Signes et témoins
ACCOMPAGNER VERS LE BAPTÊME
Hervé Chabbert
Je suis ce que l’on peut appeler
un « vieux chrétien », baptisé tout petit bébé, confirmé à onze ans,
marié à l’église de mon village de Normandie. L’histoire religieuse de ma femme
est du même genre. Bref, tout ce qu’il y a de plus standard dans la France des
« trente glorieuses ». Nous avons quatre filles, les deux aînées
furent baptisées tout bébés, la troisième à l’âge de six ans, en même temps que
la dernière qui était encore un bébé. J’ai ensuite accompagné mes deux filles
aînées jusqu’à la confirmation et tout
naturellement, je me suis alors tourné vers le service du catéchuménat. Je
partage ici mon expérience pour les lecteurs d’Esprit Saint.
Pourquoi ai-je commencé à m’engager dans le
catéchuménat ?
Je suis très
curieux de nature. Dans cette France que l’on dit déchristianisée et où le fait
de parler religion paraît ringard, je ne comprenais pas comment des adultes
pouvaient venir demander le baptême. J’avoue que je ne comprends toujours pas,
mais je constate tous les jours la créativité de Dieu.
J’ai donc
voulu y voir de plus près, et je suis entré en équipe de catéchuménat à Cergy,
à Sainte Marie des Peuples. Le nom de cette paroisse a été inspiré par le Père
spiritain Serge Redureau, pendant sa dernière mission à Cergy, car c’est une
ville nouvelle, où presque tout le monde vient d’ailleurs : d’autres
provinces françaises, d’Afrique, d’Asie, et un peu d’Amérique ou d’Océanie.
Nous sommes donc baignés dans un bain multiculturel, où les différentes
cultures s’expriment dans la paroisse et dans la cité.
Quand j’accompagne un catéchumène
d’origine musulmane ou un animiste africain, je découvre une nouvelle relation
à Dieu, ou aux dieux. Je dois alors être conscient du sens et de la portée des
mots, non seulement ceux que j’emploie, mais aussi des mots utilisés par le
catéchumène. J’ai ainsi été amené à lire « les yeux de ma
chèvre » d’Éric de Rosny, et à suivre des cours d’Alain Feuvrier sur
l’Islam. Ces explorations de l’Islam ou de l’Animisme m’ont permis de découvrir
la beauté de ces religions et de ces cultures, et leurs valeurs communes avec la religion catholique. J’ai ainsi
mieux réalisé qu’il me faut d’abord approfondir ma propre vie de baptisé pour
mieux révéler les merveilles de l’amour de Dieu envers nous et sa grande
tendresse.
La foi se transmet
elle ? et de qui à qui ?
Plus j’avance,
plus je pense que la foi est une partie intégrante de nous-mêmes. Je pense par
exemple à une jeune femme d’origine indienne, appelons-la Jane. Sa famille
suivait la religion hindoue, mais elle voulait se marier avec un jeune homme
catholique (d’origine indienne lui aussi), appelons-le Charles. Ils ont voulu
venir dialoguer avec moi tous les deux ensemble. Charles désirait surtout
activer les formalités de sa fiancée vers le baptême. Il voulait savoir « quelles étaient les formules à
apprendre par cœur, de façon à aider Jane à réussir l’examen qui lui permettrait d’être baptisée.» En effet, la
coutume des tamouls catholiques veut que la mariée communie le jour de son
mariage en même temps que son mari. Ils ont donc inscrit Jane au catéchuménat,
avec la ferme intention qu’elle soit baptisée avant Noël : la salle de la
fête était déjà réservée, les billets d’avion de la famille venant d’Inde
étaient déjà payés. Nous leur avons expliqué que le mariage pourrait avoir lieu
à Noël, mais que Jane ne pourrait pas communier, car il ne restait pas assez de
temps pour qu’elle se prépare au baptême. Loyalement et courageusement, les
fiancés ont annulé la salle et les billets d’avion. Puis ils sont revenus me
rencontrer, toujours en couple. À chaque rencontre, Charles et moi étions de
plus en plus impressionnés par la profondeur de la foi de Jane, et par l’amour
de Dieu qu’elle manifestait. Cela nourrissait notre propre foi ! Déjà
était vivante en elle une foi chrétienne non encore exprimée, mais qui ne
demandait qu’à se manifester. D’ailleurs, après leur mariage, Charles et Jane
ont animé un groupe de catéchisme !
À travers les
cheminements vers le baptême que j’ai accompagnés, tous différents, je perçois
davantage le rôle de l’accompagnateur : permettre au catéchumène de mettre
des mots sur ce qui est déjà vivant en lui, l’aider à transformer cette petite
flamme timide mais tenace, en buisson ardent qui réchauffe les cœurs des
croyants et fait rayonner l’amour de Dieu. Cette foi est un don de Dieu
préalable chez le catéchumène, et c’est à l’accompagnateur d’aider le
catéchumène à l’exprimer dans toutes ses dimensions, à la resituer dans
l’histoire de tous les croyants depuis Abraham et, finalement, à mettre sa foi
en Jésus-Christ mort et ressuscité.
Les
motivations exprimées par les catéchumènes que j’ai accompagnés sont très
variées et l’accompagnateur n’est aucunement à l’origine du désir de baptême du
catéchumène ; il n’a que peu de prise sur ce désir. Il ne lui apprend pas
des formules par cœur, mais son enseignement cherche plutôt à permettre au
catéchumène de rapprocher ses expériences et ses intuitions de celles de nos
grands ancêtres dans la foi en Jésus-Christ. Je crois très profondément que
nous devons partir à la découverte de cette nouvelle manifestation de la foi
qui vit déjà dans le cœur du catéchumène que nous accompagnons.
Telle est la
manière que Dieu a de se manifester aujourd’hui, dans un monde où la religion
n’est plus une évidence. La foi sait trouver d’autres moyens de s’exprimer et
de s’épanouir. Car la religion ‘catholique’ est une religion universelle, elle
s’adresse à tous les hommes et toutes les femmes de toutes les cultures. Pour
plusieurs, le mariage avec un partenaire catholique est le facteur initial de
recherche de la foi ; pour d’autres, c’est la rencontre avec des chrétiens
vivant une foi ancrée dans la vie de tous les jours ; pour beaucoup de
personnes qui sont en souffrance, c’est la recherche d’un lieu d’écoute et de
soulagement.
Quand j’ai
accompagné des catéchumènes psychiquement fragiles, ou d’autres très peu
scolarisés, il m’a fallu beaucoup d’humilité. J’ai dû souvent recourir à
l’équipe paroissiale d’accompagnement, afin de discerner si le catéchumène
était prêt pour le baptême ; j’ai même parfois dû consulter un psychiatre chrétien,
pour savoir quelle conduite tenir en cas de délires.
L’accompagnement
vers le baptême est une démarche communautaire, c’est la démarche d’une
communauté dont les différentes étapes célébrées en paroisse sont les signes.
En particulier l’entrée en catéchuménat, avec les mots personnels que prononce
le catéchumène, est un moment très important pour la communauté paroissiale.
Elle découvre ainsi que Dieu est à l’œuvre partout, et pas seulement dans nos
églises.
J’ai aussi
découvert le travail de l’Esprit dans
les catéchumènes. Il est rare que le chemin dans lequel l’accompagnateur
s’engage avec le catéchumène ne présente pas des ruptures fortes, des passages
difficiles où Dieu porte le catéchumène, comme dans le très beau poème
brésilien des traces de pas dans le sable. Dieu porte d’ailleurs aussi
l’accompagnateur et l’aide à grandir dans la foi de son propre baptême. La vie
spirituelle n’est pas un « long fleuve tranquille » ! Dans
ces moments là, je suis en
« sympathie » (souffrir avec) avec le catéchumène. Alors, la prière
et l’échange avec le groupe paroissial
des accompagnateurs me permet de renouveler ma confiance en Dieu. Cela m’aide à
révéler au catéchumène comment découvrir la présence de Dieu à ses côtés, et
comment s’appuyer sur Lui pour trouver le Chemin à travers les ruptures. Je ne
suis pas protégé de ces ruptures, mais le fait de voir comment le catéchumène
les traverse me donne l’assurance qu’avec moi aussi, Dieu sera fidèle.
De même qu’il
y a des ruptures, il y a aussi des accélérations dans la maturation de
l’expression de la foi du catéchumène. Ces accélérations ne sont pas dues à
l’accompagnateur et il se trouve alors dans la position du serviteur quelconque
(mais pas inutile !), contemplant les merveilles que fait le Seigneur.
Dans certains
cas, le catéchumène risque de me prendre pour son père, ou pour son conseiller
dans tous les domaines de sa vie. Mais j’ai toujours préservé mon statut
d’accompagnateur catéchuménal, refusant de devenir psychologue, syndicaliste,
bénévole de bienfaisance, ou de bureau de placement... Chaque fois qu’il en
était ainsi, j’ai cherché et trouvé un ami, une autre personne qui pouvait
prendre le relais psychologique ou humanitaire, ce qui me permettait de rester
dans mon rôle d’accompagnateur. Merci mon Dieu, tu es là quand j’ai besoin de
Toi !
Il y a aussi
le catéchumène qui interrompt son cheminement ; dans ce cas, je me
considère comme un témoin sur sa route. Je suis un pierre blanche qui, un jour,
lui rappellera qu’il y a eu autre chose dans sa vie que le matérialisme, le
chacun pour soi, la consommation. Il pourra toujours revenir à cette petite
flamme qui brûle en lui, car un certain accompagnateur y a cru. Cela a ouvert
des chemins qu’il pourra reprendre à d’autres moments de sa vie, à la suite
d’autres rencontres.
Le moment du baptême
baptiser les
adultes durant la veillée pascale est extraordinairement parlant pour la foi,
avec les signes de la lumière et de l’eau. Et puis on fait mémoire de tous les
grands moments de la révélation, en présence de la grande assemblée des
fidèles.
Ce moment est
vraiment sacrement non seulement pour le baptisé, mais aussi pour
l’accompagnateur. Il l’est encore pour toute la communauté paroissiale qui peut
constater la joie du baptisé ressortant du baptistère et revêtant le vêtement
blanc. Quand j’écris ces mots, l’émotion revient immédiatement en moi, même si
je sais bien que l’émotion d’un moment
privilégié n’est pas un moteur suffisant pour que le catéchumène continue à
approfondir et incarner sa foi en Jésus fils de Dieu, mort et ressuscité. Ce
sacrement bouscule toutes les idées reçues et nous rend beaucoup plus humbles.
L’Esprit Saint se manifeste là de
façon très puissante et très visible.
Les baptisés après le
baptême
Ce que devient
la vie chrétienne des catéchumènes après le baptême n’appartient pas à
l’accompagnateur tout seul ; le premier concerné, c’est Dieu. Avons-nous
donné le goût de la prière au
catéchumène pour lui permettre de personnaliser toujours plus sa
relation à Dieu ? Que lui propose la communauté paroissiale ?
S’adapte-t-elle à ces nouveaux chrétiens ? Comment vivent-ils ce que les
médias retransmettent du pape, de l’Église ? La communauté prend-elle en
compte leur présence, leur parole, leur expérience propres ? Ou fait-elle
comme si, sitôt les sacrements reçus, ils devaient disparaître dans le groupe.
Quels cadeaux pour
l’accompagnement ?
Dieu m’a
vraiment comblé en m’envoyant tous ces catéchumènes. Ce sont des adultes
debout, au-delà de toutes les difficultés de vie qui s’abattent sur eux. La
gratuité de Dieu, je suis là pour la faire découvrir au catéchumène, et
moi-même je la découvre ou la redécouvre en même temps qu’eux. En fait, Dieu
est bien le véritable accompagnateur. Entre nous deux, il est le troisième, là,
sur le chemin, avec nous. Je songe à la peinture d’Arcabas, Jésus accompagnant
les deux pèlerins d’Emmaüs.
Ma vie et mes
rencontres avec les catéchumènes nourrissent ma foi en l’amour vivifiant de
Dieu. Cela m’aide à mettre Dieu « dans le coup » pour tous les autres
domaines de ma vie. À chaque rencontre, que je sois seul avec le catéchumène ou
en grand groupe paroissial, je découvre un peu plus l’immensité de l’amour de
Dieu et son humour. Une catéchumène qui travaille dans les relations humaines
disait : « Dieu était un bon coach pour Moise, alors
que Moïse ne voyait que ses limites de berger ! » Dieu lui a révélé
toutes les qualités sur lesquelles il pouvait s’appuyer en lui-même et avec le
soutien de Dieu.
Eh oui, Dieu
est le meilleur des coachs ! Et les catéchumènes m’aident à le réaliser
pour eux et pour moi. ¨