Le P. Moïse Almeida est spiritain. Originaire de la
Province d’Angola, il a travaillé huit ans en mission en Centrafrique. Rappelé
pour le service de la formation, il s’y prépare. L’année passée, il a suivi la
formation de maître des novices (AFRN) à Chevilly-Larue, et cette année il
fréquente l’Institut de Formation d’Éducateurs du Clergé (IFEC), à Paris.
La démarche baptismale marque une étape nécessaire et décisive
non seulement dans la conscience ecclésiale, mais aussi dans le devenir
chrétien. Tout homme a besoin d’être introduit par le baptême dans la
communauté de vie avec le Christ. Chacun y est appelé dès sa naissance.
Nicodème a perçu en Jésus une étonnante relation avec Dieu, et Jésus lui plonge
dans le mystère d’une nouvelle naissance par laquelle Dieu communique à
l’homme, sa propre vie. Attiré par une connaissance, il se retrouve devant la
proposition d’une renaissance : « Nul ne peut voir le Règne sans
renaître » lui dit Jésus, Vivre notre baptême c’est s’engager dans le
devoir de changer. Ces implications de vie personnelle et communautaire nous
apprennent à dépasser le réflexe des allergiques au changement qui partent tout
de suite à l’extrême et demeurent visiblement des émigrés des conversions.
Une
relation spéciale au Christ
Le baptême établit toujours une relation entre le baptisé et le
Christ Ressuscité. Paul nous en parle clairement et nous invite aussi à
comprendre ce sacrement, comme une dynamique de résurrection.
« Ignorez-vous que, baptisés dans le Christ Jésus, c’est dans sa mort que
tous nous avons été baptisés ? Nous avons donc été ensevelis avec lui par
le baptême dans sa mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par
la gloire du Père, nous marchions nous aussi dans une nouveauté de vie »
(Rom. 6,3-4). Le baptême chrétien est donc un sacrement véritablement pascal.
Ce double aspect du baptême d’être à la fois mort et résurrection en Christ est
très essentiel. En adhérant à la personne du Christ le chrétien prend une
option fondamentale pour la compréhension de la réalité dans la foi.
Comme tous les autres sacrements, le baptême est toujours lié à
la vie, celle que se réussit en Dieu, le Dieu qui se révèle en Christ. Il ne
suffit pas de savoir ou de dire que nous vivons du Christ. Il faut en vivre.
Nul ne peut devenir un chrétien authentique et vivre son baptême s’il ne
s’engage pas à fond chaque jour. Cela c’est aussi bien vrai pour toute vie en
commun : famille, communauté religieuse, groupe de travail, de prière ou
d’entraide.
Sacrement de foi, le baptême chrétien nous confère la grâce, ce
courant d’amour par lequel Dieu nous fait vivre, dans la mesure où nous nous
ouvrons à cet amour. « Il signifie davantage qu’une attitude. Il implique
en effet une reconnaissance consciente de la personne de Jésus-Christ comme
l’unique expression de la rencontre de salut entre Dieu et l’homme : le
baptême engage la foi comme un choix conscient de soi-même dans le
Christ »(8). Marie était
l’accueil sans limite et Dieu a pu la combler. Notre vivre au quotidien nous
amène parfois à trier la vie : « Cela c’est bon à vivre, ça
c’est pas intéressant ! ». En triant la vie, il est important de ne
pas lâcher le réel pour se déporter vers l’imaginaire où Dieu n’habite pas. Le
réel nous invite à vivre ici et maintenant dans une relation spéciale au Christ,
en saisissant l’instant tel qu’il est.
le
baptême : un engagement et un don
S’engager à vivre son baptême au quotidien, nous plonge dans
l’océan d’amour de Dieu qui nous comble de sa force au jour le jour. Notre
grand problème c’est que nous ne cessons
pas de nous fermer. Lui demander de nous ouvrir à son amour, c’est déjà un pas
vers l’accueil du mystère. Le baptême ne donne vraiment des fruits que lorsque
nous nous engageons à le vivre sérieusement au quotidien.
Un gros effort
pour rencontrer Jésus avec la décision de mieux le connaître, peut réveiller
notre désir de mieux vivre notre foi. Cet engagement à fond est source de
changement. Un peu ou beaucoup, l’important c’est que quelque chose change sans
laisser intacts nos pensées et nos comportements. L’exemple des saints nous
montre bien ce qu’un homme fait avec Dieu. Je pense au psaume 107, cette
muraille de confiance qui nous dit : « Avec Dieu, nous ferons des
prouesses ». S’engager dans le chemin de la foi, demande de notre part une
prise de position : rejet ou acceptation, selon notre art de choisir et
notre volonté de transformer ce que nous recevons en acquis très personnel. Il
ne suffit pas de devenir chrétien, mais quel chrétien voulons-nous
devenir ? L’Évangile exige d’être fort.
En parlant avec des catéchumènes, j’ai pu sentir que leurs
enthousiasmes comme leurs déceptions ont vraiment de quoi nous déconcerter.
J’ai souvent entendu dire : « Les chrétiens ne sont pas meilleurs que
les autres ». Comment oser comparer des ensembles « chrétiens »
ou « non chrétiens » qui sont chacun un monde de diversités ?
Pourquoi ne pas partir de la valeur de l’Évangile d’abord ? Il y a chez
les chrétiens toutes sortes d’adhésions à l’Évangile. Et là c’est sûr qu’un
saint révèle mieux l’incomparable valeur de l’Évangile que des centaines de
chrétiens médiocres.
S’engager à vivre son baptême, c’est être un don de soi, en
allant vers Dieu sans lâcher la vie de nos frères. Dans certaines situations,
le courage ordinaire a besoin d’une force extraordinaire et nous dirions
volontiers : « Augmente en nous la foi », ou « donne nous
la vraie foi ». La foi devant laquelle Jésus ne pouvait pas
résister : « Ta foi t’a sauvé ». Nous rencontrons le Christ
chaque fois qu’apparaît sur notre route un frère qui a besoin de nous. Ne
fermons pas les yeux. Tout dépend de ce que nous mettons dans notre
affirmation : « Je suis chrétien » Dieu ne fera pas les choses à
notre place mais il dynamisera nos possibilités. A voir ce que les saints
réalisent, nous pouvons bien plus que nous l’imaginons.
La décision de foi exige un renoncement. Dieu nous accepte en
effet tels que nous sommes, mais à une condition capitale : que nous
voulions progresser, et qu’effectivement nous fassions des progrès. Commençons
par nous même. Aimons-nous tels que nous sommes, c’est un secret de santé.
Osons voir nos défauts mais pour nous dire avec un grand
sourire : « Tu peux faire mieux ».
Devenir chrétien dans l’Église
d’aujourd’hui
On ne peut être chrétien tout seul. La foi aussi forte et aussi
sincère quelle soit, ne peut être vécue dans une relation unique avec Dieu,
mais aussi dans un échange constant avec d’autres chrétiens. Cet échange, même
s’il est parfois difficile à vivre, à cause des divergences de points de vue et
de mentalités, même s’il nous réserve des déceptions, il est indispensable pour
vivre authentiquement notre foi : car il serait vain et illusoire de
vouloir adhérer au Christ tout en restant à l’écart de son Église.
Un problème reste entier aujourd’hui et il est de taille :
l’insertion des nouveaux baptisés. Leur mobilité et leur anonymat les empêche
de reprendre contact et fait que leur insertion ecclésiale ne soit pas toujours
une réussite. Parfois dans des participations à des réunions d’équipes, ils se
sentent en décalage avec les chrétiens plus anciens. Le reproche le plus
fréquent qu’ils font à leurs aînés c’est que beaucoup d’entre eux sont
renfermés sur eux-mêmes, sclérosés, inactifs, muets sur leur foi.
Le catéchuménat a donc
une fonction bien spécifique dans l’Église : celle de l’interpeller sur sa
fonction baptismale et aussi celle de renouveler, le sang qui lui coule dans
ses vaines. « Par le baptême, le croyant reçoit Jésus-Christ comme le
Seigneur de sa vie ; il reçoit sa propre vie comme une tâche qu’il lui est
possible de réaliser grâce à la présence du Christ. Cette relation avec le
Christ opère une transformation profonde qui annonce la vie éternelle, la vie
avec Dieu ».(9) L’espérance
ne manque pas au pays des nouveaux baptisés. Ils viennent revitaliser et
rajeunir l’Église.
Notre souhait est que tous ces gens deviennent des chrétiens
pratiquants, mais n’oublions pas que le baptême est le signe de l’initiative
divine et qu’il ne s’encadre pas dans nos catégories à nous. Il fait des
chrétiens, mais pas forcément des chrétiens pratiquants. C’est pour cela qu’il
est de notre entière responsabilité prendre aux sérieux l’étape de
l’initiation. Même si la suite ne dépend pas de nous et ne correspond toujours
pas à notre attente, le baptême
conserve toujours sa substance. A nous de
préparer les conditions
pour qu’il soit vécu en vérité
au moment de la célébration. Vivre son baptême au quotidien, fait des gens
assoiffés des volontés de Dieu, des gens capables de comprendre que ses
volontés ce sont des volontés d’amour.
Quelles que soient les apparences, ce que Dieu nous demande est
la demande de quelqu’un que vraiment nous aime.
Chemin de persévérance
En général les gens sont conduits à demander le baptême après un long
itinéraire personnel. Ce désir est souvent déterminé par la rencontre avec un
chrétien. Les motivations de départ ne sont pas nécessairement le résultat
d’une vraie recherche personnelle. Les démarches sont très diverses. « Je
veux être comme tout le monde », voilà un leitmotiv, parce que l’Église
reste pour beaucoup un lien d’intégration sociale. A l’esprit de celui qui
accepte, trois soucis restent permanents : l’accueil fraternel,
l’insertion dans une communauté et l’invitation à la patience. Le baptême
devient ainsi l’étape finale d’un long cheminement. Et du point de vue du vécu
quotidien il comporte pour soi-même et pour les autres une vraie conversion au
Christ qui se veut libre et surtout consciente. Quel chemin de
persévérance ! « Par votre persévérance vous obtiendrez la
vie ». Cette promesse de Jésus redonne de la vigueur à une vertu devenue
un peu terne. Comprise comme un aspect spécial de la force, la persévérance
nous aide à durer, à tenir la route, à aller jusqu’au bout. Mais, en nous
limitant trop à des perspectives de la fin, on en fait certainement la
vertu du courage patient : tenir.
On peut la voir aussi comme vertu de plénitude : par votre
persévérance vous obtiendrez la vie au maximum. C’est alors un chemin pour bien
vivre sous le regard de Dieu, puisqu’ Il trouve tout important chez nous. Magnifique rééquilibrage d’une sombre
perspective : « Vous serez détestés à cause de moi », dit Jésus.
Contre l’assurance qu’aux yeux de Dieu tout en nous a de la valeur, même les
pires ambiances ne peuvent rien. Cela nous permet de lutter contre une peur
excessive d’être mal vu à cause de notre baptême, de notre être chrétien, de
notre foi. L’invitation que Jésus nous fait à prendre notre croix, nous évoque
l’appel au courage. Il n’est pas question de l’anticiper ou de la réduire à
notre mesure. C’est plutôt une question de confiance en Celui qui nous appelle.
Dieu seul la connaît complètement et il nous connaît . Il sait quelle force il
nous faudra aux moments les plus difficiles. Prendre sa croix, cela veut dire
Lui faire confiance. Son amour verra ce que nous pourrons porter. Comme disait
l’abbé Pierre : « L’amour est le mode d’emploi de la vie ».
Vivre son baptême au quotidien c’est se convertir continuellement à Jésus
Christ ; mener une vie décidée à l’obéissance à l’Esprit Saint, dans la
recherche continue de la volonté de Dieu, à l’imitation de Jésus Christ. Vie
unifiée faite d’effort, de réflexion de prière, et de pratique de la charité,
comme chemin d’appartenance au Christ seul.
Si chaque matin nous nous levons décidés à témoigner de notre baptême,
nous devenons des témoins pendant toute la journée. Comme nous dit S.
Cyprien : « Dieu n’écoute pas notre voix, il écoute notre
cœur ». Le meilleur moment c’est maintenant. Si je me propose de vivre mon
baptême, je dois le faire ici et maintenant. Seule l’adhésion au présent est la
vie en pleine volonté de Dieu. La grande illusion est d’attendre un meilleur
moment pour trouver le bonheur et trouver Dieu. Il faut lutter patiemment
contre nos passivités ou nos réactions instinctives en forme de
« si » ou de « plus tard ». Dieu veut travailler avec nous
ici et maintenant. Revêtus par la force de son Esprit, cela nous installe dans
la paix et l’effort efficace et nous engage davantage pour que son règne
vienne.
Dans la pratique de notre quotidien, quand les gens donnent un bon
témoignage de vie, ils finissent pour intriguer. Dès qu’il s’agit des
chrétiens, les gens établissent un lien entre certains comportements et la foi
en Dieu. Ce témoignage est tellement capital qu’il rend acceptable une parole
explicite de Jésus. Jésus ne propose pas un idéal à mi-chemin mais tout de
suite le sommet : « Soyez parfaits comme votre Père
Céleste ». L’adhésion simple, confiante à ce que Dieu nous demande dans
l’instant, par la vie et par nos frères, nous apprend à accueillir le mystère.
N’est-ce pas cela aussi vivre son baptême au quotidien ?
(8) Paul Pas et Philippe Muraille, Le baptême
aujourd’hui, éd. Casterman, Belgique 1971, p. 38.
(9) Paul Pas et Philippe Muraille, op. cit.,
p.46.