DOSSIER :   Le Christ à l’écoute du Père


Parole de Dieu


JESUS ET SON PERE


                Sœur Jacqueline
Sœur Jacqueline Dizengremel a été professeur d’Ecriture Sainte dans diverses institutions. Elle nous propose ici un parcours de l’évangile de Saint Jean en donnant quelques repères sur les relations de Jésus avec le Père.
Le Prologue de Jean présente Jésus comme le VERBE, c’est à dire la Parole. Aujourd’hui Dieu nous parle. Une révélation nouvelle nous est offerte, au terme de l’A.T. La nouveauté c’est Jésus Christ. On savait déjà, car le prophète Isaïe le disait, que lorsqu’il s’agit de Dieu, parler et agir sont deux interventions inséparables. (Is 55, 6-11: à méditer).

 Parler, c’est agir, c’est révéler. Par son Fils, Dieu nous parle. Dieu ne nous parle pas seulement par un ‘dire‘ plus ou moins explicite sur lequel on pourrait discuter, mais par un ‘dire‘ qui est le VERBE en personne : une PERSONNE : la Personne de Jésus, le ‘Logos‘, dit encore le Prologue de Jean qui s’insère dans une terminologie hellénistique. Le terme ‘logos’  introduit le lecteur dans une dimension rationnelle. Jean va ‘ démontrer ‘ la divinité du Christ. Certaines études de l’évangile johannique n’hésitent pas à analyser  le texte comme un ‘’ procès ‘’ de Jésus.

Nous allons regarder et écouter l’homme Jésus. Cherchons d’où il vient, qui il est et ce qu’il vient faire sur notre terre. Quelle est sa relation avec Dieu ?

Si nous recherchons les diverses mentions de Dieu en tant que Père de Jésus, on en trouve 3 dans l’évangile de Marc, 11 dans celui de Luc, 22 chez Matthieu et plus d’une centaine dans Jean. On peut donc affirmer que ce n’est pas une particularité évoquée par l’un ou l’autre des évangélistes, mais une donnée importante, voire capitale, de la révélation évangélique. Nous nous en tiendrons aux textes johanniques dans cette brève étude.

            La question posée par Nicodème « Comment cela peut-il se faire ? » ( 3, 9) n’est-elle pas la nôtre ? Comment Jésus est-il Fils de Dieu ?… Que de questions sollicitent les croyants actuellement au sujet de son incarnation par Marie ! Les interrogations ne mèneront nulle part si le regard reste rivé au sol du doute. Dans la nuit de nos intérêts matérialistes, Jésus redresse notre regard. Sa vie durant, il ne cesse de répondre.
           
Le Temple est  la maison de ‘’ mon Père ‘’ (2, 16) et pas seulement la maison du peuple de Dieu. Sa relation est, déjà ici, différenciée d’une filiation au sens collectif..
Nous entrons dans l’ordre de l’amour spirituel qui ne s’en tient pas aux paroles : « le Père aime le Fils et il a tout remis en sa main » (3, 35). Et il va le prouver. Le fils d’un officier de la garde d’Hérode est guéri, puis un paralysé, un laissé pour compte, à Bethesda. La parole et l’action se joignent. Jésus affirme qu’il jouit d’une relation unique avec Dieu, Dieu son Père. Ses contradicteurs sont confrontés à des faits miraculeux inexplicables. ‘ Les Juifs ‘  s’entendent répondre « Mon Père, jusqu’à présent est à l’œuvre et moi aussi je suis à l’œuvre » (5, 17). Il existe donc une synergie totale entre l’action du Dieu d’Israël et celle de l’homme Jésus. C’est le problème central de l’évangile johannique : La divinité de Jésus est affirmée. Elle va être ensuite démontrée. C’est l’objet du chapitre 5.

Le mystère

Un long monologue expose la profondeur du mystère (5, 19-47). Au premier abord, ce texte déconcerte le lecteur. Une sorte de jeu de mots, un chiasme, autour des deux termes (Fils…Père). On s’arrête sur un verset… l’ensemble échappe à notre attention. Pourtant il est riche. Ne sommes-nous pas appelés à entrer dans cette relation ? (6, 57).
L’auteur souligne l’étrange dépendance qui unit le Fils à son Père dans leur être et dans leur intervention au sein de l’humanité (5,19-20). Cette intervention concerne notre vie présente et  notre vie future, elle en est l’unique source (21). On a traduit cela par des images, celle du moineau blotti dans le creux d’une main solide par exemple, ou mieux, celle de Gn.1…où le Créateur aime sa création et la poursuit longuement. Il la fait revivre dans la main de son Fils. Son amour ‘ créateur et re-créateur ressuscite l’objet de son amour « Comme le Père relève les morts et les fait vivre, le Fils lui aussi fait vivre qui il veut ».

Alors, où est passée la justice ? Jésus affirme sa liberté et répond à la question : «Le Père ne juge personne, il a remis tout jugement au Fils » (22)  Honorer, respecter le Christ c’est rendre gloire à Dieu (23). Le texte reprend ensuite ces affirmations en sens inversé.
            Notre résurrection à venir est annoncée (25-26), elle est objet de notre Foi, placée au centre du chiasme texte qui reprend en sens inverse les mêmes affirmations.

            « Je ne cherche pas ma propre volonté, mais celle de celui qui m’a envoyé » (30) : mystérieuse obéissance qui s’épanouit dans l’amour mutuel. L’Esprit Saint qui est l’Amour la rend féconde jusqu’à l’infini propre à la Personne divine. Dieu perce le mur de nos intérêts bassement matériels. Il féconde le monde et nous attire vers les réalités d’ordre spirituel.


Le témoignage

« …c’est un autre qui me rend témoignage… » (31-47)  De quel témoignage s’agit-il ?  l’évangéliste reprend ici les affirmations de Jean Baptiste (1, 18-34) c’est Jésus qui les reprend à son compte. La lumière se lève pour les auditeurs et pour nous «…je possède un témoignage plus grand que celui de Jean : ce sont les œuvres que le Père m’a donné à accomplir ; je les fais et ce sont elles qui portent à mon sujet témoignage que mon Père m’a envoyé »  Jésus ira jusqu’au bout : son témoignage sera consacré par le don du Sang : la Croix. Rien ne l’arrêtera.

Déjà avec le chapitre 5, il se présente et se révèle  comme le Témoin unique. Il  en donne des preuves tout au long de son périple terrestre.
            La controverse qui s’ensuit s’adresse d’abord à ceux qui refusent l’évidence de sa qualité de Fils Unique. Mais elle s’adresse aussi, dans le contexte de la multiplication des pains (6, 14-15. 40), à ceux qui voudraient l’exploiter et en tirer profit. Cà peut être ‘ rentable ‘ au sens matériel immédiat mais rentable aussi  en argumentaire de pastorale… ! A la fin du premier siècle, pour attirer la clientèle, on en était  venu à composer des évangiles ‘’ apocryphes ‘’, c’est à dire que le miraculeux y  primait sur la réalité des faits pour mieux convaincre l’auditeur. La facilité tentera toujours certains missionnaires, aujourd’hui comme hier.
 
            Jésus se présente comme l’unique CHEMIN  pour trouver le Père « nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire » (6, 44). Inutile de chercher une autre voie, Lui seul en ouvre la route, le chemin. « Comme le Père qui est vivant m’a envoyé et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mange vivra par moi » (6, 57). Le discours après la Cène reprendra le thème (14, 1-8).

            Le ch.7 souligne  les conséquences du refus. Les disciples ont reconnu «  le Saint de Dieu » mais la discussion se fait âpre et agressive. Refuser la Personne de Jésus, le Fils, c’est refuser Dieu. Refuser Dieu, c’est aussi refuser de reconnaître la VERITE , celle de la révélation mosaïque  (Ex 3, 12). Le texte le souligne avec l’emploi de «  je suis » au chapitre 8 «  Je suis la lumière du monde » et «  C’est mon Père qui me glorifie, lui dont vous affirmez qu’il est votre Dieu » (8, 54b). la qualité de ‘ fils ‘ exige la qualité de vie qui l’accompagne, en particulier… le respect de la vérité !. Mais Jésus parle de la ‘ gloire ‘ de sa résurrection dont sa mort tragique sera le prix.  Pourtant elle est déjà présente en toute sa vie terrestre, les signes qu’il en donne acculent à reconnaître la vérité de toutes ses paroles.
           

La VIE du Père et du Fils

            C’est là le plus grand mystère dont nous ne saurions exprimer la splendeur. Roublev  la présente au moyen d’une icône célèbre en dimension trinitaire. Jean s’y prend autrement.
            Toute vie humaine est constituée de dialogues, de relations multiples avec les partenaires que la société offre…Jésus, le Juif, vit entouré de sa famille, de ses disciples, de ses amis et ennemis, contradicteurs de tout bord… Pourtant il ne cesse d’affirmer que ses racines profondes sont ailleurs.. L’évangile de Jean y revient sans cesse. Il s’efforce de le mettre en lumière.
            Un certain ‘ lieu de vie ‘ le distingue de ses contemporains. Jésus l’affirme sans cesse, quitte à se mettre à dos ses interlocuteurs.
« Si tu es le Christ, dis-le nous ouvertement » et la réponse tombe, « Je vous l’ai dit et vous ne croyez pas ; les œuvres que je fais au nom de mon Père me rendent témoignage mais vous ne me croyez pas »  (10, 23-25 passim)  « Mon Père et moi nous sommes un » (10, 30). Mais l’affirmation est devenue insoutenable pour qui refuse de comprendre, d’accepter l’évidence des preuves apportées : l’aveugle de naissance ne vient-il pas de trouver des yeux neufs et d’en reconnaître le don messianique  de la lumière. Les autres, les pharisiens, s’y refusent. L’épreuve de vérité tourne au drame.
            «  Vous dites ‘ tu blasphèmes ‘ parce que j’ai affirmé que je suis le Fils de Dieu » (10, 31ss.). On a vite fait de contester, de discuter sans preuves… « Si vous ne me croyez pas, croyez en ces œuvres. Et ainsi vous connaîtrez de mieux en mieux que le Père est en moi et que JE SUIS DANS LE PERE »
            La vie de Dieu s’ouvre à nous, elle nous est offerte, mais seulement dans la FOI. Ainsi en va-t-il dans la résurrection de l’ami Lazare (11, 29) et dans bien d’autres circonstances.
            « Maintenant, mon âme est troublée, et que dirai-je ? Père, sauve-moi de cette heure. Mais c’est précisément pour cette heure que je suis venu » (12, 27). Face à l’échec, au refus du Peuple choisi et Peuple de l’Alliance … Jésus défaille car il aime ce Peuple, son pays. Est-ce une tentation ? celle de Gethsémani anticipée ?.. La phrase témoigne d’un dialogue incessant avec Celui qui tient toute chose en sa main dans le respect des libertés de chacune de ses créatures.
            Alors Dieu intervient, sa réponse  annonce la Résurrection et la gloire future. Dieu tient ses promesses, toujours. (voir 12, 48-50 ; 13, 19-20).

La dimension ecclésiale

            La polémique est close. Les jeux sont faits. La conséquence du refus est inéluctable. Tout est dit, tout est manifesté. Dans l’entre-deux qui précède la Passion, l’auditoire a changé et le ton change. Jésus s’adresse à des amis. C’est maintenant l’avenir du groupe des disciples, de ceux qui ont essayé de comprendre, qui est en cause. Que vont-ils devenir ?.. Ont-ils compris ?.. L’amour qui a amené Jésus sur notre terre  emplit et étreint son cœur  au moment de quitter ce monde. Entrons  dans l’intimité familiale, ecclésiale, qui se révèle dans ces chapitres (14-17).
            « Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais au Père… » (14, 28) L’amour est désintéressé, fondamentalement.

            Cependant, Jésus ne se contente pas  d’une relation affective, il regarde beaucoup plus loin C’est  de l’EGLISE qu’il s’agit. Son avenir se joue maintenant. Autrefois Jésus disait « aimez-vous et aimez le Père ». Ici,  il se permet de déployer sa pensée. Il explique le principe de base  de la vie ecclésiale. L’Esprit Saint qui est Esprit d’Amour  est entrain de créer. Il est à l’œuvre, sans cesse. La Parole du Fils entre en action.
 
            L’heure est grave, l’affrontement final avec les puissances du mal approche : «  le prince de ce monde vient (…) mais il vient afin que le monde sache que j’aime mon Père et que j’agis conformément à ce que le Père m’a prescrit… » (14, 30-31). Ce qui est déterminant dans cette lutte avec le ‘’ mal ‘’ c’est la persistance d’un amour que rien ne peut entraver. L’épreuve finale se joue au cœur du Christ. De même pour nous. Jusqu’à la fin des temps rien ne sera facile, mais la pérennité de l’Eglise du Christ est en jeu. Nous en sommes l’enjeu. Le Christ vainqueur, définitivement, nous entoure de son Esprit Saint.

            Poursuivons le texte …En dépit de tout, Jésus ‘’ demeure ‘’ dans le respect et l’affection filiale. Il appelle ses disciples à faire de même. Le cep de vigne offre une image, un symbole de vie débordante à l’heure de la vendange. Celui qui demeure dans l’amour du Christ est aimé du Père : « Ce qui glorifie mon Père c’est que vous produisiez du fruit en abondance et que vous soyez pour moi des disciples. Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés : demeurez dans mon amour. Si vous observez mes commandements, vous demeurerez dans mon  amour, comme en observant les commandements de mon Père, je demeure dans son amour » (15, 9-10)  Les mots sont tout autant porteurs de révélation que ceux du Prologue, des discussions et des signes accompagnant sa parole.
L’Evangile, lu à la lumière de ces quatre chapitres, transfigure et transcende nos vies humaines malgré leur faiblesse.

            La révélation de l’Esprit arrive tout naturellement à la suite de cette reprise des positions de Jésus tout au long de son enseignement : « lorsque viendra le Paraclet que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra lui-même témoignage de moi, et à votre tour… » (15, 26). Tout est possible pour le disciple car l’amour unit le Père au Fils et réciproquement : l’Esprit Saint va emplir ceux qui entrent dans cette Vie désormais reconnue  dans sa dimension trinitaire. Il y avait loi, Torah, règle… désormais l’Amour qui emplit les croyants est Pentecôte, il dépasse tout, il emplit tout, il ordonne tout.

            Comment Jésus peut-il se dire Fils de Dieu ? Il l’a affirmé, il l’a prouvé. Sa filiation nous concerne directement car le Père l’a envoyé pour nous, pour transformer ce monde, non à coup de  gestes de puissance, mais dans la force de son Amour et avec nous. Ou bien l’Eglise entrera dans ce mouvement, ou bien elle ne sera pas celle du Christ. On ne saurait tronquer la Révélation envisagée dans sa totalité.

            Dans l’amour mutuel, au sein de la Trinité, le sort du monde se joue. Nous ne pouvons achever cette simple évocation de la Vie divine qui transforme le monde sans reprendre l’ultime verset de la prière de Jésus à son Père : «  Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître encore, afin que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et moi en eux ».(17, 26).
           
            La relation avec Dieu se joue là. Ou bien il y aura l’amour des autres et de notre Dieu ou bien aucune pratique, aucune loi ne nous sauvera. Jésus a vécu dans cet Amour, il en a témoigné après l’avoir affirmé. L’Esprit Saint, c’est à dire l’Esprit d’Amour nous est donné. L’Eglise est entrain de naître.  « Qu’en avez-vous donc fait ? »  chante O.Vercruysse.



Jean écrit à la fin du 1er siècle ; l’opposition avec la synagogue étant à son comble, le  terme est à prendre au sens générique de ‘’ tous les opposants à la divinité de l’homme Jésus ‘’.