DOSSIER 

CONFIRMÉS DANS L’ESPRIT

Parole de Dieu

Les premières confirmations des Actes des Apôtres

P. Elvis Elengabeka, cssp


Elvis Elengabeka est prêtre spiritain originaire du Congo Brazzaville. Après une expérience en paroisse à Yaoundé (Cameroun), il s’est spécialisé en exégèse à Strasbourg et à Jérusalem. Depuis trois ans, il enseigne le Nouveau Testament et les langues bibliques à l’école Théologique Saint Cyprien (Yaoundé), à l’Université Catholique d’Afrique Centrale (Yaoundé) et dans divers grands séminaires d’Afrique. Il s’occupe également de la formation des jeunes spiritains au Scolasticat Poullart des Places (Yaoundé).

            La spiritualité biblique du sacrement de la confirmation renvoie d’emblée au rapport entre l’Esprit Saint et les écritures. Ce lien semble complexe en ce sens qu’il consiste globalement en un enfantement réciproque : l’Esprit engendre les écritures dans la mesure où celles-ci sont composées sous son action et, inversement, les écritures enfantent l’Esprit en imprimant dans l’intelligence du lecteur une image de cette personne trinitaire. C’est dans cette dernière perspective que s’inscrit la présente réflexion.
            Elle voudrait proposer un sens spirituel du sacrement de la confirmation en se penchant sur les premières confirmations de l’histoire chrétienne. Un tel projet se réalise naturellement au prix d’une exploration des Actes des Apôtres. En effet, ce livre n’est pas seulement « la première histoire du christianisme »(1), mais représente sans doute, dans le Nouveau Testament, l’écrit le plus sensible à l’action de l’Esprit(2). Félix Gils, à la suite de Jean Chrysostome et d’Oscar Cullmann, y voit un « évangile de l’Esprit »(3). Dans le même sens, Yves Congar verra dans l’Esprit le principe unificateur de l’action du Christ et de la vie des premières communautés chrétiennes en écrivant : « L’Esprit qui a suscité Jésus dans le sein de Marie va mettre l’Église au monde ; comme il a poussé Jésus en son ministère après l’onction de son baptême, il anime l’apostolat ‘depuis Jérusalem jusqu’aux extrémités de la terre’ »(4).
Cependant, cette présence pneumatologique massive peut éblouir, embarrasser ou disperser. Pour échapper à ce danger, notre lecture se limitera à un petit catalogue de textes sur la descente de l’Esprit. La première pentecôte (Ac 2, 1-13), ayant souvent été étudiée, ne nous retiendra pas directement notre attention. Nous nous arrêterons successivement sur les autres pentecôtes où l’Esprit encourage à annoncer courageusement la parole (Ac 4, 23-31), invite à la liberté et l’ouverture (Ac 10, 44-48), fait grandir spirituellement (Ac 19, 1-7).

Encouragés à dire la parole

« Une fois relâchés, ils se rendirent auprès des leurs et rapportèrent tout ce que les grands prêtres et les anciens leur avaient dit. À ce récit, d'un seul élan, ils élevèrent la voix vers Dieu et dirent : " Maître, c'est toi qui as fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qui s'y trouve ; c'est toi qui as dit par l'Esprit Saint et par la bouche de notre père David, ton serviteur : ‘Pourquoi cette arrogance chez les nations, ces vains projets chez les peuples ? Les rois de la terre se sont mis en campagne et les magistrats se sont rassemblés de concert contre le Seigneur et contre son Oint’. Oui vraiment, ils se sont rassemblés dans cette ville contre ton saint serviteur Jésus, que tu as oint, Hérode et Ponce Pilate avec les nations païennes et les peuples d'Israël, pour accomplir tout ce que, dans ta puissance et ta sagesse, tu avais déterminé par avance. À présent donc, Seigneur, considère leurs menaces et, afin de permettre à tes serviteurs d'annoncer ta parole en toute assurance, étends la main pour opérer des guérisons, signes et prodiges par le nom de ton saint serviteur Jésus. " Tandis qu'ils priaient, l'endroit où ils se trouvaient réunis trembla ; tous furent alors remplis du Saint Esprit et se mirent à annoncer la parole de Dieu avec assurance. » (Ac 4, 23-31)

            Cette séquence forme une unité cohérente qui se démarque de ce qui précède en se situant après l’arrestation de Pierre et Jean. Elle se distingue également de ce qui suit dans la mesure où les derniers versets de Ac 4 présentent un sommaire de la vie des premiers chrétiens et évoquent un exemple de générosité. Dans le cadre ainsi délimité, l’Esprit Saint apparaît à deux reprises (vv. 25. 31). Il s’agit certainement du même personnage, mais ses deux mentions ne peuvent se confondre. En effet, dans première évocation, l’Esprit est associé à un fait relatif à l’Ancien Testament ; alors que dans sa seconde citation, l’Esprit remplit les membres du peuple de la nouvelle alliance. Il se perçoit dans le texte comme une présence commune aux croyants d’autrefois et à ceux qui vivent directement les événements racontés en Ac 4, 23-31. Sa constance dans l’histoire le révèle comme l’unificateur des générations croyantes. Sa réception, par conséquent, inscrit l’expérience croyante actuelle dans une histoire qui nous précède.
Pour prolonger ce parallélisme autour des citations de l’Esprit, observons les fonctions qui lui sont dévolues. Au v. 25, c’est par lui que Dieu parle dans le psaume 2. Cette affirmation contribue à fonder bibliquement la notion d’inspiration tout en donnant sens à une expression telle que « écriture inspirée »(5). Au v. 31, on constate un lien semblable entre l’Esprit et la parole de Dieu. Ici, suivant la logique de ce verset, il n’est plus uniquement l’inspirateur de la parole divine, mais encore la source du franc-parler nécessaire à sa proclamation. Il médiatise la parole de Dieu et délie la langue de l’homme ; il rassemble l’humain et le divin au carrefour de la parole. Annoncer courageusement la parole, c’est donc à la fois l’imiter et lui obéir. De même que Dieu parle par son Esprit, ainsi le don de ce même Esprit rend capable d’annoncer la parole de Dieu.
Le message du texte sur l’Esprit peut aussi se recueillir à la lumière du contexte dans lequel s’inscrit Ac 4, 23-31. En s’ouvrant par la libération des apôtres, ce passage invoque indirectement leur emprisonnement qui se lit en Ac 4, 3. Le texte est donc marqué par une ambiance de conflit, dont la manifestation n’est autre que l’opposition des autorités juives à l’action de Pierre et Jean orchestrée. On devine l’insécurité qu’une telle situation pouvait inspirer à la jeune communauté chrétienne. Ce sentiment se reflète au moins de deux manières dans le texte. Il se ressent à l’étendue remarquable de cette prière, qui semble être la plus longue du Nouveau Testament. La conscience de vivre une opposition (v. 27) participe du même sentiment d’inquiétude, qui met en crise la proclamation du Christ. Curieusement, à la fin du texte ceux qui se sentaient naguère combattus se signalent par leur assurance dans l’annonce de la parole de Dieu (v. 31). Tout se passe comme si l’élan ralenti par la persécution à l’encontre des premiers était ranimé par l’Esprit. Voilà une situation où l’Esprit se trouve concrètement en position de paraclet : par sa racine grec, ce mot connote l’encouragement. Les chrétiens, découragés par la pression d’un monde qui rame à contre courant de leur idéal, se trouvent encouragés par un Esprit qui vainc leurs appréhensions à témoigner du Christ. On retrouve ici une situation similaire à celle Ac 2, 1-13 non seulement avec l’ébranlement des locaux qui abritent la communauté priante, mais encore avec le passage de la peur au courage par la force de l’Esprit. Il opère littéralement une pâque dans laquelle le cœur du croyant quitte la frilosité pour s’ouvrir l’audace.
Toujours en observant le lien entre le texte et le reste des Actes des Apôtres, on peut constater que le livre attache une autre scène du don de l’Esprit à la figure de Pierre.

Appelés à la liberté de l’Esprit

« Pierre parlait encore quand l'Esprit Saint tomba sur tous ceux qui écoutaient la parole. Et tous les croyants circoncis qui étaient venus avec Pierre furent stupéfaits de voir que le don du Saint Esprit avait été répandu aussi sur les païens. Ils les entendaient en effet parler en langues et magnifier Dieu. Alors Pierre déclara : " Peut-on refuser l'eau du baptême à ceux qui ont reçu l'Esprit Saint aussi bien que nous ? " Et il ordonna de les baptiser au nom de Jésus Christ. Alors ils le prièrent de rester quelques jours avec eux. » (Ac 10, 44-48)

            La surprise pourrait bien représenter le maître mot sous le signe duquel se texte pourrait se placer. A dire vrai, en plus de la stupéfaction des acteurs avouée par le narrateur au v. 45, le lecteur peut être saisi d’étonnement en découvrant que l’Esprit surgit sans attendre la fin du discours de Pierre (v. 44) et qu’il descend avant même le baptême (vv. 45-48).
Celui qui fréquente familièrement et attentivement les Actes des Apôtres se souvient que Luc interrompt également les propos que Paul adresse aux philosophes à l’Aréopage (17, 32), aux juifs de Jérusalem (22, 22 ; 23, 7) ou au roi Agrippa (26, 24). Cette interruption pourrait donc être une stratégie que Luc met en œuvre dans sa manière de raconter. Ici, elle revêt une dimension toute particulière dans la mesure où l’interruption est le fait de l’Esprit. On ne pourrait soupçonner Luc de vouloir faire jouer à l’Esprit un rôle perturbateur. L’irruption de l’Esprit signifie que même si l’apôtre, en raison de sa position d’orateur, semble être le maître de la parole, le cours des événements n’échappe pas à Dieu, qui en garde le contrôle.
En reprenant la parole, Pierre soulève explicitement la question du lien entre la réception du baptême et le don de l’Esprit. Dans notre texte, on est plongé d’abord l’Esprit puis dans l’eau. Mais en Ac 19, 5-6, la succession est inverse. Il nous semble que le plus important est l’articulation les deux. Le changement de l’ordre n’est-il pas une manière de signifier la liberté l’Esprit que l’on ne saurait enfermer dans un schéma rigide ?
Au-delà de cette question, n’oublions pas la stupéfaction des compagnons de Pierre. Ils forment un groupe particulier à côté d’un autre collectif, qui fait l’objet de sa curiosité (v. 45). Cette attitude est certainement fondée sur la distance qui existait entre les juifs et les païens, les premiers se supposant plus naturellement appelés à recevoir l’Esprit que les seconds. On assiste, dans le texte, au rapprochement des groupes que Pierre exprime par l’expression « aussi bien que nous » (v. 47). En réalité, l’Esprit dépasse les frontières établies et fait en sorte qu’il n’y ait plus « ni Juif, ni Grec » (Ga 3, 28). Il souffle où il veut (Jn 3, 8), son action ne s’arrête pas à un espace délimité et clos, comme le montre la scène de l’effusion du l’Esprit sur éldad et Médad hors du camp (Nb 11, 26-27). Signalons aussi que Pierre se conforme à la logique de l’Esprit en se prêtant au baptême des païens (vv. 47-48) et en affirmant l’égalité entre les chrétiens de diverses origines (Ac 15, 8). C’est ici que l’on peut apprendre que la liberté de l’Esprit de Dieu appelle, de la part de l’homme, une ouverture d’esprit. Elle correspond à l’universalisme cher à Luc dont l’œuvre commence à Jérusalem, centre de la religion juive, et se termine à Rome, capitale du monde païen. Cette ouverture à l’universel trouve dans ce texte une expression particulièrement forte comme le soulignent la plupart des spécialistes. Michel Quesnel présentera Ac 10, 44-48 comme une pièce du « récit central de l’accueil des païens dans l’église »(6). Pour Daniel Marguerat, il s’agit ici d’un « sommet du livre » des Actes des Apôtres(7). Cette ouverture à l’univers païen s’effectue également à travers les voyages d’un Paul, dont une étape se lit en Ac 19, 1-7

Invités à grandir dans l’Esprit

« Tandis qu'Apollos était à Corinthe, Paul, après avoir traversé le haut-pays, arriva à Éphèse. Il y trouva quelques disciples et leur dit : " Avez-vous reçu l'Esprit Saint quand vous êtes devenus croyants ? " Ils lui répondirent : " Mais nous n'avons même pas entendu dire qu'il y a un Esprit Saint. " Et lui : " Quel baptême avez-vous donc reçu ? " - " Le baptême de Jean ", répondirent-ils. Paul dit alors : " Jean a baptisé d'un baptême de repentance, en disant au peuple de croire en celui qui viendrait après lui, c'est-à-dire en Jésus. " À ces mots, ils se firent baptiser au nom du Seigneur Jésus ; et quand Paul leur eut imposé les mains, l'Esprit Saint vint sur eux, et ils se mirent à parler en langues et à prophétiser. Ces hommes étaient en tout une douzaine. »

            Ce récit se démarque de la fin du chapitre 18 en focalisant son attention non plus sur Apollos, mais sur Paul. Les sept premiers versets de Ac 19 peuvent être détachés de l’ensemble puisqu’en Ac 19, 8, la scène change de cadre : elle se déroule à la synagogue. Mais Ac 19, 1-7 semble surtout unifié autour du thème de l’Esprit Saint. Ce personnage peut même être considéré comme le principe organisateur du passage. En observant le déroulement des événements dans le texte, deux étapes se dégagent. Aux vv. 1-4, l’Esprit fait simplement l’objet d’une conversation en lien avec le baptême alors qu’aux vv 5-7, il vient lors d’une imposition des mains à la suite du baptême. La relation constante entre l’Esprit et le baptême peut se transposer en lien indissoluble entre le baptême et le sacrement de confirmation. Le confirmé reste un baptisé et l’Esprit l’accompagne dans ces étapes de sa croissance chrétienne.
            Toujours à partir de la structure du passage, la première partie paraît comme un temps d’ignorance, alors que la seconde correspond au moment de la réception de l’Esprit. On dirait que ce texte sur l’Esprit décrit en fait la croissance spirituelle d’une communauté. Elle passe d’un stade théorique où elle découvre l’existence de l’Esprit à un stade où elle vit concrètement sous la mouvance de l’Esprit en prophétisant. C’est l’itinéraire que pourrait parcourir le confirmé. Même s’il n’ignore pas l’Esprit, il pourrait passer de la relation théorique avec lui à un lien plus concret.

            Pour conclure ce parcours, relevons simplement les caractéristiques communes de l’Esprit dans les morceaux choisis des Actes des Apôtres que nous avons lus.
Dans les trois cas, il s’agit d’une collectivité : les chrétiens de Jérusalem (Ac 4, 23-31), les païens de Césarée (Ac 10, 44-48), les johannites d’Ephèse (Ac 19, 1-7). L’accueil de l’Esprit apparaît comme un fait communautaire.
Ensuite, notons que la description des différents groupes cités se caractérise par une récurrente tendance à la globalisation. Elle se remarque à l’usage régulier de l’adjectif indéfini « tout » (Ac 4, 31 ; 10, 44 ; 19, 7). L’Esprit est donné à tous sans exclusion.
Enfin, le don de l’Esprit semble toujours associé à une action : la proclamation de la parole de Dieu avec assurance (Ac 4, 31), le parler en langues (Ac 10, 46 ; 19, 7), la glorification de Dieu (Ac 10, 46), la pratique de la prophétie (Ac 19, 7). La descente de l’Esprit sur les croyants s’ouvre toujours à une action confessante.
On peut finalement comprendre la confirmation, comme le sacrement du don de l’Esprit, en vue d’un engagement ecclésial et universel.


1- Nous empruntons le titre de l’ouvrage publié par Daniel Marguerat dans la collection Lectio Divina aux éditions du Cerf à Paris en 1999.
2- Cette affirmation s’appuie sur des données statistiques : sur les 379 emplois du terme « Esprit » par les 27 livres du Nouveau Testament, 70 se concentrent dans les Actes des Apôtres.
3- F. Gils, Désaltérés par l’unique Esprit, Paris / Fribourg, Saint Paul, 1982, p. 55.
4- Y. Congar, Je crois en l’Esprit Saint, Paris, Cerf, 1995, pp. 68-69.
5- On pourrait se référer à 2 Tm 3, 16 et consulter avec intérêt le n° 11 du document promulgué par le concile Vatican II sur la révélation divine.
6- M. Quesnel, Baptisés dans l’Esprit. Baptême et Esprit Saint dans les Actes des Apôtres, Lectio Divina 120, Paris, Cerf, 1985, p. 51. 
7- D. Marguerat, Les Actes des Apôtres (1-12), Commentaire du Nouveau Testament Va, Genève, Labor et Fides, 2007, p. 363.