L’action
liturgique est action de l’Esprit et de l’Église. Un texte souvent cité d’un
évêque Orthodoxe applique fort bien l’action de l’Esprit Saint à la
liturgie : « Sans l'Esprit Saint, Dieu est loin dans les cieux,…la
mission est une propagande, le culte
une évocation. Mais en Lui : le Christ ressuscité est là,…la mission est
une Pentecôte, la liturgie est un mémorial… »(8) C’est un bel acte de foi en la présence et
en l’action de l'Esprit dans la vie chrétienne selon la tradition des Églises
orientales. Nous voulons relever ici comment l’Église et l'Esprit Saint interviennent dans la
liturgie chrétienne et y actualisent la volonté divine de sauver les hommes.
Ainsi : - La liturgie célèbre le Dessein de Dieu
- La prière liturgique est œuvre
de l’Esprit et de l’Église
- La liturgie nous unit au
Christ, en l’Esprit, dans l’Église
La liturgie, célébration
du Dessein de Dieu
Dans la
liturgie nous sommes à la fois les bénéficiaires, les acteurs et les
réalisateurs du dessein de salut. Si nous donnons à la liturgie tout le sens
que lui donnent les théologiens anciens et récents, toute célébration devient
le lieu ou se vit en pratique et en expérience la beauté du dessein de salut de
Dieu en Jésus Christ : elle nous le redit, nous le partage et nous le fait
vivre ensemble.
- La liturgie annonce et rappelle l’initiative de Dieu
Nous avons
appris que Dieu est créateur de tout et de tous, par amour. Dans la liturgie,
cela nous est constamment annoncée et rappelée, nous en célébrons la mémoire.
Toute célébration comporte normalement une lecture de la Parole de Dieu, plus
ou moins méditée et expliquée, pour que nous sachions bien ce qui se fait à
travers les signes liturgiques. Ainsi nous ne pouvons pas limité le sens d’un
baptême ou d’un mariage au simple événement familial avec sa beauté et à sa
joie humaine ; les textes bibliques lus et expliqués mettent l’évènement
célébré dans la totalité de l’existence des personnes et dans la richesse du
salut que Dieu nous a préparé à travers cette célébration.
- La liturgie est une
intervention de Dieu sur ce que nous vivons
C’est
librement que nous venons devant Dieu, pour l’assemblée priante du dimanche, ou
pour un rite de passage d’un jeune, une confirmation par exemple. Mais nous ne
sommes pas seuls à vivre cette action, nous apportons le contenu historique,
mais Dieu a voulu lui ajouter une signification spirituelle d’un sens plus
profond, spirituel et même divin, que lui seul pouvait accorder. Tout sacrement
c’est cela : une événement humain est porteur d’une signification
spirituelle (surnaturelle) que Dieu accorde dans l’événement même !
Dieu se plait à voir
nos gestes humains, de prière, de fraternité d’offrande, d’amour humain, et en
fait aussi son affaire en accordant la grâce de faire réussir ce que nous
voulons faire. Nous regrettons nos péchés, nous les reconnaissons dans la
confession, Dieu par sa grâce les pardonne et nous rétablit avec les autre et
avec Lui dans une meilleure amitié, que celle que nous avions brisée ! Un
jeune homme et une jeune fille viennent dire leur amour devant la communauté
chrétienne, Dieu lui-même reconnaît leur amour et y attache aussi sa
bénédiction pour en faire le signe de l’union du Christ et de l’Église, union
du cœur, union permanente, union jusqu’au don complet de l’un à l’autre, au
service des autres
- La liturgie nous fait accueillir ensemble les dons du salut
Une bonne nouvelle, un cadeau commun prend sa mesure
lorsqu’il est accueilli ensemble. La célébration, par ses mots, par ses
symboles, nous fait prendre conscience d’une présence et d’une affection qui
nous crée et nous fait vivre. Toute
l’histoire du salut fait appel à la réponse de l’homme aux propositions
divines. La liturgie en est la réalisation. La liturgie est dans le contexte de
l’initiative révélatrice et sanctifiante de Dieu. Mais elle comporte aussi la
participation active du croyant ou de ses représentants.
En Église, nous venons prendre place à la table du
Seigneur, non seulement pour en admirer le service et le contenu, mais avant
tout pour y communier et nous nourrir des mets et des boissons qu’il nous y
offre. Le P. Libermann souligne combien il serait ridicule que nous nous
exclamions devant la beauté de cette table sans jamais y goûter !
Les célébrations liturgiques,
œuvres de l’Esprit et de l’Église
La liturgie
est la prière commune officielle et permanente de l’Église par l’Eucharistie,
l’office divin et les sacrements. Comprise ainsi dans toute son extension, elle
est le lieu permanent du dialogue entre Dieu est les croyants, là où Dieu
exprime son projet de sainteté et où il le réalise. Toute l’organisation de
l’Église, en communautés et en sacrements, est concrétisée là dans cette action
prophétique, sanctificatrice et pastorale qu’est l’acte liturgique. Il ne peut
avoir toute son ampleur que dans la mouvance de l’Esprit Saint ; c’est en
lui seul que nous disons « Abba », Père.
La grande œuvre
de Dieu est le salut en Jésus Christ dans le mystère pascal qui l’a réalisé
« une fois pour toutes ». La Liturgie est mémorial et célébration de
l’action du Christ et surtout du Mystère pascal. Tout acte liturgique s’y
réfère, par les prières, les doxologies, les signes de croix, les signes
sacramentels.
La célébration
liturgique nous invite toujours à nous effacer pour laisser agir Dieu. C’est le
sens des lectures de la Parole de Dieu, conseillée ou demandée en chaque
liturgie. C’est le sens des invocations à l’Esprit Saint, riches et fréquentes
dans la liturgie d’après le concile Vatican II. C’est aussi le sens des moments
de silence prévus après les lectures ou après les acclamations. Par le sens
observé en assemblée, nous nous laissons mutuellement envahir par la Source
divine et nous intériorisons la grâce personnelle qui nous est donnée. La
liturgie n’est pas spectacle où on ne communie qu’à ce qui est proposé, évitant
les trous et les vides. En liturgie, il n’y a pas de vide, ce qui se passe au fond
est d’ordre invisible, c’est l’action de l’Esprit dans l’Église et donc dans
les cœurs.
Il y a, bien sûr, des
moments plus significatifs, provoqués par
telle ou telle action extérieure particulièrement parlante.
Personnellement j’ai gardé un souvenir fort de certains moments des grandes
liturgies romaines. Je rappelle volontiers le moment du « per Ipsum »
sur la Place St Pierre à Rome, aux messes pontificales. Dans cette élévation de
l’Hostie et du Calice, sont présents, le Christ ressuscité, le Pape qui
l’offre, la concélébration de nombreux évêques et prêtres, et toute une foule
internationale de 500.000 personnes. C’est la prière trinitaire de toute
l’Église, « Par Lui, avec Lui et en Lui, à Toi, Père dans l’Unité du
Saint Esprit, tout honneur et toute gloire » suivie de l’immense réponse d’une foule s’étendant à perte de
vue, jusqu’aux bords du Tibre : un Amen qui prend une dimension
d’acclamation éternelle de l’humanité pour le Dessein divin en cours de réalisation.
Ainsi, l’acte
liturgique possède une dimension centrale pour l’identité de
l’Église : : « La liturgie, l’action sacrée, n’est pas
seulement le premier lieu catéchétique, elle est aussi l’instance
d’identification de la communauté ecclésiale elle-même, l’expression de la foi
commune »(9)
La liturgie quotidienne et
dominicale
La liturgie exprime bien que Dieu
ne nous sauve pas sans nous. Certes il est Dieu et il a l’initiative, mais
toujours dans l’attente de notre consentement et dans la mesure de notre
participation. A travers la liturgie, chacun de nous accepte la communion au Christ, en l’Esprit, dans
l’Église, comme un plus spirituel d’ordre divin.
C’est vrai
d’abord au sens de ce que nous apprenons à prier avec l’expérience de l’Église
et l’inspiration de l’Esprit. Les textes bibliques sont lus et priés, les
gestes religieux sont explicités et remplis de leur sens original ; les
attitudes du corps prennent une dimension publique qui serait vide sans
intériorité.
Mais aussi
nous apprenons à discerner et à évaluer selon l’Esprit saint. En méditant sur
les gestes du Christ lui-même, comment il a agit et réagit, en priant avec lui
dans les moments de joie ou de peine de sa vie, nous apprenons ensemble à la
lumière de l’Esprit Saint, à devenir chrétiens. Les divers personnages de
l’histoire du salut sont présentés dans leur contribution ou dans leur
résistance à l’histoire du salut : la foi d’Abraham, la patience de Job,
l’engagement des prophètes, la conversion de Pierre et de Paul, le magnificat
de Marie, sont une école permanente pour connaître ce dialogue entre Dieu et
les hommes. C’est une école de discernement.
Nous sommes aussi éduqués à la beauté et à la
solennité des louanges chrétiennes. De grands artistes ou savants nous aident dans
cette découverte : musiques de Mozart, Bach, etc. Cantiques de Deiss,
Gelineau, Tassin etc. Architectures des cathédrales et de chapelles,
décorations florales etc. Le monde entier contribue à la louange du créateur
comme le célèbre le beau texte de Teilhard de Chardin : « La messe
sur le monde »
Enfin le
déroulement de l’année liturgique nous infuse la force de l’Esprit pour nous
engager en chrétiens. Chaque semaine, nous avons à répondre à de nouveaux
appels humains ou spirituels. Chaque semaine la liturgie nous dispense la
lumière et la force qu’il nous faut pour y répondre selon notre vocation. Nous nous ressourçons ainsi dans la famille
des chrétiens : les sources chrétiennes, les grands saints et saintes, les
traditions de spiritualité, les persécutés pour la foi : tout cela célébré
ensemble devant Dieu, nous donne les clés pour comprendre nos propres
responsabilités du moment.
Nous relisons
avec joie les directives spirituelles et pastorales du Pape Jean-Paul II
invitant l’Église à entrer dans le nouveau millénaire(10):
« La plus grande attention doit donc être portée à la liturgie, « le sommet
vers lequel tend l'action de l'Église et en même temps la source d'où découle
toute sa force ». Au vingtième siècle, spécialement à partir du Concile, la
communauté chrétienne a beaucoup grandi dans sa façon de célébrer les
sacrements, surtout l'Eucharistie. Il faut persévérer dans cette direction, en
donnant une importance particulière à l'Eucharistie dominicale et au dimanche
lui-même, entendu comme un jour particulier de la foi, jour du Seigneur
ressuscité et du don de l'Esprit, vraie Pâque hebdomadaire. Depuis deux mille
ans, le temps chrétien est scandé par la mémoire de ce « premier jour après le
sabbat » (cf. Mc 16,2.9; Lc 24,1; Jn 20,1), où le Christ
ressuscité fit aux Apôtres le don de la paix et de l'Esprit (cf. Jn 20,19-23).
La vérité de la résurrection du Christ est le donné originel sur lequel
s'appuie la foi chrétienne (cf. 1 Cor 15,14), événement qui se place au
centre du mystère du temps et qui préfigure le dernier jour, lorsque le
Christ reviendra dans la gloire ».
« Je voudrais donc insister, à la suite de la
lettre Dies Domini, pour que la participation à l'Eucharistie soit
vraiment, pour tout baptisé, le cœur du dimanche. Il y a là un
engagement auquel on ne peut renoncer et qu'il faut vivre, non seulement pour
obéir à un précepte, mais parce que c'est une nécessité pour une vie chrétienne
vraiment consciente et cohérente. Nous entrons dans un millénaire qui s'annonce
caractérisé par un profond mélange de cultures et de religions, même dans les
pays de christianisation ancienne. Dans beaucoup de régions, les chrétiens
sont, ou sont en train de devenir, un « petit troupeau » (Lc 12,32). Cela
les met face au défi de témoigner plus fortement des aspects spécifiques de
leur identité, et bien souvent dans des conditions de solitude et de
difficultés. Le devoir de la participation eucharistique chaque dimanche est
l'un de ces aspects. En réunissant chaque semaine les chrétiens comme famille
de Dieu autour de la table de la Parole et du Pain de vie, l'Eucharistie
dominicale est aussi l'antidote le plus naturel à la dispersion. Elle est le
lieu privilégié où la communion est constamment annoncée et entretenue.»
Gardons l’émerveillement des disciples d’Emmaüs
Si
nous plaçons ainsi notre vie liturgique au cœur de notre vie spirituelle, nous
n’aurons pas de mal à la vivre à la lumière de l’Esprit dans la charité de l’Église.
Nous recevrons quelque chose de l’émerveillement des disciples d’Emmaüs,
croyant être allés à l’auberge, ils se sont trouvés au cœur de la messe. « Par l'intercession de la Bienheureuse
Vierge Marie, que l'Esprit Saint allume en nous la même ardeur dont les
disciples d'Emmaüs firent l'expérience (cf. Lc 24, 13-35) et qu'il renouvelle
dans notre vie l'émerveillement eucharistique pour la splendeur et la beauté
qui resplendissent dans le rite liturgique, signe efficace de la beauté infinie
elle-même du saint mystère de Dieu. Ces disciples se levèrent et retournèrent
en hâte à Jérusalem pour partager leur joie avec leurs frères et leurs sœurs
dans la foi. En effet, la vraie joie est de reconnaître que le Seigneur demeure
parmi nous, compagnon fidèle de notre chemin. L'Eucharistie nous fait découvrir
que le Christ, mort et ressuscité, se manifeste comme notre contemporain dans
le mystère de l'Église, son Corps. Nous sommes rendus témoins de ce mystère
d'amour. Souhaitons-nous mutuellement d'aller pleins de joie et
d'émerveillement vers l'Eucharistie, pour faire l'expérience de la vérité de la
Parole par laquelle Jésus se sépara de ses disciples et pour l'annoncer aux
autres: « Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde » (Mt 28,
20) » (Benoît XVI, Le Sacrement de l’Amour n° 97, 2007). ♦
8- Métropolite Ignatios de Lattaquié au COE à Upsala en
1968
9- Mgr André Vingt-Trois, DC du 18 mars 2007 p. 271