la nuit les défenses allemandes, près du bois d'Avoncourt. Or, les défenses allemandes sont puissantes et bien protégées. L'artillerie a laissé les barbelés indemnes. Nous allons être pris comme une souricière, et nos cadavres resteront sécher devant les barbelés intacts. Trouvant des officiers abattus devant la folie meurtrière qui se prépare, Brottier va vérifier la position. Au retour, il s'écrie :
" Ce serait criminel d'envoyer des hommes à une mort certaine. " - " Qu'y puis je faire, répond le commandant ? L'ordre est là. "- " Mon Commandant, laissez moi tenter quelque chose. Je vais jusqu'à la Division."
II y eut une altercation assez vive avec le chef d'état Major. Celui ci me pria de me mêler de ce qui me regardait. " En ce cas, puisque vous envoyez des hommes à la mort certaine, partez le premier et je vais avec vous. Nous nous ferons tuer les premiers, ce sera juste " - " Je vous accompagne, monsieur l'Aumônier ". L'officier constatant et combien le Père Brottier disait vrai, et la folie d'attaquer dans ces conditions, en référa au Général qui donna ordre de suspendre l'attaque. (Pichon. P. 81)
Ainsi sa force de sa conviction le rendait inflexible, tout comme le berger prêt à se laisser transpercer pour défendre le troupeau attaqué par le loup ; ainsi Brottier était le Berger de ce millier de poilus de sa compagnie exposés à la folie de l'attaque.
Brottier était bien entré dans le cœur de Dieu pour trouver la force d'agir face à la misère humaine. II n'avait qu'à puiser au jour le jour à la source.

Vers d'autres rives au souffle de l'Esprit.
La transformation du regard, la purification du cœur, lui permettaient d'atteindre le plus profond des cœurs. II projetait le regard de Dieu sur les hommes et leur vécu. II aiguisait le regard des Français sur la pauvreté, la misère de l'enfant abandonné, pour l'inviter à des gestes de partage et de solidarité. II savait émouvoir les cœurs, au point de les rendre missionnaires.
Alors, les dons affluaient à Auteuil. Les riches partageaient leurs biens, faisaient la découverte de cette richesse qui se reçoit du cœur de Dieu, et qui comble autrement. Un réseau d'amis " indestructible " s'établissait autour de la fondation pour lui permettre de répondre aux besoins des jeunes.
Le sanctuaire de Thérèse devenait le lieu où se rencontrent à égalité le riche et le pauvre, l'un et l'autre marqué du même amour: un amour de miséricorde.
Le Père Brottier était devenu bibliste, mais de manière pragmatique. II ne connaissait pas seulement la Bible, il la vivait. Pareillement, sa théologie était une pratique en action, vécue sur les champs de bataille comme sur celui de la lutte contre la misère et la pauvreté. Oui, Brottier est l'homme du chemin qui va jusqu'au bout, qui nous convie à passer sur l'autre rive.