Le Père Joseph-Marie BEAUCHENE,
décédé à Paris, le 28 mars 1909,
à l'âge de 37 ans.


Joseph-Marie Beauchêne naquit, le 11 décembre 1872, à Issé, au diocèse de Nantes. Après des éludes au petit séminaire de Notre-Dame des Couëts, près de Nantes, il entra à Langonnet, pour y suivre les cours de philosophie. Il fit profession le 2 janvier 1398 et, le même jour, à la consécration à l'apostolat, il fut désigné pour la mission de l'Oubangui.

A la station de Saint-Paul des Rapides, il donne un aperçu de son ministère : « Je continue, tous les quinze jours environ, mes visites aux villages bondjos établis le long du fleuve. Ces voyages se font en pirogue. L'équipage n'est pas des plus brillants. Quel est le ministère dans les villages ? Jusqu'ici il n'y a pas à parler de grands succès. Si les Bondjos ne montrent plus d'hostilité au missionnaire, ils ne montrent pas non plus un grand enthousiasme à écouter sa parole. Dans mes excursions, je n'ai pas trouvé d'hostilité; mais quelle indifférence ! Un morceau de viande vaudra certainement beaucoup mieux que ce que pourra raconter le Père sur Dieu et la vie future. Depuis deux ans que je parcours les villages, je n'ai pu faire que trois baptêmes, car on cache soigneusement les enfants malades. Cependant, dans ces différentes tournées, j'ai ramené à, la Mission quelques enfants libres des villages. Ils ne restent pas toujours bien longtemps, hélas ! car il leur faut rapidement la forêt, avec la liberté. Quelques-uns cependant finissent par rester, et nous essayons d'en faire des chrétiens en attendant que nous puissions en faire d'utiles auxiliaires comme que nous puissions en faire d'utiles auxiliaires comme catéchistes. Je consacre mon temps libre à l'étude de ]a langue indigène. J'ai traduit le catéchisme de Mgr Le Roy, et j'ai commencé un dictionnaire complété par un petit manuel de conversation ; ce sera plus tard d'un grand secours pour les nouveaux arrivants. »

A la fin de l'année 1905, le Docteur Rodhain, médecin de la station belge de Libongué, voisine de Bangui, constata que le P. Beauchêne est atteint de la maladie du sommeil et il le fit rentrer en France.

A l'hôpital Pasteur, on lui trouva le trypanosome dans le sang et les glandes du cou. Le mal étant encore au début, on espéra pouvoir l'enrayer, au moyen d'injections d'une préparation arsenicale et de trypanroth, le traitement que préconisait le Docteur Laveran, comme ayant déjà réussi sur des animaux.

On crut longtemps la guérison en bonne voie et lui-même, se tenant pour débarrassé de tous les trypanosomes et définitivement guéri, envoya en juin 1907, une lettre sur la maladie du sommeil à M. le chanoine Robert :

« Maladie du sommeil, son nom est simple, bien qu'en langage scientifique elle soit désignée sous le nom de trypanosomiase. Elle tire sa définition de l'effet qu'elle produit. Tout individu atteint de cette maladie tombe infailliblement dans le sommeil, sommeil qui, à la dernière période de la maladie, persiste des semaines, et même des mois, sans que le malade ait connaissance de quoi que ce soit…

Un beau jour, des fièvres se déclarent, fièvres persistantes, que la quinine n'arrive pas à vaincre. Petit à petit, elles affaiblissent le malade : plus d'appétit, plus d'énergie, une grande maigreur, ses pieds enflent et lui rendent la marche très pénible, sinon impossible. Son intelligence s'obscurcit, ses yeux deviennent livides, ses traits s'altèrent, une prostration s'empare de tout son être. Le mal fait de plus en plus des progrès, bientôt le sommeil apparaît. Celui-ci se manifeste d'abord à intervalles, puis ce sont les périodes de sommeil profond ; impossible d'y résister. Le malade passe des semaines, des mois dans un état comateux. Il ne se réveille qu'à de courts intervalles. Il parait alors hébété jette quelques regards effarés autour de lui, sans reconnaître personne, puis retombe de nouveau dans le sommeil qui doit l'emporter un jour. Durant ce temps, le malade ne peut se nourrir, aussi est-ce un véritable squelette que l'on ne peut voir sans un sentiment de douleur et de grande com­passion.

C'est au mois de décembre 1905 qu'on en découvrit les symptômes en moi. Depuis quelque temps déjà, j'étais très sujet aux fièvres. Régulièrement, chaque jour, vers 3 ou 4 heures du soir, la fièvre faisait son apparition. J'attribuais cela à la fatigue, à la mauvaise saison. Une grande lassitude s'était aussi emparée de moi, je commençais à trouver la chaise longue excellente. Un beau jour, je dus faire une petite course de quelques kilomètres seulement ; pendant tout le voyage, j'eus la sensation de marcher sur des pierres. Je ne pus m'empêcher d'ôter mes souliers et d'examiner s'ils ne contenaient pas réellement quelques cailloux. Ils ne renfermaient absolument rien de ce genre. A partir de ce jour, les douleurs des pieds commencèrent, ce furent des fourmillements continuels, comme des lésions de nerfs. Puis l'œdème apparut. Aujourd'hui encore, les douleurs des pieds persistent, sans me causer cependant les mêmes souffrances. J'étais loin de songer à la maladie du sommeil, lorsque je descendis consulter le docteur de Libongué. Le jour même de mon arrivée, une chose frappa le docteur, c'était le gonflement des ganglions du cou. De suite, le Dr Rodhain pensa à la terrible maladie. Il examina mon sang et, à l'aide du microscope, il trouva les fameux trypanosomes. « Il ne reste qu'une chose à faire, me dit-il rentrer en France, aller à Pasteur et là, voir si on pourrait vous soigner. »

J'arrivai en France en mars 1906, miné par la fièvre et ne pouvant plus marcher. A l'hôpital Pasteur, on commença par me faire des injections d'arsenic et de trypanroth. Ce dernier remède avait cela de particulier qu'il colorait la peau en rouge. Les premiers mois furent pénibles, les fièvres ne me quittaient pas. Pendant une dizaine de jours, la température se maintint entre 40 et 41 degrés. Une transpiration abondante m'avait épuisé, j'étais devenu très maigre, et les douleurs aux pieds étaient si violentes qu'il m'était impossible de les mettre par terre. C'est alors qu'on parla d'atoxyl, remède à base d'arsenic, mais qui permet d'injecter de l'arsenic à haute dose. La première injection me fut faite en juin 1906 ; immédiatement un mieux se fit sentir, mieux qui a toujours été en augmentant. Aujourd'hui, en juin 1907, grâce aux bons soins et à la grande science du Dr Martin, directeur de l'hôpital Pasteur, on me considère comme guéri. »

Le P. Beauchêne alla passer quelques semaines dans sa famille, durant l'été de 1907, pour retrouver, si possible, sous le climat bienfaisant du pays natal, les forces que n'avaient pu lui rendre les long mois d'un traitement pénible à l'hôpital. Il se fatigua un peu, en donnant quelques sermons en faveur de sa mission, qu'il se disposait à regagner. Les douleurs aux pieds redevinrent plus fortes. A son retour a la maison mère, il se présenta à l'hôpital Pasteur, et le Dr Martin retrouva les terribles trypanosomes dans son sang. Dès lors, le pauvre Père fut obligé de faire, à différentes reprises, des séjours plus ou moins longs à l'hôpital Pasteur, séjours qui amenaient des améliorations passagères, mais pas la guérison.

On espéra longtemps guérir sa maladie du sommeil, parce qu'on l'avait combattue dès le début du mal; mais il perdit ses forces peu à peu et, le vendredi 26 mars 1909, il s'affaissa sur lui-même, brusquement endormi, en plein Paris, rue de Médicis. On lui donna aussitôt l'extrême-onction, avant de le transporter à l'hôpital Pasteur, ou il mourut deux jours après. -
Louis Dedianne - B, t. 4, p. 41.

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