Chemin de Vie

Fête-Dieu, fête de la vie

Homélie du P. Louis-Marie Frioux
le 25 mai 2008  à la Rue Lhomond à Paris

La célébration de la Fête Dieu : s'accompagne cette annee de la fête des mères, de la journée internationale des enfants disparus et c'est bien! car notre vie chrétienne se déroule au coeur des événements et ne saurait s'affranchir de ce qui se passe dans le monde. "Choisissez la vie!"

Vie du monde
Les grands développements théologiques ne sauraient être notre seule vraie préoccupation au quotidien, pensant que par ailleurs tout va pour le mieux. La lettre de St Jacques, lue ces derniers temps, nous a rappelé combien vaine est la foi qui se moque des situations vécues.
C’est aujourd’hui la fête des mères. Les affiches publicitaires depuis un certain temps invitent au cadeau. Les menus sont prêts. Les gâteaux aussi. C’est la fête de la vie., de la tendresse. Pas pour tous hélas !
Il y a des mères qui ne verront arriver personne. Il y a des mères pour qui c’est un jour d’horreur, parce que leurs enfants sont sous les blocs de béton de ces écoles abattues par le tremblement de terre.. Il y a des enfants qui n’auront pas de mère à fêter. Birmanie, Chine, Afrique du sud où il ne fait pas bon être émigré. Et çà et là, dans les maisons de retraite, certaines regarderont, dans le lointain, seules.
C'est aussi la journée des enfants disparus, disparition, enlèvement, abus, enrôlement meurtres qui font de la vie des familles un chemin quotidiennement amer..

Communion d'Amour
Fête du Corps et du Sang du Christ autrefois dite Fête-Dieu,. Fête de Dieu qui, présent dans la plus quotidienne des nourritures, le pain, -par amour- , fait un avec l’homme dans une communion inouie.
Communion qui reste désir, et toujours à réaliser. Le désir fort, celui de se nourrir de l’autre, de ne faire qu’un avec lui existe en-deça, c'est celui de l’enfant qui dit à sa mère : " je voudrais te manger " Celui de l’amant à sa bien-aimée : " je voudrais te dévorer ".
Au-delà de la parole, l’amour est nourrissant. Pensons à ces mendiants d’amour, au bord de la route, loin de toute tendresse humaine : " J’ai faim et soif…. ". Comprenons-nous ? Le coeur a besoin de s’alimenter d’une présence.. Et l’amour est une nourriture qu’on ne se contente pas de recevoir , mais qu’on donne tout en même temps.
Ce qui est vrai dans les relations entre parents et enfants, et dans les relations entre parents, est également vrai pour chaque être humain. Ce n'est que dans la relation avec un "Tu" qu'il deviendra un homme dans le plein sens du terme. S'occupe-t-il uniquement de lui-même, il demeure inachevé.
Ce réalisme de l’amour-relation n’a pas fait peur au Christ qui a voulu demeurer présent par le pain et le vin; des réalités du quotidien, qui deviennent de par sa volonté et son action, aliment de notre vie spirituelle. Et force réelle pour l'action.

Enseignement nouveau
" Celui qui mange mon corps vivra. " celui qui mange ma chair... Manger son corps n’est-ce pas incompréhensible, provocant ? Cet enseignement d’ailleurs aboutira au départ de disciples choqués.
C'est l'enseignement d'un homme qui a toujours "marché à l'envers", mis le bonheur "à l'envers". N'a-t-il pas dit : heureux les pauvres, les artisans de paix, les persécutés pour la justice ?. Quand on voulait le faire Roi, il fuyait. Il disait à Dieu -si lointain pour tant de gens-, des mots de tendresse. Il nous a mis en garde contre l'argent meurtrier. Il bouscule l'amoncellement de nos soucis : ne vous inquiétez pas pour demain!Il s'en prenait aux cadres religieux; ...Il avait relativisé le Temple...
En chacun de ces souvenirs que nous ont transmis les premiers Chrétiens, Jésus est notre pain vivant, chemin pour notre Vie. A cause de cet enseignement de "l'anti-bonheur" , on avait décidé sa mort... Alors réunissant ses amis, il prit en ses mains l'humble nourriture du quotidien et s'y est mis tout entier. "Ceci est mon corps , ceci est mon sang..". Il fut arrêté, condamné, mis à mort..
Bientôt ces derniers amis vont annoncer qu'il est ressuscité et que le monde nouveau est commencé. La Fête-Dieu commençait.
"Si vous ne mangez ma chair et ne buvez mon sang vous n'aurez pas la Vie...." Manger le corps du Christ, boire son sang c’est entrer en communication avec sa personne. Communication jusqu’à la communion. Ce n'est plus moi qui vis, dit St Paul....
Manger ensemble, nous le savons bien, ce n’est pas seulement se nourrir ensemble, c’est donner et recevoir une part de présence, c’est livrer et accueillir vie, union et joie..

Faire mémoire
Profondément humain le Christ s’est donné aux hommes dans le cadre d’un repas de fête et sous le signe de la nourriture quotidienne.. Le repas d’adieux auquel il a invité son équipe a pour lui-même une importance capitale, il le précise : " J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir. "
Le don de la chair du Christ ne peut être séparé de la mort et de la Résurrection qui ouvrent à une nouvelle vie.
Ce soir-là Jésus décide de donner au partage de la nourriture et de la boisson, une signification nouvelle. Le pain et le vin qu’il offre à ses amis ne sont rien de moins que son corps et son sang, lui-même dans l’acte de sa mort. C’est un rite nouveau : Faites ceci en mémoire de moi
Et ce repas de fête entre croyants devient le partage de la vie du ressuscité aujourd’hui Voilà la plus réelle présence de Dieu parmi les hommes, moteur de l’union entre eux.

Partager , être mangé
S’il est vrai qu’il est important pour le chrétien d’actualiser la Parole qu’il entend, d’en faire un levier pour aujourd’hui
Reprenons simplement un de nos questionnements du début, demandons-nous  : qui répondra à la faim, à la soif de tous ces mendiants d’amour qui nous disent : j’ai faim, j’ai soif ? de tous ces mendiants d’amour dont nous sommes tous ?
Qui écoutera ces hommes qui peinent, souffrent et meurent; Qui ira accompagner ces femmes et ces hommes qui essaient d’ouvrir un chemin à la paix ? Il n'y a pas de bonheur à être heureux seul disait Ste Thérèse.
C'est la certitude de ces hommes et de ces femmes, de ces disciples, de ces chrétiens qui se laissent manger... C'est là le chemin que Jésus lui-même nous a montré. C'est cela faire mémoire de lui en acte, communier à sa mission .
Rappelons-nous les processions de Fête-Dieu de notre enfance. Sont-elles loin?.... Non! elles ne sont pas finies. Elles se déroulent aujourd'hui sur toute la terre : ce sont celles de tous ceux qui aiment et qui luttent, de tous ceux qui servent les petits et les pauvres, de tous ceux auxquels Jésus dira à l'aube du dernier matin : "J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger..."
La plupart des fêtes sont en réalité des mémoires. Mais elles devraient être couronnement, ressourcement ou point de départ d'une action dévorante au service des hommes, nos frères.

Dans l’Eucharistie, en communiant au Corps et au Sang du Christ, le plus bel acte d'amour est accompli. Dieu passe en l'homme et l'homme devient Dieu! Qui donc est l'homme pour être à ce point aimé de Dieu ? Pas de nourriture ensemble sans partage de l’amitié, de la foi, de l’espérance. Partages à développer pour que prenne corps, ce Corps dont nous sommes tous membres

Aujourd'hui et demain
Avec Jésus cette présence, cette union n'est pas conséquence mais substance. Sa chair, nourriture qui nous est donnée est comme transsubstantiation de lui en nous. Le corps délimiteur de présence, outil de relation avec le monde et d’autres personnes, devient par le Sacrement notre nourriture, notre Vie. Donner son corps, donner son sang c’est donner sa vie..
C'est aujourd'hui que nous "faisons mémoire" du grand geste d'amour du Christ. Et nous le vivons en pensant que nous le vivrons demain en demeurant en lui, en son amour. Si nous le voulons. .. Il faut le vouloir. Comme des êtres partagés. Comme des êtres donnés. Comme des hommes, des femmes, qui acceptent de se laisser manger.