Le Père Auguste ARRAGON,
1819 - 1855.


Stanislas Auguste Arragon fut baptisé le jour de sa naissance, à Chapareillan le 6 mai 1819. Il est le onzième de la famille de douze enfants d'Etienne Arragon et d'Élisabeth Philippe. Il a comme parrain son frère Eustase (qui sera maire de Chapareillan), et comme marraine sa sœur Eugénie (qui sera religieuse de la Visitation à Chambéry). Dans la famille on l'appellera Auguste.

Parmi ses frères, citons, en outre, Étienne, qui fera polytechnique et sera officier d'artillerie, - Prosper qui mourra sous-diacre en rêvant des missions étrangères, -Jean, qui sera avocat à Paris. - C'est une sœur, Annette, qui assurera le lien épistolaire avec le missionnaire.

Un cousin Laroche était jésuite missionnaire au Maduré en Inde.

Eugénie, sa marraine, nous parle de son enfance : " Je lui ai toujours reconnu une simplicité et droiture très rare, il était incapable de l'ombre du moindre détour et dissimulation, toujours il n'a su dire que les choses que comme elles étaient, quoi qu'il dût lui en coûter . ... - Je me souviens que ma mère charmée, comme mon Père, de ce cher enfant, nous disait souvent : "Je suis étonnée de cet enfant, il n'est pas comme les enfants ordinaires, il ne pleure jamais, il ne se plaint de rien, il ne demande rien, il se contente de tout, il est toujours bien partout, on en fait ce que l'on veut, il n'a ni caprice ni fantaisie, il n'a point de défaut, il n'a jamais donné de peine à personne, je ne sais ce que cela veut dire, je ne sais ce que fera cet enfant, mais je pense qu'il ne faut pas s'en mettre en peine." - Quand je lui faisais faire sa prière, il observait si exactement ce que je lui recommandais pour la bien faire qu'il s'y tenait toujours. Si quelquefois il s'en oubliait et que je lui rappelasse, il en était très satisfait, ne s'ennuyant point de l'application que j'exigeais de lui pour bien faire son devoir. - Je voyais en lui tant d'innocence, de simplicité en un mot, un si bon caractère, un si excellent jugement, un esprit si juste, un cœur si droit, des inclinations si heureuses que je présumais beaucoup de cet enfant pour l'avenir, s'il était entre bonnes mains."

C'est à Paris qu'il fera ses études secondaires au collège Stanislas dirigé par les Jésuites, logeant chez son frère l'avocat.

C'est encore à Paris qu'il entra au Séminaire du Saint-Esprit. Il y reçut la tonsure en 1839 et les ordres mineurs en 1941. L'année suivante, avant le sous-diaconat, il fit part à son évêque de son désir de se consacrer à l'Œuvre des Noirs que dirigeait le Père Libermann. Mgr Philibert de Bruillard lui répondit le 6 avril 1842 :

" Je suis touché, édifié de votre projet, mon cher Monsieur Arragon. Oh! la belle vocation que de marcher sur les traces du vénérable Père Gaver, de la Compagnie de Jésus, dans les soins évangéliques à donner aux nègres ! Je ne m'opposerai certes pas aux desseins de Dieu sur vous, et puisque vous m'assurez que votre Directeur vous croit appelé à ce genre de ministère si fatigant, si pénible, et si répugnant à la nature, je vous accorde mon consentement, en vous laissant ouvertes les portes de mon Diocèse, au cas de non persévérance de votre part, et vous regardant toujours comme un de mes enfants chéris. - Que la bénédiction de Dieu repose sur vous ! Que la protection de Marie vous rassure. Que votre ange tutélaire vous accompagne dans toutes vos voies !
+ Philibert, Évêque de Grenoble.

Ordonné prêtre à Amiens le 23 septembre 1843, il fera profession au Saint-Cœur de Marie le 1er novembre 1844.

Cette année de noviciat, durant laquelle le Père Libermann rédigeait et expliquait à ses novices la Règle provisoire de leur nouvelle Société du Saint-Cceur de Matie, vit la profession de Paul Laval, Joseph Lossedat et Ignace Schwindenhammer au début de l'année ; en novembre c'était Auguste Arragon, Ernest Briot de la maillerie, François Thévaux, Prosper Lambert et Maurice Bouchet.

En février 1845, trois de ces nouveaux profès, Arragon, Lossedat et Bouchet, accompagnaient le Père Eugène Tisserant, nommé préfet apostolique d'Haîti. Partis d'Angleterre le 3 février, ils durent revenir au Havre trois mois après, le gouvernement de l'île leur refusant le droit d'y séjourner.

Après l'échec de la première équipe missionnaire, partie en 1843 sur les côtes du Cap des Palmes et de Grand-Bassam (dont seuls restaient, au Gabon, le Père Bessieux et le Frère Grégoire Sey), le Père Libermann préparait le départ d'un groupe de relève, sous la conduite du Père Tisserand nommé préfet apostolique de la Guinée. Il envoya en avant-garde les Pères Briot et Arragon et le Frère Pierre Mersy. Parti plus tard, le;P. Tisserand ne put malheureusement pas les rejoindre : il périt en mer, au naufrage de son bateau au large du Maroc, à la fin de l'année 1845.

Arrivés à l'île de Gorée en juillet 1845, nos trois missionnaires obtinrent l'agrément de la population pour s'établir, en face, sur le rivage de la baie de Dakar, Les Pères Briot, Arragon et le F. Pierre Mersy ~furent ainsi les premiers missionnaires à résider sur 14 presqu'île du continent.

Avant de se mettre à l'œuvre, le P. Arragon mit au point son règle'ment particulier. Il y rappelle d'abord les '"valeurs" à sauvegarder:

Ama nesciri et pro nihilo reputari. Le salut est moins exposé dans les rangs inférieurs que dans les dignités. Ne rien demander ni rien refuser. Mettre sa confiance en Dieu. C'est lui qui dirige la nomination des supérieurs. Soumission comme à Dieu. Liberté, franchise, mais prudence. Il faut en toutes choses chercher le plus grand bien des âmes. Négliger un petit bien lorsqu'il pourrait en résulter un grand mal. Ne jamais perdre de temps. Faire tous ses efforts pour bien réussir en quoi que ce soit, et cependant n'attendre de succès que de la bénédiction de Dieu."

Viennent ensuite les différentes actions de la journée et le temps qui leur est imparti. Pan-ni elles, l'étude des langues est privilégiée : trois heures, le matin, pour le wolof ; une heure et demie l'après-midi pour l'arabe. Cela va lui permettre de pouvoir bientôt circuler dans la région et d'établir des contacts personnels.

.. Le 15 février 1846, à l'occasion de la construction de leur résidence, une messe solennelle est célébrée au milieu du chantier. Toute la population musulmane y assiste, curieuse et bienveillante. L'abbé Boilat, curé de Gorée (un des trois premiers prêtres sénégalais préparés en France grâce à la Mère AnneMarie Javouhey), leur relate la création et la chute de nos premiers parents, l'Incarnation et la Rédemption du Sauveur. Tous l'approuvèrent avec chaleur. "Nos villages, s'écrièrent-ils, seront heureux d'entendre pareilles vérités. Aussitôt que commencera l'école, nous y enverront nos enfants." Ravis de ces bonnes dispositions, les missionnaires se disaient entre eux la parole de Jésus à propos du centurion : "Je n'ai pas trouvé une telle foi en Israël..."

Le Père Arragon, l'année suivante, suffisamment armé dans les deux langues du pays, s'en alla dans la région musulmane du Caïor, porter la bonne parole de l'évangile. Or ceux-ci se trouvaient en conflit avec les Lébous de la presqu'île de Dakar. On crut voir en lui un espion et on le retint en otage. L'affaire alerta les autorités françaises de Gorée et le chef des Lébous qui menaçaient d'aller le délivrer par la force.

Mgr Truffet, premier évêque résidant à Dakar, fut mis au courant de cette affaire àson arrivée. Le 19 mai 1847, il faisait parvenir ce message d'encouragement au P. Arragon retenu au Caïor:

"Le commandant de Gorée et le roi de Dakar font à Damel (le roi du Caïor) des menaces belliqueuses qui ne me regardent point et auxquelles nous ne pouvons donner notre assentiment. Laissez-les faire ce qu'ils veulent ou peuvent, dans l'enceinte de leurs attributions temporelles. Nous, apôtres, nous apportons à ces contrées la vérité, et non la guerre. Dites au roi de Caïor, avec simplicité et calme, que nous sommes envoyés par Yalla et par son représentant, le grand pape de tout le monde, et non par la France ou l'Angleterre, pour annoncer la bonne nouvelle, le salut éternel à ceux qui croiront en J.C. et recevront son divin baptême. Soyez ferme, mais modéré. Gardez-vous de promettre de ne jamais revenir à Caïor."

Six mois après, Mgr Truffet mourait, héroïquement, des privations de nourriture qu'il s'imposait, interdisant à la communauté de faire venir le médecin, afin de vivre et de mourir comme les plus pauvres du pays.

En 1849, Mgr Kobès succédait à Mgr Truffet, et envoyait les pères Gallais et Arragon sur la Petite Côte au sud de Dakar. Ils tentèrent l'implantation d'un poste àNdiangol, mais une tribu hostile envahit cet espace. Ils allèrent à Mbour et purent y séjourner. Envoyés ensuite par l'évêque à Joal pour redonner vie à ce village, christianisé aux siècles précédents puis abandonné, les deux prêtres et le frère Claude Bret s'y rendirent par des moyens différents. Le Frère chargea les bagages dans sa barque et rejoignit Joal. Les Pères décidèrent de faire route à pied pour inspecter la région et prendre contact avec les villages. Et ce fut l'aventure ... En ce temps-là, la brousse et la forêt couvraient ces parages (que les temps ont changé !)... Nos piétons sans boussole se perdirent à diverses reprises, manquèrent de succomber à l'attaque d'un essaim d'abeilles défendant leur miel dont ils voulaient se nourrir, et n'atteignirent leur but que six jours plus tard, ayant perdu en route souliers, chapeaux, manteaux et bréviaires ! ! !

A Joal, les chrétiens dévoyés tentèrent de décourager ces nouveaux prêtres qui voulaient les convertir. Le Père Gallais déjà initié à la langue sérère y resta avec le Père Lamoise. Le P. Arragon remonta vers le nord et prit pied à Rufisque, qu'il avait mis précédemment dans ses projets.

En 1852, Mgr Kobès affectait le P. Arragon à Saint-Louis du Sénégal, chef-lieu de la Préfecture Apostolique. C'était déjà une fort belle ville, alors qu'à l'époque Dakar n'était qu'un village traditionnel.

Le Père Arragon y résida trois ans et s'y dépensa sans mesure. Fatigué, les supérieurs estimèrent qu'il lui serait bon de prendre un congé en France, après ses dix années d'Afrique. Il monta à bord du "Général Cavaignac" le 28 février et y resta jusqu'au 30 mars, très affaibli mais toujours debout. Quelques jours auparavant il avait annoncé sa fin prochaine. Ce jour-là, à 4 heures de l'après-midi, il demanda un potage, après en avoir mangé quelque peu, il demanda un verre d'eau, mais il ne put le porter à ses lettres et tomba évanoui. Transporté sur son lit, il retrouva ses sens, joignit les mains et regarda vers le ciel avec un sourire tendre. Un instant après, il dit au petit noir qui le servait : "Vois, mon enfant, comme cela est beau." Puis il ferma les yeux ... et n'était plus là.

Sa sœur Annette,sa correspondante habituelle, demanda une notice biographique à la congrégation. Cette notice fut demandée au Préfet Apostolique de Saint-Louis, qui transmis la requête à Mgr Kobès évêque de Dakar. Trente années après, elle s'adressa à la Mère supérieure des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny à Saint-Louis. Par elle nous apprenons que le P. Arragon resta deux mois à l'hôpital pour une maladie de poitrine, ce qui ne l'empêchait pas de s'asseoir au milieu de la cour et d'évangéliser infirmiers, militaires, malades hospitalisés et dire sa joie de la décision dogmatique de l'Immaculée conception de Marie.

Pour fournir plus de renseignements sur les activités du missionnaire à SaintLouis, la Sœur supérieure obtint la collaboration de Monsieur Ratié qui fut son ami et parfois son collaborateur. Celui-ci rédigea, au fil de la plume, dix grandes pages pleines de réflexions et d'épisodes de la vie journalière. Il commence ainsi : "Professeur de latin au collège des Frères, je prenais pension chez les ecclésiastiques de la Colonie. Dès les premières conversations, je contractais une affection toute particulière pour ce zélé et ardent missionnaire tant à cause de ses vertus qu'à cause de sa franchise et de sa simplicité dans toute sa manière de parler et d'agir. J'avais en lui une très grande confiance, et je n'étais pas le seul car il jouissait de cet avantage auprès de toutes les personnes qui le connaissaient. On parlait partout du bon Père Arragon, du saint Père Arragon, du saint Arragon selon l'expression du M. le Gouverneur Protet. Il avait un jugement très juste et en général beaucoup de clarté et de précision dans ses idées." Il raconte comment il savait être sévère envers certains marabouts qui ressemblaient trop aux pharisiens de l'évangile. Mais aussi comment il traitait les enfants musulmans qui l'entouraient quand il prenait son café au lait, leur donnant à chacun avec sa propre cuillère un peu de sa boisson. "Quelquefois on le demandait de nuit pour un malade, j'appelais le bon Père et il s'habillait si promptement qu'on eut dit qu'il était toujours prêt. Sa charité ne s'étendait pas seulement aux malades, les personnes nécessiteuses y avaient leur part Il était de ceux qui ne prennent aucun soin de leur corps, qui ne savent que se mortifier pour le salut des autres Oh! que je voudrais dire quelque chose de sa pureté ; il purifiait tout ce qui l'abordait ou tout au moins il inspirait l'amour d'une vertu si belle et si admirable." etc, etc...

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