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ESPRIT SAINT, HÔTE TRÈS DOUX DE NOS ÂMES

L’Esprit Saint dans la vie du chrétien

Odile Macchi


Odile Macchi est membre du Comité de rédaction. Elle est veuve consacrée dans la Fraternité Notre-Dame de la Résurrection, Mel : macchi.odile@orange.fr. Nous lui avons demandé d’exprimer ici ce qui fait l’essentiel de la présence et de l’action de l’Esprit Saint dans les cœurs et dans l’Église. Elle traite ce sujet central pour toute vie spirituelle par un riche commentaire de la prière liturgique : " Viens Esprit Saint en nos cœurs "

 
Viens, Esprit Saint, en nos coeurs,
Et envoie du haut du ciel
Un rayon de ta lumière.

Viens en nous, Père des pauvres,
Viens, dispensateur des dons,
Viens, lumière de nos cœurs.

Consolateur souverain,
Hôte très doux de nos âmes,
Adoucissante fraîcheur.

Dans le labeur, le repos,
Dans la fièvre, la fraîcheur,
Dans les pleurs, le réconfort.

Ô lumière bienheureuse,
Viens remplir jusqu’à l’intime
Le cœur de tous tes fidèles.
 
Sans ta puissance divine,
Il n’est rien en aucun homme,
Rien qui ne soit perverti.

Lave ce qui est souillé,
Baigne ce qui est aride,
Guéris ce qui est blessé.

Assouplis ce qui est raide,
Réchauffe ce qui est froid,
Rends droit ce qui est faussé.

À tous ceux qui ont la foi
Et qui en toi se confient,
Donne tes sept dons sacrés.

Donne mérite et vertu,
Donne le salut final,
Donne la joie éternelle.

Voici la belle séquence qui nous est donnée par l’Église pour le jour de la Pentecôte. Il me semble qu’elle peut servir de canevas pour écrire quelques mots sur le sujet qui me fut proposé par le Père Jean Savoie pour ce dernier numéro de notre chère revue : l’Esprit Saint dans la vie du Chrétien.

 
Viens :
La séquence s’ouvre avec le mot ‘Viens’. Il apparaît cinq fois dans la première colonne. Il dit le cri de notre âme assoiffée de Dieu et qui ne cesse de l’appeler. Comment vivre sans sa présence ? L’air lui-même nous manque, rien n’a de saveur, et, consciemment ou non, notre âme ne sait que répéter avec le psalmiste : ‘Comme gémit une biche après l’eau vive, ainsi gémit mon âme vers toi, mon Dieu’. Saint Augustin le dit autrement : ‘Tu nous as faits pour toi, ô Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en toi.’

C’est bien vers l’Esprit Saint que gémit notre âme, car c’est la mission propre de la Troisième Personne de la Sainte Trinité de nous habiter intérieurement. Il vient ‘remplir jusqu’à l’intime le cœur de chaque fidèle’. À notre invitation, il devient ‘l’hôte très doux de nos âmes’, celui qui est plus intime à nous-même que nous-même. Sans effraction, sans rien confisquer ni ralentir de nos capacités naturelles, nous laissant tout entier à nous-même, il nous fait tout à lui, il prend totale possession de notre demeure. Rentrant en nous-même, nous ne trouvons jamais la maison triste et vide, car elle est habitée par le Saint Esprit : il est ‘l’hôte très doux de nos âmes’. Depuis notre baptême et jusque dans notre éternité, nous ne sommes plus jamais seul, l’Esprit Saint est avec nous, il est en nous ! Et quand s’abattent sur nous l’affreuse impression de l’abandon et le sentiment de ne compter vraiment pour personne, la foi contredit le sentiment et nous assure de la discrète et douce présence de l’Esprit.

Lumière de nos cœurs :
Après le mot ‘viens’, c’est le mot ‘lumière’ qui revient le plus souvent dans la séquence. En lui-même l’Esprit Saint est lumière divine. En se communiquant à nous il devient la lumière de nos coeurs. Comment pourrions-nous vivre sans lumière ? Pourrions-nous aller à tâtons dans la vie ? C’est le sort que les anciens imaginaient pour les âmes des morts aux enfers . Ce sont des ‘âmes en peine’ qui errent sans but, ce sont des ombres au Royaume des ténèbres. À cette idée, tout notre être se cabre car nous sommes vivants et nous voulons une clarté pour guider nos pas. Pas de vie sans lumière, nous dit l’évangile de Jean dès les premières phrases : ‘En lui (le Verbe) était la vie, et la vie était la lumière des hommes.’ Jésus est lui-même notre lumière : ‘Je suis la lumière du monde, celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie.’ (Jn 8, 12) Mais la lumière du Christ nous resterait extérieure si l’Esprit ne l’infusait en nous pour éclairer les méandres de notre cœur humain. Qu’il envoie du haut du ciel un seul rayon de sa lumière, et nous sommes illuminés, pénétrés jusqu’aux profondeurs insondables de l’être, réchauffés par sa chaleur, en un mot rendus à la vie.

Le Saint Esprit est aussi celui qui illumine le regard que nous portons sur nos frères et nos sœurs. Avec nos seuls yeux naturels, nous ne savons pas toujours voir la beauté de chaque être. Nous sommes souvent arrêtés par ses défauts (qui n’en aurait pas ?) et nous ne voyons plus que les failles de sa personnalité, surtout si ces failles sont cause de souffrances pour nous. Mais ces failles ne sont que du manque, du négatif, dans une réalité positive beaucoup plus large, plus profonde : chaque personne est une créature que Dieu a voulue pour elle-même de toute éternité. C’est l’Esprit qui éclaire notre regard jusqu’à discerner la véritable beauté de toute créature de Dieu : cachée à l’oeil humain, elle vient au jour quand passe à travers nous la lumière divine qui nous habite nous-même. Car l’évangile nous le dit : ‘La lampe du corps c’est l’œil. Si donc ton œil est sain, ton corps tout entier sera dans la lumière. Mais si la lumière qui est en toi est ténèbres, quelles ténèbres ce sera !’ (Mt 6, 22, 23). La lumière dont il est question c’est celle de l’amour vraiment divin qui peut sourdre de notre cœur et irradier autour de nous quand nous nous abandonnons à l’emprise du Saint Esprit.

Consolateur souverain :
Comme apparaissent les tâches sur une vitre éclairée d’un rayon de soleil, dans la lumière de l’Esprit Saint apparaît notre vraie misère, celle d’être des pécheurs. Cette découverte devrait nous remplir de tristesse, mais la caresse de l’Esprit Saint à notre âme la dissipe aussitôt comme rosée au soleil levant. Car il est le ‘Père des pauvres’, le Père des petits. L’aveu de notre impuissance et de notre pauvreté attire sa grâce, comme un gouffre attire l’eau joyeuse du torrent. Ainsi en est-il pour nous, quand nous accueillons la grâce de l’Esprit : il est pour nous ‘dans les pleurs le réconfort’ et ‘lumière bienheureuse’. Comme une eau s’infiltre dans tous les recoins d’une demeure, sa joie divine se glisse en nous sans faire de bruit, joie légère et simple comme est simple la vie.

Oui, le Saint Esprit est le ‘consolateur souverain’. C’est lui qui nous fait comprendre et vivre la béatitude ‘Heureux ceux qui pleurent car ils seront consolés’ (Mt 5, 5). Pleurer notre péché, cela peut être triste si c’est sur nous-même que nous pleurons. C’est pleurer de dépit sur notre incapacité à faire le bien. En fait c’est de l’orgueil. Bernanos explique fort bien cela : ‘Il est plus facile qu’on ne croit de se haïr, la grâce c’est de s’oublier. Mais si tout orgueil était définitivement mort en nous, la grâce des grâces serait de s’aimer humblement comme n’importe lequel des membres du Corps du Christ.’
Mais les larmes dont parle l’évangéliste Matthieu sont d’une autre nature, elles ne sont pas de dépit mais de regret car notre péché a offensé Dieu qui nous aime et que nous aimons. Ces larmes-là, l’Esprit Saint les console aussitôt en nous faisant entrevoir l’immensité de la miséricorde du Père, infiniment au-delà de notre péché. Je crois que c’est Claudel qui fait cette comparaison étonnante entre nos péchés et des crottes de mouches sur les piliers d’une cathédrale : notre misère n’est rien de plus face à la hauteur et la grandeur de la miséricorde divine. L’amour de notre Père du ciel nous entoure de tous côtés comme la plus belle des cathédrales. En nous faisant comprendre ce mystère de tendresse, l’Esprit Saint verse toute consolation en nos cœurs.

Fils et filles de Dieu car animés par l’Esprit :
Seul l’Esprit Saint peut faire plonger notre âme dans le mystère de Dieu et nous faire entrer en relation avec le Père. À la messe, avant de prier tous ensemble le ‘Notre Père’ le prêtre rappelle aux fidèles : ‘Unis dans le même Esprit, nous pouvons dire avec confiance la prière que nous avons reçue du Sauveur’. Car en nous c’est l’Esprit lui-même qui prie notre ‘Abba’. L’apôtre explique : ‘Vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba ! Père ! L’Esprit lui-même se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de Dieu…et il vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut ; mais l’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements ineffables’ (Rm 8, 15-16. 26). ‘Abba’, c’est le premier balbutiement qui sort de la bouche du bébé. C’est ainsi que Jésus appelait Dieu. On pourrait familièrement traduire ‘Abba’ par ‘Petit Papa chéri’. Et l’héritage que Jésus nous lègue, c’est son Esprit qui en nous aussi balbutie ‘Abba’. Quel admirable mystère que cette douce coopération de notre esprit avec l’Esprit de Dieu ! À la condition expresse de notre consentement, il nous emporte jusque dans les profondeurs et l’intimité de la vie trinitaire. C’est lui qui fait tout, mais il ne fait rien sans nous. Comme un aigle emporte ses petits sur ses ailes pour leur apprendre à voler, l’Esprit Saint nous emporte en Dieu. C’est là mon expérience spirituelle, c’est ce que m’a appris la prière d’oraison quotidienne, silencieuse et fidèle.

L’Esprit dispensateur des dons :
L’Esprit Saint EST en lui-même le don de Dieu, comme le dit l’évêque au confirmant : ‘Reçois l’Esprit Saint, le don de Dieu’. Et, en le recevant, nous recevons en sus toute chose désirable. On trouve dans l’épître aux Galates une énumération des fruits de l’Esprit :’Le fruit de l’Esprit est charité, joie, paix, patience, serviabilité, bonté, confiance dans les autres, douceur, maîtrise de soi.’(Ga 5, 22-23). La suite de notre séquence rappelle aussi que l’Esprit  est le ‘dispensateur des dons’, et en cite quelques-uns : le repos, la fraîcheur, la pureté, l’eau vive, la guérison, la souplesse, la ferveur, la droiture, le mérite, la vertu, le salut final, la joie éternelle, le tout résumé par les ‘sept dons sacrés’.

Concrètement comment reconnaître tous les dons que nous avons déjà reçus de l’Esprit ? Regardons notre vie de tous les jours avec foi afin de discerner ce qui vient de lui, pour lui en rendre grâce. Plus nous en prendrons conscience dans un cœur reconnaissant, plus il pourra nous combler. Saint Jean dit que : ‘nous avons tous reçu grâce pour grâce’ (Jn 1, 16). Qu’est-ce à dire sinon que chaque grâce accueillie avec reconnaissance attire une autre grâce. Aussi il nous est bon de faire mémoire des dons du Saint Esprit. Pourquoi ne pas lui demander régulièrement, tous les mois, ou à chaque fois que nous recevons le sacrement de réconciliation, de nous faire discerner quels ont été ses principaux dons dans la période qui s’achève ?

Par exemple on peut permettre à l’Esprit Saint de nous interroger doucement chaque mois, à la lumière de ses divins rayons. Les questions suivantes sont toutes associées à un don énuméré par la séquence :
‘Dans le labeur, le repos’ : Ô Esprit Saint, quel repos du cœur m’as-tu accordé ce mois-ci ?
‘Dans la fièvre, la fraîcheur’ : Quelle colère ou quel stress as-tu calmé de ton onction divine ?
‘Lave ce qui est souillé’ : Quelle tendance mauvaise en moi, quelle souillure de l’âme, ta douce pitié veut-elle me faire connaître afin que je vienne les laver à l’eau de la pénitence ?
‘Baigne ce qui est aride’ : Ô Saint Esprit, fais-moi discerner une personne qui attend l’eau vive de mon amitié ou de mon affection, et viens irriguer mon cœur pour qu’il s’ouvre à son attente.
‘Guéris ce qui est blessé’ : Mets ta main puissante et douce sur cette blessure particulière en moi qui me rend critique ou désagréable envers mon entourage. Apaise ma rancune envers telle personne qui m’a blessée, et rends-moi douce envers elle comme tu l’es toi-même.
‘Assouplis ce qui est raide’ : Esprit de Dieu, toi qui comprends tout, montre-moi le préjugé que tu veux dissoudre en moi, ou l’attitude rigide que je peux modifier ce mois-ci.
‘Réchauffe ce qui est froid’ : Saint Esprit, prends pitié de mon indifférence aux souffrances qui m’entourent, et montre-moi celle que je puis aujourd’hui soulager.
‘Rends droit ce qui est faussé’ : Il y a sans doute dans ma vie telle ou telle chose que je ne veux pas voir, pas savoir ; viens doucement m’aider à m’incliner devant la vérité ; viens me la faire accepter.
‘Donne mérite et vertu’ : Seigneur Esprit Saint, tous nos mérites ont des tâches à tes yeux, toutes nos vertus sont mêlées de vanité. Ce mois-ci purifie (par exemple) ma charité envers ma vieille mère. Pour elle, verse en moi ta charité divine.
‘Donne le salut final’ : Saint Esprit indique-moi l’attachement qui aujourd’hui entrave ma marche vers Dieu ; détache-moi de tel désir inutile et augmente en moi le désir du ciel, ma vraie patrie.
‘Donne la joie éternelle’ : Infuse en moi, Saint Esprit la joie des Béatitudes. Indique-moi ce qui se cache en moi de tristesse non évangélique, et viens la faire fondre au soleil de ta joie. Introduis-moi et garde-moi dans l’éternelle joie de la très sainte Trinité.

Avec Marie, accueillir l’Esprit :
Je ne saurais conclure ce texte sans parler de la très sainte Vierge Marie, celle qui est ‘comblée de grâces’, c’est-à-dire comblée d’Esprit Saint, celle qu’il couvrit de son ombre. Nous savons qu’elle se hâta vers sa cousine Élisabeth et ‘qu’il advint, dès qu’Élisabeth eut entendu la salutation de Marie, que l’enfant tressaillit en son sein et Élisabeth fut remplie de l’Esprit Saint.’ (Lc 1, 41). Pour nous comme pour Élisabeth, Marie est celle qui transmet tous les dons qu’elle reçoit de Dieu, et surtout le plus grand, celui de l’Esprit Saint. Ici j’ai envie de citer le témoignage d’un ami prêtre qui subissait l’attaque de l’Ennemi, perdait la foi en son sacerdoce et s’apprêtait à quitter son ministère. Il reçut ce conseil d’un vieux prêtre ami : ‘Récite ton rosaire tous les jours.’ Il obéit humblement et, au bout d’un mois, il fut saisi tout entier par une grâce spéciale de l’Esprit Saint : en lui Marie avait rouvert la porte à l’Esprit. Ce prêtre a recouvré en son coeur tout le jaillissement de la source divine. Il devint tout autre, tout rayonnant de la présence du Seigneur, et il est resté jusqu’à aujourd’hui un vrai Pasteur selon le cœur de Dieu, apportant de la joie à tous ceux à qui le Seigneur l’envoie.

" Que l’Esprit Saint fasse de nous une éternelle offrande
à la gloire de Dieu le Père. Amen "♦