Le Père Émile BARABAN,
décédé à Chevilly, le 27 juin 1961,
à l'âge de 74 ans.


Émile, Marie-Joseph Baraban vit le jour le 8 mars 1887, à Bouxières-aux-Chênes (Meurthe-et-Moselle) (diocèse de Nancy). Il était le cinquième des sept enfants d'un très modeste cultivateur-vigneron. Il trouva dans sa famille une ambiance profondément chrétienne.

Ce fut en 1909, au cours de son service militaire au 370 R. I. de Nancy, qu'il fit les premières démarches pour entrer chez les spiritains. Deux choses l'inquiétaient : les études, qu'il faudrait reprendre après dix ans d'interruption, puis la situation difficile de son père, alors âgé de 68 ans, et qui resterait seul à la ferme avec un jeune frère. « Sauvez votre vocation, lui conseilla Mgr Le Roy, Deus providebit ! » Par ailleurs, on lui fournirait des leçons particulières et on le dispenserait du grec.

Il se présenta donc à Gentinnes, en août 1910, et, après six mois de répétitions, qu'il subit avec courage - car il en faut pour aborder rosa, la rose à 23 ans - il fut jugé apte à entrer en seconde et ne s'y montra pas si désorienté qu'on eût pu le craindre. Son état de santé, sans être brillant se maintenait, quand, fin 1911, il fut atteint d'une pleurésie grave. Il s'en remit suffisamment pour être admis, le 17 septembre 1912, au noviciat, qui se faisait alors à Chevilly.

Il fut ensuite envoyé au grand scolasticat de Fribourg (Suisse). Mais ses études furent. bientôt interrompues par la première guerre mondiale. M. Baraban partit dès le 2 août 1914 et fut mobilisé comme caporal au l67e R. I. et fut envoyé au front à la mi-octobre. Il vit le feu et y échappa de justesse, ayant vu sa capote et son sac percés de plusieurs balles. Complètement épuisé, il fut évacué sur Toul, puis sur Béziers et déclaré inapte à faire campagne. Le 15 juillet suivant. il était réformé, comme atteint de tuberculose. Dix jours après, il était de retour à Fribourg.

Il est ordonné prêtre, le 21 décembre 1918, et, le 27 juillet 1919, fait sa consécration à l'apostolat. Il est alors nommé sous-directeur du scolasticat de Fribourg. Six mois plus tard, une lettre de Mgr Le Roy demandait d'envoyer à Paris le P. Baraban pour s'y préparer à partir en mission. Il était nommé directeur du petit séminaire de Mayumba, dans le vicariat apostolique de Loango.

La station de Mayumba traversait une série de rudes épreuves. Le vicaire apostolique, Mgr Girod, venait d'y expirer, le 13 décembre précédent, au retour d'une épuisante tournée. Cinq mois après, c'était le tour d'un jeune Père hollandais, le P. De Waal, qui était chargé du séminaire : c'était lui dont le P. Baraban devait assumer la succession. Le P. Friteau, arrivé en mission depuis six mois seulement, assurait l'administration du vicariat, en attendant d'en devenir le vicaire apostolique, en 1922. Quant au supérieur, le P. Joseph Carrer, il venait tout juste d'arriver à Mayumba, où son frère, le P. Julien Carrer, était déjà décédé en 1896 ; il devait y mourir à son tour le 8 novembre 1921, si bien qu'à cette date, le P. Baraban se trouvera chargé de la mission aussi bien que du séminaire.

Le 4 novembre 1924 vit l'ordination, à Mayumba, de 4 nouveaux prêtres et, le 19 mars, Mgr Friteau bénissait la première pierre d’un nouveau séminaire. En 1926, le P. Baraban se plaint du peu de ferveur de la chrétienté. Le Père en voit la raison dans les perturbations familiales et sociales provoquées par la colonisation, et surtout dans le fait que la mission n'a rien pour la formation des filles. Aussi prévoit-il un bâtiment pour recevoir des religieuses. Son vœu ne devait être exaucé qu'en 1931, par l'arrivée des Sœurs du Saint-Esprit.

La situation matérielle est meilleure : les paquebots font escale à Mayumba : les légumes du jardin du Frère Hildevert ainsi que la vanille du Frère Eucaire trouvent un écoulement facile et rémunérateur. Le séminaire compte 19 élèves, qui occupent le nouveau bâtiment inauguré le 18 avril 1926, et il y a de nombreuses demandes d'admission. L'heure semble opportune pour rouvrir le noviciat-postulat de Frères, qu'on avait dû fermer, quelques années plus tôt, faute de sujets. L'internat compte 85 enfants. Assisté de deux prêtres du pays, le P. Baraban fait face à tout.

En 1928, il est nommé premier assistant du Conseil du District, mais, fatigué par huit ans d'un labeur complexe et sans répit, il quitta Mayumba en avril et débarqua à Bordeaux le 29 mai. Il ne devait séjourner en France que quelques mois ; en fait, il y resta deux ans. On lui confia le soin spirituel du noviciat des Sœurs du Saint-Esprit à Béthisy-Saint-Pierre.

Il remit le pied sur le sol africain fin septembre 1930, et Mgr Friteau le garda près de lui, à Loango, lui confiant les fonctions de pro-vicaire et de vicaire délégué, en même temps que celles de supérieur et d'économe de la mission. Celle-ci était importante, avec internat de garçons et un de filles, des ateliers, une imprimerie et un vaste secteur de brousse. Elle se composait d'une église et d'un ensemble de bâtiments en planches, sur pilotis. Le P. Baraban avait sous ses ordres deux Pères, deux Prêtres africains et quatre Frères. Il avait surtout le coude à coude avec son évêque, et cela ne facilitait pas les choses

C'est qu'il y avait entre ces deux hommes, malgré la grande estime qu'ils avaient l'un pour l'autre, une notable différence de tempérament. Mgr Friteau, après avoir été mobilisé de 1915 à 1919, n'avait occupé, dans la Congrégation, d'autre fonction que celle de sous-maître des novices, quand il fut envoyé en mission. Or, à peine arrivé, il avait été appelé à assumer la succession de Mgr Girod, ce qui rendait sa position délicate près des anciens et des. broussards, tentés de lui faire grief de son manque d'expérience africaine. Puis, tout de suite, les déboires ne lui avaient pas manqué, dans ce vicariat pauvre et difficile. Tout cela avait accentué le côté naturellement circonspect de son caractère. De là à le juger timoré, enclin à freiner plutôt qu'à aller de l'avant, il n'y avait pas loin. Le P. Baraban, lui, était tout différent. A Loango, il eut l'impression d'avoir les mains liées, et il en souffrit.

La fatigue et les ennuis eurent raison de la santé du P. Baraban, qui chancela sur le point où elle avait toujours été vulnérable. On lui découvrit une induration au sommet du poumon droit. On le rapatria, en juillet, en lui prescrivant le repos absolu, un climat sec et tempéré et une très bonne nourriture.

On l'envoya passer quelques mois dans la communauté de Misserghin (Algérie). Le climat de l'Oranie et la tranquillité lui rendirent ses forces. Dès qu'il se jugea suffisamment rétabli, il demanda à reprendre de l'activité. Le 9 juillet 1934, il était nommé supérieur de Chevilly ; il n’y resta que deux ans.

En septembre 1936, il était nommé supérieur de la communauté de Mortain et directeur du scolasticat de philosophie. Laissant à ses confrères plus compétents le soin d'assurer l'enseignement proprement dit, le P. Baraban s'occupait de la marche générale de la maison et de la formation des scolastiques, tant par les directions individuelles qu'il leur assurait que par les conférences spirituelles et missionnaires qu'il leur faisait régulièrement.

En 1937, on lui demanda, en outre, de prendre la responsabilité du mois de récollection que doivent faire, à tour de rôle, tous les Pères dans les dix ans qui suivent leur consécration à l'apostolat. Tous apprécièrent les instructions solides du prédicateur, émaillées de savoureux exemples empruntés à la vie de mission et à la petite histoire spiritaine. De 1937 à 1958, ce n'est pas moins de quinze fois que le P. Baraban présida ainsi la récollection.

Élu membre délégué au Chapitre général de 1938, il prit part aux délibérations, puis revint à Mortain. Ce devait être pour peu de temps : à la fin de 1939, un des Conseillers généraux, le P. Monnier, nommé par le Saint-Siège recteur du Séminaire français de Rome, dut donner sa démission : le P. Baraban, choisi pour le remplacer au Conseil général, vint donc habiter rue Lhomond.

Au Conseil général, le Père n'avait rien d'un yes-man, comme disent les Anglais. Il émettait sans détours l'avis qui lui paraissait le meilleur et il le soutenait avec fermeté, même quand il n'était pas d'accord avec le Supérieur général, quitte à garder un silence respectueux quand la discussion se durcissait. Dès que la décision était prise, il s'inclinait. Mais ses relations avec Mgr Le Hunsec prirent progressivement la tournure de celles qu'il avait eues jadis avec Mgr Friteau. Cela ne fut pas étranger, parait-il, à sa nomination de Visiteur des missions du Cameroun et de l'AÉF en 1945, car cette fonction le tiendrait éloigné du Conseil général pendant de longs mois

Il partit donc, le 26 janvier 1946, et quand cette tournée fut terminée, on le relança sur une nouvelle piste, en le nommant Visiteur des missions d'AOF Il en eut jusqu'en juin 1948.

Il inspecta donc, en deux ans, toutes nos communautés d'Afrique française. Il ne fut pas toujours reçu avec enthousiasme et ne laissa pas partout un souvenir sans mélange ! Une inspection n'est jamais très désirée par ceux qui en sont l'objet, surtout là où elle est le plus nécessaire, et quand l'inspecteur vient précédé d'une réputation d'austérité et d'intransigeance, on ne se sent pas très emballé. Comme à Loango, comme à Mortain, comme à Paris, le P. Baraban agissait suivant ses principes et ses méthodes, aussi rencontrait-il les mêmes difficultés. Si son passage à travers nos missions d'Afrique ne fut point inutile, il produisit aussi pas mal de remous. Il allait bientôt s'en rendre compte.

En effet, au Chapitre de 1950, il ne fut pas réélu Conseiller général. Ce fut pour lui une pénible surprise, car il avait conscience de n'avoir pas démérité. Mais, après les premières réactions, son esprit surnaturel reprit vite le dessus.

Il fut nommé aumônier du noviciat des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny, à Antony, dans la proche banlieue parisienne. Tout en assurant le ministère dans cet établissement, il pourrait demeurer à la disposition des communautés et des personne qui, de plus en plus nombreuses, avaient pris l'habitude de recourir à sa direction spirituelle. La direction des âmes, et spécialement celle des religieuses, tel est, en effet, l'apostolat auquel le P. Baraban devait consacrer la dizaine d'années qu'il lui restait à vivre. Ces années ne seront pas les plus spectaculaires de son existence, ce seront peut-être les plus fécondes.

A partir de 1958 environ, une série d'attaques de paralysie avaient durement éprouvé le Père, lui enlevant peu à peu l'usage de ses membres. A la fin, il n'arrivait plus à écrire et devait se contenter de dactylographier quelques lignes, et encore avec beaucoup d'efforts. Cependant, courageusement, il tint à assurer son ministère à Antony jusqu'à la Pentecôte de 1961. Alors, sentant ses forces décliner tout à fait, il donna sa démission et se retira à Chevilly, où il mourut le 27 juin 1961. -
Joseph Bouchaud - BPF, n° 126.

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