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Le cœur sacerdotal du Christ
La mission salvatrice et fraternelle
du Christ
Jean Savoie, spiritain
Jésus
apparaît dans sa vie comme un maître juif parmi d’autres, avec sa période de
succès, reconnu par les foules et sa période d’affrontement aux autorités qui
l’ont poursuivi jusqu’à la mort. Des disciples l’ont suivi et ont gardé sa
mémoire jusqu’à nos jours. Mais sa personnalité au fond est autre chose que son
succès ou ses échecs, c’est un mystère de foi. Il nous faut garder ce double
regard si nous voulons mieux le connaître.
Le
mystère du Christ tient à sa personne et à sa mission. Envoyé du Père
auprès des hommes, Il est médiateur, prêtre éternel et Roi de l’univers ;
c’est cette union qui caractérise sa position de médiateur unique :. Sa
royauté est fondée sur son sacerdoce. En s’offrant lui-même sur la croix, il a
établi son règne de vie et de vérité, d’amour et de paix. Le Christ est prêtre
par son offrande de soi, ses prières, ses demandes, dans la solidarité, la
miséricorde, l’obéissance. Il peut ainsi conduire les hommes jusqu’au Père,
dans l’Esprit. Il est prophète, prêtre et roi, pour l’humanité entière.
Jésus accueille le dessein du Père et il l’annonce
(Prophète)
A la lecture
de l’Evangile il apparaît tout de suite que Jésus vit dans la présence de Dieu
son Père. Sa conscience est remplie de cette présence. Il porte en lui le souci
de la volonté éternelle du Père : rassembler tous les hommes en lui, leur
permettre d’accéder à la bonté et à la communion du Père.
Avant sa
naissance il est présenté comme le Fils du Très Haut, qui sera grand devant
Dieu et qui dira le message de Dieu.
Dès qu’il a douze ans, lors du
pèlerinage à Jérusalem, il le dit à ses
parents qui en restent tout étonnés : « Ne savez-vous pas que je dois
être aux affaires de mon Père » ?
Au Baptême et
à la transfiguration, il est présenté comme le bien aimé de Dieu qu’il faut
écouter. Sur lui repose l’Esprit de connaissance, de prophétie, da sagesse et
de force ! Il est envoyé pour annoncer la bonne nouvelle. Marie conseille aux servants de Cana de
l’écouter.
Tout au cours
de sa vie, Jésus montre qu’il a conscience de la nouveauté des choses de Dieu
et que sa mission est de l’annoncer.
Jésus prend à cœur d’accomplir la volonté du Père
comme un sacrifice (Prêtre)
Quelques
lignes de la Lettre aux Hébreux (10, 5-10) nous disent combien le Christ Jésus a pris à cœur de
connaître et de mettre en œuvre le dessein du Père, il en a fait l’œuvre et le
sacrifice de sa vie. Nous y voyons le cœur sacerdotal du Christ, tout à son
Père, tout offert pour les hommes.
« Frères, en entrant dans le
monde, le Christ dit, d'après le Psaume : Tu n'as pas voulu de sacrifices
ni d'offrandes, mais tu m'as fait un corps. Tu n'as pas accepté les holocaustes
ni les expiations pour le péché ; alors je t'ai dit : Me voici, mon Dieu,
je suis venu pour faire ta volonté, car c'est bien de moi dont parle l'Ecriture.
Et c'est par cette volonté de Dieu que nous sommes sanctifiés, grâce à
l'offrande que Jésus a faite de son corps, une fois pour toutes. »
Par deux fois, dans ces quelques lignes,
nous avons entendu la même phrase : « Me voici, mon Dieu, je suis venu pour
faire ta volonté » ; elle est extraite du psaume 39 (40). Jésus sait que la
meilleure manière de rendre grâce à Dieu, ce n’est pas de lui offrir des
sacrifices, c’est de se rendre disponible pour faire sa volonté.
Car,
en définitive, ce « me voici », c’est la seule réponse que Dieu attend du cœur
de l’homme ; celle des grands serviteurs de Dieu ; le petit Samuel, celui qui
devait devenir un grand prophète du peuple d’Israël. Il avait été consacré par
ses parents au service de Dieu dans le sanctuaire de Silo auprès du prêtre Eli,
et il habitait avec le vieux prêtre. Une nuit, il avait entendu à plusieurs
reprises une voix qui l’appelait ; ce ne pouvait être que le prêtre, bien sûr ;
et par trois fois, l’enfant s’était levé précipitamment pour répondre au prêtre
« tu m’as appelé, me voici ». Et celui-ci, chaque fois, répondait « mais non,
je ne t’ai pas appelé ». A la troisième fois, le prêtre avait compris que
l’enfant ne rêvait pas et lui avait donné ce conseil : « la prochaine fois que
la voix t’appellera, tu répondras Parle Seigneur, ton serviteur écoute. » (1 S
3, 1-9).
Un autre « me voici » est resté encore plus
célèbre en Israël, c’est celui d’Abraham, au moment du sacrifice d’Isaac ;
entendant la voix de Dieu qui l’appelait, il a répondu simplement « me voici »
; et cette disponibilité du patriarche a toujours été donnée en exemple aux
fils d’Israël : l’épisode que nous appelons le « sacrifice d’Isaac » (Gn 22)
est considéré comme un modèle alors qu’on sait bien qu’Isaac n’a pas été immolé
; preuve qu’on a compris depuis longtemps que la disponibilité vaut mieux que
tous les sacrifices.
Le « me
voici » le plus célèbre est bien celui de Marie à l’Annonciation :
« Me voici, qu’il me soit fait selon ta parole » ; par là, elle
accepte elle aussi la volonté de Dieu sur elle, d’être le mère du Messie.
L’auteur
de la Lettre aux Hébreux applique ces paroles à Jésus lui-même, car personne
mieux que lui ne peut dire en toute vérité : « Tu n’as pas voulu de sacrifices
ni d’offrandes, mais tu m’as fait un corps. Tu n’as pas accepté les holocaustes
ni les expiations pour le péché ; alors je t’ai dit : Me voici, mon Dieu, je
suis venu pour faire ta volonté, car c’est bien de moi dont parle l’Ecriture. »
La disponibilité du Christ à la volonté du Père ne commence pas au soir du
Jeudi-Saint. Ce n’est donc pas seulement la mort du Christ qui est la matière
de son offrande, mais sa vie tout entière, l’amour donné à tous au jour le
jour, depuis le début de sa vie : « En entrant dans le monde, le Christ dit...
tu m’as fait un corps... me voici. » (v. 5-7 citant le psaume 39/40).
L’Oblation sacerdotale du Christ
Dans la
comparaison entre le sacerdoce ancien et le sacerdoce du Christ, l’auteur note
plusieurs différences. « Tout grand prêtre est établi pour offrir des dons
et des sacrifices » (3,1).
L’oblation est au centre de l’activité sacerdotale, même si ce n’est pas la
seule. C’est une médiation entre Dieu et les hommes. Mais alors que le premier
testament présentait le prêtre comme séparé des hommes et des pécheurs,
l’auteur relève une solidarité effective entre le prêtre et le peuple dans les
sacrifices d’expiation par exemple.
« Le Christ a offert des
demandes et des supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort »
(5,7). C’est en situation de détresse, avec un grand cri et des larmes, que le
Christ fait son offrande à celui qui peut le sauver. Il s’est ainsi rendu
solidaire de notre misère humaine, et il sait compatir à nos faiblesses,
« aussi nous pouvons nous avancer avec pleine assurance vers le trône de
la grâce, afin d’obtenir miséricorde » (4,16)
Alors que le
grand prêtre ancien offrait « des dons et des sacrifices » en grand
apparat et solennité, le Christ a offert « des demandes et
supplications » dans le dénuement d’un homme descendu au fond de la misère
humaine qui se débat pour en sortir, solidaire avec les hommes dans leur
détresse.
L’homme ne peut rien offrir d’autre
à Dieu que des demandes, il n’a pas de dons en propre pour Dieu, C’est lui qui
a besoin de Dieu et qui demande que cette prière soit accueillie par Dieu comme
une offrande ; ainsi toute prière authentique est faite de respect et de
confiance en celui qui aime et veut le bien de tous. « C’est ce que fait
le Christ : « ayant été exaucé, à cause de son profond respect, il a
appris par ses souffrances, l’obéissance qui vaut mieux que tous les
sacrifices, parce qu’elle constitue justement son sacrifice. « Il s’est
fait obéissant jusqu’à la mort de la croix » (Phil 2, 6)
Et en cette
obéissance, il a été rendu parfait, son offrande est une consécration
sacerdotale, comme une offrande personnelle accomplie dans la réalité de son
existence, de ses prières, de sa mission. La fidélité au Père et la solidarité
avec les hommes sont vécues ensemble dans cette offrande sacerdotale qui va
jusqu’à la mort de la croix. Il s’est offert lui-même dans l’Esprit Saint
(9,14). Il est ainsi devenu « grand prêtre miséricordieux et accrédité
pour les rapports avec Dieu » (2, 17). C’est bien le contenu essentiel de
l’offrande sacerdotale du Christ dans le dessein du Père.
On peut y ajouter beaucoup
d’éléments qui marquent l’ampleur de cet acte sacerdotal : ce n’est plus
une victime extérieure qui est offerte, c’est lui-même ; ce n’est plus le
feu qui purifie, c’est l’Esprit Saint ; son effet n’est pas une expiation,
mais une nouvelle alliance, une fois pour toutes ; « par une seule
oblation il a rendu parfaits pour toujours ceux qui reçoivent la
sanctification » (He 10, 14)
L’obéissance
rédemptrice du Christ, dans l’événement historique de sa passion, accepté dans
la docilité à l’Esprit saint, a fait de son cœur le centre vivant de la
nouvelle alliance, et lui a obtenu la royauté universelle : « il est
devenu pour tous ceux qui lui obéissent, cause de salut éternel » (He 5,
9).
Jésus accomplit le dessein du
Père : pasteur de l’humanité (Roi)
La mission du Christ est venue
modifier les rapports des hommes Dieu. Le prêtre de l’Ancien testament assurait
la médiation en Dieu et le peuple, offrant les sacrifices et communiquant les
réponses de Dieu. Mais sa dignité sacerdotale consistait dans le privilège de
sa relation à Dieu : seuls les prêtres pouvaient entrer dans le
sanctuaire et être prêtre pour Dieu (Ex
28, 1-4). L’Epître aux Hébreux au contraire est attentive à la double relation
du médiateur : c’est « en faveur des hommes » que le prêtre est
établi « pour les rapports avec Dieu » (5, 1). Et cette relation
n’est pas fonctionnelle, mais cordiale, interpersonnelle comme on le voit dans
le cœur sacerdotal du Christ qui «devait en tout se rendre semblable à ses
frères, afin de devenir grand prêtre miséricordieux et digne de foi pour les
rapports avec Dieu, en vue d’effacer les péchés du peuple » (He 2, 17).
Le
ministère de Jésus a été une révélation continuelle de miséricorde étonnante,
envers les malades, les infirmes, les possédés, les ignorants, les pauvres les
petits, et les pécheurs. Voyant un lépreux Jésus fut pris de pitié et le guérit
(Mc 1, 41). Voyant les foules, il fut pris de pitié pour elles car ces gens étaient fatigués et prostrés
comme des brebis qui n’ont pas de berger » (Mt 9,36).
Pour
l’Epître aux Hébreux, le Christ a acquis la plénitude de la miséricorde et de
la bonté. « Nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos
faiblesses, mais un grand prêtre éprouvé en tout à notre ressemblance,
exception faite du péché. Approchons-nous donc avec assurance du trône de la
grâce, pour recevoir miséricorde » (He 4, 15-16). Il y a donc un rapport
entre miséricorde et sacrifice : l’oblation du Christ est un acte de
miséricorde poussé à l’extrême, qui fait du Christ le grand prêtre
miséricordieux. Le sacrifice du Christ a consisté en un acte de miséricorde ou
pour le dire autrement, le cœur miséricordieux du Christ est un cœur
sacerdotal.
La miséricorde
du Christ n’est pas simple philanthropie, elle s’exerce dans un dessein de
médiation, par son adhésion à cette volonté du Père, qu’il est venu révéler.
Docilité envers le Père, et miséricorde envers les hommes sont les qualités du
cœur sacerdotal du Christ, médiateur.
Le
Christ s’est présenté à Dieu avec toute l’angoisse humaine, dans une attitude
de supplication et d’offrande. Par sa prière intense, il a ouvert à l’action
divine tout son être et son cœur d’homme. A sa prière Dieu a répondu en envoyant
l’Esprit Saint : »le Christ par l’Esprit Saint s’est offert lui-même
à Dieu » (He 9, 14). Il a été rendu parfait capable de communiquer à tous
cette perfection de docilité à Dieu et de solidarité fraternelle qui réalise la
nouvelle et éternelle alliance
Le culte
chrétien est prière et mobilisation pour la solidarité
Par le culte, le chrétien doit reproduire
les deux aspects essentiels du sacrifice du Christ, acte de docilité envers
Dieu et de solidarité envers les hommes. Désormais la religion ne peut se
concevoir comme une suite de pratiques extérieures qui s’ajoutent à la vie.
C’est dans l’existence même que la religion doit s’établir ; le Christ a
pris son existence même, la transformant grâce à la prière en une offrande parfaite
présentée à Dieu pour être utile aux hommes. Nous devons aussi prendre notre
existence et en faire une offrande à Dieu en nous présentant devant lui pour
être mis au service des autres. Le culte chrétien est la transformation de
l’existence : au moyen de l’amour qui vient de Dieu, nous accueillons la
plénitude divine qui perfectionne toutes nos relations. C’est le Christ prêtre
qui nous permet d’entrer dans une communion toujours plus réelle avec Dieu et
entre nous.
Pour entrer en
contact avec le Père, nous avons maintenant le sacrement du Corps et du Sang du
Christ dans l’Eucharistie quotidienne. Sa mission est toujours actuelle ;
il y intercède toujours en notre faveur et nous présente avec lui au Père pour
nous rendre parfait en son corps mystique. ¨