Parole de Dieu


Baptisés, « morts au péché et vivants à Dieu »


P. Elvis  Elengabeka, spiritain


Elvis Elengabeka est prêtre spiritain originaire du Congo Brazzaville. Après une expérience en paroisse à Yaoundé (Cameroun), il s’est spécialisé en exégèse à Strasbourg et à Jérusalem. Depuis trois ans, il enseigne le Nouveau Testament et les langues bibliques à l’école Théologique Saint Cyprien (Yaoundé), à l’Université Catholique d’Afrique Centrale (Yaoundé) et dans divers grands séminaires d’Afrique. Il s’occupe également de la formation des jeunes spiritains au Scolasticat Poullart des Places (Yaoundé).

Une exploration de la littérature spirituelle contemporaine fera constater l’existence d’un grand nombre de méditations bibliques sur le baptême. Elle fera découvrir, par exemple, qu’il y a vingt ans, Michel Quesnel publiait une Petite Bible du baptême(1). Ce livre offre un véritable parcours sur l’enracinement biblique de la pratique baptismale. Mais au lieu d’un panorama de morceaux choisis, il est aussi possible de s’arrêter sur un extrait biblique emblématique et recueillir son message sur le baptême.

Un texte symbolique : Rm 6,3-11.

            « … baptisés dans le Christ Jésus, c'est dans sa mort que tous nous avons été baptisés ? Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions nous aussi dans une vie nouvelle. Car si c'est un même être avec le Christ que nous sommes devenus par une mort semblable à la sienne, nous le serons aussi par une résurrection semblable ; comprenons-le, notre vieil homme a été crucifié avec lui, pour que fût réduit à l'impuissance ce corps de péché, afin que nous cessions d'être asservis au péché. Car celui qui est mort est affranchi du péché. Mais si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que nous vivons aussi avec lui, sachant que le Christ une fois ressuscité des morts ne meurt plus, que la mort n'exerce plus de pouvoir sur lui. Sa mort fut une mort au péché, une fois pour toutes ; mais sa vie est une vie à Dieu. Et vous de même, considérez que vous êtes morts au péché et vivants à Dieu dans le Christ Jésus.» (Rm 6, 3-11)

            Cet extrait de l’épître de saint Paul aux Romains occupe une place particulière parmi les textes du Nouveau Testament qui traitent du baptême. Cela se manifeste tant par le texte lui-même que par l’usage que les chrétiens en font.
            Du point de vue de son contenu, le passage se distingue en ce qu’il ne décrit pas les circonstances de la célébration d’un baptême(2). Il ne délivre pas non plus une recommandation de pratiquer le sacrement en question(3), mais en propose une explication, comme le suggère la formule « comprenons-le » au v. 6. Cet impératif sollicite clairement l’intelligence des destinataires de la lettre et présente la réflexion de l’auteur comme une relecture interprétative du baptême. Cette perspective n’est pas étrangère à la spiritualité. En effet, la compréhension d’une réalité conduit au-delà de ses seuls aspects matériels et introduit dans son esprit. Si cette supposition est vraie, le texte choisi représente un lieu significatif de spiritualité baptismale.
            Sur le plan de son usage dans la vie de l’église, signalons que Rm 6, 3-11 revient deux fois au cours de l’année liturgique, si l’on se limite aux dimanches et aux grandes fêtes. En plus du treizième dimanche du temps ordinaire de l’année A, il occupe une position remarquable dans la liturgie de la parole de la vigile pascale. Ce dernier emploi fait de lui un véritable classique biblique sur le baptême. Il permet également de souligner le lien entre l’expérience baptismale et le mystère pascal dont le vocabulaire se rencontre clairement dans notre texte de référence. C’est ici qu’il convient de se souvenir que dans l’Antiquité, le baptême s’administrait pendant la nuit pascale après une catéchèse préparatoire intensive au long du carême.
            Cette spécificité que nous avons tentée de mettre en relief, ne referme le texte sur lui-même. A dire vrai, la facture pascale qui le caractérise revient aussi dans d’autres passages baptismaux du corpus paulinien. Nous le disons, en pensant notamment à Col 2, 11-13 où il est écrit :
             « C'est en lui [le Christ] que vous avez été circoncis d'une circoncision qui n'est pas de main d'homme, par l'entier dépouillement de votre corps charnel ; telle est la circoncision du Christ : ensevelis avec lui lors du baptême, vous en êtes aussi ressuscités avec lui, parce que vous avez cru en la force de Dieu qui l'a ressuscité des morts. Vous qui étiez morts du fait de vos fautes et de votre chair incirconcise, Il vous a fait revivre avec lui ! Il nous a pardonné toutes nos fautes !»

            En marge de cette parenté autour la participation à l’ensevelissement et à la résurrection du Christ, le passage de la lettre aux Colossiens assimile le baptême à une circoncision d’un autre ordre que celle de la chair. Alors que la circoncision de la chair est exclusivement masculine, la circoncision baptismale, parce que non charnelle ne souffre pas de la limitation à un seul sexe. Alors que la circoncision charnelle se rapporte à une culture particulière, celle du baptême, en situant sur un autre registre, dépasse les particularismes culturels. Le baptême se présente donc comme le lieu, non pas de l’exclusion, mais de l’intégration de tous les sexes et de toutes les cultures.
            Pour revenir à Rm 6, 3-11 et recueillir la spiritualité du baptême qu’il véhicule, fixons notre attention sur ses évocations explicites de la réalité baptismale.

Un message saisissant 

            Les trois évocations du baptême contenues dans notre texte de référence se concentrent dans ses deux premiers versets : « … baptisés dans le Christ Jésus, c'est dans sa mort que tous nous avons été baptisés ? Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions nous    aussi dans une vie nouvelle.» (Rm 6, 3-4)

            Pour les commodités de l’analyse, classons les énoncés sur le baptême en deux catégories. Nous nous retrouvons avec deux déclarations évoquant le baptême par des formes verbales – « baptisés dans le Christ…..et  tous nous avons été baptisés » – et une proposition qui le mentionne par un substantif – «  Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort… »    

Baptisés
            Dans les versets que nous avons sélectionnés, les deux emplois de ce participe sont tous au pluriel. Curieusement, il en est de même pour tous les verbes conjugués ainsi que les formes nominales qui se rapportent aux destinataires du discours de Paul dans ce passage. Au-delà d’une simple indication quantitative, ce nombre renvoie à une collectivité. Le sacrement du baptême nous inscrit d’emblée dans une communauté. Vivre son baptême, c’est tenir en éveil la conscience d’appartenir à une famille, qui n’est autre que le corps ecclésial(4). Cette sensibilité communautaire paraît d’autant plus actuelle que l’individualisme est souvent déploré comme un méfait de la société moderne.
            Toujours dans cette optique communautaire, remarquons aussi que la seconde utilisation du verbe « baptiser » apparaît précisément dans la tournure «…tous nous avons été baptisés… ». Cette proposition apporte des accents spécifiques à la dimension collective déjà relevée. En employant l’adjectif « tous », le texte donne à penser que la famille des baptisés n’est pas un groupe sectaire, mais s’ouvre à l’universel. On retrouve ici le lien entre baptême et universalité, présent à la fin de l’évangile selon saint Matthieu(5), repris par Marc à sa manière(6) et répété par Paul en Ep 4, 5-6.
            Cette tendance du texte à la globalisation comporte une autre caractéristique. Même si, à la fin de la séquence que nous lisons, Paul se sert de la deuxième personne du pluriel, notons que partout ailleurs dans le texte, il préfère la première personne du pluriel. Cette constatation fait dire que l’auteur pratique un langage plus inclusif qu’exclusif. Il ne se situe pas en dehors ou à distance de ses Romains auxquels il s’adresse, mais au contraire se montre solidaire de leur condition spirituelle. Nous n’abuserons certainement pas du texte en affirmant que la présence massive de la première personne du pluriel, traduisant l’unité auteur-destinataire, suggère que le baptême est le sacrement de la solidarité.
            S’il fallait rassembler les différents aspects de la rhétorique baptismale mise en œuvre dans le texte, nous parlerions d’un baptême dont la devise est : communauté, universalité, solidarité. En conséquence, vivre son baptême reviendrait à s’engager en faveur d’un monde plus ouvert à l’altérité. Au nom de son baptême, le chrétien se reconnaît dans tout effort pour faire reculer l’individualisme, décloisonner les cercles fermés, se sentir concerné par ce que vit l’autre qu’il soit proche ou lointain.

Ensevelis
            La réalité contenue dans ce terme est par définition négative. Elle va à l’encontre de la tendance naturelle de l’homme qui n’économise rien pour exister. Dans notre texte, il traduit une situation résultant du baptême. Cependant, dans la logique de l’auteur, l’ensevelissement n’apparaît que comme une étape qui ne saurait se confondre à la fin du parcours. Sans vouloir verser dans la caricature, on pourrait schématiser le raisonnement dans cette définition du baptême : une mort pour la vie nouvelle. En somme, le fait baptismal comprend une action et une finalité.
            Accepter le baptême, c’est prendre la mort pour compagne de vie. L’existence baptismale consiste à tuer le mal que Paul nomme péché. A ce sujet, le dominicain Marie-émile Boismard écrivait : « Il faut prendre ici le mot ‘péché’ au sens que Paul lui a donné dans la lettre aux Romains : cette tendance mauvaise en nous qui prend occasion de notre chair pour nous faire agir à l’encontre de la volonté divine. »(7)

            Cette chose négative relève de l’ancien régime, comme l’atteste la suite du sixième chapitre de l’épître aux Romains. En d’autres termes, vivre en baptisé, c’est faire le deuil de ce qui nous retient loin de la justice (Rm 6, 18). Le baptême implique le refus de certaines choses et cette attitude est clairement signifier dans la célébration, lorsque, avant de confesser la foi en la trinité, il est demandé à celui qui souhaite recevoir le baptême de renoncer à Satan.
            En marge de cette attitude, l’expérience montre que quelques fois la célébration du baptême est marquée par certaines hésitations qui s’interrogent sur la nécessité du sacrement dont il s’agit. Cette situation fait remonter à la penser de Paul pour qui le baptême n’est pas une fin en soi, mais aboutit à la nouveauté créée par la victoire des forces de la vie sur celles du mal. Vivre en baptisé, c’est mobiliser ses ressources pour la création d’une « terre nouvelle » sous des « cieux nouveaux » selon les mots de 2 P 3, 13.

Vers le Christ
            Toutes les évocations du baptême, contenues dans le texte que nous avons choisi, entretiennent un rapport avec la personne du Christ. On pourrait ici relever une différence entre Matthieu et Paul. Pour le premier, le baptême s’administre au nom de la Trinité, alors que le second se limite au seul Christ. Ce dernier n’est-il pas une personne trinitaire ? Au-delà de la personne divine à laquelle se réfère l’acte baptismal, focalisons notre attention sur le lien qui se tisse avec elle. A ce sujet soulignons deux points.
            Le verbe « baptiser », utilisé pour dire cette relation, parle de lui-même lorsqu’on se souvient de son sens propre. Baptiser, c’est littéralement plonger. Le terme s’employait aussi bien pour une personne qui est plongée dans le sommeil, les soucis, les dettes que pour un bateau qui, ayant coulé, se trouve dans les profondeurs de la mer. Appliquer au sacrement, cette signification permet d’affirmer que le baptême, par immersion ou par aspersion, plonge le baptisé dans le Christ. Ceux à qui il est arrivé de se baigner un jour savent que plonger, c’est se rendre au fond. Transposer à notre sujet, cela revient à dire que le baptisé s’immerge dans le Christ au point d’en faire le cadre dans lequel il vit. Dans une autre lettre, le même auteur avouera : «… ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi. Ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi » (Ga 2, 20). Le Christ devient donc la règle de vie du baptisé.
            Grammaticalement parlant, le lien entre les personnes baptisées et le Christ est médiatisé par une préposition. La Bible de Jérusalem, dont nous servons, la rend par « dans ». En grec, il s’agit de « eis », qui se traduit littéralement par « vers ». Dans ce cas, le Christ est l’horizon vers lequel tend le baptisé. Par le baptême, notre existence chemine vers une destination : la personne du Christ. Ce dernier n’est pas seulement la règle, mais encore le but de l’action du chrétien. On pourrait ici faire un rapprochement avec l’évangile selon saint Jean où, suivant le texte grec, on croit, non pas en, mais vers. Nous découvrons ainsi le caractère dynamique de la foi baptismale, qui n’est pas acquise une fois pour toutes, mais qui est une dynamique faisant avancer toujours un peu plus près du Christ.
            S’il fallait, d’un mot, récapituler cette lecture de Rm 6, 3-11 nous dirions que vivre le baptême consiste à s’enraciner dans le Christ pour se démarquer des tendances négatives et s’ouvrir à une universalité solidaire envers tous. ¨



1- Michel Quesnel, Petite Bible du baptême, Paris, Nouvelle Cité, 1987.
2- Par exemple Ac 8, 26-40 ; 10, 44-48.
3- Comme en Mt 28, 19 ou 1 Co 1, 17.
4- 1 Co 12, 12-30.
5- Mt 28, 19.
6- Mc 16, 16-17.
7- Marie-émile Boismard, Le baptême chrétien selon le Nouveau Testament, Paris, Cerf, 2001, p. 104.