Chemins de vie


Le Sacerdoce chrétien


 
Mgr Maurice Fréchard
 
 
La méditation sur l’Eucharistie appelle notre réflexion émerveillée sur le sacerdoce. Il n’y a pas d’eucharistie sans sacerdoce. Dans notre langage catholique courant, quand on parle du sacerdoce, il s’agit du sacerdoce des prêtres, de ces hommes qui célèbrent la messe. Or la notion de sacerdoce est plus large et plus riche. Car il s’agit d’abord et principalement du sacerdoce de Jésus. La lettre aux Hébreux lui est totalement consacrée. Le Christ est le prêtre par excellence, l’unique. " Il n’y a qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes, un homme, le Christ Jésus " (1 Tm 2,5). C’est lui que la liturgie nous invite à chanter en reprenant le psaume 109 : " Tu es prêtre à jamais selon l’ordre du roi Melchisédech ". Par conséquent, ceux que nous appelons prêtres ne le sont qu’en raison d’une participation au sacerdoce de Jésus Christ.
Ces prêtres ne sont pas les seuls à participer au sacerdoce de Jésus. Tous les baptisés y ont part, en raison de leur Baptême et de leur Confirmation. Saint Pierre le déclare dans sa première lettre :  " Soyez les pierres vivantes qui servent à construire le Temple spirituel, et vous serez le sacerdoce saint, présentant des offrandes spirituelles que Dieu pourra accepter à cause du Christ Jésus " (1 P 2,5). Quelques lignes plus loin : " Vous êtes la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple qui appartient à Dieu " (1 P 2,9).

Sacerdoce baptismal et sacerdoce ministériel
Ceci est parfaitement exposé dans la préface de la Messe Chrismale qui peut être également utilisée pour la messe d’ordination des évêques et des prêtres. Elle expose clairement les diverses participations au même sacerdoce unique du Christ.
En voici le texte : " Vraiment, il est juste et bon … Par l’onction de l’Esprit Saint, tu as établi ton Fils unique, prêtre de l’Alliance nouvelle et éternelle ; et tu as voulu que son unique sacerdoce demeure vivant dans l’Église. C’est lui, le Christ, qui donne à tout le peuple racheté la dignité du sacerdoce royal ; c’est lui qui choisit, dans son amour pour ses frères, ceux qui, recevant l’imposition des mains, auront part à son ministère. Ils offrent en son nom l’unique sacrifice du salut à la table du banquet pascal ; ils ont à se dévouer au service de ton peuple pour le nourrir de ta Parole et le faire vivre de tes sacrements ; ils seront de vrais témoins de la foi et de la charité … " En tête le Christ, puis les Baptisés, enfin les prêtres.
Autre précision, les prêtres, au sens ordinaire du terme, reçoivent l’ordination des mains de leur évêque et leur ministère s’exercera en communion étroite avec l’évêque. Car l’évêque est aussi participant du sacerdoce du Christ, à un titre particulier, comme membre du collège des évêques, et donc successeur des Apôtres de Jésus. Dans la terminologie théologique et selon la grande Tradition de l’Église, les prêtres sont les collaborateurs des évêques, prêtres du second rang.
Dans sa constitution sur l’Église, Vatican II a réfléchi sur le sacerdoce du Christ et ses diverses participations : "  Le Christ Seigneur, grand prêtre pris d’entre les hommes a fait du peuple nouveau ‘’un royaume, des prêtres pour son Dieu et Père’’ (Ap 1,6 ; 5,9-10). Les baptisés, en effet, par la régénération et l’onction du Saint Esprit, sont consacrés pour être une demeure spirituelle et un sacerdoce saint … Le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel ou hiérarchique, bien qu’il y ait entre eux une différence essentielle et non seulement de degré, sont cependant ordonnés l’un à l’autre " (Constitution sur l’Église, n. 10). Jean Paul II reviendra souvent sur cette complémentarité, en insistant sur le fait que le sacerdoce des prêtres est au service du sacerdoce des baptisés, et qu’il doit le promouvoir.
Et l’Eucharistie ? " La sainte Eucharistie contient tout le trésor spirituel de l’Église. … Les prêtres apprennent donc aux chrétiens à offrir la victime divine à Dieu le Père dans le sacrifice de la messe, et à faire avec elle l’offrande de leur vie " (Vatican II, Décret sur le ministère et la vie des prêtres, n. 5).

Le sacerdoce des ministres de l’Église

Leur mission ne se résume pas à la célébration de l’Eucharistie. Elle est beaucoup plus vaste. D’ailleurs l’emploi du temps d’un curé de paroisse ne se limite pas au temps qu’il consacre à célébrer la messe, ou un autre sacrement. La mission des prêtres dépend de la mission de l’évêque, et donc, à l’origine, de la mission que Jésus a confiée à ses apôtres. Or Jésus ne les a pas envoyés pour célébrer la messe, seulement.
Il est bon de nous référer aux dernières paroles de Jésus avant de quitter ses disciples choisis. " Allez ! De toutes les nations faites des disciples. Baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ; et apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés " (Mt 28,19-20). Saint Marc nous dit à peu près la même chose : " Allez dans le monde entier. Proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création " (Mc 16,15). Par saint Luc, Jésus nous laisse un message identique : " Vous allez recevoir une force, celle du Saint-Esprit qui viendra sur vous. Alors vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre " (Ac1,8).
La première consigne regarde donc la proclamation de la Bonne Nouvelle de Jésus ressuscité victorieux du mal et de la mort. Viendra ensuite le temps des sacrements. Un auteur spirituel a pu résumer ainsi la vie de Jésus et sa mission : " Trente ans de silence, trois ans de prédication, trois jours de sacrement ".
La célébration des ordinations insiste d’abord sur la prédication de la Parole. A commencer par l’ordination de l’évêque. Une série des questions est posée publiquement à celui qui va recevoir l’ordination. Si la première  manifeste l’intention de recevoir l’ordination, voici la seconde : " Voulez-vous annoncer l’Évangile du Christ avec fidélité et sans relâche ? " La troisième la complète : " Voulez-vous garder dans sa pureté et son intégrité le dépôt de la foi, selon la tradition reçue des Apôtres, toujours et partout tenue dans l’Église ? "
L’insistance sera la même en ce qui concerne les prêtres. Après la première interrogation générale, la seconde : " Voulez-vous accomplir avec sagesse et dignement le ministère de la Parole, en annonçant l’Évangile et en exposant la foi catholique ? " Seulement après viendra la question qui regarde l’Eucharistie : " Voulez-vous célébrer avec foi les mystères du Christ, tout spécialement dans le sacrifice eucharistique et le sacrement de la réconciliation … ? " Il n’en sera pas autrement pour l’ordination des diacres. La première question reste générale. Ici, la seconde concerne le lien avec l’évêque dont le diacre est le serviteur privilégié. Mais la troisième aborde directement la proclamation de la foi : " Voulez-vous, comme dit l’Apôtre Paul, garder le mystère de la foi dans une conscience pure, et proclamer cette foi par la parole et par vos actes, fidèles à l’Évangile et à la tradition de l’Église ? ".
Quand le concile Vatican II réfléchit sur la mission des évêques, annoncer l’Évangile apparaît en premier lieu : " Dans l’exercice de leur charge d’enseigner, que les évêques annoncent aux hommes l’Évangile du Christ – cette charge l’emporte sur les autres, si importantes soient-elles … " (Décret sur la charge pastorale des évêques, n. 12). Prêtres et diacres participent à des degrés divers à cette charge pastorale de l’évêque. Leur mission prioritaire est donc de proclamer l’Évangile.
Cette mission regarde également tous les fidèles de l’Église, en raison de leur Baptême et de leur Confirmation, donc de leur adhésion au Christ Seigneur. Nous sommes là au cœur de l’action missionnaire de toute l’Église au long des siècles depuis la première Pentecôte.

Vers les sacrements
Dans la mesure où la foi naîtra dans le cœur des auditeurs de la Parole et qu’elle inspirera leur mode de vie, viendra alors le temps de la célébration des sacrements pour chacun et pour les communautés. L’Eucharistie tiendra sa place comme " source et sommet de toute évangélisation " (Vatican II, Décret sur le ministère et la vie des prêtres, n. 5 § 2). Source : parce que l’évangélisation naît de la foi des évangélisateurs qui puisent dans l’Eucharistie l’énergie et la lumière dont ils ont besoin. Sommet : pour ceux qui reçoivent cette annonce de la Bonne Nouvelle, car l’Eucharistie, après le Baptême et la Confirmation, couronne leur cheminement avant de faire de nouveaux progrès et de devenir eux-mêmes les joyeux annonciateurs de l’Évangile.
Les prêtres reçoivent le pouvoir de présider l’Eucharistie. Ils manifestent la présence de Jésus ressuscité. Ils ne le remplacent pas, ils n’en tiennent pas le rôle, comme un acteur de théâtre ou de cinéma tient le rôle de tel ou tel personnage. Ils lui prêtent leur humanité pour agir en son nom, " au nom du Christ Tête en personne " selon la très belle formule de Vatican II (Décret sur le ministère et la vie des prêtres, n.2 § 3). Cette formule ne s’attache pas seulement à l’Eucharistie, elle s’applique aussi aux autres sacrements, notamment Baptême, Réconciliation et Onction des malades, bénédiction des mariés au jour de leur mariage.
Il serait donc abusif de cantonner le ministère des prêtres, au sens restreint du terme, au service exclusif de l’Eucharistie. A moins de le considérer dans son expression la plus haute, la plus symbolique, la plus mystérieuse aussi. C’est moins apparent dans les autres ministères où les fidèles, religieux ou non, interviennent de plus en plus, alors que naguère ces fonctions étaient occupées par des prêtres. Je songe ici à la catéchèse, à la préparation au mariage, au Baptême … Mais, quel que soit le nouveau partage des interventions, le prêtre, le curé par exemple, garde son rôle essentiel d’animateur et de coordinateur, car, pour sa paroisse, il a reçu la responsabilité principale de l’annonce de l’Évangile et de la célébration des sacrements. Je dis bien principale, et non exclusive. Ce nouvel équilibre des fonctions dans l’Église n’est pas encore reçu partout de manière équilibrée. Mais les choses se mettent en place progressivement, sous la pression des événements, car les ordinations ne compensent pas, et de loin, le nombre des décès de prêtres. La mission continue, c’est l’affaire de l’Église, c’est-à-dire, de nous tous, ensemble, aujourd’hui.

À l’Eucharistie
Quelle que soit la part confiée à chacun dans la mission de l’Église, à quelque niveau que ce soit, le but est de parvenir à l’Eucharistie unis de communion, réconciliés, pour présenter à notre Père le sacrifice pascal de son Fils et sa victoire de Pâques dans la force de l’Esprit Saint. Là, chacun apporte l’offrande de sa vie avec ses deux versants d’ombre et de lumière ; là, tous ensemble, ils prennent leur part aux difficultés et aux joies des autres, à l’intérieur de l’Église et à l’extérieur ; là encore, l’offrande de tous est rassemblée par le Christ qui présente cette offrande à son Père ; là toujours, par son ministère et parce qu’il est le signe du Christ présent et actif, le célébrant accomplit cette offrande ‘’au nom du Christ–Tête en personne‘’. Du moins c’est à cela qu’il convient d’aboutir.

Dans la vie quotidienne …
… des communautés paroissiales, la question actuelle est bien celle de la collaboration prêtres - fidèles. Avec la relative nouveauté des diacres permanents, et la réalité permanente des religieuses et des religieux encore actifs dans les diocèses, bien que leur nombre s’amenuise. Dans le respect des responsabilités de chacun.
Interviennent ici un certain nombre de facteurs réels qui influent sur la qualité des rapports entre fidèles et prêtres. D’une part, la responsabilité ne donne pas toutes les compétences possibles aux prêtres qui ont autorité. D’autre part, la compétence des fidèles en l’un ou l’autre secteur d’activité ne leur donne pas tous les droits. Le tempérament de chacun, les ‘’plis’’ déjà pris dans les rapports interpersonnels facilitent, ou compliquent, les relations.
De part et d’autre, il y faut de la foi, c’est-à-dire dans la conscience claire de la réalité sacramentelle qui situe les uns et les autres dans la mission commune : baptême et confirmation pour les fidèles, consécration religieuse pour les membres des congrégations, ordination pour les prêtres et les diacres. Il y faut également de la patience, de l’esprit de dialogue, de chaque côté de la table, que ce soit dans des discussions spontanées, des conseils divers, des conflits inévitables, petits ou non. C’est alors le lieu de témoigner de notre communion au service de l’Évangile que nous avons mission de proclamer ensemble. Car la priorité est celle-la, c’est le but de nos activités concertées. C’est notre mission.
Selon le conseil de Jésus lui-même, prions le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson, comme prêtres et diacres, religieuses et religieux. Prions-le aussi pour que chaque baptisé - confirmé prenne la juste mesure de ses responsabilités dans sa mission précise. Prions également pour les communautés que nous formons : que leur unité témoigne du Christ, unique Sauveur du monde.
Comme au matin de la première Pentecôte, que l’Esprit souffle sur chacun et sur tous, afin que le plus grand nombre puisse entendre, chacun dans sa langue, l’annonce des merveilles de Dieu.