Chemins de vie<
Saint
Joseph, accordé au dessein du Père
Albert Perrier, spiritain
Le Père Albert Perrier est directeur de la Revue
Saint-Joseph depuis presque dix ans. C’est dire combien il est tout indiqué
pour nous parler de la façon dont Saint Joseph a su comprendre la paternité de
Dieu et l’imiter dans l’exercice de sa paternité auprès de Jésus.
Il m’est venu à la pensée que nous pouvions lire et relire, dans les
Ecritures, le cheminement de saint Joseph, placé comme époux auprès de Marie et
père de Jésus, selon le regard ébloui de sa foi quand il lui est donné d’être
ajusté au dessein du Père qu’il apprend à connaître et à aimer, auprès de
Jésus. La Tradition spirituelle chrétienne emprunte la même appréciation.
Au temps du songe de Nazareth
Joseph a du mal à s’endormir, car le cas de conscience que lui pose la
situation de Marie l’habite. Quoi faire ? Il s’endort pour plonger dans le
temps du songe qui n’est plus la veille, mais qui se trouve très révélateur
grâce aux paroles de l’Ange. Ne crains pas de prendre Marie ton épouse, car
Celui qui est en elle vient de l’Esprit Saint. Et les paroles qui lui
donnent encore confirmation de sa propre présence auprès de l’Enfant et de son
rôle : Tu lui donneras son Nom : Jésus.
Maintenant il prend son épouse avec lui et sait le Nom de celui qui est
porté par Marie. Il porte un même et unique regard ébloui sur l’une et l’Autre.
Il peut en parler, car leur enfant doit naître dans cinq mois environ. Son nom
est répété sur leurs lèvres, car il porte sens pour l’attente du Messie :
Dieu sauve ! Il sera bien l’un des humains que Dieu donne, confie d’abord
à Marie et à lui Joseph par Marie. Mystérieusement confié dans sa fragilité à
leur douce vigilance et ils s’habitueront à lui donner son nom et à en recevoir
aussi grâce de lumière et de paix. Jésus les accorde à la volonté du Père.
Au temps de la démarche du recensement
Il lui faut bien partir vers la Judée. Ainsi en ont décrété les
autorités romaines pour ce pays de la Palestine. Les petites gens qui
s’expatrient souvent pour des raisons diverses font les longues routes qui les
ramènent au lieu des ancêtres pour la tribu de Juda et le clan de David. C’est
d’autant plus pénible pour Marie qui porte son enfant. Le souci de
l’hébergement, à charge pour Joseph, se pose d’ailleurs assez vite. Il est
résolu à la manière de l’accueil pour des pauvres.
Au cœur de la nuit, l’Enfant paraît. Il est accompagné par la présence
des anges parce que cet Enfant est de Dieu. Il est visité par les bergers qui
le reconnaissent petit enfant donné aux hommes. Les hôtes émerveillés sont
Marie et Joseph et deux regards éblouis se croisent et se dirigent vers
l’Enfant en balbutiant de leurs lèvres de parents le nom de Jésus. Là encore
c’est temps de grâce de lumière et de paix. Cette paix est le don assurément
fait à Marie et Joseph : Gloire à Dieu et paix aux hommes qui entrent
dans sa volonté !
Au temps de l’exil en Egypte
Vite les nouvelles ne sont pas bonnes dans les environs de Bethléem. On
s’inquiète de l’Enfant qui semble gênant pour les grands de ce monde, car on
est amené mystérieusement à se poser des questions, alertés par les visiteurs qui
ont vu son étoile en Orient et sont venus s’enquérir à Jérusalem de sa présence
au monde. On leur confirme bien son identité messianique. Tout devrait en
rester là ! Mais la jalousie au sujet d’un pouvoir qui n’est pourtant pas
de ce monde fait monter les enchères de la répression aveugle des tout-petits
enfants.
Là, à nouveau, Joseph qui peut prendre la décision va être éclairé sur
les risques encourus en restant en Palestine. On lui suggère l’exil vers le
sud-ouest, à des heures de marche bien sûr, car il lui est indiqué le lieu de
l’exil, l’Egypte. Tout est donc préparé pour l’Enfant et Marie, le plus
confortablement possible, quand il s’agit de poursuivre plutôt une route d’exil
que de retour chez soi, maintenant, à Nazareth.
Des mois après, Joseph sera éclairé de l’opportunité d’entreprendre à
nouveau la route du retour de la Sainte Famille en terre de Palestine. Il
prendra la décision de remonter vers la Galilée, à Nazareth.
Trois regards se sont croisés, éblouis. Une peinture dans la cathédrale
de Viviers évoque ce retour avec un quatrième personnage, l’Ange gardien de
Jésus. De fait, il y a connivence maintenant de deux paternités reconnues par
Jésus : celle de son Père du Ciel et celle de Joseph qui fait route avec
lui sur la terre des hommes.
Au temps de la première offrande au Temple
Marie porte l’Enfant, car il est le fruit de son Oui à Dieu. Mère de
cet Enfant donné aux hommes par le Père, c’est elle qui, pour cette heure,
réalise la démarche d’un don que lui assumera pour donner et reprendre sa
vie en sa mort et sa résurrection. Elle en est mystérieusement avertie par
Syméon.
Selon la Loi, Joseph décide du geste d’offrande des pauvres qui
viennent présenter bien plus que tout l’or du monde : leur enfant
premier-né. Il peut ainsi retrouver l’Enfant remis au Père et donné en retour
aux hommes, car il doit l’accompagner devant Dieu et devant les hommes. Tout
passe par la fidélité des justes de l’Ancien Testament qui s’accordent à Dieu
par la Loi, les Prophètes et le culte au Temple.
Le temps des douze ans en deux épisodes
Le premier épisode est celui qui voit le jeune Jésus partir de la
maison paternelle vers la synagogue de Nazareth. Il s’est agenouillé sur le
tapis tissé de laine par Marie, a posé sa tête sur ses genoux. Et vite ensuite
Marie l’a relevé en l’envoyant vers Joseph qui se tient prêt à le prendre par
la main pour le conduire dans l’émotion et la joie vers la synagogue. Il y fait
sa première lecture de la Loi et des Prophètes en choisissant déjà le beau
texte d’Isaïe : L’Esprit de Dieu repose sur moi… !
Quelques semaines plus tard, Jésus, adulte dans sa foi juive, montera
pour son premier pèlerinage à Jérusalem. Il sera autant avec sa parenté qu’avec
ses jeunes amis. Puis, il s’attardera tout naturellement dans la maison de son
Père pour y dialoguer avec les autorités. Cela le passionne ! Il en oublie
les convenances qui ne donneraient pas d’inquiétudes, car il a fallu prendre
beaucoup de temps pour le chercher et le rejoindre. Il s’entend dire par
Marie : Pourquoi nous avoir causé tout cela ? Moi et ton père nous
t’avons cherché, angoissés. – Ne saviez-vous pas qu’il me faut être aussi aux
affaires de mon Père ?
Le retour à Nazareth se fait sur ces paroles. Elles ont retentissement
en trois cœurs, car Jésus permet à Marie et à Joseph de les garder dans
leurs cœurs ; quant à lui, il prend le temps de grandir en âge et en
sagesse devant Dieu et devant les hommes.
France Quéré
dit de Marie au moment de Cana : Femme par ce souci de la table, mère
par sa foi éblouie en un Fils incomparable. Leurs conversations à voix basse,
au temps de Nazareth, l’échange de leurs silences ou ces regards dont une mère
enveloppe un enfant à son insu, lui ont enseigné qui il est, où il ira et déjà
s’achemine. Il n’a pourtant rien fait encore. Le texte précise que les
disciples ont attendu pour croire qu’il ait accompli son premier signe. La mère
croit avant le signe.
Selon
un témoin des Eglises d’Orient
Jean Chrysostome (345-407), l’un des témoins de la tradition orientale,
se penche sur le premier épisode que nous avons médité. Il a ainsi ces belles
paroles sur la disposition de Joseph qui le fait Père auprès de Jésus.
«L’ange vint trouver Joseph, lorsque celui-ci était dans le trouble...
Considérez la modération de ce saint homme ; non seulement il ne punit point
son épouse, mais il ne découvre pas même ses pensées à celle qui lui était si
suspecte. Il retenait tous ces mouvements dans son cœur, cachant même à la
Vierge tous ses ressentiments et toute sa peine... Joseph n'avait dit ses craintes
à personne ; il les avait concentrées dans son cœur, et il entendait l'ange lui
en parler. N'était-ce pas une preuve indubitable que Dieu le lui avait envoyé,
Dieu qui seul sonde le fond des cœurs ?..
« Considérez
combien cette conduite a été sage, puisqu'elle a servi à faire voir
l'excellence de la vertu de Joseph...
Retiens, lui dit l'ange, cette épouse que tu voulais renvoyer, car Dieu
même te la donne, et non ses parents. Il te la donne non pour l'union charnelle,
mais seulement pour demeurer avec toi; il l'unit avec toi par moi qui te
parle... »
« Jésus-Christ confie sa
mère à Joseph, comme il la recommande plus tard à son disciple... L'ange aussi
ne se sert pas seulement du passé pour le rassurer, mais encore de l'avenir. Elle
enfantera un fils, lui dit-il, à qui tu donneras le nom de Jésus. Car
bien que cet enfant soit conçu du Saint-Esprit, ne crois pas néanmoins que tu
sois dispensé d'en prendre soin, et de le servir en toutes choses. Bien que tu
sois étranger à sa naissance, et que Marie soit toujours demeurée parfaitement
vierge, je te donne néanmoins à l'égard de cet enfant la qualité de père en
tout ce qui ne blessera point celle de Vierge, et je te laisse le pouvoir de le
nommer. C'est toi qui lui donneras son nom; bien qu'il ne soit pas ton fils, tu
ne laisseras pas d'avoir pour lui l'affection et le soin d'un père. C'est pour
cette raison que je te permets de le nommer toi-même, afin de t'unir très étroitement
avec cet enfant ». (Saint Jean-Chrysostome Œuvres, t. VII, pp.
29-32, trad. Jeannin).
En concluant,
je vous suggère de penser que Joseph a eu aussi ses conversations à voix
basse au temps de Nazareth. Joseph
a été si près de Jésus en homme de silence, mais en portant sur lui ses regards
d’homme, d’éducateur, d’ouvrier et de père, tout en laissant Jésus à son
mystère. Mais cela lui était donné en grâce intérieure avec assez de lumière et
de paix pour croire que l’Esprit de Dieu reposerait sur Lui pour le
temps de sa mission de Fils Bien-Aimé parmi les hommes.¨