Signes et témoins

Consacrée à l’adoration de l’Eucharistie

Témoignage de Sœur DELPHINE-MARIE,
de l’Adoration Réparatrice à Paris

Cela fait maintenant dix ans que je suis entr é e chez les S œ urs de l ’ Adoration R é paratrice. J ’ ai fait profession perp é tuelle en Septembre dernier. À trente-quatre ans, je reste profond é ment marqu é e par l ’ amour de mes parents et de mes deux fr è res, par plusieurs amiti é s tiss é es depuis mon plus jeune â ge et par le t é moignage de vie de ceux et celles qui m ’ ont men é e au Christ.
J’ai découvert la présence de Jésus dans son eucharistie dès mon enfance, grâce à la proximité d’une communauté religieuse qui travaillait avec mes parents au sein d’une Maison d’enfants. Ces religieuses m’ont fait participer à leur vie de prière sans aucune contrainte. Je les suivais partout. La présence du Christ, je ne l’ai pas apprise au caté, elle fut très vite une certitude intérieure.
Le Seigneur me préparait à Le suivre, et c'est en entrant dans la chapelle des Sœurs de l’Adoration Réparatrice au 39 rue Gay-Lussac (Paris Ve) que je sus que Celui qui faisait l’unité de ma vie, et qui était exposé sur l’autel, m’appelait à sa suite, dans cette Congrégation.


Spiritualit é de l’Adoration Réparatrice
Th é odelinde Dubouch é , qui deviendra M è re Marie-Th é r è se du C œ ur de J é sus, est n é e en 1809 à Montauban. En 1848, elle habite les d é pendances du Carmel avec son p è re. A la mort de ce dernier, elle esp è re devenir carm é lite. Or, c'est une p é riode de troubles pour la France, et plus sp é cialement pour Paris : Th é odelinde organise dans la chapelle du Carmel une cha î ne de pri è re. Le 27   juin Mgr   Affre meurt sur les barricades. La nuit du jeudi au Vendredi du Sacr é -C œ ur 1848, ayant obtenu de conserver dans la chapelle le Saint Sacrement expos é , Th é odelinde prend son tour d ’ adoration de une à trois heures. Elle a la vision qui fondera notre Congr é gation   : "  Je vis Notre Seigneur sur l ’ autel comme sur un tr ô ne. Il mit un canal d ’ or sur son C œ ur, en posant l ’ autre extr é mit é sur le mien … Et j ’ entendis, sans parole, le sens de ce que je vais dire   :"Je veux des r é parations et des adorations, mais toutes ces associations sont insuffisantes, il faut une cons é cration religieuse, il faut des â mes toujours devant moi pour recevoir ma vie. Je poserai sur leur c œ ur un canal d ’ or comme je viens de le faire pour toi." Alors je vis clairement, fortement, l ’ organisation de l ’Œ uvre, telle qu ’ elle est   : une soci é t é de personnes pratiquant dans leur puret é les conseils é vang é liques, plut ô t qu ’ une communaut é avec les formes diverses des Monast è res.  "
Pour exprimer notre vocation en termes plus modernes, je dirais que notre Congr é gation, fond é e le 6   ao û t 1848, é tait en avance sur son temps avec comme organisation la communaut é des religieuses, la Fraternit é s é culi è re et le peuple des adorateurs venant dans nos chapelles. Notre vocation n ’ a de sens que si elle se vit avec les la ï cs qui ont re ç u ce m ê me appel à la pri è re, tout en restant dans leur é tat de vie.
L ’ Adoration R é paratrice est un titre qu ’ il faut comprendre simplement. L ’ adoration est toujours r é paratrice car elle nous recr é e à l'image de Dieu. R é parer, c ’ est aimer Dieu pour ceux qui le refusent, qui   l ’ ignorent ou qui le d é laissent. R é parer, c ’ est s ’ exposer à cette source de vie qui sort du c œ ur du Christ pour restaurer notre â me ab î m é e par le p é ch é , mais aussi pour d é poser au pied de l ’ autel nos fr è res et s œ urs du monde entier, dans une pri è re constante d ’ intercession.
Nous sommes un Institut de vie contemplative, nous n ’ avons aucun apostolat ext é rieur. Nous portons une robe marron, pour nous rappeler que notre spiritualit é est celle de Carmel : vie d ’ union au Christ tant à la chapelle que dans tout ce qui compose notre journ é e. Notre vie est celle de Nazareth   : une vie de pri è re, de travail et d'accueil simple et fraternel à l' é gard de ceux qui frappent à notre porte.

L ’ adoration, toujours une pri è re d ’É glise et en É glise
L ’ adoration est toujours une pri è re en lien avec la c é l é bration eucharistique qui a lieu chaque jour dans la chapelle. J é sus se donne pendant la c é l é bration de la messe. De m ê me, il se donne à nous dans le c œ ur à c œ ur de la pri è re.
Que je sois seule à la chapelle pour adorer ou que la chapelle soit pleine, ma pri è re est toujours en communion avec toute l ’É glise, que j ’ en sois consciente ou non.
C ’ est pour cela que nous prions les offices à la chapelle, devant le Saint Sacrement expos é . Les Laudes, le Milieu du Jour, les V ê pres et les Complies sont des pri è res qui rassemblent l ’É glise du monde entier. Ces pri è res communautaires nous rappellent que nous louons Dieu par son Fils, et qu'en Lui et avec Lui, nous interc é dons pour tous les hommes.

L'adoration en lien avec les la ï cs
À Paris nous avons la chance d' ê tre au c œ ur du Quartier Latin, un lieu de vie intellectuelle et de brassage des cultures.
Nous pouvons maintenir l'adoration perp é tuelle gr â ce aux tr è s nombreux fid è les qui partagent notre pri è re.
M è re Marie-Th é r è se a re ç u la vision d'un peuple, cela n'a jamais é t é aussi vrai qu'aujourd'hui ! Les jeunes, m ê me les enfants, c ô toient les adultes de tous â ges, de toutes conditions sociales et de tous les continents.
Ce qui m'a frapp é e, en d é couvrant cette chapelle il y a 10 ans, c' é tait le nombre d'hommes qui venaient prier. L' é ventail des â ges est assez impressionnant. Nous sommes dans un quartier d' é tudiants, et ils sont nombreux à venir prendre un temps de pri è re avant ou apr è s les cours. Les personnes â g é es sont tr è s fid è les aussi et j'admire beaucoup leur courage. Certaines m'ont confi é que ce temps d'adoration r é gulier donnait un sens à leur vieillesse.
"Le Ma î tre est l à et Il t'appelle", c'est ce que vous pouvez lire en plusieurs langues sur la plaque qui surplombe la chapelle. Oui, J é sus attire. La communaut é ne fait aucune publicit é , tout se passe dans le secret des c œ urs et par le bouche à oreille.
Beaucoup de fid è les assurent l'adoration de nuit. Mes S œ urs, é tant â g é es, ne se succ è dent plus la nuit pour adorer. Les la ï cs s'inscrivent et assurent une heure d'adoration chacun. Ce qui rel è ve du myst è re est cette profusion d'adorateurs et leur fid é lit é .
L'adoration est au c œ ur de leur vie. C'est vrai que nos chapelles, ouvertes à tous de 7h à 22h, facilitent cette vie de pri è re, mais c'est beaucoup plus profond. Parmi les nombreux adorateurs, chacun exprime à sa mani è re les fruits de la pri è re d'adoration dans sa vie   : une paix retrouv é e, beaucoup de r é conciliations dans la famille, au travail, une plus grande esp é rance dans l'accueil des é v é nements par une confiance toujours plus profonde en Dieu, et une qualit é de vie retrouv é e gr â ce au silence et à l'int é riorit é .
Et beaucoup ont retrouv é le chemin de leur paroisse, ce qui leur permet de renouer avec les sacrements tels que la confession et la messe. J é sus m è ne à son É glise.
Les groupes qui viennent faire des temps de r é collection chez nous, nous demandent souvent une intervention que nous mettons à profit pour parler de la vie d'oraison selon Sainte Th é r è se d'Avila et pour expliciter ce lien entre messe et adoration, adoration et mission d' É glise.
L'accompagnement de personnes dans leur vie de pri è re n'est pas rare. Ê tre disponible et accessible sans quitter l'enceinte du couvent est une grande richesse de notre vocation. C'est vraiment la vie de Nazareth : rien d'extraordinaire, mais tout en vue de l'amour de Dieu, en J é sus, par son Esprit.

L'adoration et les enfants
J'aimerais partager avec vous une derni è re exp é rience qui m'accompagne depuis mon entr é e au couvent, c'est le groupe des enfants "adorateurs". Il y a 13 ans, deux mamans sont venues demander à une S œ ur de leur apprendre à prier avec leurs enfants devant le Saint Sacrement. Celle-ci les a donc pris dans une salle pour les pr é parer au temps de pri è re à la chapelle, assez court vu leur jeune â ge. Je tiens à souligner que l'origine de ce groupe vient du d é sir des parents et qu'il n'a de sens que parce que les enfants prient avec eux à la chapelle.
Les ann é es ont pass é et, par simple affichage, le groupe s'est é toff é . Nous accueillons plus d'une dizaine de familles, ce qui repr é sente entre 25 et 30 enfants. Je n'ose plus trop employer ce terme car celle qui avait deux ans vient toujours   : elle a 15 ans et ne se consid è re plus comme une enfant   !
Nous recevons ces familles cinq fois dans l'ann é e, tous les deux mois, le dimanche apr è s-midi. Nous essayons d'adapter le temps de pri è re en fonction de la maturit é des enfants, c'est pourquoi ils sont r é partis par tranche d' â ge la premi è re heure. Je suis é merveill é e de voir notre douzaine d'adolescents toujours fid è les aux rencontres, pour certains depuis plus de cinq ans. C'est bien la preuve que J é sus est le seul pasteur de ce groupe.
La base de cette heure est la pri è re en silence à la chapelle, chaque groupe s'y succ é dant, et la lecture de la Parole de Dieu. Il n'y a pas de temps de pri è re sans Parole de Dieu ! Les enfants sont entour é s de "super-h é ros" qui surpeuplent les é crans de t é l é vision, les bandes dessin é es, les ordinateurs etc. J é sus ne doit pas ê tre un "super-h é ros"suppl é mentaire, mais une personne r é elle qui a eu une histoire terrestre et qui nous r é v è le l'amour de Dieu.
Ce texte d' é vangile est souvent une rencontre, et il y en a beaucoup dans l' é vangile. Avant d'aboutir à une r é flexion sur J é sus, nous regardons la sc è ne telle qu'elle est d é crite. Toutes ces rencontres nous r é v è lent le regard d'amour que J é sus pose sur des personnes souvent rejet é es. À partir de l à , je peux accueillir ce regard d'amour sur moi, mais aussi me remettre en question sur mes propres regards et mes propres jugements envers tel ou tel copain de classe. C'est tr è s concret.
Le temps de pri è re est toujours un temps de mise en pr é sence. J é sus est l à , il habite aussi mon c œ ur, mais je ne peux ê tre avec lui que si je fais silence. C'est J é sus par son Esprit qui est le ma î tre de la pri è re, n é anmoins nous essayons de conduire les enfants à une attitude int é rieure.
Ce c œ ur à c œ ur est toujours en corr é lation avec le quotidien des enfants, par la mise en valeur de la pri è re, de l'entraide, de l'amour que J é sus nous demande d'avoir les uns pour les autres, amour qu'il d é pose lui-m ê me en nos c œ urs quand nous prenons du temps avec lui. À la fin de la premi è re heure, tous les enfants et parents se retrouvent à la chapelle pour un quart d'heure de pri è re anim é e (chant, dizaine de chapelet, pri è re spontan é e … ).
Apr è s s' ê tre d é foul é s au jardin et avoir go û t é , nous nous retrouvons tous dans une grande salle pour entendre le t é moignage d'un pr ê tre ou d'une religieuse sur sa d é couverte de J é sus. La plupart de ces t é moins ont eu des parents tr è s pratiquants et cela soutient les parents pr é sents dans leur fid é lit é à la pri è re en famille et à la messe dominicale.
Je pense aussi aux adolescents qui sont plong é s dans le bruit et l'image à longueur de temps. Il faut les accompagner sur le chemin de l'int é riorit é , et les t é moins les aident beaucoup car ils prennent des exemples qui les rejoignent. Notre derni è re intervenante é tait une religieuse qui a expliqu é qu'elle avait un petit ami mais, comme elle n' é tait pas certaine que ce f û t sa vocation, elle a fait une retraite de discernement, et finalement est entr é e en religion. Elle a expliqu é qu'elle n'aurait jamais pu rendre son petit ami heureux si le mariage n' é tait pas le chemin de Dieu pour elle.
J'ai beaucoup appr é ci é ce dernier point car notre vie avec le Christ est un chemin qui m è ne au bonheur. J'aimerais vraiment que tous les enfants en soient conscients. Ce n'est pas une affaire de "il faut faire ci et ne pas faire ç a", mais il y a des attitudes qui lib è rent mon c œ ur, m ê me si elles me demandent un effort, et d'autres attitudes qui m'enferment sur moi-m ê me et qui aboutissent à la tristesse et à la col è re.

En conclusion, je dirais que ma vie, dans un couvent o ù l'adoration du Saint Sacrement est perp é tuelle, est une vie d'action de gr â ce. Action de gr â ce d' ê tre appel é e à une telle vocation, mais aussi action de gr â ce pour tous ces hommes et ces femmes qui retrouvent le chemin de leur c œ ur alors que, souvent, ils é taient venus à la chapelle en d é sespoir de cause. J é sus nous prend o ù nous en sommes, et nous conduit sur un chemin de profonde libert é int é rieure. Il est "le Chemin, la V é rit é et la Vie" (Jn 14,6).  ♦