Éditorial

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Sur le chemin de la gratuité
Autorité et service dans l’Église

Ce numéro 239 de la revue Spiritus porte les stigmates des scandales sexuels qui ébranlent l’Église. Les chrétiens font l’expérience de la fragilité de leurs institutions et de leurs pasteurs. Une terrible cure de modestie qui met à mal la foi de beaucoup, mais qui conduit aussi à une profonde solidarité avec les victimes des abus et à une remise en cause déchirante. Une souffrance pour nous tous, car « lorsqu’un membre souffre, c’est tout le corps qui souffre » (1 Co 12, 26). Le pape François désigne comme principale cause de ces scandales, un exercice de l’autorité contraire au projet de Dieu, manifesté en son fils.

En effet, la question de l’autorité est si cruciale que, pour l’auteur biblique, le péché des origines, celui de tous les jours, c’est la volonté de puissance (Gn 1 – 11). Au lieu d’être considéré comme partenaire et ami, Dieu est pris pour un redoutable rival dont on a peur et dont on veut usurper le pouvoir. On entend prendre sa place comme référence suprême. Or, l’orgueil fait le lit de la violence. Et, lorsque la personne humaine s’enivre d’autorité, elle détruit tout sur son passage. Alors, le mâle cherche à dominer son épouse, pourtant « l’os de ses os ». La relation harmonieuse avec la création se mue en prédation. L’émulation socio-économique entre agriculteurs sédentaires et bergers nomades vire à la lutte fratricide, quasi bestiale. À Babel, la diversité des langues devient source de domination et de divisions.

Bref, tel le déluge, l’instinct de puissance, tapi au cœur de toute personne, de toute institution et de toute culture, emporte sur son passage les valeurs éthiques et spirituelles de respect de tout autre.  Fort heureusement, Dieu nous offre toujours les possibilités de bâtir un monde autre, symbolisé par l’alliance noachique. C’est dans cette dynamique que Spiritus essaie ici de répondre à la question radicale, « celle du comment exercer le pouvoir et l’autorité dans l’Église qui rende impossible les abus sur l’autre ».

Pour ce faire, il convient de se ressourcer à l’expérience fondatrice de Jésus, en réécoutant le débat autour de l’impôt dû à César. Il affirme l’autorité absolue de Dieu, qui relativise et désacralise toutes les formes d’autorité humaine : familiale, socio-politique, mais surtout religieuse et spirituelle. Dans un monde marqué par l’autoritarisme, les Pères redisent que l’Église est une communauté de frères, unis dans la diversité de leurs charismes. Pour le Concile Vatican II, l’Église doit traduire cette communion dans ses ministères, sa spiritualité et son éthique. L’histoire de l’Église de Corée est un bel exemple du travail de l’Esprit soufflant à travers des laïcs qui ont fondé cette Église, l’ont organisée et l’ont fécondée de leur sang. C’est pour­quoi, face à la tentation omniprésente du pouvoir, l’Église témoigne de son altérité bienveillante et de l’accueil des plus pauvres. De même, elle rappelle les garde-fous juridiques, institutionnels et socio-culturels qui protègent les enfants et les adultes fragiles contre l’autoritarisme. Pour juguler les abus contre les femmes et répondre aux défis de reconnaissance auxquels elles se heurtent, ne faudrait-il pas qu’elles prennent la part de responsabilité qui leur revient dans le service de la communion ecclésiale ?

En somme, nous sommes renvoyés à notre témoignage chrétien et pastoral : « Vous êtes la lumière du monde » (Mt 5, 14). À ses disciples, hantés eux aussi par l’appétit du pouvoir, Jésus demande de ne se poser ni en maîtres ni en bienfaiteurs, mais en serviteurs « sans utilité », c’est-à-dire totalement désintéressés, libérés de toute tentation de prise sur autrui. Cette gratuité est bien l’originalité et le cœur du projet de Dieu en Jésus, de la mission qu’il confie à ses disciples-missionnaires.

Mais, la gratuité est chemin de conversion, de dépouillement et de com­munion ; chemin de rencontre du Crucifié et de tous les blessés de nos insti­tutions ; chemin du Ressuscité qui nous brûle de sa parole et nous nourrit de son corps ; chemin où laïcs et clercs, femmes et hommes, enfants et adultes, tous, du fond de leur fragilité, s’essayent à témoigner de la ten­dresse du Père. Finalement, la gratuité est chemin d’espérance et de supplique. Ce que dit François face à la détresse du Covid 19 vaut également ici : « La prière et le service discret : ce sont nos armes gagnantes ! » (Pape François, Homélie, Vendredi Saint, 2020).

Paulin Poucouta


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