Communication du Forum des Jeunes Entreprises du Congo au Forum International de Cotonou sur la PME en Afrique

De quel dispositif minimum avons nous besoin dans chacun de nos pays en appui aux initiatives productives ?

La prise en compte du processus de l’émergence en Afrique de nouveaux secteurs d’initiatives économiques et sociales est désormais unanimement reconnu comme un (l’)élément déterminant des stratégies de développement économique et social et de lutte contre la pauvreté.

Ce processus est caractérisé par son extrême complexité à laquelle doivent répondre les dispositifs conçus et mis en place pour renforcer les capacités des acteurs, favoriser les synergies et remédier aux facteurs bloquants.

Prendre en compte la complexité du processus, c’est porter attention à l’extraordinaire diversification des initiatives, des compétences qu’elles mettent en jeu et des besoins auxquels elles répondent. C’est aussi identifier les niveaux d’initiative et de performance qui vont de l’AGR (activité génératrice de revenues) à la PME et qui requièrent des accompagnements culturels et des appuis professionnels nettement spécifiques.

La spécificité de la PME en terme de contraintes, d’environnement institutionnel, de gestion des ressources humaines, de besoins de financements, de performances technico – économiques, d’ambitions commerciales, d’intégration des économies africaines au commerce sous régional, continental et mondial, doit être mise en évidence et prise en charge par des dispositifs appropriés.

D’autres spécificités doivent être prises en compte par les dispositifs nationaux tels que :
- l’entreprenariat en zone rural etc…….
Dans son expérience de l’accompagnement des initiatives économiques petites et moyennes, le Forum des Jeunes Entreprises du Congo a identifier dix principes d’actions, dont la mise en œuvre articulée, devrait permettre de répondre dans chaque pays à la complexité du processus d’ émergence d’un tissu local de µ et PME. Mais cette mise en oeuvre nécessite la mise en place d’un dispositif minimum d’appui au développement des activités productives.
En partant de l’histoire d’ une petite entreprise de savonnerie fondatrice du FJEC et servie par lui, je me propose dans un premier temps d’évoquer succinctement chacun de ces principes d’action.
Dans un deuxième temps j’en déduirai logiquement l’esquisse du dispositif d’appui aux µ et PME, qui fait l’objet de cette communication.
Dans un troisième temps j’ indiquerai deux contraintes incontournables auxquelles un tel dispositif devrait satisfaire.

Les dix principes d’action de l’appui à l’insertion économique par l’initiative économique et sociale.

Sept de ces principes d’ action sont spécifiques dans leur mise en œuvre aux métiers exercés par les promoteurs, et trois sont transversaux et concernent au même titre et dans les mêmes termes tous les opérateurs économiques.

A chacun son métier

1 – Qualifier les opérateurs économiques dans l’élaboration et la maîtrise de modèles technico – économiques insérables dans le processus du développement local.
(Il s’agit de donner naissance à des systèmes d’entreprise maîtrisés répondant à des critère d’efficacité à la fois technique et économique et reproductibles dans un milieu donné).

Dominique est un professeur d’université qui s’ennuyait. Il s’est intéressé en technicien à la savonnerie et a créé un modèle d’entreprise techniquement et économiquement reproductible dans son environnement.
Tous ses équipements, clarificateurs, mélangeurs, boudineuses….sont de fabrication locale.
Sa matière première est l’huile de palme locale à quoi s’ajoute des produits d’importation.
Il a mis au point un process de fabrication qui lui donne un produit parfaitement adapté à la demande locale (qualité / prix)
Il a mis au point un système d’emballage accepté par ses clients grossistes.
Il a obtenu ses financements dans une institution locale de micro - finance.
Son entreprise est un modèle reproductible, à la portée d’entrepreneurs locaux doués de réelles capacités de maîtrise technique et de gestion mais ne disposant que de moyens modestes.

Il y aurait place sur Pointe Noire pour une quinzaine d’entreprises de ce type, employant chacune de dix à vingt ouvriers, valorisant une matière première locale et substituant progressivement un produit local aux importations de savon.

  1. – Inscrire l’entreprise dans un système approprié de formation permanente


Dominique est autodidacte dans le domaine de la savonnerie, il se documente et se forme en permanence. Il est devenu un expert qualifié. Il a le souci de former son personnel,(chaque employé est initié par rotation à chacune des opérations du process de fabrication des deux produits de l’entreprise (savon dur, savon liquide). Son entreprise évolue sans cesse sur plusieurs axes de progrès. Elle est une structure apprenante. Elle a vocation pour devenir une entreprise école formatrice de candidats à la reproduction du modèle technico – économique qu’elle exploite.

Mais il est clair que pour répondre à ces besoins permanents de formation, une entreprise de ce type devrait pouvoir s’appuyer sur un Centre de Ressources Professionnel spécifique, porté par sa profession et localement bien implanté.

3 – Servir un marché. Evoluer sur un marché en innovant sans cesse pour répondre en s’y adaptant aux besoins solvables de clientèles spécifiques.

Pour prendre pied sur le marché de Pointe Noire, Dominique a choisi de fidéliser un nombre limité de grossistes dont les besoins sont compatibles avec sa capacité de production. Il lui a fallu :
  • s’adapter en terme de qualité prix et de conditionnement aux exigences de ses clients grossistes de la place.

  • Leur offrir des avantages en termes de livraison au magasin de quantités fixes à dates fixes et de crédit fournisseurs (payables à quinze jours)

  • ce positionnement reste fragile, il est attaqué par les importateurs expatriés de savon qui ont les moyens de casser les prix.

  • Dominique doit réagir en développant son propre réseau de détaillant et le fidéliser.


Evoluer sur un marché comme celui de POINTE NOIRE relativement isolé de son arrière pays c’est aussi valoriser les équipements et la compétence de l’entreprise en améliorant et en diversifiant ses produits.
A sa production de savon dur, Dominique a déjà adjoint un savon liquide pour la production duquel, en dépit de la demande du marché, il est actuellement limité par la disponibilité des matières premières et la logistique liée aux problèmes de conditionnement.

Il est clair que l’observation des marchés et l’élaboration de stratégies commerciales appropriées sont des fonctions capitales à intégrer dans un dispositif d’appui aux initiatives productives.

4 - Positionner une initiative sur une filière
et participer solidairement avec les acteurs de celle-ci à sa bonne articulation technique, économique et sociale.

La filière huilerie savonnerie en République du Congo est totalement désarticulée. Dominique importe son huile du Bas Congo et du Cabinda à un prix abordable, mais en basse saison ( 3/4 mois par an ) il est confronté aux ruptures des approvisionnements en huile de palme. L’ importation des chips(produits semi finis) du Ghana s’est avérée une solution rentable il y a deux ans. Mais le changement d’ " ambiance " dans les services douaniers du port de Pointe Noire a rendu cette solution actuellement impraticable.

L’articulation de la filière huilerie/savonnerie comprendrait notamment :
- La valorisation de la diversité des matières premières locales disponibles (oléagineux, plantes aromatiques) et le renforcement des systèmes paysans de production.
- L’installation des unités de transformation sur les zones productrices de matières premières
- La normalisation et la mise à disposition des emballages appropriés
- La facilitation des importations d’intrants
- La mise en place des structures de contrôle qualité
- L’organisation des appuis à la commercialisation des produits
- La rationalisation des coûts de transports sur la filière
- L’implantation sur les zones de production des Centres de Ressources Professionnels appropriés

 
5 – Se financer auprès d’institutions financières appropriées
( rôle des institutions financières de proximité [IFP]).

Dominique fait parti des membres fondateurs du Forum des Jeunes Entreprises du Congo au sein duquel il a participé à la naissance d’une institution de micro finance ( la Capped) qui lui a procuré ses premiers financements et qui devrait lui permettre d’ajuster régulièrement son fond de roulement et de financer le développement de son activité.

La capacité des Institutions Financières de Proximité d’ ajuster les fonds de roulement est l’un des problèmes clé de l’ efficacité des appuis financiers aux µ et PME . Manque de fonds disponibles, rigidité des procédures, gestion frileuse des risques… manque de compétence dans le suivi des entreprises…..le renforcement des capacités des IFP est stratégique dans l’ appui aux activités productives.
Deux articulations doivent être ici réfléchies et mise en œuvre :

6 - Animer des associations professionnelles
porteuses des valeurs, des solidarités et des intérêts des métiers qu’elles représentent.

Il n’existe pas au Congo à notre connaissance d’associations professionnelles de l’huilerie savonnerie sur lesquelles Dominique aurait pu s’appuyer. Pourtant une telle association répondrait à un ensemble de besoins précis tels que : la création de Centres de Ressources Professionnels spécifiques, la définition d’une politique de développement de la filière, (appui à l’innovation, valorisation systématique des matières premières locales, importation d’intrants, vérification et labellisation des produits, formation permanente des acteurs, mutualisation des problèmes spécifiques etc…), l’ouverture des dialogues nécessaires avec les pouvoirs publics.
L’appui à la naissance et au renforcement des associations professionnelles est désormais pour nous un objectif prioritaire. Celles-ci ont vocation à constituer le noyau dur de la Société Civile émergente dans nos pays. Parce qu’elles réunissent les créateurs de richesse, elles sont en mesure de participer efficacement à l’élaboration de stratégies de développement et de lutte contre la pauvreté et elles ont un rôle capital à jouer dans l’instauration et l’inculturation d’un Etat de droit.

7 - Participer à la prise en charge de l’environnement
avec ses ressources humaines et naturelles.
Chaque métier participe à l’écologie du système d’économie dans lequel il s’insère, où il puise ses matières premières, recycle ses déchets, valorise ses ressources humaines, détermine des modèles de consommation et des styles de vie, apporte sa contribution à la culture en mutation.
Dominique est très conscient de ce que la diversité des oléagineux et des plantes aromatiques et médicinales en zone tropicale humide est une part éminemment significative du patrimoine naturel local en terme de biodiversité, de savoirs traditionnels et de modèles culturels transmissibles.
Libéré des contraintes que lui impose aujourd’hui les conditions extrêmement défavorables dans lesquelles il doit faire décoller son activité, il sait que s’il veut éviter de sombrer dans la routine d’un seul produit lui assurant un revenu minimum, au risque de subir un jour de plein fouet le choc d’une concurrence étrangère capable de couler son entreprise, il devra élargir son horizon.
Valoriser ce patrimoine que nous évoquons dans la production de savons et de cosmétiques spécifiques serait la meilleur manière de le prendre en compte, de le protéger et de le développer.
Remettre en chantier des secteurs en régression de la production paysanne.
Inscrire dans les programmes scolaires des connaissances traditionnelles revisitées.
Participer avec les services de santé à la définition des qualités spécifiques des savons et à la sensibilisation des populations à leur bon usage.
Participer à la création de laboratoires de contrôle des produits mis sur le marché.
Nouer des partenariats au niveau de l’enseignement technique et des facultés des sciences pour susciter des projets de recherche et promouvoir la formation des futures cadres de l’industrie savonnière…..

Nous sommes témoins de ce que tous ces rêves habitent l’esprit et le cœur de Dominique. Il est clair qu’il ne les réalisera pas en solitaire. La question est : quelles structures, quels dispositifs, son capables de porter de telles ambitions professionnelles et d’être fécondées par elles ?

 
Mais tous les acteurs économiques de tous les métiers participent en fait chacun à son niveau à une vaste mutation sociale et culturelle de leur communauté nationale.

 
 
8 - Participer en acteur responsable à la transformation de l’environnement institutionnel, juridique et politique.


L’articulation sur les différentes filières d’entreprises de statuts différents et de tailles inégales pose des problèmes extrêmement concrets mettant en jeux l’exercice du droit au travail et à l’initiative économique et le positionnement sur des axes de progrès de tous les acteurs des secteurs émergeants de l’initiative économique et sociale.
Les filières sont les lieux de la construction progressive d’un environnement juridique et administratif articulé sur nos processus locaux de développement économique et social et de la promotion d’une économie solidaire..
C’est dans ce contexte qu’une saine problématique des secteurs émergeants improprement qualifiés d’informels (que l’on aura toujours tord d’isoler dans une problématique de " secteur " administrativement délimité), pourrait voir enfin le jour.

Dominique est quotidiennement affronté aux lacunes de l’Etat de droit, aux comportements prédateurs des fonctionnaires des impôts, de la douane et de la police. Il doit gérer ses relations professionnelles avec les mamans vendeuses d’huile, avec les grossistes expatriés et les importateurs libanais, ajuster à ses moyens la meilleur prise en charge possible de ses travailleurs. Harcelé par des contrôleurs passez maîtres dans l’art d’exploiter les flous juridiques, il vit en solitaire une aventure de "  pionnier dans la jungle " à moins qu’il puisse participer en acteur responsable à des structures interprofessionnelles militantes capables de peser sur l’ évolution de ce chaos institutionnel.

9 - Participer en s’y intégrant au processus local de développement durable.
Ngoyo ou Dominique a implanté son usine est un quartier périphérique de la ville de Pointe Noire qui sort de terre de manière plus ou moins anarchique. Il n’est pas trop tôt pour faire prendre conscience aux arrivants qu’ils donnent naissance à une localité nouvelle en développement caractérisée par un modèle spécifique d’insertion des activités productives dans un espace urbain.…..et qu’ils auraient intérêt a constituer un groupe d’initiative…..un comité local de développement, capable d’apporter aux responsables locaux leurs capacités de réflexion, de prévision et de mise en évidence des problèmes locaux.
Une entreprise ne peut prendre son essors sans devenir citoyenne d’un lieu, d’un terroir, d’un territoire, d’une communauté locale où elle trouve en les partageant l’eau, l’air l’énergie et le sol sur lequel elle prend racine, ainsi que les services indispensables à sa vie et à son développement. C’est ici que l’appui à la création des entreprises devient à proprement parler une action de développement c’est à dire de mise en relation interactive d’un nombre ,de soi illimité, d’initiatives diverses qui dépendent les unes des autres dans leur fonctionnement et dans leur évolution.
Là où s’installe une entreprise, se noue et se développe un système don la complexité même est facteur de progrès. On ne peut servir l’entreprise sans s’intéresser au système dans lequel et par lequel elle prend corps.

10 - Participer pacifiquement en porteur d’innovation
à la mutation culturelle d’une société en développement, au niveau des langages, des modèles, des rôles, des valeurs, des repères spatio - temporels et des solidarités structurantes.

L’entreprise au sens moderne du terme est
le risque pris par un promoteur (des promoteurs associés) d’exploiter une innovation génératrice de surplus,
en réponse à un besoin soigneusement identifié d’une clientèle solvable,
par la mise en place d’un système technico économique approprié,
capable de rémunérer ses fournisseurs et ses employés,
dans le respect de la législation en vigueur
et de son environnement.

 
Prise de risque, innovation technique et organisationnelle, création d’un patrimoine, service d’une clientèle, rémunération équitable des facteurs, respect de lois évolutives (production du droit,) prise en charge de l’environnement, il est clair que l’entreprise est dans nos sociétés africaines en développement une innovation culturelle majeure qui place son promoteur en situation d’affrontement avec son milieu familial, son milieu social, la collectivité locale et nationale, le milieu professionnel à la naissance duquel il contribue et l’écologie de son milieu de vie.
Au sein de nos sociétés l’entrepreneur est un prophète et un mutant. Le problème de son accompagnement culturel n’est pas marginal. Quelque soit la manière dont on entreprendra de le traiter il est au cœur du dispositif d’appui que nous recherchons.
 
 
Esquisse d’un dispositif
 
Si les dix principes d’action évoqués jusqu’ à présent répondent effectivement aux réalités des entreprises le dispositif d’appui dont elles ont besoin devrait logiquement répondre à trois critères en rupture radicale avec l’héritage culturel que nous ont légué tous les modèles de planification bureaucratique du passé.

Nous avons besoin d’un dispositif pour l’action, il devra donc intégré en les aidant à s’articuler les uns avec les autres tous les acteurs et prendre appui sur les dynamiques sociales et économiques qui les animent et qui les portent ici et maintenant. (il faudra partir non seulement de l’existant, mais des existants)

L’histoire de notre ami Dominique a mis en évidence l’extrême complexité du processus d’émergence dans nos pays d’un tissus de µ et PME. Notre dispositif doit donc être en mesure d’affronter la complexité, ce qui exclu les organigrammes pyramidaux dominés et bloqués dans leur fonctionnement par des hiérarchies administratives jalouses. Le rôle des pouvoirs publics est essentiel mais il ne va pas de soi, il doit être radicalement redéfini pour des tâches nouvelles dans des temps nouveaux.

Le développement économique et social est un processus, le dispositif dont nous avons besoin doit être adaptable et évolutif.


Nous avons donc besoin,

d’ un cadre permanent
de concertation et de coopération
pour une valorisation systématique
des compétences
et des dynamiques économiques et sociales disponibles,
au sein duquel les institutions clés sont :

  • les entreprises
  • les organisations professionnelles
  • les initiatives sociales
  • les structures d’appui spécialisées et leurs coordinations
    • services non financiers
      • diversification adéquate des offres de conseil, de formation et d’information
    • services financiers
    • centres de ressources professionnels
    • observatoires économiques
- les institutions du système de formation technique et professionnelle
  • les chambres consulaires
  • les pouvoirs locaux
  • les ministères techniques


La mise en place pays par pays de ce cadre permanent de concertation et de coopération suppose un travail de définition à nouveaux frais des fonctions spécifiques de chaque type d’institution.

Reconnaître à l’entreprise ses fonctions irremplaçables d’utilité publique de créatrice d’emploi, de productrice des biens et services nécessaires et de génératrice d’ une richesse à redistribuer.

Reconnaître aux organisations professionnelles leur rôle structurant de l’économie et de la société.

Faire jouer aux initiatives sociales leur rôle communautaire de créatrices de culture et de lien social, tout en les imprégnant de l’esprit d’entreprise comme condition nécessaire de leur faisabilité.

Travailler à la mise en réseau des structures d’appui spécialisées dont la diversité et la coordination répondent à la complexité du processus qu’il faut accompagner.

Articuler les institutions de formation technique et professionnelles sur la vie des entreprises et sur les dynamiques professionnelles des métiers.

Donner ou redonner aux acteurs économiques qualifiés le leadership des chambres consulaires qui pourraient (qui devraient) être les lieux privilégiés de la concertation et de la coopération entre tous les acteurs.

Axer le processus en cours de la décentralisation et de la naissance de la vie communale et départementale sur des objectifs de développement local communautaire durable dont les élus locaux devraient devenir les animateurs naturels.

Doter les ministères techniques d’équipes légères et compétentes conçues pour prendre place dans le dispositif avec leur compétence et leur habilitation propre pour la poursuite d’objectifs concertés et régulièrement évaluables.

Dès lors que l’on parle d’un " dispositif " affronté à une telle complexité, la difficulté est de concilier la nécessaire cohérence des projets et des actions (le facteur d’unité) avec l’indispensable diversité des acteurs et des initiatives dont le nombre est de soi illimité puisqu’il est régi par le droit universel d’initiative.

Il nous faut donc identifier parmi les acteurs du dispositif ceux qui produisent de la diversité (ils représentent la créativité, la vitalité et la richesse du système) et ceux qui produisent de la cohérence, de la synergie et de l’articulation (de la relation).

Les Organisations professionnelles, les Centres de Ressources Professionnels, les Chambres consulaires sont à classer, du côté de l’initiative privée, parmi les acteurs en charge de l’articulation et de la cohérence. Les pouvoirs locaux et les ministères techniques, dont la responsabilité au service du développement économique et social, est permanente, ne pourront accomplir leur tâche qu’en instaurant de vrais partenariats avec les acteurs économiques organisés.
Il est nécessaire de développer ici dans une parenthèse le concept de Centre de Ressources Professionnel (CRP) dans le sens que nous donnons à cette expression.
 
Nous appelons Centre de Ressources Professionnel un dispositif comprenant :
-  un milieu organisé de professionnels concernés
- un centre de services qui leur sont rendus sur la base d’une identification participative de leurs besoins.
La mission des CRP est de mettre en place localement des dispositifs de recherche-action intégrant : 
- la formation des acteurs concernés
- l’innovation technique et organisationnelle (élaboration de modèles technico-économiques insérables dans le processus local de développement)
- l’articulation des filières
- la structuration des marchés
- l’adaptation des systèmes de financement
- l’animation sociale (ingénierie des relations)
 
La mise en œuvre du concept de CRP nous paraît devoir jouer dans le dispositif un rôle tout à fait essentiel.

Il est l’outil par excellence des associations professionnels et des structures d’appui.
Il est par définition un dispositif de recherche action.
Il est conçut pour affronter la complexité.
Il est polyvalent. Non dans le sens qu’il devrait tout faire à lui tout seul, mais en ce qu’ il est en position de terrain pour assumer l’ensemble des problèmes et favoriser la convergence et l’articulation des services rendus ou à rendre aux entreprises.

Nous avons au Bénin dans les Centres Songhai un bon exemple de ce que peut être un Centre Rural de Ressources Professionnel (CRRP). Les CRRP créés en République du Congo par Agricongo et ailleurs en Afrique Centrale par AGRISUD sont également des modèles de référence.
Mais le concept de CRP, particulièrement pertinent pour affronter la complexité des mutations des systèmes d’agriculture s’applique pratiquement à tous les métiers. Les métiers de l’artisanat et de l’industrie, mais aussi ceux des secteurs sociaux de la santé et de l’éducation et les professions essentiellement valorisatrices de matière grise comme la presse, la communication et le droit.
Le réseau des CRP est à créer en interface entre le système de formation professionnelle initiale et l’insertion économique.
La création dans chaque pays d’un réseau danse et diversifié de CRP devrait constituer à notre avis la pièce maîtresse du dispositif que nous cherchons. Mais, la création et l’animation de ce réseau suppose la participation harmonieuse et concertée de tous les acteurs au fonctionnement du dispositif, chacun dans sa fonction.
Dans ce fonctionnement, le choix du lieu (des lieux) collectif (s) de l’élucidation des enjeux est stratégique. Il ne respecte pas nécessairement l’ordre de préséance des hiérarchies administratives. C’est là où émergent et se nouent les dynamiques sociales et économiques de l’heure que les rencontres seront les plus productives.
Les responsables politiques et administratifs eux-mêmes ont le plus grand intérêt à rejoindre les vrais acteurs sur les lieux de leurs échanges, là où se construisent les synergies porteuses de projets. C’est là qu’ils doivent se positionner en facilitateurs, en serviteurs privilégiés du bien commun et construire sur le terrain leur véritable légitimité y compris par l’exercice pondéré du pouvoir de convocation de l’Etat au service de l’entrée en projet de tous les acteurs concernés.
Les Chambres Consulaires, les Centres de Ressources Professionnels ….entre autres pourront constituer selon les cas des lieux particulièrement favorables à la concertation. L’objectif étant que les questions habituellement traitées dans le secret des cabinets deviennent objet de débats publiques responsables entre les acteurs.

Un exemple de dispositif, l’Association Pointe Noire Industrielle(APNI)

A Pointe Noire c’est la Chambre de Commerce qui a été choisie par un groupe de cinq structures d’appui de la place comme lieu de la rencontre. Une amorce de dispositif a vu le jour sous la forme de l’association " Pointe Noire Industrielle "(APNI), qui regroupe quatre collèges, les grandes entreprises, les structures d’appui fondatrices de l’initiative, les associations professionnelles, les personnes ressources. Les pouvoirs locaux participent aux travaux du CA de l’association.
Quatre " chantiers " ont été ouverts sur la base des besoins identifiés avec la participation d’environ 200 acteurs économiques de la localité au cours de rencontres organisées par le collectif des structures d’appui. Ces " chantiers " ont pour objectifs : l’accès des PME à des financements appropriés, l’intégration des activités productives dans l’espace urbain, l’observatoire des marchés et le renforcement des capacités des entreprises.
A mesure que nous avançons sur chacun de ses axes de progrès à la poursuite d’objectifs définis, nous avons la satisfaction de voir se préciser la forme et les opportunités d’une participation active des pouvoirs locaux et des ministères techniques à nos travaux tandis que de nouvelles relations s’amorcent entre des acteurs qui ne se fréquentaient pas malgré le besoin évident qu’ils ont les uns des autres.
Collaboration des instituts de micro- finance avec les banques commerciales pour la mise en place d’un premier fonds de crédit conçu pour doter les entreprises de quasi-fonds propres.
Protocole d’accord entre les centres d’appui en gestion de nos structures d’appui et les experts comptables de la place pour la tenue et la certification des comptabilités des entreprises à des prix abordables.
Rencontre entre les grandes entreprises de la place et les institutions de formation technique et professionnelle sur les besoins des entreprises en personnels qualifiés et sur les référentiels de compétence utilisés par les formateurs.
Articulation sur un observatoire commun des marchés, domicilié à la Chambre de Commerce de toutes les enquêtes sectorielles menées à la demande ou à l’initiative des acteurs économiques organisés.
Partenariat exemplaire entre une grande entreprise et les maraîchers organisés de la périphérie nord de la ville pour la commercialisation de leurs produits.

Le dispositif qui est en train de naître semble répondre aux critères évoqués ci dessus.
Ses chances de succès reposent :

Deux contraintes incontournables.

Je ne peux conclure ce propos sans évoquer deux contraintes incontournables aux quelles la mise en place d’un tel dispositif ne peut échapper : l’authenticité du processus de décentralisation et le démentellement des structures (des pactes) de corruption.

Indispensable décentralisation.

Tenons présent à l’esprit que les programmes d’appui aux initiatives économiques se cherchent aujourd’hui dans le contexte de l’élaboration et de la mise en oeuvre dans chacun de nos pays des stratégies de lutte contre la pauvreté.
" Contre la pauvreté ", en termes positifs cela se traduit par " pour l’intégration économique " et donc pour les initiatives productives en zone rurale comme en zone urbaine.
Or il est évident que le lieu de l’insertion économique par l’initiative c’est, dans chaque terroir, le processus du développement local durable. Le territoire, la localité est le lieu du dialogue, du partenariat , de la prise en compte de la complexité maîtrisable (à l’échelle humaine), du processus maîtrisé de la complexification croissante.
Il ne s’agit pas d’un repli sur le " chez soi " (encore moins sur l’ethnie) dans la fermeture au reste du monde. La localité en développement (en projet) est ouverte sur la région, sur le pays et sur le monde. Elle est le lieu premier de la naissance du citoyen et de son apprentissage de la responsabilité et de la participation.
Pierre Calame, le président de la Fondation pour le Progrès de l’Homme dont nous partageons très largement les analyses et les convictions explique pourquoi et comment dans un société mondiale de plus en plus interdépendante, le territoire (la collectivité locale, la communauté) devient l’acteur clé de la nouvelle culture, celle du siècle nouveau, consciente des interdépendances qui unifient le monde, mais respectueuse des diversités qui font sa richesse et sont indispensables aux bonheurs de vivre.
Le principe premier de la nouvelle gouvernance est celui de la subsidiarité active qui régit la recherche permanente et créatrice de la meilleur articulation possible entre les niveaux d’analyse, de projet et de décision, du local au mondial, en passant par le national, le régional, et le continental.
Ce qu’il faut redouter le plus en matière de décentralisation ce sont ses contrefaçons politiciennes qui retardent au bénéfice d’ambitions illégitimes notre entrée dans les temps nouveaux.
Soyons bien convaincus qu’en mettant en place avec des objectifs mesurables le dispositif dont les initiatives économiques ont besoin pour s’épanouir, nous contribuons de manière décisive à la construction des collectivités locales de l’avenir et à l’avènement de nos démocraties. L’éthique du partenariat doit être au cœur de la démocratie naissante.

Comment bâtir " hors corruption " ?

Le problème de la corruption, dont se plaignent tous les opérateurs économiques, c’est qu’elle n’est pas un accident. Elle est un système, qui a non seulement ses praticiens, mais ses théoriciens et ses défenseurs. Ceux qui la pratiquent en plein jour (au grand soleil des indépendances) satisfont sans honte au " devoir de s’enrichir " que chaque famille impose à ceux de ses enfants qui parviennent à se placer en position favorable.
Elle serait dit-on indispensable à l’accumulation primitive, passage obligé pour une économie locale émergente.
Les sommes détournées seraient recyclées au bénéfice de l’économie informelle qui serait une sorte de " petit miracle économique africain "
Des patrimoines ainsi constitués seraient réinvestis dans de brillantes affaires.
Mais lorsque la Banque Mondiale et l’Union Européenne financent des plans anti-corruption on est en droit de s’interroger de la manière la plus rigoureuse possible sur le coût de l’enrichissement illégal et sur ses effets pervers sur le processus de l’émergence dans chacun de nos pays d’un tissu d’initiatives économiques et sociales en développement.
La question pourrait être formulée ainsi :
Est-il nécessaire, est-il possible de positionner " hors corruption " le dispositif d’appui au secteur émergent de la µ et PME que nous avons l’ambition de construire ?
Nous ne nous sentons pas en mesure de traiter le sujet. Il nous a semblé indispensable de l’évoquer.
Contentons-nous de proposer trois pistes.
La première est celle de l’étude et de l’information. L’être humain étant un animal raisonnable, à de " bonnes raisons " il faut pouvoir et vouloir en opposer de meilleurs. Le phénomène doit être méthodiquement étudié, chiffré mis en lumière, problématisé sur la base d’études sérieuses et largement diffusées.
La deuxième est celle de la résistance organisée. C’est là semble-t-il l’une des missions des organisations professionnelles. Elles doivent tenir des dossiers, établir des faits, défendre méthodiquement leurs membres et saisir inlassablement dans la forme requise les instances compétentes.
La troisième concerne les fonds de développement dont sont périodiquement doté les ministères techniques. Est-il concevable que de tels fonds ne soient pas gérer de manière paritaire ( en partenariat) entre les acteurs organisés concernés et les instances administratives compétentes ?
 
Les Assises nationales de l’initiative économique
La nouveauté des situations vécues , des modèles mis en œuvre et des dynamiques émergentes exigent que soit organisées à intervalles réguliers ( tous les ans/tous les deux ans) des assises nationales de l’initiative économique impliquant les pouvoirs publics, les collectivités locales, et les acteurs du terrain, en vue de promouvoir des langages communs, de donner une large diffusion à des informations de base, de partager des expériences, d’élaborer d’évaluer et d’ajuster les stratégie nationales d’ appui au développement de l’initiative économique et sociale locale.

J’espère avoir apporté à nos débats quelques éléments de réflexion utilisables.
Et je vous remercie de votre attention