Parole de Dieu


La vie selon l’Esprit
à la lumière des épîtres de Paul


P. Elvis Elengabeka, spiritain
Bibliste et théologien au Cameroun

Il semble naturel que l’orientation d’un propos soit déterminée par les conditions dans lesquelles on le formule. Celui que nous tenons ici s’inscrit dans le cadre de la dernière livraison de la revue Esprit Saint, qui advient au cours de l’année jubilaire dédicacée à saint Paul. Ces circonstances ouvrent une double perspective à notre méditation. D’une part, le jubilé paulinien inspire naturellement de se pencher sur les lettres attribuées à l’apôtre en question ; d’autre part, le fait qu’il s’agisse d’une parution finale suggère d’être synthétique. Aussi, au lieu de parcourir la totalité des écrits de Paul, nous nous limitons au commentaire de quelques extraits de ces grandes épîtres - celles adressées aux Romains, aux Corinthiens et aux Galates – pour envisager l’Esprit Saint dans l’existence humaine, dans l’expérience ecclésiale et dans sa nature divine. Au-delà d’un tête à tête, cette démarche se voudrait un cœur à cœur avec les passages bibliques. D’où l’absence des notes de bas de pages, qui témoigne de notre volonté à donner la parole uniquement aux textes.

L’Esprit Saint dans l’existence humaine
En Rm 8, 15, il est écrit : " vous n'avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions: Abba, Père ".
Ce verset attire l’attention du lecteur par son rythme. Il s’organise manifestement en deux mouvements. Le premier se caractérise par une tonalité négative, alors que le second se distingue par son orientation plutôt positive. Pour commenter cette construction, on pourrait simplement souligner les ressemblances et les différences entre les deux séquences du verset.
Dans le texte original, l’auteur de la lettre emploie le verbe recevoir pour indiquer le lien qui existe entre les destinataires et l’Esprit Saint. Notons que la même idée de la réception se rencontre à travers le même mot, lorsque l’évangile selon saint Jean parle des attitudes de l’humanité envers le verbe incarné : " … les siens ne l’ont pas reçu… mais à ceux qui l’ont reçu il a donné pouvoir d’être enfants de Dieu… " (Jn 1, 11-12). Comme le Fils, l’Esprit est envoyé par Dieu. De plus, sa présence et son efficacité en l’homme supposent également une action de la part de ce dernier. Il ne suffit donc pas que l’Esprit soit donné, nous devons en plus le recevoir, lui ouvrir notre cœur. Le message porté par l’emploi du verbe recevoir peut être entendu comme une invitation à l’hospitalité envers l’Esprit que Dieu donne. Une autre similitude existe entre les deux membres de notre verset. Dans la version française, ils rattachent tous l’Esprit à un verbe d’action : " rendre " ou " faire ". Ici, les destinataires ne sont plus en position des sujets, mais apparaissent comme ceux sur qui l’Esprit opère. Ces constatations ouvrent sur une double conviction : la nécessité de la participation de l’homme et l’effectivité des effets de l’Esprit, l’action humaine consistant à accueillir la présence de l’Esprit. On arrive ainsi à une spiritualité unissant et arrimant l’action de l’homme à celle de l’Esprit, que les deux parties du verset décrivent différemment.
Deux situations s’opposent clairement et diamétralement en Rm 8, 15 : la condition d’esclavage et la filiation divine. Les familiers des épîtres de Paul se souviendront que Ga 4 se termine par le même type d’opposition. Ce rapprochement est d’autant plus pertinent que les deux lettres, Rm et Ga, opposent pareillement l’Esprit à la chair. Sans entrer dans les détails sur ces deux éléments, notons simplement le fait qu’il existe une incompatibilité entre eux suivant les déclarations de Paul (Rm 8, 5-10 ; Ga 5, 16-24). Cette constatation théorique appelle au moins deux remarques concrètes. Sur le plan des principes de l’agir, la réception de l’Esprit implique le refus des orientations contradictoires à la liberté. Elle revient au refus de toutes les situations qui enferment la personne dans la prison de la peur. Rappelons que l’un des premiers effets du don de l’Esprit, au jour de la Pentecôte, n’était autre chose que le passage de la crainte (Jn 20, 19 ; Ac 1, 13 ; 2, 1) au courage qui fait annoncer publiquement la résurrection du Christ (Ac 2, 14-36). Sur le plan de la réflexion, la même opposition, en lien avec Ga 5, 19-25, peut servir d’instrument de discernement. Elle indique clairement ce qui est inspiré de Dieu et permet de reconnaître ce qui ne l’est pas : être gouverné par la peur, ce n’est pas vivre sous la conduite de l’Esprit promis par le Christ, lui qui avait rassuré ses disciples (Mt 14, 27 ; Jn 14, 1) et leur avait donné la paix (Jn 14, 27 ; 20, 19).
A la lumière de Rm 8, 15, nous découvrons que l’action de l’Esprit Saint suppose l’implication des destinataires de celui-ci et engage à la promotion de la liberté.

L’Esprit Saint dans l’expérience ecclésiale
S’adressant aux chrétiens de Corinthe, Paul dit : " Il y a diversité de dons de la grâce, mais c'est le même Esprit "1 Co 12, 4).
Cette affirmation situe l’Esprit à la source des différents charismes. Pour en prendre la mesure, commençons par nous représenter le décor qui l’entoure : la situation de l’église de Corinthe à la lumière de la première lettre que Paul lui adresse. Il s’agit d’une communauté marquée par la discorde. Cette blessure est décrite de plusieurs manières : l’esprit de clocher (1 Co 1, 10-17), l’égoïsme caractéristique des assemblées eucharistiques corinthiennes (1 Co 11, 17- 22)…
C’est en réaction à ces divisions que Paul développe la notion de diversité portée par notre verset et illustrée par l’image du corps humain, dont les membres sont à la fois spécifiques et complémentaires. La mention de l’Esprit apparaît ici dans le contexte de l’unité de la communauté. Le message de ce verset s’adresse donc à notre manière de faire église et de vivre en société ; il vise directement notre manière d’être avec autrui.
Appliquée à la vie ecclésiale, la rime entre unité et diversité invite à intégrer l’égalité en dignité, la différence en fonction et la solidarité en responsabilité. Entre le clerc et le laïc, pas de rapport de supériorité dans un sens ou dans un autre, mais la fraternité de ceux qui ont été " désaltérés par le même Esprit ". L’un n’a pas à jouer le rôle dévolu à l’autre, mais se réjouit de la réussite de l’autre et connaît la tristesse devant son échec même s’il ne dépend pas de lui.
Au milieu du siècle dernier, un anthropologue se désolait de l’état du monde. Il déplorait l’uniformité de la société de son époque qui, à son avis s’installait dans " la monoculture ". Cette situation trouve encore des illustrations à l’heure actuelle. Elle se manifeste par exemple, lorsqu’une manière de faire, une façon de penser ou un genre de vie tente d’écraser les autres cultures. Elle se rencontre encore lorsqu’on bannit la différence par le racisme, le nationalisme, le tribalisme… La mondialisation, si elle oublie la pluralité, tombe dans le même piège de la " monoculture ", qui éteint littéralement l’Esprit, puisqu’elle n’en suit pas la logique, celle de la diversité unifiée. Refuser la différence ou l’exploiter pour diviser, c’est renier son baptême et sa confirmation, sacrement où l’Esprit est donné.
Suivant l’extrait que nous venons de lire, dans l’Esprit Saint, comme l’affirmera la suite de 1 Co 12, les différences ne tournent pas à la cacophonie, elles ne se dégradent pas non plus en rivalité, mais concourent harmonieusement à l’édification du corps ecclésial.

 
L’Esprit Saint dans sa nature divine
La seconde lettre de saint Paul aux Corinthiens est célèbre en ce qu’elle laisse transparaître le tempérament de son auteur. Elle intéresse encore parce qu’elle aborde une question aussi sensible que celle de l’exercice du ministère apostolique (2 Co 5, 11-6, 10) et traite des notions aussi que importante que la démarcation de la Nouvelle Alliance vis-à-vis de l’Ancienne (2 Co 3, 6-14). Mais a-t-on remarqué que cette épître se conclut sur une formule lumineuse qui fait mention de l’Esprit Saint : " La grâce du Seigneur Jésus Christ, l'amour de Dieu, et la communion du Saint Esprit soient avec vous tous " ? Ce souhait, qui se rencontre en 2 Co 13, 13, fait partie des salutation que le prêtre peut adresser à l’assemblée au début de la messe. A ce titre, il représente probablement le verset le plus célèbre ou le plus vulgarisé du Nouveau Testament sur l’Esprit Saint. Nous pouvons accéder à son message par deux pistes possibles.
La première consiste à souligner la dimension trinitaire du verset : la mention explicite du Père, du Fils et de l’Esprit est frappante. Dans la perspective de notre propos, nous retiendrons qu’elle met en relief l’identité divine de l’Esprit en le plaçant sur le même plan que Dieu et le Christ. Confesser la divinité de l’Esprit Saint ne va pas de soi. L’histoire de l’église nous apprend qu’elle avait été farouchement combattue par certains chrétiens. En ce qui nous concerne aujourd’hui, la structure trinitaire de ce verset peut inviter à une révision de notre pratique religieuse. Cette amélioration de nos habitudes pourrait consister à prendre la mesure de la densité des symboles de la foi qui se récitent lors des eucharisties dominicales. Ces textes s’organisent en trois parties, autour du Père, du Fils et l’Esprit comme notre verset, évoquant également la formule prononcée sur les baptisés que nous sommes et rappelant aussi le signe de croix. De plus, l’une de ces deux formules du Credo confesse que l’Esprit procède du Père et du Fils et que les trois sont pareillement honorés, soulignant ainsi la complicité entre les personnes trinitaires comme en 2 Co 13, 13.

L’Esprit fait l’union en nos coeurs
L’autre piste conduit à remarquer que le texte ne se contente pas de mentionner les personnes de la trinité, mais il les caractérise en assignant à chacune un déterminatif, comme s’il voulait les particulariser. Dans ce mouvement, il attribue à l’Esprit la communion. Le Nouveau Testament applique cette notion à la vie des premières communautés chrétiennes pour signifier l’union des cœurs (Ac 2, 42 ; 4, 32) ou la concorde (1 Jn 1, 7) manifestée par le partage (2 Co 8, 4. 9, 13), traduite dans la solidarité intercommunautaire (Rm 15, 26 ; He 13, 16), exprimée dans la collaboration missionnaire (Ga 2, 9) et vécue dans l’union à Dieu (1 Co 10, 16 ; Ph 3, 10 ; 1 Jn 1, 6). La relation aux biens matériels, lorsqu’elle laisse une place à la générosité envers autrui, le travail en équipe, quand il reconnaît en l’autre un partenaire effectif, et l’action humaine, lorsqu’elle veut correspondre à la volonté de Dieu, inscrivent la vie dans la mouvance de l’Esprit Saint.

Au terme de ce parcours, nous constatons que les versets des épîtres pauliniennes sur lesquels nous venons de fixer notre attention se ressemblent non seulement en ce qu’ils portent tous sur l’Esprit Saint, mais encore parce qu’ils traitent ce thème commun de la même manière. En effet, d’un passage à l’autre, l’Esprit Saint apparaît toujours en lien avec la situation des destinataires, que l’auteur mentionne explicitement (Rm 8, 15 ; 2 Co 13, 13) ou implicitement (1 Co 12, 4). On dirait que les textes font prendre corps à l’Esprit en le présentant dans cette position. Cela nous invite à concevoir le Saint Esprit non pas comme un personnage désincarné, mais à l’associer à notre existence comme un partenaire actif en pratiquant les valeurs spirituelles qui se dégagent des passages bibliques commentés : l’affranchissement de la peur, la promotion de l’unité, l’engagement pour la solidarité.♦