Signes et témoins



Itinéraire spirituel de Joseph KING WOOM
Témoin des Iles : novice spiritain

Par le P. Etienne Osty   spiritain


Le P. Etienne Osty a été Maître des Novices spiritains d’abord au Cameroun puis à la Rivière des Pluies, à l’Ile de la Réunion, où se trouve le noviciat spiritain de la Fondation de l'Océan Indien. Il nous dit lui-même comment il a connu Joseph King, ce qui explique l’authenticité de son témoignage.

 J’ai connu Joseph KING durant une année et demie. Je fus en effet son maître des novices de septembre 2001 à septembre 2002. Après son année de noviciat, Joseph est resté à la paroisse de la Rivière des Pluies pour son année de stage pastoral. Il m'a demandé d'être son père spirituel. Je l'ai donc accompagné durant les six mois qui lui restaient à vivre, pendant cette dernière étape où il s'est préparé au face-à-face avec son Seigneur, le 17 février 2003. Peu avant sa mort, il m'a montré un cahier sur lequel il écrivait ses prières. Il voulait le détruire. Je l'ai dissuadé. Après sa mort, j'ai pensé intéressant d'éditer cet écrit que j'ai intitulé : « Journal de l'âme d'un chercheur de Dieu ». J'utiliserai quelque peu ce journal de Joseph pour essayer de présenter son itinéraire spirituel.

Naissance et formation initiale : primaire et secondaire
Joseph King est né le 23 juillet 1967, à Port-Louis, Île Maurice, dans une famille de petits commerçants d'origine Chinoise. Personne n'était chrétien dans sa famille. Il n'est donc pas baptisé et sera éduqué comme un jeune athée. Joseph sera en contact cependant avec les chrétiens dès son jeune âge. Il fait ses études primaires à l'Ecole Notre Dame de la Paix tenue par les Soeurs Filles de Marie, car c'était près de chez lui et l'on y obtenait de bons résultats scolaires. Il fait ensuite ses études secondaire au Collège Royal de Port Louis. Il est aussi engagé avec de jeunes scouts chrétiens. Je donne la parole à Joseph dans ce qu'il appelle : « Récit de ma vocation », rédigé lors d'une retraite du noviciat, en avril 2001.
            « Lorsque je préparais mon bac, je n’étais pas catholique, pas chrétien non plus. J’étais assis en classe auprès d’un ami musulman et un autre Hindou. Nous discutions assez souvent de Dieu et de la religion. Moi, j’étais athée. Dieu n’existe pas. La science peut tout expliquer. L’homme est un être puissant qui peut tout faire. La religion est le refuge des hommes faibles ... »

De l'humanisme à la foi ou l'engagement pour « ses prochains »
« Quelques années plus tôt, d’un « ravageur » que j’étais au collège, fumeur, école buissonnière, etc. Je fis une conversion, un virage à 180°. De ravageur, je devins quelqu’un de serviable. Je devins actif pour les jeunes étudiants, m’occupant de la piscine, du programme de Mérite de la Jeunesse, etc... Je ne saurais vous expliquer le comment ni le pourquoi de ce revirement ... Vous remarquerez qu’il n’y avait pas de place pour Dieu dans ma vie. Le bénévolat que je faisais au collège/lycée mettait aussi Dieu de côté car je pensais que c’est à l’homme d’améliorer ses conditions de vie ... »

Vers la foi chrétienne
Joseph raconte ensuite sa valse des emplois et son incapacité à durer quelque part, manifestant ainsi une grande instabilité. Comme pour le roi David, un ‘vrai péché’,  sera cause de sa conversion.
« Un vrai péché que je commis ... Ce fut un coup atroce pour moi. Qui était à blâmer ? Moi-même bien sûr ! Mais je blâmais les autres .... Ce péché le plus vil de tous, cet épisode de ma vie m’a plongé dans le dégoût profond de moi-même. Peut-être est-ce cela une dépression ? Longtemps, j’errais dans les rues. Je rentrais en moi-même à l’église ou j’allais pour « prier ». C’est cela l’événement qui m’a rapproché de l’Eglise, mon désir d’oublier cet épisode de ma vie, d’être pardonné, de revivre ... »

Baptême
Sur la demande du curé, Joseph s'inscrit au catéchuménat. «Je rencontrais régulièrement les soeurs Filles de Marie auprès desquelles je fis le catéchisme. Mon progrès et mon cheminement furent longs, environ trois ans ... Je posais nombre de questions : La place de Dieu et de l’homme, la résurrection, etc. Mon catéchisme était de type traditionnel, des dogmes qu’il fallait croire ... En 94, le 6 juillet, vers 16 h ou 17h, de l’après-midi, je fus reçu pour le baptême, première communion et confirmation. »

Vers un plus haut service
« J’ai dit quelque chose ce jour-là : Que je ne savais pas où s’arrêterait cet appel, si appel il y avait, bien sûr. À partir de ce jour, je vivais dans une certitude, une soif qui pourtant me donnait soif encore et encore de lui ! Je ne le savais pas, Jésus n’était pas à boire, que je sache ! »
Il faudra à Joseph pour faire son choix de vie quatre années de discernement à l'Île Maurice, dont une au Foyer diocésain des vocations, 97-98 et une autre au Centre d'accueil des spiritains de Pont Praslin, 98-99. Il choisit les Spiritains pour vivre un certain radicalisme concernant la pauvreté et surtout pour leur côté religieux-missionnaire.

Au grand Séminaire
            Voici Joseph, en septembre 99, à la Réunion, pour deux années, au Grand Séminaire de la Trinité, pour le compte des Spiritains. Il réside au Foyer Monnet, lieu de vie du 1er cycle des étudiants spiritains. Il fait une première année brillante sur le plan intellectuel. C'est au cours de sa deuxième année qu'il va connaître l'épreuve.

L'épreuve de la maladie
            Le 10 janvier 2001, Joseph fait une perforation d’estomac. Il est opéré le 11 janvier. On lui découvre un cancer à l’estomac. Joseph se prépare à sa deuxième opération en écrivant à ses proches et à sa famille pour le cas où il ne se relèverait pas. On notera son insistance pour dédouaner l’Eglise et surtout la Congrégation du Saint-Esprit de toute responsabilité dans son malheur ; sa famille n’est pas chrétienne.
            « J’ai pris connaissance de ma 2e opération, un cancer à l’estomac, qui consiste à enlever l’estomac et à le remplacer par un morceau d’intestin ... Que ma famille comprenne que mon cancer est indépendant de ma décision de venir à la Réunion. Au contraire, ma présence ici est positive en ce sens que je bénéficie de meilleurs services de santé. Que ma famille ne blâme ni les prêtres, ni l’Eglise, ni la Congrégation du Saint-Esprit d’avoir tué leur fils et leur frère.» (16/01/2001)

Convalescence et incertitudes pour l'avenir
            Joseph récupère très vite et retrouve ses activités normales de séminariste spiritain. Cependant, à partir de février 2001, les interrogations sur sa maladie, l’incertitude de l’avenir, ainsi que des difficultés à vivre la vie communautaire et une forte envie de quitter à certains moments deviennent omniprésentes, avec des alternances de consolations suivis de longues désolations. Voici quelques extraits de son Journal de l'âme, plus éloquents que tout commentaire.

Courte période de consolation
« Qu’ai-je donc, maintenant que je vois plus réellement la mort, à avoir du regret ? Accepte. Confiance. Je serai toujours en de bonnes mains. Là où me mènera le Seigneur est un pré d’herbes fraîches où je pourrai piquer ma tente, dormir m’étendre et me reposer. » (28/02/2001)
« ... J’ai réalisé, ce matin, que les paroles de la messe prenaient plus de sens pour ne pas dire tout leur sens en moi ... en ce présent, quand je suis sur le registre de la mort ... L’homme est créé pour la plus grande gloire de Dieu, dans quelque condition qu’il soit. Tout doit m’être indifférent, maladie ou santé, biens ou pauvreté. Puisque Dieu m’a appelé pour sa Gloire, pour l’annoncer, pour témoigner de lui auprès des hommes, il restera fidèle à son appel. Et où que je sois, sur le lit d’hôpital, ou mourant sur un lit, je continue à être l’instrument de Dieu pour annoncer la Bonne Nouvelle. » (09/03/2001)
            « Y a-t-il donc du chagrin de devoir partir ? Oui, il y en aura. Mais pas de regrets de n’avoir pas vécu. J’ai vécu ma vie et nul ne peut vivre indéfiniment. La mèche s’éteint à son heure comme toute vie dans l’univers. À quoi sert-il de nous donner la vie et de la reprendre ? Quel sens a la vie, puisque la mort est ? À moins que la mort ne soit pas et que seule soit la vie ... » (16/03/2001).

Désolation
« À l’entretien, le directeur, m’a menacé du doigt, me disant : « J’ai fait du racisme ... » J’ai bien envie de plaquer, de démissionner, de quitter comme je l’ai fait maintes fois ... Ma vie ne sera-t-elle qu’une succession de départs ? Où irai-je encore si ce n’est entre les mains du Seigneur ? Même le Seigneur me renvoie ! Mais c’est moi qui ai le coeur endurci, qui ne demande pas pardon, qui refuse d’aller aux autres. J’ai le coeur rempli d’orgueil, préférant être seul, sur ma montagne, par fausse fierté ... J’irai demander pardon ... mais quel effort d’humilité cela me demandera!» (20/03/2001)

Novice Spiritain
Le 27 juillet 2001, Joseph retourne à Maurice pour un mois de vacances en famille avant d’aborder le noviciat le 1er  septembre 2001. Son année de noviciat sera plus sereine et apaisée. Joseph sait se poser les bonnes questions et va faire une belle ascension spirituelle. Quelques extraits encore de son « Journal de l'âme » : «Pourquoi aller vers le noviciat ? Evidemment, je suis en enfant gâté, qui retire beaucoup de sa maman et de ses soeurs. En partant, je dois faire plus par moi-même... Seigneur, y-a-t-il un appel de ta part ou me le suis-je suggéré ? Cette année de noviciat, je me dois de l’utiliser au maximum : Je dois essayer de faire que rien ne compte plus que de découvrir ce que Dieu ou Jésus-Christ me propose. » (Août 2001)

Pourquoi écrire au Seigneur ?
« Depuis quelques temps Seigneur, il m’est venu à l’idée de t’écrire de belles lettres durant mon temps de méditation personnelle. En écrivant, je ne vais pas vite. Ma prière va à la vitesse de ma plume. Est-ce que je le fais pour laisser derrière moi une oeuvre posthume, un manuscrit  autobiographique ? Est-ce que je veux que l’on se souvienne de moi ? Je ne le sais trop moi-même ... Oui, il y a un désir, au fond de moi de durer, de perdurer. Le corps peut mourir, la matière vivante retourner à la poussière mais l’homme n’est pas que matière. Il est plus que cela. Il est conscience. Nous nous souvenons encore de sainte Thérèse.

Corrige-moi de ma jalousie.
En ces moments, je te demande de me corriger de ma jalousie. Je pense que cela est fort en moi, d’une force inhumaine, telle qu’elle peut tout détruire. Je suis jaloux lorsqu’un de mes confrères est plus estimé, lorsqu’il est meilleur que moi. Je désire égoïstement être le premier en tout, dans les études, dans les prises de responsabilité, dans l’intelligence, etc. Je ne pense pas que je puisse être lavé de ma jalousie. Je me dois d’assumer mon être. Je dois accepter que je sois un être jaloux ou capable de jalousie. Mais un autre sentiment doit le combattre afin que les autres puissent vivre, et avoir leur place, ex-æquo avec moi ou plus que moi. (24/12/2001)

La chasteté m’est difficile !
«Ne serait-t-il pas plus sage de me retirer? J’aimerais te dire que je ne crois pas que je serai capable d’être chaste comme prêtre ou célibataire. Cela est un motif d’empêchement à la prêtrise. Cela est difficile … Alors, ne serait-il pas plus sage et mieux pour l’Eglise et pour moi que je prenne la décision de me retirer dès maintenant?»

Pourquoi rester?
            J’ai fait un choix extrême. Je dois pouvoir l’assumer. « Ici, j’ai dû prendre une décision me concernant, dans toute ma personne. C’est vrai, je l’ai prise sans demi-mesure, peut-être fidèle à mon caractère de fonceur, sans avoir tout évalué ... J’ai pris une décision extrême. Pas de compromis. Vais-je pouvoir l’assumer ? Tu m’as certainement pourvu de tout ce qu’il faut pour l’assumer. Aide-moi, en mettant la main à la charrue, d’aller de l’avant, de ne pas regarder, avec chagrin, en arrière, … Nul ne peut tout avoir. Ce qu’il me faut, donc, c’est d’accepter qu’il y ait des projets, qui ne me sont pas permis et d’assumer ma décision. » (01/01/2002)

Mourir à soi-même. Prière d’abandon : Je suis prêt, me voici :
« Seigneur, aujourd’hui j’ai l’idée de mettre sur le papier, mon désir de mourir à moi-même, d’être l’homme nouveau, de me laisser estomper, de m’effacer, de me perdre moi-même, d’oublier tout de moi-même afin que toi, tu puisses le remplir.
Que de toi, je sois comblé. Ainsi, je serai cet homme nouveau, à ton image, fidèle, un être tel que tu l’aimerais, qui serait disponible pour ton oeuvre dans le monde ... Tu as bien dit, Seigneur, qu’il faut mourir à soi-même. Je suis prêt à le faire. Me voici, opère en moi ce que tu voudras. Comble-moi de toi. » (04/01/2002)

Début avril 2002,
            Joseph fait une auto-évaluation de ses sept premiers mois de noviciat. Il ne craint pas d’aborder les sujets les plus intimes concernant la vie spiritaine.
« Le plus important, est si moi, je peux vivre comme un Spiritain la vie religieuse, en mission, en communauté. Après six mois de noviciat, je trouve que c’est difficile. Plusieurs aspects de la vie spiritaine me sont difficiles ... Quels sont ces aspects ?
Chasteté : Etre prêtre, religieux, cela me demande la chasteté, continence et célibat. Jusqu’à présent, j’ai tenu. Je ne suis pas sûr de pouvoir tenir toute ma vie. J’ai peur de moi-même, peur qu’un jour je ne désire avoir une amie, que je désire m’assouvir sexuellement et que je cède à la tentation. J’ajoute que la mission n’étant pas une chose facile, il est tentant de chercher refuge / consolation / affection auprès d’une femme. Pauvreté, je trouve que j’aime bien vivre la pauvreté sur une courte période de temps, mais qu’à la longue, mes désirs resurgissent.
Obéissance. J’ai un caractère fonceur en solo, selon mon idée. Alors, je me demande si je pourrai vivre l’obéissance ? »
Mission : Avec l'avènement de ma maladie, cela signifierait ma mort que d'être affecté dans des endroits difficiles. Alors, les Spiritains, est-ce toujours pour moi ? (03/04/2002)

Missionnaire Spiritain
Malgré sa santé fragile, Joseph est admis à prononcer ses voeux religieux. Nous insérons ici le début de son acte de profession personnalisé ici avec sobriété et justesse. « Dieu s’est fait homme afin que l’homme devienne Dieu. »
En Jésus-Christ, Dieu est devenu homme afin de nous montrer le chemin vers Dieu.  Voulant apporter mon galet à la construction du Royaume de Dieu, désirant être au service de mon prochain pour promouvoir sa dignité et en faire un homme debout, désirant lui apporter la Bonne Nouvelle et dialoguer avec les croyants de fois différentes.
Me voici devant toi maintenant Seigneur. Je te donne ma vie pour le service de ton Eglise dans la vie religieuse pour la mission universelle ...
Joseph s’est donc engagé dans la vie spiritaine le 09 septembre 2002. Immédiatement après la profession, il est en stage pastoral dans la paroisse de la Rivière-des-Pluies. Il a commencé à perdre du poids depuis le mois de mai. La dégradation de sa santé va s’accélérer, si bien que Joseph ne connaîtra de la vie missionnaire que la maladie et la souffrance. Il offrira ses souffrances comme autrefois avait su le faire Sainte Thérèse de l’enfant Jésus. Hospitalisé à la clinique Sainte Clotilde, Joseph meurt au petit matin du 17 février 2003. Puisse son témoignage, recueilli dans son « Journal de l'âme » lui permettre de réaliser sa vocation missionnaire à titre posthume. ¨            (Sur les Spiritains, voir www.spiritains.org)