6.1 Le Frère Clément Rodier
et ...la clémentine..
.
Clément Rodier est né dans le village de Mabeille, au diocèse de
Clermont-Ferrant le 25.05.1839. A l'âge de 13 ans il suit un de ses oncles moine
à la chartreuse de Vallebonne. Sa santé est trop fragile pour supporter les
exigences de la vie des chartreux.
Il part avec un autre oncle qui est
religieux dans l'Institut de "l'Annonciation" à Misserghin, en Algérie. Cette
maison est un orphelinat au milieu d'une propriété de 1000 hectares de terres.
Dirigé par le père Abraham, l'institut se lie bientôt aux Spiritains; et Clément
est heureux d'entrer dans cette nouvelle congrégation. Avec une quarantaine
d'ouvriers, il s'occupe du jardin. Il commence par planter 35 hectares de
vignes, qui donneront jusque dans les années 1960.
Mais, surtout, il va
installer une pépinière de 20 hectares. Il fait venir de divers pays et
continents des graines, pépins, petits plans de tout ce qu''on lui propose. Il
va vendre à de nombreux colons de la région d'Oran les arbres fruitiers ou non
qu'il a faits pousser. Il est particulièrement fier de sa roseraie qui compte
600 variétés de roses différentes. S'il a appris dans sa famille à s'occuper des
plantes, des arbres, s'il aime ce travail au grand air, il n'a cependant pas une
formation d'arboriculteur. Alors, il tente de greffer telles greffes sur
plusieurs plans différents. Il marque ses essais dans des cahiers qu'on a
malheureusement perdus, notant le lieu, la date, les résultats des diverses
expériences. On raconte que les enfants du village aimaient venir voler des
mandarines sans pépins dans un secteur du jardin que le Frère avait un peu
abandonné. Goùtant lui-même ces fruits, il les trouvent délicieux.
D'après le
docteur Louis Trabut, professeur à l'école de médecine d 'Alger, président de la
"Société d'horticulture" qui vient souvent visiter les innombrables
expérimentations du Frère, celui-ci aurait créé accidentellement un hybride de
mandarinier et de bigaradier à feuilles de saules ou granito. Ceci se passe en
1900, et on appelle d'abord le fruit la mandarinette. Lorsque les botanistes
prennent conscience de l'intérêt de ce nouvel agrume, la parcelle d'origine a
été arrachée.Il n'est pas possible de connaitre les plans d'origine.
Le Frère
Rodier était mort depuis 1904, ayant obtenu pour sa découverte la médaille d'or
de la société d'agriculture d'Algérie.C'est cette société d'agriculture qui
baptisera en son honneur ce fruit merveilleux de la Mitidja, la "clémentine,
vingt ans après sa mort.
Clément s'est intéressé aussi pendant 40 ans à relever
la température moyenne à Misserghin, la pluviométrie, a faire diverses autres
activités scientifiques. Mais, c'est sùrement la découverte de la clémentine qui
l'a rendu célèbre, bien que peu de personnes ne connaissent vraiment le Frère
Rodier.
Père Roger Tabard, archiviste adjoint
pour compléter
"
Il est le seul Frère spiritain à se trouver dans le dictionnaire Larousse, et,
pardonnez du peu, c’est dans les noms communs. « Clémentine : n.f. (du nom du
F. Clément, qui obtint le fruit en 1902). Mandarine d’une variété à peau fine,
fruit du clémentinier. » (Petit Larousse 1998, p.225). Pour le même fruit
hybride du bigaradier et du mandarinier, le Petit Robert, lui, renvoie à un «
Père Clément ».
Quand nous nous délectons avec ce petit fruit sans pépins, qui nous vient
désormais d’Espagne, d’Israël ou de Californie, nous sommes bien évidemment loin
de penser à ce petit frère Marie-Clément qui inventa la savoureuse mandarine
dans un coin d’Algérie (française) peu connu, appelé Miserghin.
Il s’appelait Vital Rodier. Il était né le 25 mai 1839 dans un coin reculé du
Puy-de-Dôme appelé Malveille, dans ce coin du Livradois où se situe
Saint-Germain-L’herm. Un Vital à Malveille, quelle ironie ! Ce n’est point là
qu’il pouvait espérer grand avenir. Mais l’avenir qu’il décida de poursuivre ne
fut point grand aux yeux de beaucoup. Il voulut d’abord se faire chartreux à
Valbonne, mais l’austère régime des moines le rebuta, et il s’en fut rejoindre
un de ses oncles qui était Frère de l’Annonciation à Miserghin, en Algérie.
Cet institut de frères où il pénétrait, était originaire de Montpellier, et
avait été fondé par un abbé Montels qui se préoccupait, comme beaucoup d’autres
alors, des trop nombreux orphelins. A la mort du fondateur, le jeune institut
fut confié à un ancien vicaire de Saint-Chinian, professeur d’histoire
ecclésiastique au grand séminaire. Il s’appelait Louis-Théodore Abram, avait 38
ans, et eut l’idée en ces années qui suivirent la conquête de l’Algérie de
transporter ses orphelins sur une terre ouverte à toutes sortes d’initiatives. A
force de démarches tenaces, il obtint une concession de 30 hectares à Miserghin,
village e colonisation à 21 kms au sud-ouest d’Oran. Il s’y installa en 1849
avec ses orphelins et ses petits frères de l’Annonciation.
Deux ans plus tard, on lui accordait en plus les 12 hectares d’une pépinière
étatique. La ténacité du Père Abram, jointe à l’immense bonne volonté de ses
petits frères, transforma le domaine en une grande exploitation agricole,
doublée d’ateliers où se formaient les orphelins venus de France et d’Algérie.
Relancée et développée, la pépinière de Miserghin devint célèbre grâce à
l’imagination et au travail de plusieurs religieux aimant l’arboriculture et les
activités en dérivant.
On planta beaucoup ? Des vignes et des agrumes surtout. La pépinière eut vite de
nombreux clients : on y pouvait acquérir toutes sortes d’arbres. C’est à cette
pépinière que travaillait, notamment, le Frère Marie-Clément Rodier. « On peut
dire que rien n’a été planté sans lui dans les 20 hectares de la pépinière et
les 35 hectares du vignoble. C’est lui qui a introduit dans le pays plusieurs
centaines d’espèces d’arbres forestiers, fruitiers ou d’ornement, sans compter
une merveilleuse collection de rosiers qui comprenaient près de 600 variétés des
plus rares… Il obtint même et développa plusieurs variétés de plantes et de
fruits, entre autres une espèce de mandarine, qui fait l’admiration des
connaisseurs, et que les orphelins de l’établissement baptisèrent du nom de
Clémentine.»
L’origine ou l’hérédité de ce fruit désormais populaire, est assez mystérieuse.
Les sociétés savantes et la tradition spiritaine hésitent en se contredisant ou
en se complétant. Les botanistes l’ont découvert sur le tard alors que le Frère
Marie-Clément en faisait déjà exploitation. Son invention reste floue. Elle
remonterait à une époque située entre 1892 et 1900. La pierre tombale du Frère
la situait en 1894, mais des auteurs, tous sérieux, sont loin d’être d’accord
sur cette date.
La modalité est non moins mystérieuse. La tradition, spiritaine ou non, en
fournit deux, généralement retenues. « Il y avait sur le terrain, au bord de
l’oued Miserghin, un arbre non cultivé qui avait poussé là parmi les épines ; ce
n’était pas un mandarinier, ni un oranger ; ses fruits plus rouges que les
mandarines étaient d’une saveur délicieuse et de plus n’avaient pas de pépins ;
c’est ce que devait apprendre au Frère Clément un jeune arabe qui en avait
dégusté ; intéressé par ces fruits, notre arboriculteur prit sur lui la décision
de faire des greffes avec des greffons de l’arbre miraculeux. L’opération
réussit ; on multiplia alors les greffes et au nouvel arbre on donna le nom de
clémentinier. »
« Une autre version nous est donnée par le fils d’un employé qui vivait à la
pépinière au temps du Frère Clément. Celui-ci aurait suivi le travail d’une
abeille en train de butiner ; l’abeille passe d’un bigaradier sur un mandarinier
; que peut-il sortir d’un tel mélange de pollen ? Le Frère attache un ruban
rouge à la fleur du mandarinier et surveille la production ; il prélève le fruit
à maturité, fait un semis et obtient la clémentine… »
Peu importe en somme, si notre curiosité scientifique ne peut être satisfaite ;
la curiosité historique est unanime pour attribuer l’invention de la clémentine
à Vital Rodier, devenu Frère Marie-Clément quand il entra chez les Frères de
l’Annonciation.
Pourquoi alors le placer sur notre site spiritain ? Serait-ce de la récupération
indue ? Pas totalement. Car après la mort du Père Abram en 1892, son institut
connut de grandes difficultés d’ordre économique. Le diocèse d’Oran s’en émut et
sur le conseil du Saint-Siège sollicita la Congrégation du Saint-Esprit pour
examiner et soutenir l’institut chancelant. Mgr Le Roy, alors supérieur général
des spiritains, proposa la réunion des petits frères avec les siens. Après des
tractations à rebondissements, le projet fut entériné. Par un décret de 1901,
Rome supprima l’Institut du Père Abram et autorisa ses membres à entrer dans la
Congrégation du Saint-Esprit. Presque tous s’y décidèrent. Ils refirent un
noviciat, sur place, à Miserghin, et devinrent spiritains en février 1902.
L’inventeur de la clémentine devint donc spiritain. Il mourut en 1904.
Lors du départ des religieux, après l’indépendance algérienne et la
nationalisation de l’orphelinat, les tombes de tous les spiritains décédés à
Miserghin ont été nivelées et recouvertes d’un gazon sous lequel ont disparu
leurs noms et avec eux, la brève évocation de leur présence et de leur
dévouement. La sœur trinitaire qui m’a communiqué en 1993 cette information a
précisé que les restes du Père Abram et ceux du Frère Marie-Clément avaient
alors été placés dans l’ossuaire de leur couvent.
C’était là l’histoire douce-amère de la clémentine et de son inventeur le Frère
Marie-Clément, qui ne devint spiritain que sur le tard, après sa très féconde
invention.
René Charrier
(d’après Les Frères Courage,
Mémoire Spiritaine, Etudes et Documents 1, Paris 1994 p.62-69)