Signes et témoins

POUR MIEUX ECOUTER

PASSER DE L’EXTERIORITE A L’INTERIORITE

Jean Coquerel, spiritain

   Aujourd’hui, l’écoute est devenue une véritable fonction sociale et même un ministère pastoral. Que de personnes ne se sentent pas écoutées, et donc n’osent plus parler  de peur d’être mal jugées ou dévalorisées. Aussi voit-on naître dans la société comme dans l’Eglise des services de l’écoute et du dialogue. Le P. Jean Coquerel nous partage son expérience. « Ecoutez ma voix :
je serai votre Dieu et vous serez mon peuple »(Jr. 7,23)
 
C’est une des expressions les plus parfaites de l’Alliance, une appartenance réciproque : je suis à toi, tu es à moi. C’est dans ce contexte d’amour de sollicitude que je souhaiterais réfléchir ce verbe ‘écouter’ d’une manière pratique dans l’expérience de l’accompagnement humain et spirituel.

L’Alliance ne se fait pas dans l’anonymat de tout un peuple, elle s’enracine au cœur de tous et de chacun. L’écoute appelle à  un échange de paroles entre l’émetteur et le récepteur, elle demande une attention à l’autre, elle présuppose un dialogue entre le « je » et le « tu », une transformation possible de l’intérieur qui entraîne mon propre engagement personnel. L’écoute me met en quête d’un face à face dans le sillage d’un regard qui scrute et attend de ma part une souplesse de pensée par opposition à la raideur de mes préjugés. « Ils ne m’ont pas écouté, ils ont raidi leur cœur » (Jr 7,28).
L’Hôte qui me reçoit dans sa famille, sa communauté ou sa paroisse ne se donne pas seulement à m’accueillir mais il m’appelle conjointement à L’accueillir en me sollicitant à tout moment au cœur de mes relations humaines. L’Hôte se reçoit à travers l’écoute attentive de celle ou de celui qui attend d’être reconnu comme personne en tant que telle, dans la dignité et la disponibilité :  « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute ». (1 Sm 3,9).

Une prédisposition qui commence par un travail sur soi.

            « Dieu m’a donné le langage d’un homme que se laisse instruire, pour réconforter celui qui n’en peut plus » (Is. 50,4). L’écoute me demande aussi de me laisser instruire afin de me laisser réconforter moi-même. Cette parole de Dieu dans Isaïe est riche en psychologie humaine. C’est une Parole qui met en cause la connaissance de l’autre mais qui implique autant une connaissance de soi.
Je me mets en disposition d’apprendre comme le petit Samuel, en me recevant de l’autre sous le regard de Dieu. Je me laisse pénétrer par ce que sa Parole m’inspire à travers une écoute disponible, paisible et attentive. Une Parole que j’intériorise pour me laisser instruire et me donner la possibilité de réconforter, à mon tour celui qui est dans le besoin.
Le Seigneur est Seul capable de « m’ouvrir l’oreille » pour écouter et voir ce qui se passe d’abord en moi avant de voir la « misère de mon peuple ».

La relation d’aide par l’écoute du corps.

            Comment pourrai-je commencer une prise de conscience d’alliance avec l’autre, à travers un processus de relation d’aide avec telle ou telle personne, si je ne commence pas par être aidé moi-même ?  Bien souvent, une personne en difficulté exprime son malaise à travers sa relation au corps sous forme d’expressions bien connues comme : « j’en ai plein la tête » ; « j’en ai plein le dos » ; « ça me donne des aigreurs à l’estomac » ; « ça me constipe »; j’ai le goût ou j’aurai envie » ; « j’en ai plein la vue » etc…
            Comment pourrai-je l’aider si je ne réalise pas sur moi-même un travail permanent à l’écoute de mon corps. Comment pourrai-je l’aider si je me laisse envahir  par son propre malaise, si je ne prends pas de la distance ou si je n’apprends pas à gérer mes propres émotions par tout ce qui m’arrive de l’extérieur ?
            C’est à partir du moment ou je décide de donner préséance à mon corps que je peux travailler à le rééquilibrer. Si je veux préparer par exemple, mon sommeil parfois difficile à trouver après une forte charge émotionnelle quelle qu’elle soit,  de satisfaction de joie ou de peine, je sais qu’il me faudra faire l’un ou l’autre exercice physique de relaxation pour me réapproprier un certain bien-être intérieur. C’est à travers une attitude personnelle et appropriée à mon objectif, celui de préparer mon repos, que je peux communiquer à telle autre personne qui le souhaite, l’intérêt de préparer son propre sommeil. Cela sera cependant à elle de faire le choix de ce qui pourra lui convenir dans l’exercice de l’une ou l’autre expérience. Après avoir différencié les sensations, bonnes ou moins bonnes, elle saura conserver le meilleur de son exercice et le répéter pour anticiper son prochain sommeil.. Encore faudra-t-il qu’elle décide à chaque fois des moyens pour se disposer à le faire.
            Ce sont les décisions, les grandes comme les petites qui nous aident à grandir. L’exercice de la mémoire reste aussi un élément de croissance dans le suivi de l’accompagnement. Si Jésus nous dit explicitement : « Vous ferez cela en mémoire de Moi », ce n’est pas seulement pour que l’on se souvienne de Lui mais c’est surtout pour nous faire rentrer dans l’expérience d’une relation, celle d’un entretien permanent où s’enrichit en nous cette qualité de Présence fidèle dont nous avons besoin pour nous laisser accompagner par Elle.
            Le processus éducatif, tant  sur le plan humain et spirituel ne saurait permettre une discontinuité ou un dysfonctionnement comme on ne saurait couper les éléments d’une spire la fragiliser. C’est dans ce sens que l’on ne prend jamais assez conscience de ce que produit l’expérience amère d’une séparation ou d’un divorce dans le cœur d’un enfant ou d’un jeune.
            Tout travail sur soi commence donc  par une prise de conscience de ce que l’on vit avec l’aide d’une personne avisée qui, dans une relecture interactive à partir d’expériences significatives, permettra cette ouverture d’oreille pour mieux écouter et progresser. C’est par la ré appropriation de mes capacités et la volonté de poursuivre mes petits pas que je pourrai en entraîner d’autres s’ils se manifestent en toute liberté.

Les paraboles de Jésus : des appels à un regard sur soi.

            L’Evangile nous amène souvent à voir qui nous sommes dans notre manière d’être ou d’agir. Un aveugle ne saurait guider un autre aveugle car les deux risqueraient de tomber dans le même trou. (Lc 6, 39 s). Cette image concrète nous invite  à être lucide afin de ne pas nous laisser entraîner sans savoir où nous allons  ou qui nous suivons.
            Plus loin encore cette image de la paille dans l’œil de mon frère alors que je ne remarque pas la poutre qui est dans mon œil. Jésus, en bon pédagogue et en bon observateur qu’Il était,  ne savait passer sur aucun détail de comportement.  Il savait démasquer dirait-on aujourd’hui, les mécanismes de défense des pharisiens pour les inciter à relire leurs pratiques et  à corriger leur propre conduite avant de prétendre corriger celle des autres. Cette attitude leur permettait de se donner bonne conscience mais elle leur permettait surtout un échappatoire pour éviter de travailler sur eux-mêmes..
            Comme la vie autour de nous serait plus agréable si nous étions plus exigeants pour nous-mêmes que pour les autres. Si nous appliquions nous-mêmes, tous les bons conseils que nous prodiguions aux autres ou si nous avions la même hâte de nous améliorer nous-mêmes que d’améliorer les autres !

L’Evangile comme moyen de relecture.

            Comme l’était autrefois la « révision de vie »,  l’Evangile reste un des moyens interactifs par excellence  pour relire notre manière de grandir et de progresser à la suite du Christ. L’accompagnateur d’une relecture de pratiques sait que son rôle ne consistera pas à donner des conseils pour diriger la vie de la personne qui souhaite un accompagnement mais plutôt de l’aider à discerner et à retrouver en elle certains  éléments positifs  qui l’aideront à prendre des décisions libres responsables et appropriées à tel ou tel objectif  qui donnera sens à sa vie.

Une invitation à la suite de Jésus.

            Pour communiquer de vraies valeurs, nous sommes invités à rentrer d’abord en nous-mêmes en passant d’une extériorité abasourdissante  à une intériorité pacifiante. Oui, « entre dans ta chambre la plus retirée » nous dit Jésus (Mt 6, 6-8) Tu commenceras alors par agir sur toi-même au lieu de te projeter sur les autres. Observe, regarde, contemple qui tu es dans ta manière d’habiter ton corps, c’est un des plus grands défis de la vie face à toute forme de violence.
            Différencie les expériences que tu auras vécues pour n’en garder que les meilleures car il s’agit pour toi comme pour moi de transmettre toujours le meilleur de soi-même dans cet amour de sollicitude qui n’attend rien d’autre que celui de laisser creuser toujours davantage en soi, le désir de faire pour l’autre ce que l’on désirerait que l’on te fasse pour toi.

L’identité corporelle
comme défi à relever dans le suivi de la personne.

            Je crois que nous serons source d’estime et de confiance auprès de ceux avec qui nous vivons, si  nous apprenons d’abord  à voir et à respecter en nous ces rythmes de base qui ponctuent et harmonisent notre vie. Ces rythmes de base demandent à être suivis attentivement pour ne pas dire écoutés. Ils font toujours parti de notre relation au corps. Que nous le voulions ou non, ces rythmes que nous pouvons travailler en les accélérant ou en les calmant peuvent influer sur le comportement des personnes avec qui nous sommes. Si le repos du corps  dont nous parlions précédemment est négligé notre qualité de vie en relation avec les autres s’en ressentira également.
            Ce n’est donc pas faire œuvre de nombrilisme que d’insister encore une fois de plus sur l’importance d’être à l’écoute de son corps. Nous savons par expérience que celui-ci enregistre tout ce qui lui vient de l’extérieur.. Il reçoit tout, autant nos frustrations, nos tensions nerveuses, nos émotions que notre pondération ou notre sérénité. Ces qualités, bonnes ou malsaines s’impriment non seulement dans nos muscles, généralement au niveau des endroits du corps les moins travaillés physiquement d’où par exemple les fameux maux de dos, mais elles se transmettent aussi tout naturellement  à notre entourage.
            Si nous sommes tendus, nerveux ou frustrés nous transmettons inconsciemment ce que nous sommes sur le moment sans l’avoir réellement voulu ou décidé. Si au contraire nous arrivons calmes, souriants et détendus nous transmettrons tout naturellement cette prédisposition à la bonne humeur dont chacun a besoin pour grandir, s’écouter et s’aimer. N’est-ce pas dans ce sens que nous disons alors que « les inconscients se parlent ».

            Le monde trépidant dans lequel nous sommes entraînés nous invite donc toujours davantage à une plus grande vigilance et  à une plus grande qualité d’écoute intérieure. N’aurions-nous pas besoin de travailler en nous, par exemple, la maîtrise du temps par la prévoyance ou l’anticipation de nos actions à mener afin de ne pas nous laisser emporter trop rapidement par l’effervescence d’un programme  de fin d’année ?