Chemins de vie


LA LITURGIE, SOURCE DE VIE …


Mgr Maurice Fréchard, spiritain
 
Et de vie pascale, avec le Christ ressuscité. Pas n’importe quelle vie. C’est bien mieux qu’un retour à la santé physique, même si cela compte beaucoup pour les personnes qui en font l’expérience concrète. Quand elle est pratiquée régulièrement la liturgie chrétienne, la vie sacramentelle, nourrit, fait grandir en chacun des baptisés cette vie du Christ ressuscité, la vie sur laquelle la mort humaine n’a plus aucun pouvoir. Ce n’est pas pour nous anesthésier, c’est seulement pour nous situer sur un autre plan, plus réel encore que celui de la vie et de la mort. Christ est ressuscité ! Alleluia ! Sa résurrection nous affranchit de la mort, et nous fait mener une vie nouvelle, au nom du Christ victorieux de la mort au matin de Pâques.
Vivre de manière pascale est alors proposé comme un mode de vie habituel à chacun des chrétiens, à l’Église qu’ils constituent à tous les échelons de son existence sociale, dans les communautés auxquelles ils appartiennent. Car les individus ne sont pas les seuls qui soient concernés. L’Église, en sa réalité de corps du Christ, en sa réalité concrète, locale, où nous vivons son mystère de corps ressuscité, doit mener une vie pascale elle aussi.
La liturgie ne se vit pas de manière privée, strictement personnelle, individuelle, solitaire, à l’écart des autres personnes. De sa nature, elle est célébrée de manière communautaire. Même si, dans les cas extrêmes, elle peut être vécue de manière très privée, nous savons bien que ces situations sont exceptionnelles et qu’elles ne sont pas le mode naturel, normal, de son exercice habituel.
Ce n’est pas non plus l’équivalent d’un supermarché, au plan spirituel, une sorte de coopérative. Sur le plan commercial, une telle organisation permet de rationaliser la distribution de produits de consommation courante. On pourrait y songer quand le nombre des prêtres diminue fortement. Ce serait alors en vue de mieux organiser la ‘’distribution’’ des sacrements.
Mais la liturgie chrétienne ne se vit pas comme dans un supermarché. D’une part, l’Église n’est pas un espace où l’on distribue un certain nombre de prestations, et d’autre part, les prêtres ne sont pas distributeurs en matière sacrée. La nature de la liturgie demande que la célébration soit communautaire. Car chaque assemblée présente le visage du Christ ressuscité dans le monde profane qui l’entoure.

Les étapes antérieures …
… de notre réflexion nous ont permis de réfléchir, de méditer, sur ce sujet. La conclusion me semblait évidente pour les sacrements de l’initiation chrétienne que sont le Baptême, la Confirmation et la première Eucharistie. Baptême et Confirmation sont des sacrements permanents, dans le sens de " Je suis baptisé depuis le … " de préférence à " J’ai été baptisé le … ". Ils sont comparables à des sources ouvertes qui continuent de déverser leur eau de manière continue, et qui alimentent la vie quotidienne de notre esprit. Encore une fois, il s’agit de la vie de Jésus Ressuscité. Car par le Baptême et la Confirmation, saint Paul ne les distinguait pas, nous sommes devenus un même être avec le Christ (Rm 6 5) par notre participation à la totalité du mystère pascal de Jésus, mort et résurrection, jusqu’au don de l’Esprit de Pentecôte.
J’en rapproche la vie religieuse, la vie des religieuses et des religieux dont le Concile Vatican II nous dit qu’elle est " une consécration particulière qui s’enracine intimement dans la consécration du Baptême (et de la Confirmation) et l’exprime avec plus de plénitude " (Décret sur la Renouveau de la Vie Religieuse, n. 5). L’engagement religieux, la Profession religieuse, n’est pas sacrement. Mais sa qualité baptismale nous permet de la situer dans un cadre sinon sacramentel en lui-même, du moins très proche de ces deux sacrements de base. Il s’agit en effet d’un engagement personnel pour un mode de vie qui met en valeur la qualité baptismale de la vie chrétienne.
Et l’Eucharistie ? Je n’ai pas oublié cette première participation active à l’Eucharistie. S’il existe une réalité expressive de la vie avec le Ressuscité, la participation à l’Eucharistie l’est au plein sens du terme. Puisque chaque Eucharistie nous rend présents, par grâce, à l’unique Pâque historique de Jésus. Présents et actifs, puisque notre activité principale consiste à présenter à Dieu notre Père l’offrande de son Fils et à nous offrir avec lui, par lui et en lui. C’est même en cette occasion de l’Eucharistie, l’exemplaire principal de ce que doit devenir l’ensemble de notre vie dans ses multiples aspects, tant au plan strictement personnel qu’au plan de la vie de notre Église au sein du monde d’aujourd’hui.

Les autres sacrements
Ils concernent plusieurs aspects de notre existence humaine, certains sont de fréquentation courante, comme l’Eucharistie et le sacrement de la Réconciliation, ou du Pardon, de la Pénitence. D’autres regardent les engagements majeurs de notre vie sociale en Église : c’est le cas du Mariage et des Ordinations. Enfin la situation créée par la maladie grave permet aux membres du Christ, grâce à l’Onction des malades, de vivre cet état en union avec le Christ ressuscité. L’approche de la mort devrait être vécue dans une dernière Eucharistie.

L’Eucharistie
Ce n’est pas la première participation, car celle-ci vient couronner la démarche initiale du Baptême et de la Confirmation. C’est la mise en œuvre fréquente de notre qualité de baptisés. L’accueil de la Parole de Dieu et la participation habituelle à la Pâque de Jésus dans la puissance de l’Esprit de Pentecôte nous font revivre dans notre existence concrète la réalité de ce que nous sommes devenus par le Baptême et la Confirmation : un même être avec le Christ pascal. Notre vie courante, dans les sens divers du terme, connaît l’effort et la joie, la difficulté, l’épreuve et la souffrance, la proximité du mal, du péché en dehors de nous et en nous. Retrouver régulièrement le Christ de Pâques dans la force de son Esprit, voilà qui nous permet de reprendre vie, de nous abreuver à la source de la vie par excellence.
Nous comprenons mieux l’instance de l’Église qui demande aux baptisés de participer à l’Eucharistie chaque Dimanche avec leur communauté d’appartenance. Le Dimanche qui est le jour du Seigneur Ressuscité, la Pâque hebdomadaire. Bien avant d’en faire une obligation pour les baptisés, notre Église veut nous dire que c’est la condition de notre vie baptismale. Elle doit s’alimenter, à la source de Pâques, comme notre corps a besoin de nourriture pour continuer son activité, comme notre voiture a besoin de passer à la pompe et de faire le plein si nous voulons entreprendre un voyage, comme un portable a besoin d’être chargé pour nous mettre en rapport avec nos correspondants.
Un certain nombre d’entre nous, prêtres et religieux entre autres, participent à la messe chaque jour. Il est vrai que l’on peut tomber dans la routine. Heureusement, il est de bonnes habitudes bien ancrées dans notre mode de vie et qui nous maintiennent en forme. Nous replonger jour après jour dans ce qui constitue l’essentiel de notre engagement chrétien n’est pas à considérer comme une réalité dévaluée, mais comme l’aliment qui soutient notre effort, qui garde au premier plan de notre conscience de chrétien cette réalité extraordinaire du Baptême et de la Confirmation. Nous ne sommes pas seuls dans l’affrontement au mal ambiant, au péché dont nos quotidiens se font l’écho ; nous ne sommes pas isolés dans l’effort pour construire patiemment le monde dans le sens de l’Évangile, pour tisser des liens fraternels avec ceux dont nous partageons la vie ici et là. Cette force pascale nous rend aptes à collaborer avec tous les hommes de bonne volonté dans cette entreprise gigantesque au-delà de nos pauvres énergies humaines.

Laissez-vous
réconcilier (2 Co 5,20)
Nous n’avons pas à faire les malins. Le péché nous touche, plus ou moins selon les circonstances, mais il nous touche tous. Ce ne sont pas de grosses fautes habituellement, seulement comme la poussière qui recouvre les meubles de nos maisons. Il faut épousseter, il faut rendre de l’éclat aux éléments de notre vie, après nos petites lâchetés quotidiennes, nos retards, éventuellement nos écarts plus marquants. Pécheurs, nous le sommes.
Au second chapitre de son Évangile, saint Jean écrit : " Pendant que Jésus était à Jérusalem pour la fête de la Pâque, beaucoup crurent en lui, à la vue des signes qu’il accomplissait. Mais Jésus n’avait pas confiance en eux, parce qu’il les connaissait tous, et il n’avait besoin d’aucun témoignage sur l’homme : il connaissait par lui-même ce qu’il y a dans l’homme " (Jn 2,23-25).
C’est pourquoi il a institué le sacrement de la Réconciliation. Reconnaître que nous avons péché de manière précise, ici et là, à tel moment. Regretter nos erreurs, laisser Dieu convertir notre cœur, confesser notre péché au Christ dans son Église en la personne d’un ministre du pardon. Alors la vie de Pâque refleurit en nous, notre Baptême redevient la référence de notre manière de mener notre vie. Nous redevenons des enfants de Dieu bien vivants. La miséricorde du Père a raison du mal qui nous avait envahis, elle nous rend à notre vie pascale, davantage conscients du don qui nous est fait. En nous elle est victorieuse du péché.

Vous les hommes
,
aimez votre femme à l’exemple du Christ (Eph 5,25).

La vie pascale des baptisés doit envahir tous les aspects de notre vie, la vie du mariage comme les autres conditions de la vie des hommes et des femmes. Les époux baptisés sont appelés à mener leur vie d’époux comme des membres vivants du Christ Ressuscité qui nous donne son Esprit de Pentecôte. La célébration de leur mariage le leur rappelle par la Parole de Dieu qui leur est adressée. Si c’est au cours de l’Eucharistie, ils sont invités à offrir leur existence nouvelle avec le Christ, dans le même amour partagé. Leur amour humain est transformé en amour divin par la force de l’Esprit Saint. A eux, il leur revient de s’ajuster à cet amour à la fois merveilleux et exigeant. Il en sera de même pour leur amour commun envers les enfants qui naîtront de leur union, et de tout amour partagé au sein de la famille et de leurs proches. Merveilleux chantier, parfois difficile, mais possible aux cœurs droits.
Dans son amour fraternel, le Christ choisit ceux qui auront part à son ministère (préface de l’ordination des prêtres)
Il reste vrai que Jésus a confié sa mission à toute son Église. Il reste vrai aussi que globalement le corps social de l’Église, multiple et complexe, a besoin de la présence agissante de Jésus, et que les communautés d’Église ont besoin de signes les assurant de cette présence active et proche. Le sacrement de l’Ordre répond à cette nécessité. Évêques, prêtres et diacres ne remplacent pas la personne de Jésus, c’est clair. Ils en sont seulement les signes vivants et concrets, officiels et autorisés.
Le choix de ces hommes par l’autorité de l’Église les désigne à la confiance des baptisés. Ce choix s’opère après un discernement et une formation selon des critères qui ne relèvent pas de la fantaisie, mais d’un programme long de vérification par des institutions spécialisées. Pour le choix des diacres permanents, c’est le service diocésain ou régional du Diaconat permanent. Pour les prêtres, ce sont les Grands Séminaires sous la responsabilité de l’évêque diocésain ou des évêques de la province ecclésiastique. Quant aux Évêques, dans notre Église d’Occident, ils sont choisis directement par le Saint-Siège.
Au terme de ce processus long et délicat, le sacrement de l’Ordination désigne ces hommes aux différentes fonctions auxquelles ils sont appelés. C’est souvent, pour ne pas dire toujours, l’occasion de célébrations solennelles selon un rituel précis. Revu de manière précise après Vatican II, ce rituel met en relief les éléments essentiels de l’ordination, et souligne les fonctions principales de chacun selon la grande tradition de l’Église latine qui tire son origine de l’Évangile de Jésus Christ.
Ainsi dans l’Église, pour un diocèse, les évêques sont les dépositaires de la totalité de la mission d’annoncer l’Évangile et de célébrer les mystères du Seigneur ; les prêtres sont les collaborateurs des évêques pour les différents organes diocésains de l’annonce et de la célébration de l’Évangile, comme pour les multiples communautés dispersées du diocèse ; les diacres sont le signe de la présence agissante de Jésus-Serviteur venu pour servir et non pour être servi.
Ainsi est assurée l’animation constante de l’Église. Si l’annonce de l’Évangile est l’affaire de tous et de chacun, agir au nom du Christ-Tête-en-personne demeure la mission spécifique des évêques et des prêtres dans les sacrements : Eucharistie, Réconciliation, Onction des malades, principalement, le signe important du service étant la fonction particulière des diacres. Toujours au service du Christ ressuscité.

L’Onction des malades
" Si l’un de vous est malade, qu’il appelle ceux qui exercent dans l’Église la fonction d’Anciens : ils prieront sur lui après lui avoir fait une onction d’huile au nom du Seigneur. Cette prière inspirée par la foi sauvera le malade : le Seigneur le relèvera et, s’il a commis des péchés, il recevra le pardon." (Jc 5,14-15). La question de ce sacrement se pose à propos d’une maladie grave, d’une maladie qui peut être fatale. Ici encore, le baptisé malade doit pouvoir vivre l’épreuve de la maladie de manière pascale, en union vitale avec Jésus victorieux du péché et de la mort. Pour le chrétien, la maladie qui peut conduire à la mort nécessite le recours à celui qui célèbre la Pâque de Jésus.
Se confier au Christ victorieux dans une mentalité de victoire convient parfaitement au malade. " Je sais en qui j’ai mis ma foi " écrivait saint Paul à la fin de sa vie (2 Tm 1,12). C’est aussi la prière de celui qui souffre physiquement. L’Onction des malades apporte cette certitude, ce relèvement proche de Celui qui s’est relevé d’entre les morts apaise le malade et lui rend confiance.
Le malade en péril peut alors vivre sa souffrance en communion avec Jésus dans sa passion en même temps que dans l’espérance de la résurrection. Ainsi s’exprime le Concile Vatican II : " Par l’onction sacrée des malades et la prière des prêtres, c’est l’Église tout entière qui recommande les malades au Seigneur souffrant et glorifié, pour qu’il les soulage et les sauve ; bien mieux, elle les exhorte, en s’associant librement à la passion et à la mort du Christ (Rm 8,17 ; Col 1,24 ; 2 Tm 2,11-12 ; 1 P 4,13) à apporter leur part pour le bien du peuple de Dieu " (Constitution sur l’Église, n. 11).

Dernière communion : le Viatique
Quand la mort se rapproche de manière inéluctable et que la conscience reste éveillée, il y a nécessité de donner la communion eucharistique à la personne qui va mourir, quelle qu’en soit la cause : maladie, peine de mort, naufrage … Le rituel de l’accompagnement des malades précise qu’il s’agit ici d’une obligation grave de la part des pasteurs. L’enjeu n’est rien moins que de vivre sa mort de manière pascale. Cela peut paraître paradoxal, j’en conviens. Chacun comprend sans peine que l’étape est capitale dans la vie d’un homme, dans la vie d’un baptisé. Comme pasteur, je connais peu d’occasions comme celle-ci de prendre conscience de l’importance vitale d’effectuer ce passage avec le Christ mort et ressuscité, en communion étroite avec lui, avant de connaître, par grâce, l’union ineffable avec lui dans son Royaume : " Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis " (Lc 23,43).
Nous laisser prendre par le Christ dans l’élan éternel et infini qui le porte vers son Père, et nous offrir avec lui, c’est la grâce de toute Eucharistie. Cette grâce nous est assurée à chacune des Eucharisties auxquelles nous participons. A plus forte raison à notre dernière heure, convient-il au plus haut point de nous présenter à notre Père du ciel avec toute notre vie dans une dernière offrande avec le Fils unique et bien-aimé dans l’acte unique de son offrande filiale.

Conclusion
Vivre de manière pascale à l’aide des sacrements de l’Église dans toutes les circonstances majeures d’une existence humaine, voilà l’itinéraire dont nous avons tenté de situer ces jalons importants. Que chacun reste cependant bien persuadé que ce n’est pas le tout de la vie chrétienne. Car l’écoute de la Parole de Dieu, la prière personnelle et communautaire, la vie fraternelle en Église demeurent les aliments quotidiens qui enchâssent l’Eucharistie comme dans un écrin précieux. ♦