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Missionnaires et développement

40. Le père Gustave Bienvenu (1930-2006)

Gustave Bienvenu est né à Saint-Georges de Rouelley, en Normandie, le 5 mai 1930. Après ses études secondaires, il entre tout naturellement au grand séminaire spiritain de Mortain, l’Abbaye Blanche, qu’il connaît depuis son enfance. En 1953, il part pour son service militaire en Algérie. Il en revient sous-lieutenant. Il finit ses études de théologie à Rome.

Ordonné prêtre en 1954, il est affecté en Guinée, à la mission de Katako. Il apprend d’abord vite et bien la langue Soussou. Plus tard, il apprendra aussi la langue Baga. Le 31 mai 1967, tous les missionnaires catholiques de Guinée sont expulsés de Guinée. Sensible et ému, le père Bienvenu écrira et chantera dans une série de poèmes sa nostalgie de la Guinée et sa fidélité aux gens de sa paroisse.

Dès octobre 1967, il est à Dakar, au Sénégal. L’archevêque, Mgr Thiandoum, lui demande de travailler auprès des migrants Mandjaques, venant de Guinée-Bissau, nombreux à Dakar. Comme il l’a fait en Guinée, il apprend d’abord la langue et il écrit la première grammaire Mandjaque.1Il découvre la réputation des Mandjaques comme peintres en bâtiments et surtout leur charisme pour le tissage traditionnel. Il va les aider à créer une coopérative pour vendre même à l’étranger leurs très jolis pagnes… Il prend en charge en même temps la « Caritas » sénégalaise, chargée de venir en aide aux plus démunis, qu’ils soient catholiques ou non.

En 1984, à la mort de Sékou-Toure, l’archevêque de Conakry, Mgr Sara, demande aux Spiritains de revenir dans son pays. Un dilemme se pose pour le père Gustave : il a en effet le projet de fonder une paroisse à Bajob, en Guinée-Bissau. Mais l’appel de Katako est le plus fort ; et il y repart pour 15 ans. Cela ne l’empêche pas d’entretenir en Europe tout un réseau de relations qui lui permet en même temps d’aider Mandjaques 2et Bagas. C’est pendant son second séjour en Guinée qu’il est fait Chevalier de la Légion d’honneur. En 2004, il rentre définitivement en France ; et il prend une retraite méritée dans la maison spiritaine de Piré, près de Rennes. C’est là qu’il décède le 23 novembre 2006, le lendemain de la fête de ses cinquante ans d’ordination.3

Père Roger Tabard, archiviste CSSP 


1. Il écrira aussi des livres religieux : outre un cantique en langue Soussou, il publie « Kriston-ntsari, Katesis mandjako, tome 1 et 2.
2 Un autre confrère, le père Buis, a publié en 1970 « Essai sur la langue Mandjako de la zône Bassarel.
3 Début 2013, un livre « Poème » du père Bienvenu a été édité, avec préface de Mgr Hyppolite Simon.

Questions posées par l'abbé Justin BOISSY, au père Bienvenu, spiritain
(du site du P. Armel Duteil, http://armel.duteil.free.fr/?page=gbienvenu#1)

Père, si tu commençais par te présenter ?
Je suis né en Normandie en 1930. J’ai été un assez mauvais élève qui a donné beaucoup de fil à retordre à ses éducateurs et beaucoup d’inquiétudes à ses parents, surtout dans les dernières années de mes études secondaires. Je suis tout de même devenu spiritain. On m’a envoyé faire mes études de théologie à Rome et j’y ai appris à rencontrer des gens d’une autre nationalité, d’une autre culture que la mienne et à m’y intéresser (en commençant par la langue) et cela me semble très important dans la formation d’un futur missionnaire. Je suis devenu prêtre en 1956 et je suis parti pour la Guinée française (c’est comme cela qu’on disait encore en ce temps-là), en Octobre 1957. J’y ai vécu la période exaltante de l’indépendance…. Et puis les rapports se sont gâtés et nous avons été expulsés en 1967. C’est alors que je suis venu au Sénégal. J’ai fait deux ans au petit séminaire de N’Gasobil : j’y ai beaucoup aimé le site et mes élèves aussi, mais ce n’était pas mon « métier » et j’ai supplié Monseigneur THIANDOUM de me redonner un ministère actif. C’est comme cela qu’en 1969 j’ai été nommé aumônier des Mandjaques.

En Guinée, quelle était donc l’orientation de ton apostolat ?
Je me trouvais au « bagatai », une région qui ressemble à la Basse-Casamance, pays de rizières et de marigots. J’ai eu pas mal d’aventures qui sont restées célébres avec mon camion et mon bateau. Mais j’y ai rencontré l’amitié de tout un peuple dont j’ai partagé intimement la vie. Nous tous qui étions en Guinée à ce moment, nous avions senti que l’essentiel était de préparer l’avenir, d’aider l’église locale à prendre sa taille adulte, c’est-à-dire à devenir responsable de sa propre existence en formant des hommes capables de prendre en main sa destinée. Pour ma part, je me suis attaché à la formation des catéchistes de mon secteur (isolés dans des villages éloignés) par des sessions fréquentes, des visites mensuelles, des stages de plus longue durée. Aux dernières nouvelles, dans ces villages où le prêtre ne peut passer que très rarement, ces gars-là sont les animateurs de communautés dont la vitalité n’a fait que grandir depuis notre départ.

Puis, tu es venu au Sénégal….
Oui, je suis venu au Sénégal… Alors là, il y a une épreuve difficile à comprendre pour celui qui ne l’a pas vécue. Une « kénose ». Il faut accepter de redevenir petit enfant, accepter de balbutier une nouvelle langue, de ne plus rien comprendre, de ne plus être celui qu’on connaît, qu’on aime, qu’on reçoit bras ouverts parce que c’est un vieux de la vieille et qu’on a des tas de bonnes histoires à se raconter… sans oublier la souffrance de l’arrachement avec ce qu’on avait fini par croire définitif, acquis, et le souci de ceux qu’on a laissés… Je ne dis pas cela pour faire du sentiment et il faut éviter de dramatiser. Ca fait partie du « métier » et cette éventualité doit être admise au départ. Mais il est bon peut-être de penser à ce que cela représente pour aider à comprendre telle ou telle personne, telle ou telle situation.

Et pourquoi, précisément, les Mandjaques ?
Parce que les Mandjaques posaient un problème à l’Eglise de Dakar. Par leur nombre d’abord. Il ne faut pas oublier que plus de la moitié de l’ensemble des baptêmes faits dans la presqu’île sont des baptêmes d’enfants ou d’adultes mandjaques. Qu’il y a mille catéchumènes mandjaques à Dakar dans les catéchuménats d’adultes et que dans les paroisses de Pikine, Grand Ste Thérèse, St Joseph, 50 % des enfants catéchisés à l’école ou dans les catéchismes du mercredi sont des enfants mandjaques. Problème de la langue aussi, aucun prêtre de Dakar n’étant capable de suivre l’évolution de ces catéchumènes. Et tout le monde sait que la plupart des Mandjaques qui viennent d’arriver à Dakar ont beaucoup de difficultés à parler le woloff. Il y a aussi les problèmes particuliers à leur origine, à la conjoncture politique aussi, et puis il y a le fait qu’il n’y a actuellement aucun prêtre de cette ethnie, parlant la langue et connaissant les difficultés du milieu. L’Abbé Alphone Dione avait fait un excellent travail, mais il venait de partir en Guinée, il y avait aussi l’abbé Jacques Lefèvre qui s’intéressait à la question, mais il était en instance de départ lui aussi. C’est ce qui a amené les prêtres et les catéchistes à demander un aumônier pour les Mandjaques et Mgr Thiandoum a pensé à moi, à ce moment….

Tu as appris la langue ?
Oui, mon premier souci a été de m’intégrer, de « m’enraciner avec »… Je suis allé en Casamance. A Soukouta où j’ai appris les premiers mots : (korom-korott), puis à Bindyaloum où je suis resté un mois. J’y suis souvent retourné, j’y retourne toujours. J’y ai vécu quelques heures inoubliables, par exemple le jour où les Portugais se sont approchés tout près du village et ont tiraillé dans les rizières avoisinantes. J’ai écouté, observé, « baragouiné » mes premières phrases, fait mes premières traductions. J’ai participé aux liturgies traditionnelles. J’ai essayé de comprendre, de « créer des liens », …

Et puis tu as créé un centre…
Il m’est apparu que je ne pouvais rien faire tout seul, car c’est tout un monde qui s’avance vers nous et qu’il s’agit d’accueillir dans l’Eglise. Mon second souci a donc été de constituer une équipe et à partir de cette équipe de base, de former des gens dans tous les domaines, des responsables. Alors, il y a eu Papis, puis Pierre Ukar, Alphonse, Jean-Pierre et d’autres. Il y a eu les étudiants que nous avons accueillis et qui se sont mis au service de l’ensemble. Après beaucoup de difficultés, nous avons pu ouvrir un centre de formation de catéchistes (stages, cours du soir de formation générale, de formation biblique, session au centre et à l’extérieur, etc…). Nous avons élaboré des instruments de catéchèse et de liturgie. Nous nous déplaçons en équipe pour aller visiter les communautés mandjaques dispersées (Casamance, Gambie et même Mauritanie…). Nous avons reçu un séminariste de Rouen, Philippe, qui est venu passer deux ans avec nous. Une spiritaine est venue aussi. Elle s’occupe de la formation des filles et des femmes. Un aspect encore qui me semble important, c’est le lien qui s’est établi avec les aumôniers des communautés de France dont beaucoup sont venus faire un séjour à la communauté et visiter les familles des Mandjaques de France. Ils repartent avec une nouvelle vision des choses… et nous gardons le contact.

Et les tisserands ?
Avec mon équipe, nous avons pensé que pour être pris au sérieux, il fallait se battre sur tous les plans. Le principal problème pour tout le « petit monde » de Dakar, c’est le problème du travail. Nous avons lancé un atelier de tissage. On a commencé « pour voir » avec deux métiers. On a fait des expositions, salle Biard, salle Brottier. Ca a marché. Nous avons actuellement douze métiers, absolument traditionnels et nous faisons ainsi travailler une trentaine de personnes. Nous sommes allés faire des expositions en France et nous y retournerons, parce que notre production dépasse les possibilités d’écoulement sur place, mais aussi parce que nous sommes fiers de pouvoir présenter à l’extérieur et de faire connaître ce que j’estime un art authentique et le témoignage de toute une culture. Tu parles de communauté. Vous vivez donc en « communauté » ? Le principal élément de formation pour tous ceux qui sont au centre, c’est précisément cette vie en communauté, dans un esprit d’amitié, de partage, dans la volonté commune qui nous cimente les uns aux autres de travailler à la promotion du monde mandjaque. Les plus jeunes de la communautés ne sont pas encore nés, nous les attendons incessamment (nous avons en effet deux ménages, celui de Papis et celui de Jean Pierre). La plus ancienne approche de ses 80 ans. Nous sommes entre 25 et 30 personnes, il y a des étudiants et des analphabètes, des garçons et des filles, des mariés et des célibataires, un prêtre, un séminariste et une religieuse. Notre désir est de vivre dans l’esprit de l’Evangile et des Actes des Apôtres et d’être ensemble, au milieu de nos frères, « témoins » de ce que nous proclamons. Nous avons parfois des difficultés bien sûr. Nous essayons de les résoudre dans le dialogue et la Foi. Foi en Celui qui est avec nous ; Foi aussi en la mission qu’Il nous confie et dont, je crois, nous nous sentons responsables collectivement, mais aussi chacun pour notre part.

Et si tu devais partir un jour….
Il y a deux ans, j’ai été malade un bon bout de l’année et j’ai dû passer environ cinq mois en France. La communauté, n’a jamais si bien marché… Cela a été d’ailleurs l’occasion pour les responsables de prendre leur véritable dimension. Les modalités extérieures devront changer, évoluer, bien sûr, mais ce que nous avons vécu ensemble nous a marqués les uns et les autres pour la vie.

Quels sont tes moyens de financement ?
Au début, ça a été très dur. On s’est serré la ceinture avec les premiers membres de l’équipe. Et puis « Missio », une branche de la Caritas Allemande nous a accordé une aide pour l’ouverture d’un centre de formation de catéchistes. C’est sur cette subvention que nous vivons. Elle expire dans quelques mois. J’ose espérer qu’elle nous sera renouvelée pour quelques temps. Il faut noter que le budget du tissage est totalement indépendant de celui de la Communauté. C’est un régime coopératif, et les tisserands sont au courant de toutes les recettes comme des dépenses globales. Ceux de nous qui travaillent à cet atelier reçoivent leur salaire, mais j’ai toujours tenu à ce que la communauté ne vive pas sur les bénéfices du tissage.

Quel est l’intérêt que les autorités, tant religieuses que civiles, tes confrères, les laïcs eux-mêmes, Mandjaques ou non, attachent à ton expérience ?
La réponse est complexe parce que les réactions sont diverses. Il a fallu du temps pour qu’on nous prenne au sérieux. Et puis, quand on ne rentre pas tout à fait dans les structures existantes, ça surprend. Comme nous serions plus forts « en église », si nous étions capables d’avoir d’abord par principe un « regard de sympathie » pour les entreprises de nos frères ! Nous avons tout de même rencontré beaucoup d’amitié. Notre évêque nous a toujours suivis très attentivement, en se demandant peut-être quelquefois où nous voulions aller, mais en sachant nous défendre quand cela a été nécessaire (et ça remonte le moral). Il y a eu le Père Ferrou qui nous a souvent judicieusement aidés avec le Père Terlet qui surveille nos comptes. L’évêque de Nouakchott qui passe souvent nous voir, comme ça, par amitié… Et puis il y a tous ceux qui viennent parce que ça leur plaît, parce qu’ils trouvent un accueil, un esprit, une communauté. Il y a ceux qui viennent prier chez nous (des Européens parfois, des Mandjaques, on n’est pas racistes !!!) à l’occasion de baptêmes ou de décès, ou d’autres choses… parce que chez nous, il y a des gens qui vont s’unir à leur joie, à leur peine, à leur prière, en toute simplicité.

Peux-tu me situer ton travail par rapport à ton option sacerdotale ?
Dis donc, c’est une théologie du sacerdoce que tu me demandes… ? Le prêtre, pour moi, c’est celui qui a reçu Mission et Pouvoir de rassembler et de vivifier (par les sacrements de la VIE), la Communauté chrétienne. J’ai essayé de rassembler autour de moi, non ! autour de LUI, cette équipe, qui se veut une équipe apostolique, une équipe tout entière au service de l’Evangile, de cet appel au grand « rassemblement », chacun avec ses dons différents et ses responsabilités particulières. Alors veux-tu que je te dise : je suis heureux, pleinement heureux de vivre cela, et ça vaut le coup d’avoir donné sa vie pour ça.

Penses-tu faire concrètement œuvre de développement ? Autrement dit, penses-tu qu’un prêtre missionnaire et donc étranger puisse être considéré comme un agent du développement national ?
Je n’en sais rien, ou plutôt, j’aimerais, si tu veux, en parler une autre fois et longuement, pour qu’on s’explique bien. Mais en tous cas, ce que je sais, c’est que dans le cas présent, ce n’est pas moi l’agent de développement, c’est la « communauté ». Moi, je l’anime avec mon charisme particulier, je la ressource sans cesse (j’essaye). Mais ce sont les gars (les filles aussi pour leur part) qui mènent la barque. Alors oui, je pense que nous travaillons à la Promotion d’un monde et nous essayons de le faire dans toutes les dimensions à la fois, religieuse, culturelle, sociale, etc…

Et si tu devais conclure…
Je dirais que nous n’avons pas choisi ce que nous vivons. C’est au gré des événements, des circonstances, à travers nos misères, nos fautes, notre bonne volonté aussi, que le Saint Esprit (je le crois) nous a amenés à vivre cela. L’essentiel, c’est de garder la voile tendue, prêts à marcher sur les chemins où Il nous emmènera. A vous tous aussi frères, qui que vous soyez et quelle soit la forme de votre existence, BON VENT vous mène…


cette page est réalisée par le P. Roger Tabard, archiviste général de la congrégation



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