Vie chrétienne
Dialogues
Commission
Catholiques et Orthodoxes :
document de Ravenne
Présentation P. Jean Savoie
En janvier 2008, le Conseil pontifical pour
la promotion de l'unité des chrétien a rendu publics les résultats de la 10e
Session plénière de la Commission mixte internationale de dialogue entre
l’Église catholique et l’Église orthodoxe. Ce texte a pour titre
« Conséquences ecclésiologiques et canoniques de la nature sacramentelle
de l’Église », appelé « document de Ravenne », du nom de la ville
italienne où s’est tenue cette session.
La
session de la Commission mixte entre
catholiques et orthodoxes à Ravenne a été une date importante dans les
relations entre les deux Églises, mais c’est aussi un acquis inappréciable de
théologie chrétienne. Les deux Églises on mis en commun leur réflexion sur des
point centraux de notre foi : la communion voulue par le Christ, comment
l’exprimer, comment la vivre à tous les niveaux, autant de question qui nous
font approfondir le mystère de l’Eglise et la sainteté de la vie chrétienne par
les sacrements.
Nous
ne voulons pas ici étudier en détail ce documents mais faire percevoir combien
l’Église avance pas à pas vers l’unité en découvrant toute la richesse de son
mystère. Nous relevons donc auprès des spécialistes présents, le sens de
l’évènement, l’importance du contenu, quelques expressions significatives et
nous citons un passage qui reflète la richesse de ce document.
1.  Une nouvelle étape
dans le dialogue catholique-orthodoxe :
Le
travail de cette commission théologique mixte se poursuit depuis plus de 25 ans.
Elle avait décidé sa méthode lors de sa première réunion commune en 1980. Le
but clairement affirmé de ce dialogue étant le rétablissement de la pleine
communion entre les deux Églises, il avait été décidé de partir des éléments
qui unissent les Églises orthodoxe et catholique romaine.
La
Commission a commencé par étudier les sacrements de l’Église, en obtenant
plusieurs consensus des membres de la commission : sur le Mystère de
l’Église et de l’Eucharistie à la lumière du mystère de la Sainte Trinité,
puis sur Foi, sacrements et unité de
l’Église, ensuite sur Le Sacrement de l’Ordre dans la structure sacramentelle
de l’Église, enfin sur L’Uniatisme, méthode d’union du passé, et la Recherche
actuelle de la pleine communion.
Le
dialogue s’est poursuivi en 2006 à Belgrade, et à Ravenne en 2007, en
cherchant comment la nature sacramentelle de l’Église s’exprime par l’exercice
de la conciliarité (synodalité) et celui de l’autorité. Le Document de Ravenne
procède en deux parties : rappeler les fondements de la dimension
conciliaire et de l’autorité, et donner une triple actualisation de ces deux
réalités, au niveau local, régional et universel.
Mgr
Gérard Daucourt (dans La Croix 15/11/2007) présente ainsi un résumé des progrès
réalisés. « Si l’évêque est ‘le premier’ dans son Église locale réunie par
l’Eucharistie qu’il préside lui-même ou à travers ses prêtres, diverses
formes de collaboration des laïcs et du clergé permettent de vivre la dimension
synodale. Pour que soit exprimée la catholicité de l’Église, il est requis que
les Églises locales soient en communion entre elles. Dans une même région,
elles tiennent alors des synodes ou diverses assemblées ; les évêques
reconnaissent un « premier » parmi eux sans lequel ils ne font rien, mais
auquel il est demandé aussi de ne rien faire sans les autres évêques, comme le
demande le 34e canon des Apôtres.
« Cette
réalité est à vivre aussi au niveau universel avec les conciles œcuméniques et
l’autorité du « premier» parmi tous les évêques. Les membres orthodoxes et
catholiques de la Commission affirment donc ensemble la nécessité d’un
ministère de communion universelle. Leur accord ne porte pas sur les formes et
le contenu de ce ministère: cela fera l’objet de leur prochaine session, sur «
le rôle de l’évêque de Rome dans la communion de l’Église au premier millénaire
» .
« …Le
Comité mixte catholique-orthodoxe de France a présenté une étude en 1991 sur
La Primauté romaine dans la communion des Églises. Ce texte et celui de
Ravenne ne sont pas des accords théologiques officiels entre les Églises, mais
des consensus entre les théologiens. Pour le document de Ravenne, il s’agit de
30 orthodoxes et de 30 catholiques, dûment mandatés par leurs Églises
respectives pour apporter des contributions théologiques au rétablissement de
la pleine communion.
« Tous
ces textes peuvent cependant aider les membres de toutes les Églises et
favoriser des conversions de mentalités et de pratiques, dans la mesure où ils
sont connus et reçus dans les communautés. Un document comme celui de Ravenne
peut nous aider à vérifier si nous manifestons vraiment le mystère de communion
de l’Église dans nos pratiques de la synodalité et de l’autorité dans nos
diocèses (et même nos paroisses !), nos provinces ecclésiastiques, etc.
« Ce
document concerne le ministère du pape et les relations entre ses proches
collaborateurs et les diocèses et conférences épiscopales. Il concerne tous
les orthodoxes et tous les catholiques. Laïcs et clergé catholiques en France
peuvent se laisser questionner, car il existe chez nous des courants dont les
adhérents, atteints du complexe anti-romain, critiquent systématiquement tout
ce qui vient de Rome ou le refusent. Mais il existe aussi d’autres courants qui
« court-circuitent » la synodalité diocésaine ou régionale et l’autorité de
l’évêque et de la Conférence épiscopale en se référant uniquement ou de
préférence à Rome. Ces courants qui s’opposent créent des déséquilibres dans
l’usage des moyens que nous recevons de l’Esprit Saint pour vivre la communion
ecclésiale. Le document de Ravenne peut provoquer partout et à tous les
niveaux de salutaires réflexions et de nécessaires remises en cause de
pratiques ecclésiales. »
2. Les acquis reconnus par les experts dans
ce document :
-L’unité comporte à la fois conciliarité et
autorité
Le « document
de Ravenne » explique les thèmes de la « conciliarité » et de l’autorité de
l’Église à leurs différents niveaux – local, régional et universel. La conciliarité (ou synodalité, pour les
orientaux, collégialité chez les latins) implique et exprime un consensus entre
les membres de l’Église. L’autorité,
elle, signifie le choix d’un « chef » reconnu par tous. Or, si catholiques et
orthodoxes reconnaissent ces deux principes, ils ne l’appliquent pas de la même
manière.
- Conciliarité et autorité doivent se conjuguer à tous les niveaux
‘premier’ ne peut rien faire sans
les autres évêques, ni les autres sans lui.
Enfin, et
c’est le plus difficile, le niveau universel. Catholiques comme orthodoxes
proclament, dans leur Credo, que l’Église est « une et catholique ». Cette
unité s’exprimait avant le schisme à travers les Conciles « œcuméniques »,
rassemblant tous les patriarches et s’imposant à tous les fidèles. Mais aussi à
travers une autorité, celle de Rome. Rome occupe « la première place dans
l’ordre canonique, et l’évêque de Rome (le pape) est donc le “premiers”
(primat) parmi les patriarches ».
- Catholiques et orthodoxes
« reconnaissent » la primauté du pape.
Les membres orthodoxes et catholiques de la
commission affirment ensemble la nécessité d’un ministère de communion
universelle. » Catholiques et orthodoxes sont d’accord sur le principe
d’une primauté de l’évêque de Rome au niveau de l’Église universelle, mais non
sur le mode d’exercice de cette fonction.
Les deux
parties restent divisées sur les prérogatives liées à cette primauté romaine.
Définir le contenu de cette autorité sera donc l’objet des prochaines
discussions de la commission, pour servir ensuite à délimiter la nature de
l’autorité du pape dans l’optique d’une réconciliation catholiques-orthodoxes.
3. Présentation du porte-parole du
Saint-Siège,
le
père Federico Lombardi
Le père Federico Lombardi, directeur de la
salle de presse du Saint-Siège, a déclaré que le document conjoint entre
catholiques et orthodoxes était un premier pas important en ce qu’il reconnaît
au pape la première place parmi les patriarches. Tout n’y est pas dit car il
faut encore mieux étudier et mieux comprendre ses fonctions de cette première
place. Nous savons aussi que la rencontre de Ravenne a eu lieu en l’absence de
représentants du patriarcat de Moscou, dont les rapports historiques ont été
tendus avec Constantinople.
Dans son dernier éditorial, publié par
l’hebdomadaire du Centre de télévision du Vatican, dont il est le directeur, le
père Lombardi précise : « Des points importants sur la nature de l’Église
ont été approfondis et il a été convenu qu’il y a conciliarité, mais également
autorité à ses différents niveaux (local, régional et universel) ».
« La primauté de l’Évêque de Rome était
reconnue au niveau universel dès l’Antiquité. Mais aucun accord n’a encore été
trouvé sur les prérogatives qui lui reviennent et sur les questions
théologiques et bibliques qui en sont le fondement ».
« Dans deux ans, quand elle se réunira de
nouveau, la commission étudiera le thème de la primauté de l’Évêque de Rome au
cours du premier millénaire. Puis il faudra étudier le deuxième millénaire et
les Conciles qui ont vu le jour après la division entre les Églises avant
d’espérer dégager un éventuel consensus sur la question ».
« Un chemin long et cahoteux donc, mais un
chemin ouvert sous le signe de Jean-Paul II, qui en avait souhaité la mise en
œuvre en 1995, avec l’Encyclique ‘Ut unum sint’, quand il avait invité les
frères séparés à dialoguer sur le thème du service de l’évêque de Rome à
l’Église universelle…Donc, pour l’instant, pas de solutions aux problèmes
historiques qui sont à la base de la séparation entre catholiques et
orthodoxes, mais un premier pas, petit mais important, dans la bonne direction
».
« Pour tous, Jésus Christ, son mandat d’amour et sa prière, doit être
le pôle d’attraction commun ‘afin que nous soyons un’. Ce n’est qu’en regardant
d’abord le Christ, que nous pouvons espérer un jour arriver au bout de ce long
chemin »..
4. Extrait montrant la tonalité spirituelle
du Document
La Communion ecclésiale au niveau universel
32.
Chaque Église locale est en communion non seulement avec les Églises voisines,
mais avec la totalité des Églises locales, avec celles qui sont actuellement
présentes dans le monde, celles qui le sont depuis le début et celles qui le
seront dans le futur, et avec l'Église qui est déjà dans la gloire. Selon la
volonté du Christ, l'Église est une et indivisible, la même toujours et en tout
lieu. Dans le Credo de Nicée-Constantinople, les deux parties confessent que
l'Église est une et catholique. Sa catholicité embrasse non seulement la
diversité des communautés humaines mais également leur unité fondamentale.
33. Par
conséquent, il est clair qu'une unique et même foi doit être confessée et vécue
dans toutes les Églises locales, que la même et unique Eucharistie doit être
célébrée partout et que le même et unique ministère apostolique doit être à
l'œuvre dans toutes les communautés. Une Église locale ne peut pas modifier le
Credo qui a été formulé par les Conciles œcuméniques, bien que l'Église doive
toujours « donner des réponses appropriées à de nouveaux problèmes, des
réponses basées sur les Écritures, en accord et en continuité essentielle avec
les expressions des dogmes précédentes » (Document de Bari, 29). De même, une
Église locale ne peut modifier, par une décision unilatérale, un point
fondamental concernant la forme du ministère, et aucune Église locale ne peut
célébrer l'Eucharistie en se séparant volontairement des autres Églises
locales, sans affecter sérieusement la communion ecclésiale. Toutes ces choses
touchent au lien de communion lui-même - et donc à l'essence même de l'Église.
(…)
40.
Pendant le premier millénaire, la communion universelle des Églises, dans le
cours normal des évènements, a été maintenue par les relations fraternelles
entre les évêques. Ces relations des évêques entre eux, entre les évêques et
leurs ‘premiers’ respectifs, et également entre ces mêmes ‘premiers’ dans
l'ordre canonique dont témoigne
l'Église primitive, ont nourri et consolidé la communion ecclésiale. L'histoire
enregistre les consultations, les lettres et les appels adressés aux principaux
Sièges, en particulier au Siège de Rome, qui expriment vivement la solidarité
créée par la koinonia. Les dispositions canoniques, telles que l'insertion des
noms des évêques des principaux Sièges dans les diptyques, et la communication
de la profession de foi aux autres patriarches à l'occasion des élections, sont
des expressions concrètes de koinonia.
41. Les
deux parties sont d'accord pour dire que cette taxis canonique était reconnue
par tous pendant la période de l'Église indivise. Ils sont également d'accord
que Rome, en tant qu'Église qui « préside dans la charité », selon l'expression
de saint Ignace d'Antioche (Aux Romains, Prologue), occupait la première place
dans la taxis et que l'évêque de Rome était par conséquent le ‘premier’ parmi
les patriarches. Toutefois, ils ne sont pas d'accord sur l'interprétation des
témoignages historiques de cette période concernant les prérogatives de
l'évêque de Rome comme ‘premier’, une question déjà comprise de différentes
manières pendant le premier millénaire.
42. La
conciliarité au niveau universel, exercée dans les Conciles œcuméniques,
implique un rôle actif de l'évêque de Rome en tant que ‘premier’ des évêques
des Sièges principaux, dans le consensus des évêques rassemblés. Bien que
l'évêque de Rome ne convoquait pas les Conciles œcuméniques durant les premiers
siècles et ne les a jamais présidés personnellement, il était néanmoins
étroitement impliqué dans le processus décisionnel des Conciles.
43.
Primauté et conciliarité sont réciproquement interdépendantes. Pour cette
raison la primauté aux différents niveaux de la vie de l'Église, locale,
régionale et universelle, doit toujours être vue dans le contexte de la
conciliarité et, de même, la conciliarité dans le contexte de la primauté.
En ce
qui concerne la primauté aux différents niveaux, nous désirons affirmer les
points suivants : 1. La primauté, à tous les niveaux, est une pratique
fermement fondée dans la tradition canonique de l'Église. 2. Alors que le fait de la primauté au
niveau universel est accepté en Orient comme en Occident, il existe des
différences de compréhension concernant la manière dont cette primauté doit
être exercée et également concernant ses fondements scripturaires et
théologiques. (…)
Conclusion
45.
Nous devons étudier de manière plus approfondie la question du rôle de l'évêque
de Rome dans la communion de toutes les Églises. Quelle est la fonction
spécifique de l'évêque du « premier Siège » dans une ecclésiologie de koinonia
et en vue de ce que nous avons dit sur la conciliarité et l'autorité dans le
présent texte ? Comment l'enseignement des Conciles Vatican I et Vatican II sur
la primauté universelle devrait-il être compris et vécu à la lumière de la
pratique ecclésiale du premier millénaire ? Ce sont des questions cruciales
pour notre dialogue et pour nos espoirs de rétablissement de la pleine
communion entre nous.
En
réaffirmant et en confessant « un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême
» (Ep 4,5), nous rendons gloire à la Sainte Trinité, à Dieu le Père, le Fils et
le Saint Esprit, qui nous a réunis ensemble.