Le Frère Michel-Ange AZA[1]
(1839-1914)

Du district de l’Ile Maurice, décédé à Port-Louis le 3 Mars 1914

Le Frère Michel avait atteint cinquante ans de profession, le 25 décembre 1913 . On avait préparé une fête à St François-Xavier à cette occasion, et au moment où il devait venir au milieu de nous pour en être le héros, il dut s’aliter ; une côte commençait à se carier ; une opération délicate qui ne pouvait se faire qu’à la clinique du grand Hôpital devint nécessaire . Cette opération se fit avec succès, mais quelques jours après, la mort vint par épuisement de forces . Il avait 75 ans, était boiteux depuis plusieurs années par suite de la fracture d’une jambe, et était homme de couleur . Même à la fin de sa vie, il n’avait su triompher d’un préjugé qu’il avouait publiquement, que « Le Blanc déteste le Noir . » Ce fut une longue et intime souffrance dans cette vie religieuse de cinquante ans d’ailleurs remplie d’actes de vertu et remarquable par une exemplaire régularité religieuse . Cette espèce de déviation fut la cause secrète de soubresauts que nous remarquerons bientôt, et ne peut être comprise que si on en a été le témoin attristé .

Le Frère Michel était né le 15 mai 1839 aux Pamplemousses, tout près du tombeau de « Paul et Virginie » . Il put faire quelques études primaires, fut commis de magasin à Port-Louis . Il se rendit à Bourbon, entra au postulat le 21 novembre 1861, et le 6 juillet 1862, il écrit au Révérend Père Duboin : « Je viens solliciter auprès de vous la faveur d’être reçu novice dans la Congrégation du Saint-Esprit et du St Cœur de Marie » C’est le 25 décembre 1863 qu’il fait profession entre les mains du R.P. Duboin, dans la chapelle de la Maison de la Providence (Bourbon) . Pour appuyer sa demande de faire profession auprès du T.R. P Général, le R.P. Duboin (depuis Mgr Duboin), avait ajouté aux vœux unanimes des Pères et des Frères : « Ce Frère est un modèle de toutes les vertus . » Il fut employé dans la communauté de la Providence, puis à la Neuville, avec la qualité de Directeur de la Léproserie . Le 12 mars 1864, le Conseil fut saisi de la rénovation des vœux du Fr Michel pour cinq ans . Tous furent pour l’admission avec les considérations suivantes : « Efforts à vaincre sa susceptibilité, esprit de foi, dévouement à la Congrégation, zèle à ses fonctions auprès des lépreux » .Et le Père Duboin ajoutait la note suivante : « Ce frère est vraiment un saint . Il a passé par des épreuves spirituelles très grandes qu’il a bien surmontées . Il est d’une obéissance à toute épreuve, son recueillement est continuel, et depuis quelque temps son esprit s’est ouvert d’une manière presque miraculeuse . Sans doute il aurait tous les droits à faire les vœux perpétuels, mais comme il est frère noir et que nous avons des exemples qui nous ont appris à beaucoup prendre des précautions avec ces sortes de personnes qui changent si vite en bien et en mal, nous avons mieux aimé attendre encore un peu . Le 14 octobre 1866, il renouvela donc ses vœux pour cinq ans . Puis le 8 janvier 1872, il eut le bonheur d’émettre ses vœux perpétuels, entre les mains du Père Pineau . Les Pères de Bourbon avaient donné leurs voix pour les raisons suivantes : « Il est un religieux très édifiant, remplissant très bien tous ses devoirs. Il a un grand attachement à sa vocation . Il aime particulièrement la Congrégation . » et le R.P. Duboin d’ajouter comme supérieur principal : « Ce Frère a vraiment bien des qualités comme religieux, mais il est créole ; il a la tête un peu faible, en le laissant dans une position qu’il occupe dans les travaux des champs par exemple, il fera très bien ; mais en le mettant à faire la classe ou … On a eu quelquefois certaines choses à lui reprocher pour l’obéissance, les manquements viennent plutôt de la faiblesse de tête que de mauvaise volonté » .

Voici en quels termes, il remercie le T.R Père de son admission : « Je ne puis vous exprimer avec quel sentiment de joie et de reconnaissance, j’ai reçu votre paternelle réponse par laquelle vous m’autorisiez à faire mes vœux perpétuels . Il m’est impossible, mon Très bien aimé Père, de vous dire les vifs émotions et les vifs sentiments d’humilité et d’amour que N.S. avait daigné répandre dans mon cœur . Surtout la pensée d’unir mon sacrifice à celui de N.S. sur le Calvaire m’était sans cesse présente à l’esprit, aussi je contemplais en esprit N.S. crucifié en prononçant mes saints vœux que j’espère, avec la grâce de Dieu et le secours de la Sainte Vierge, garder toute ma vie . »

Le voilà armé pour l’avenir . Il va s’élancer dans la carrière, et la carrière sera pénible . Il restera encore quelques années à la Réunion . Il fut envoyé en 1882 à l’Ile Rodrigues pour la première fois . Là , comme en d’autres postes, il était seul frère, et il souffrit beaucoup, comme il nous le dira lui-même . Puis il revint à Maurice en 1885, et fût placé à la communauté où était mort le Vénéré Père Laval . Puis de 1890 à 1896, à St François-Xavier, où il revint passer les dernières années de sa vie . Dans ce premier séjour, il était sacristain, et il avait d’autres charges de confiance ... Or en 1893, les heurts d’une communauté de missionnaires surchargés de travail comme on l’était alors à Saint François Xavier en 1893, le blessèrent particulièrement . Il crut que tout roulait vers le relâchement et que son âme était en danger . Il écrivit donc au T.R.Père qu’il désirerait entrer dans une autre Congrégation, plus régulière et plus sévère, ou que du moins on lui permette de quitter Maurice, son pays natal , pour aller à Zanzibar dans une autre maison .

Le bon Père Emonet, avant de répondre, ce qu’il fit presque aussitôt, supputa sur la lettre du Frère Michel même, et son âge (54 ans) et les années de profession (30 ans) . Il avait traité avec tant d’hommes de couleur ! Il fit revenir la paix dans cette âme scandalisée par les agissements de certains blancs . Le Frère Michel quitta St François Xavier pour se rendre dans notre communauté de Ste Croix, où se trouve le tombeau du Vénéré Père Laval . Il était seul frère, mais il avait pour Supérieur le P. Pellerin, et pour quelques temps encore le calme succéda à l’orage, au grand profit du jardinage de cette communauté .

En 1902, le Ciel s’était de nouveau assombri . Il se rendit à Mahébourg, où il resta deux ans , puis retourna de nouveau à Rodrigues, dont il espérait bien ne jamais revenir . Et quoique six ans plus tard il revînt une seconde fois à St François Xavier de Port-Louis, il n’avait pas perdu l’espérance de retourner un jour dans cette île de prédilection . Sur la fin de sa vie, lorsque pour l’égayer on lui disait : « Frère Michel, est-il vrai que pendant votre dernier séjour à Rodrigues, vous avez préparé votre tombeau ? Oui, répondait-il, et j’ai toutes les autorisations nécessaires pour que mon corps y repose un jour . » Ses restes eurent une destination plus heureuse . C’est le caveau de communauté, non loin du tombeau du Vénéré Père Laval, qui les a reçus . Et quand la multitude de noirs qui assistaient à ses funérailles vit qu’on leur faisait cet honneur, ils s’écrièrent : « Comment ! les Pères mettent le frère Michel au milieu des leurs ! » O mystère d’opposition entre la mentalité de Cham et Japhet, quand donc sera-t-il possible de vous pénétrer ! Sans doute le jour où, en récompense de leurs grandes vertus, le Frère Michel avec les P. Pellerin, Houde, Herchenroder et Bonjean, des voisins de repos, se lèveront pour contempler Dieu face à face, et auront la claire vue de tout ce qui nous paraissait incompréhensibles sur cette terre .

La multitude avait suivi son corps au cimetière, en reconnaissance de tout le zèle que le F. Michel avait apporté pendant de longues années à faire avec intelligence et succès le catéchisme créole aux pauvres qui accouraient de la ville entière .
P. Grappe.
[1] Né Jean-Louis AZA, Frère MICHEL-ANGE est né à Port-Louis le 15 / 05 / 1839 ; il fit ses premiers vœux le 25 / 12 / 1863 à la Providence, Ile de la Réunion ; ses vœux perpétuels à Ilet-à-Guillaume, Ile de la Réunion ; en 1882, il est à Rodrigues ; 1885, il revient à Maurice ; 1904 2° séjour à Rodrigues ; il est mort à Maurice le 5 mars 1914, âgé de 74 ans, après 50 ans de Profession .

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