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Missionnaires et développement

11.1 Le Père Louis Quentin

botaniste .


Le père Louis Quentin est né à Couesmes, Mayenne, le 31.08.1891. Blessé en 1914, prisonnier, il fait ses études de théologie à Chevilly à la fin de la guerre. Il est passionné par les cours de botanique et de linguistique du père Sacleux. Arrivé comme prêtre à la Guadeloupe le 02.09.1925, il est assez rapidement nommé secrétaire de l'évêque. Il passera beaucoup de temps à s'occuper des vocations, à développer les écoles libres, ériger l'hôpital de l'ile de Ste Barthélémy, veiller sur l'enfance abandonnée. Il est aussi responsable du journal diocésain "Clarté", qui deviendra "La Guadeloupe Catholique".
               Le père Duss vient de mourrir quand il débarque dans l'ile; et il va lui succéder comme spécialiste de la botanique de la Guadeloupe et des iles qui en dépendent. Il va gravir la montagne "Soufrière", le "Houelmont", "la Madeleine", longer les rives des diverses rivières, explorer les forêts. Il fait preuve d'intelligence, de clarté, d'honnêteté scientifique dans l'observation et la détermination des plantes comme des arbres qu'il découvre. Il est aussi enthousiasmé par ses recherches. Peu à peu, il apprend à connaitre toutes les plantes de la Guadeloupe, indigènes ou introduites, petites herbes des champs comme gros arbres des forêts. Il peut les nommer scientifiquement autant que par leur dénomination créole. Il en connait les propriétés médicinales et utilitaires diverses, ainsi que la localisation dans l'ile et dans le monde.Les Guadeloupéens l'appellent le "Père aux Herbes".
        Il écrit un article dans la "Guadeloupe du Tricentenaire" en 1935. Il n'écrira rien d'autre lui-même, mais il est le conseiller de nombreux savants qu'il guide dans leurs recherches ou à qui il envoie des spécimens de plantes, de feuilles, de racines... Ainsi, l'ingénieur agronome H. Stehlé qui publie en 1937 un "Catalogue des phanérogames et Fougères", guide de 230 pages, où plus de 350 espèces, appartenant à 60 familles différentes, sont décrites, reconnait que, sans le père Quentin, son livre n'aurait jamais pu paraitre. Cet ouvrage est suivi par deux autres, l'un de 142 pages en 1948, et l'autre de 149 pages en 1949. Les "Notes de Phytothérapie Guadeloupéenne" du docteur H. Cabre doivent aussi beaucoup à notre confrère. Il en est de même de A. Questel qui écrit la "Flore de l'ile de Ste Barthélémy", grâce aux conseils du père. Celui-ci a d'autres disciples comme Rodriguez, Béna, Chastelain.
          Plusieurs de ses découvertes portent encore son nom: ainsi une "Piperacée" trouvée par lui le long de la rivière Malanga s'appelle "Piper Quentinii. Une belle mimosa
 écarlate de Pointe Noire est la "Calliendra purpurea Quentiniana". Une petite orchidée épiphyte dont il récolte le type en forêt de "Bains Jaunes", à 900 mètres d'altitude porte le nom de "Pleurothalis Wilsonii, var. Quentiniana. Mêlant le père Duss et le père Quentin, une autre découverte s'appelle le "Piper Dussi" forma Quentinianum. En janvier-avril 1936, le père Louis guide et conseil la Mission "Criptogamique" Pierre Allorge.
       De nombreux prix, diplômes, médailles seront remis au père Quentin dont le diplôme d'officier d'académie le 11.11.1955. Il finira sa vie, après une longue et douloureuse maladie à Gourbeyre (Guadeloupe), le 06.12.1958.

                                                   Père Roger Tabard, archiviste adjoint.

Le Père Louis QUENTIN
1891 – 1958


Témoignage par Henri STEHLE (Bulletin général cssp Tome 46 p. 248)
Après une longue et douloureuse maladie, le R. P. Louis QUENTIN décéda à Gourbeyre (Guadeloupe), le 6 dé­cembre 1958, à l'âge de soixante-sept ans. Il lui fut décerné le prix de Coincy, en 1949, à la Société Botanique de France dont il fut membre de longues années.

Il était non seulement un religieux admirable, un homme estimé de tous, un conseiller éclairé et un esprit supérieur, mais encore un botaniste pour lequel l'amour de la nature était à la fois une manifestation divine et une spéculation scientifique. Au cours des trente-trois années qu'il passa dans l'île comme P. Supérieur des Pères de la Congrégation du Saint-Esprit et comme Secrétaire général de l'évêché, il étudia la flore avec soin et en amateur éclairé. Il apportait à cette recherche les qualités qui irradiaient de son être : l'enthousiasme, la clarté, l'intelligence et cette honnêteté scientifique dans l'observation et la détermination, qui faisaient de lui un botaniste de réelle valeur.

Quand il arriva, en 1925, en Guadeloupe, alors colonie française, devenue depuis département d'Outre-Mer, le R. P. A. Duss, auteur de la Flore Phanérogamiqne des Antilles françaises, était mort l'année précédente. Il consacra alors tous ses loisirs, de plus en plus rares au fur et à mesure que ses charges devenaient plus lourdes et l'étreinte de la maladie qui devait l'emporter plus forte, à la botanique antillaise qui n'avait guère de secrets pour lui. Il connaissait bien toutes les plantes de la Guadeloupe, spontanées ou introduites, modestes ou magnifiques, pctites herbes des champs ou gros arbres des bois, leur localisation au bord de la mer Caraïbe ou au sommet des plus hauts pitons volcaniques... et il pouvait les nommer scientifiquement autant que par leur dénomination créole. Pour la population rurale, c'était le « Père aux herbes », car il en connaissait également les pro­priétés médicinales et utilitaires diverses. Il resta d'ailleurs longtemps en relation avec les Laboratoires homéopathiques de France, le docteur Cabre et de nombreux chercheurs, en France et à l'étranger, pour l'étude du comportement phar­maco-dynamique des espèces les plus intéressantes de la Flore

Le nombre de services qu'il rendit ainsi discrètement par l’envoi de spécimens et par l'indication des plantes suscep­tibles d'être utilisées est incalculable. Mais, son rôle fondamental réside sans doute autant dans l'orientation judicieuse des chercheurs et de jeunes botanistes que dans son oeuvre personnelle. S'inspirant toujours de la règle de sa Congrégation « Ferveur, charité, sacrifiée », il ajoutait au charme du l'étude et au désir de connaître la nature antillaise, la joie d’aider tous ceux qui lui demandaient un renseignement, un conseil ou même une oricntation dans la recherche, dans l’étude ou même dans la vie. Ses avis étaient toujours judicieux désintéressés et généreusement donnés.

Ceux qui peuvent se dire ses disciples, ou qui ont reçu le bénéfice de son emeignement, sont nombreux et, en dehors des collabo'rateurs immédiats, comme nous même, on peut, citer Rodriguez, Questel, Cabre, Bena, Chatelain, botanistes, médecins ou forestiers qui eurent recours à sa science pour mieux décrire les végétaux de leur discipline et, connaître exacctement la composiLion dcs forêts en vue d'une protection ou, d’une valorisation mieux équilibrée. Il fut le guide de la Mission Allorge, au Muséum, en 1936, et facilita la venue et la réception de nombreux botanistes et agronomes, français et étrangers, venus prospecter en Guadeloupe et dans les dépendances, ile Marie-Galante, à la Désirade et aux Saintes, leur donnant dcs facilités dans les prcsbytères, sans lesquelles les travaux des savants venus en mission n'auraient certaine­mant pu être menés à bien à une époque où, dans ces petites iles c'était une véritable expédition quc d'accéder, se déplacer ct surtout s'alimenter-. Son aide à cet égard permit pratique­ment de faire avancer les récoltes, bases nécessaires d'étudeet de progrès scientifique.

Le P. Duss fut un pionnier de la botanique antillaise et le 1e Père QUENTIN son héritier scientifique, en prolongeant son en augmentant son patrimoine floristique, en permet­ttant de doubler, au cours d'un quart de siècle, le nombre des genres et des espèces de végétaux connus dans nos îles, ce qui est un apport de tout premier ordre et pour lequel nous lui devons une reconnaissance particulière. C'est au Séminaire même, au Scolasticat de Chevilly, qu'il prit le goût de la bota­nique et, en octobre 1924, connut l'éloge nécrologique du P. Duss dont il devait continuer l'oeuvre quelques années après. Un jardin botanique éducatif existait à ce Scolasticat où il s'initia à la botanique grâce à un maître bien connu, le B. P. Sacleux.

Sa première publication est une contribution à la Flore de la Guadeloupe dans l'ouvrage de la Guadeloupe du Tricentenaire 1635-1935, édité par le Gouverneur Bouge, en 1935, à l'occasion du tricentenaire du rattachement des Antilles a la France, article où les végétaux des principales catégories sont énumérés et la liste des plantes médicinales essentielles de la flore établie. En 1937, à l'Imprimerie Catholique, parut le premier fascicule du Catalogue, des Phanérogames etl Fougères, constituant le tome Il de la Flore de la Guadeloupe et Dépen­dances, avec contribution à la Flore de la Martinique, véritable guide de 230 pages, fruit de nombreuses excursions dans les divers secteurs de l'archipel des Antilles françaises, où plus de 350 espèces, appartenant à 60 familles codifiées, figurant avec leurs binômes, leurs références bibliographiques, leur synonymie, leur dénomination créole et, surtout, leur locali­sation détaillée dans nos îles et leur répartition géographique dans l'archipel et dans le monde, le travail de bibliographie ayant complété judicieusement celui de recherche et de collection dans la nature. Cet ouvrage put être réalisé grâce à la coopération du P. QUENTIN qui y apporta sa connaissance approfondie des espèces et du milieu et une précision remar­quable dans la correction des épreuves à l'Imprimerie Catho­lique. L'ouvrage fut achevé d'imprimer le 12 mai 1938, à Basse-Terre, sous son égide et il envoya en France aux Co­auteurs le premier exemplaire avec une satisfaction légitime. Les deux autres fascicules : no 2 (142 pages in-quarto) et no 3 (149 p.), de ce même tome 11, parurent à Montpellier en 1948 et 1949 respectivement, et toujours en conséquence de la même coopération, avec 30 familles nouvelles révisées et un total de plus de 750 espèces cataloguées, soit la moitié de la flore des plantes à fleurs de la Guadeloupe et de la Martinique. Une contribution à la flore de la Guyane française y était ajoutée. La mise à jour des noms tombés en synonymie depuis le P. Duss était réalisée et l'ordre taxinomique de l'auteur de la première Flore Phanérogamique (Duss, 1897) adopté, ' ce qui permettait son utilisation par une modernisation scientifique et sa revalorisation.

Dans le rapport qu'établit le professeur F. Evrard, docteur ès sciences, à la Société Botanique de France (tome 96, no 7-9, 1949), rapporteur du prix de Coincy, il concluait ses propo­sitions en ces termes qui furent suivis par le Comité : « M. et Mme Stehle n'ont jamais cessé de reporter sur leur collaborateur principal, le R. P. QUENTIN, le légitime tribut de la reconnaissance qu'ils lui ont vouée par l'apport primordial dans cette féconde activité de toute la tradition qu'il avait reçue du R. P. Duss et d'une incessante documentation mise constamment à leur disposition tant sur les lieux mêmes que pour nombre de problèmes floristiques. Guide discret et volontairement effacé de notre meilleur spécialiste actuel des flores et de la végétation des Antilles françaises, le R. P. QUEN­TIN lui a apporté cette aide inestimable que voudrait rencontrer tout nouvel arrivant dans une flore incomplètement connue.

« Aussi, nous paraîtrait-il souhaitable que fut reconnu à son tour par notre Société le mérite exceptionnel d'un effort soutenu pendant une quinzaine d'années et traduit par d'aussi féconds résultats, en consacrant par l'attribution du Prix de Coincy pour l'année 1949 la si heureuse et fructueuse pour la science, collaboration d'Henri et Madeleine Stehle et, du R. P. Louis QUENTIN. »

La dernière publication où figure son nom, en raison de l'apport qu'il fournit à la découverte de l'espèce, dans les bois des Bains Jaunes, est celle relative au Brunellia, représentant .à la Guadeloupe un genre d'une famille nouvelle pour l'archipel des Petites Antilles, dans les Mémoires de la Société Botanique de France (tome 104, p. 37-40), le 11 octobre 1957. La décou­verte était d'importance parce qu'elle établissait le chaînon de transition par sa présence aux Antilles françaises d'une éspèce dont l'aire couvre les Grandes Antilles et l'Amérique tropicale.

Nous lui devons personnellement la détermination florisitique nous permettant la rédaction de l'Écologie (1935), Tome I, que nous lui avons dédié, la préface de la Vie et l'oeuvre du R. P. Duss, (1913), tome IV, ainsi que de nombreuses et précieuses indications sur le caractère de ce savant religieux, avec lequel il partageait des points communs dans l'union si heureuse de la foi et de la science. Les Notes de Phytothérapie du docteur H. Cabre (Flore des Antilles françaises, tome III) lui doivent beaucoup aussi, ainsi que l'indique, son auteur, et c'est pour associer son souvenir à celui de cet éminent homéopathe que nous leur avons dédié, Mme Stehle et moi, le volume sur la Flore Médicale des Antilles francaises, actuel­1(unenL sous presse. Plusieurs espèces variétés ou formes nouvelles pour la science portent son nom : le professeur Trelease, qui fut président de la Société Botanique des États­Unis, révisant les pipéracées, lui dédiait, sur notre demande, le, Piper Quentinii, de la rivière Malanga, à la Guadeloupe t de la forêt du Mausé, à la Martinique, le Piper Dussii forma Quantinianum (alliant les noms des deux PP. Duss ct QUENTIN), Piper dilalatum var. Quentiniana Une belle mimoséeécarlate de Pointe-Noire est la Calliandra purpurea var. Quentiniana et une petite orchidée épiphyte est le Pleurolhallis Wilsonii var. Quetiniana, dont il récolta le type en forêt, des Bains Jaunes à 900 mètres d'altitude, le 16 février 1936 (son no 351), variété endémique d'une espèce portoricienne.

Pendant les derniers mois de sa maladie, il occupa une partie de ses journées à corriger les épreuves de notre Excur­sion à la Soufrière, éditée par souscription, ce qui lui permit, de revivre en pensée des moments agréables et revoir en souvenir ses chères plantes. Ce fut son dernier travail... et, l'ouvrage parut la veille de sa mort... au moment où il nous adressa, comme à chaque fin de tournée, son dernier « Au revoir ».

Partout où il fallait « servir », le P. QUENTIN était présent En 1914, à l'âge de vingt ans, engagé volontaire pour son pays, puis à partir de 1920, par son étude scientifique succinc­temenL évoquée ici, enfin et surtout, pendant toute sa vie, comme religieux dévoué en qualité de Père du Saint-Esprit.

Son souvenir et son exemple demeurent profondément, gravés dans le coeur de ceux qui l'ont connu et apprécié. Ami des humbles, religieux exemplaire, savant botaniste, le P. QUENTIN, par sa vie et son oeuvre, s'inscrit dans la tradition mémorable des PP. Breton, Plumier, Dutertre et Sacleux, dont les qualités, la générosité et la science contribuèrent à faire aimer la France à travers les siècles et à près de 2.000 lieues de ses frontières


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