Signes et témoins
Refléter le visage du Christ
P. Noël PERROT, Spiritain
Je suis
d’origine bretonne (pointe du Finistère), chargé depuis peu de la gestion
financière de la Province spiritaine de France. Après mes études, je suis parti
en coopération internationale à Kongolo, dans la République Démocratique du
Congo en septembre 1968. Je fis là mes premières découvertes de ce pays, de la
langue locale, le Swahili, et d’une responsabilité concrète dans
l’enseignement. J’en garde un très bon souvenir. Ces deux années furent
déterminantes pour le choix d’un retour à Kongolo en 1973, après mon ordination
sacerdotale.
A Kongolo en
1973, commencent pour moi 14 années d’animation des communautés chrétiennes à
Kabongo, une vaste paroisse avec ses 140 villages, dont le plus lointain était
à 120 kilomètres du centre. Hors visites des villages, je participais à une
équipe de formation des catéchistes et responsables de communauté, qui venaient
en couple dans un petit centre de formation. Suite à cette première expérience
missionnaire, j’ai sillonné la Bretagne de 1987 à 1993 pour faire connaître les
réalités de ce pays et de l’Eglise du Congo.
Je suis
reparti avec joie en 1993 pour le Congo-Zaire. Je fus choisi comme responsable
du groupe pour six ans, avec comme principal objectif la consolidation d’une
fondation spiritaine émergente. Cela m’a permis de connaître beaucoup de villes
du Congo, découverte de Kinshasa en particulier où nous avons commencé un foyer
pour étudiants candidats spiritains en philosophie. Arrivé au terme de mon
mandat, j’étais libre d’engagement. Je me suis trouvé disponible pour répondre
à une situation nouvelle en l’an 2000. Des milliers de gens fuyaient les zones
de combat dans l’Est du Congo, secousses consécutives aux conflits des Grands
Lacs et à la chute du président Mobutu. A Lubumbashi, où je vivais alors, ces
déplacés de guerre affluaient, avec un maigre baluchon et rien pour vivre. Ils
se sont entassés dans des sites désaffectés. Alertés par des amis, j’ai
commencé par visiter ces gens dans une situation épouvantable : un millier
de personnes, des femmes seules avec leurs enfants, qui s’étaient réfugiées
dans une ancienne boucherie industrielle en ruine. Les maris étaient au front,
me disaient-elles. Elles étaient entassés dans de minuscules cellules, séparées
des voisines par une cloison en sacs de jute de récupération. Un bon nombre
vivait dans des chambres froides désaffectées, sans aération ni lumière, avec
l’amiante et l’humidité car le toit était parti..
Je fus
vraiment choqué, complètement saisi par ces gens à la dérive et sans
nourriture. J’avais même peur de m’y rendre. Ce sont les déplacés eux-mêmes qui
m’ont encouragé à revenir les voir. Je ne savais que faire. Je reprenais les
textes d’évangile du dimanche pour
amorcer une discussion qui débouchait sur une prière spontanée : en
fait, des cris de détresse à Dieu. Un groupe de femmes me dirent un jour leur
désir de trouver un lopin de terre pour faire un jardin et améliorer leur
nourriture. Un groupe de jeunes
religieuses Congolaises s’était organisé pour leur apporter de la nourriture et
s’occuper de la scolarisation des enfants. En
coopération avec elles, je me suis mis à rechercher un terrain
disponible et à obtenir les autorisations nécessaires pour en disposer. Cela
m’a entraîné dans un long compagnonnage de quatre ans avec ces déplacés de
guerre. Nous avons été épaulés par un organisme des Jésuites, le J.R.S., pour
la pédagogie à appliquer et surtout les moyens concrets.
Je regarde ces
quatre années comme un cadeau merveilleux dans ma vie. J’ai vu des gens
anéantis se remettre debout, inventer toutes sortes d’activités informelles,
braver les coutumes, nouant des solidarités avec leurs compagnons d’infortune
quelles que soient leurs origines. J’ai vu grandir les enfants, et aussi
l’immense problème des jeunes dans les villes africaines pour trouver un petit
boulot. C’est bien souvent être exploité plutôt que travailler.
Le but de notre
action était d’abord de les aider à se prendre en main, à travailler pour
vivre, à se former pour acquérir de nouvelles compétences et ainsi pouvoir
repartir chez eux ou bien s’intégrer dans le tissu social de Lubumbashi. Notre
projet a abouti au retour massif dans leurs milieux d’origine. Environ 700
personnes se sont installées dans les quartiers pauvres de Lubumbashi. Avec 300
euros, nous avons pu acheter une petite parcelle et les aider à construire leur
petite maison en briques à dobe et toit en tôles.
Pour moi
personnellement j’ai compris qu’à la fin du projet je devrais partir ailleurs
pour éviter la continuation d’une dépendance malsaine. L’organisme JRS a
organisé la fin du projet et la dissolution de l’équipe. Cela obligeait les
Déplacés à se positionner vis à vis de l’avenir. Evidemment dans un groupe de
cette sorte, il y a toujours des gens qui n’arrivent pas à se débrouiller. Une
sœur française, Marie Hélène du Carmel Apostolique, continue à soigner les
malades, les malades du SIDA en particulier.
Actuellement(4)
le Congo se prépare à des élections présidentielles, législatives et locales. C’est un espoir de déboucher sur un Etat
de droit, mais aussi une nouvelle épreuve possible. J’ai pu voir un film
« Congo River » du cinéaste Belge Thierry MICHEL qui décrit un pays
délabré et perdu par la guerre. Les routes ont disparues, le train est dans un
état lamentable. Il reste le fleuve. Le plus étonnant dans le film, c’est encore
ce vieux bateau qui arrive à remonter le fleuve sur 1500 kilomètres. Il montre
bien l’emprise de très nombreuses sectes qui détournent les gens du sens
rationnel des choses. L’Eglise catholique reste une des rares institutions
présentes à l’intérieur. Le cinéaste aurait pu aussi mettre en valeur la
créativité de la population. Les activités informelles permettent de survivre à
60 millions de personnes. Les femmes en particulier devraient avoir une place
plus grande dans la gestion du pays, car elles se préoccupent plus de la vie.
Il y a quelque chose de notre humanité qui se joue dans ce pays. Va-t-on
laisser couler le pays dans la misère ? Beaucoup de vautours économiques
se pressent sur les dépouilles, des marchands de matières premières et de matières
précieuses, qui se plaisent dans ce pays de non-droit.
Dans notre
équipe au service des Déplacés de guerre, j’étais le seul prêtre, avec 6
religieuses et 4 laïcs chrétiens. Les communautés religieuses auxquelles nous
appartenons nous ont rendus disponibles. C’est l’avantage du religieux, moins
soumis à gérer le quotidien des paroisses qui ont besoin de personnel. Notre
équipe a réfléchi souvent sur le lien avec l’Eglise. Autant la lecture de
l’évangile nous a inspiré, autant nous avons préféré agir en marge des
organismes officiels de l’Eglise. Nous n’avons pas voulu mêler l’action
humanitaire à quelque forme de propagande. Nous avons même lutté contre
quelques sectes qui disaient aux gens : « Venez chez nous et vous
recevrez de la nourriture » et nous
leur avons conseillé de prendre la nourriture sans scrupule mais de rester
libres… Nous n’avons pas eu de bénédiction de l’Evêque et nous ne l’avons pas
cherchée. Ceci dit, les communautés chrétiennes s’engagent sérieusement dans la vie sociale du pays.
Actuellement elles poussent les gens à voter et à voter avec réflexion sans
préconiser de candidat particulier. Les communautés religieuses, les prêtres
diocésains s’engagent pour le redressement de l’éducation, et pour rendre des
services civiques au pays. On a vu le Secours Catholique local se charger de
débrousser la ligne de chemin de fer pour que le train puisse arriver chez
eux !
Dans notre
Congrégation, nous avons plus de 30 jeunes spiritains Congolais et un nombre
impressionnant de jeunes en formation. Ils réfléchissent pour savoir dans quelle direction ils vont
orienter leurs efforts. Pour le moment ils se rendent disponibles pour
reprendre des missions dans la zone ravagée par la guerre : Manono, Kongolo
et Kindu. Ils veulent bâtir la paix au Congo. Il y a d’abord les corps à
soigner, mais surtout les cœurs déchirés. Combien de confidences j’ai reçu des
chocs subis. Voir massacrer ou violer des membres de sa famille vous marque
pour toujours. Combien d’enfants morts dans la fuite forcée. ? Des kilomètres
à pieds pour échapper au danger, jusqu'à avoir les pieds gonflés… Et ensuite
envisager de nouveau de vivre en bon voisinage avec les agresseurs, ce n’est
pas évident.
Bâtir la paix,
à mon avis, se fait en priorité par l’éducation de la jeunesse. L’enseignement
est devenu si insignifiant. Mais c’est plus large que l’enseignement : il
faut reprendre les mouvements de jeunes qui donnent une éducation civique.
Bâtir la paix,
passera par une plus grande place des femmes dans la gestion de la chose publique.
Ce sont elles qui portent à bout de bras la vie quotidienne.
Bâtir la paix
c’est conforter les chrétiens dans leur foi et leur rôle de bon samaritain, de
ceux qui osent dépasser les rôles cultuels ou ethniques pour venir en aide aux
blessés. Il y a tant de défis à relever.
Et pour nous, en Europe, il me semble que la
première attitude à avoir, est de croire dans les possibilités de ce peuple et
des missionnaires qui veulent suivre les pas de Poullart des Places et de Libermann, en devenant de véritables
serviteurs des pauvres. Le regard pessimiste tue et décourage, tandis que le
climat d’estime et de confiance décuple les énergies.
Nous nous
laissons facilement gagner par l’émotion et la compassion. Pour bâtir plus
profondément la paix, il faut aller plus loin et essayer de comprendre les
causes de tous ces mauvais évènements. La paix est un don de Dieu. Elle se
demande et elle s’accueille. Elle se reçoit dans le pardon, comme elle se donne
dans le pardon.¨