M. FRANÇOIS BECQUET
(Quatrième Supérieur de la Congrégation et du Séminaire du St-Esprit.
(4 février 1763 - 28 octobre 1788)


A la mort de M. Bouic, M. François Becquet fut élu supérieur. Les électeurs furent : MM. Jacques Lars, premier assistant et supérieur du séminaire de Meaux ; François Becquet, deuxième assistant, ancien professeur du Séminaire de Verdun; Jacques Duflos, procureur ; Pierre Gérard, Pierre-Thomas Rupalet et Jean-Marie Duilos

Le nouveau supérieur était né le 14 mars 1705, au bourg, de Cayeux, situé sur les bords de la Manche, près de St-Va­léry-sur-Somme, diocèse d'Amiens. Il entra au Séminaire du St-Esprit comme élève le 1er octobre 1728, fut reçu comme aspi-rant à la Trinité 1733 et comme associé le 1er juin 1735. Il fut ensuite nommé conseiller en 1754, second assistant le 23 juil­let 1758, et enfin supérieur général le 4 février 1763. Cette élec­tion fut approuvée et confirmée le lendemain par Mgr Chris­tophe de Beaumont, archevêque de Paris.

1. - M. Becquet théologien.

M. Becquet fut un des théologiens les plus sûrs de son temps. Nous avons vu précédemment que M. Bouic, sollicité par Mgr d'Hallencourt de Dromesnil de l'aider à rétablir la bonne doctrine dans son Séminaire de Verdun, lui donna M. Becquet comme directeur des études. Celui-ci ne borna pas son zèle au Séminaire. Par les thèses publiques qu'il fit soutenir, par ses prédications, par ses controverses, il lutta contre le Jatisé­nisme au point de s'attirer les attaques les plus violentes de la part, de ceux qui en étaient infectés. Mais il eut le dernier mot.

Rentré à Paris vers 1748, il y fut nommé conseiller et s'oc­cupa de nouveau du Séminaire, mais sans perdre de vue les intérêts généraux de l'Église de France. « Il prenait part aux thèses de Sorbonne et s'y faisait remarquer par la lucidité de son raisonnement et la vigueur de son argumentation. Il jouis­sait de la particulière estime et de toute la confiance de Mgr de Beaumont, qui recourut à ses lumières, principalement à l’époque de ses démêlés avec le Parlement (1). )

II. - Développement de l’Oeuvre.

« M. Becquet eut la consolation de voir sa Congrégation, tout en restant fidèle à l'esprit de son fondateur, se faire con­naître de plus en plus dans le Royaume, et son action s'étendre au loin.

« En 1765, l'Assemblée générale du clergé, pour témoigner sa satisfaction, augmente les subsides accordés depuis 1723»

Déjà, en 1733, dans une lettre qu'il écrivait à un personnage influent, M. Bouic faisait connaître le personnel du Séminaire, ses ressources, le régime qu'on y menait, la vie spirituelle, l'état des études et la destination des élèves.

« La Communauté, y est-il dit, est composée de quatre­ vingts personnes, dont aucune ne paye pension. Cependant, nous n'avons aucun revenu, mais seulement mille livres du Roi et mille livres du Clergé (1). Aucun des directeurs ne possède ni bénéfice ni pension. Tout ce qu'il faut pour la nourriture nous vient en partie des rétributions des messes des directeurs et en partie de la charité des fidèles. La nourriture est très frugale, mais supportable : un peu de viande au dîner et au souper pour les jours gras, presque toujours des légumes pour les jours maigres; un demi-setier de vin par jour pour les éta­diants et un demî-setier à dîner et à souper pour les directeurs : à cela près, tout est égal. Le pain est bon, la viande et le vin sont passables, et l'appétit fait trouver tout bon.

« Quant à l'àme, on en prend, grâce à Dieu, encore plus de soin : la piété s'y nourrit par la méditation journalière, les examens généraux et particuliers, par les lectures spirituelles, par les exhortations et surtout par la fréquentation des sacre­ments. Il se fait au moins de dix à douze mille communions par an dans notre Communauté. Le fruit qu'on en retire est tel que, par la miséricorde de Dieu, on ne sait ce que c'est que haine, animosité, division dans la maison. Je croirais même pouvoir assurer qu'il y en a très peu qui paraissent avoir une attache particulière au péché véniel. Le plus grand nombre d'entre eux s'appliquent sérieusement à acquérir les vertus propres à notre saint état. Il est à désirer qu'étant sortis de la maison, ils ne se relâchent point; nous appréhendons pour eux ce relâche­ment contre lequel nous nous efforçons de les prémunir. Toutefois, j'aurai l'honneur de vous dire que, depuis trente ans que la Communauté existe, nous n'avons entendu parler d'aucun de nos élèves qui ait été poursuivi par les officiaux. Au contraire, il nous parvient tous les jours d'excellents témoi­gnages de la plupart; on dit, qu'ils vivent avec beaucoup d'édi­fication et qu'ils travaillent avec fruit au salut des âmes.

« Il y en a plusieurs qui, en moins de trois ans, ont rétabli dans des paroisses nombreuses la catholicité, la piété et la fréquentation des sacrements. Ils en ont senti l'utilité dans la maison, ils veulent maintenant y faire participer les autres.

« Cette application à la piété ne fait que sanctifier et animer l'application aux sciences convenables à notre état pour la ren­dre fructueuse. Outre les exercices des classes, nous faisons tous les jours à nos élèves des conférences de philosophie et de théologie ; les dimanches et les fêtes, nous avons, soit des thèses, soit des explications de l'Écriture sainte ; puis on leur fait passer de sérieux examens deux fois chaque année. Le fruit de leurs études est tel que jamais nous n'avons ouï dire qu'aucun de nos élèves ait été refusé aux ordinations ; au con­traire, nous avons presque toujours des éloges de leur capacité. Encore au dernier examen à l'archevêché, on a dit sans flatte­rie à quelqu'un d'entre eux qui a été fait sous-diacre, qu'il fal­lait qu'il prît des degrés, parce qu'il y avait en lui de quoi faire un très bon grand vicaire. La gloire en soit à Dieu !

« Il reste à vous dire, Monsieur, ce à quoi on les emploie après leur sortie de la maison : ils ne tardent guère à trouver des places. Ils travaillent, soit en qualité de curés ou de vicai­res, ou ils desservent les hôpitaux, ou s'occupent des Missions ; d'autres aident dans la direction des séminaires, enseignent la philosophie et la théologie ; quelques-uns sont grands vicaires. De tous ceux que nous avons élevés et formés, il n'y en a pas un qui soit devenu APPELANT ; au contraire, presque tous ont combattu la secte ou de vive-voix ou avec la plume. La gloire de tout cela en soit rendue à Dieu seul ; nous n'en avons jamais tant dit qu'à vous, Monsieur; priez Dieu pour qu'il conserve et perfectionne de plus en plus son ceuvre. »

Ces détails, intéressants et précieux, nous montrent bien la physionomie du Séminaire, et l'habituelle destination de ceux qui y étaient élevés.

III. - Les Missions coloniales (1775).

Dans des notes écrites pendant l'une de ses retraites, M. Poul­lart des Places nous révèle jusqu'à quel point l'esprit aposto­lique possédait son âme au commencement de sa carrière ecclésiastique. « Je ne prétendais, écrit-il, me réserver de tous les biens temporels que la santé, dont je souhaitais faire un sacrifice entier à Dieu dans le travail des Missions, trop heureux si, après avoir embrasé tout le monde de l'amour de Dieu, j'avais pu donner jusqu'à la dernière goutte de mon sang pour Celui dont les bienfaits m'étaient toujours présents. »

M. Thomas, qui fut à la fois son disciple et son biographe, écrivait au sujet de ces dispositions du saint fondateur : « Il ne trouvait de ressource et de consolation que dans la péni­tence et la mortification, dans les larmes et les humiliations, dans les travaux, et même le martyre qu'il souhaitait de trou­ver parmi les sauvages, au salut desquels il espérait pouvoir se consacrer. »

Il n'y a rien d'étonnant qu'il ait eu cette pensée déjà au collège Louis-le-Grand, quand on se rappelle qu'à cette époque les Jésuites, ses maîtres et directeurs, étaient chargés de plu­sieurs Missions coloniales, et en particulier de celles du Canada. Plus d'une fois il aura entendu parler de ces rudes Missions. Le récit de quelque missionnaire, revenant de ces contrées, ne pouvait qu'enflammer un Coeur si noble et si généreux. Voilà le grand germe de l'apostolat auquel était appelé l'Institut : il se développera lentement, mais d'une façon continue.

Sous l'administration de M. Bouic, les Missions fixaient déjà davantage l'attention des Prêtres du St-Esprit.

Peu à peu, leurs jeunes élèves se sentirent attirés vers les contrées lointaines, et nous avons, déjà vu que l'un d'eux, M. Vatel, était sur le point de s'embarquer pour les Indes à La Rochelle, quand il fut retenu par le Bienheureux Grignion de Montfort.

Les règles de 1724 et les lettres patentes de 1726 consacrèrent ces dispositions.

Aussi M. Bouic, dans une lettre, s'exprime ainsi :
« La fin que M. Desplaces et ceux qui lui ont succédé se sont proposée en établissant le Séminaire du St-Esprit a été d'éle­ver des ecclésiastiques laborieux, capables et désintéressez, qui soient prêts à remplir volontiers les employs ecclésiasti­ques les plus pénibles et les moins recherchez, tels que sont la desserte des hôpitaux, les vicariats et les petites cures de la campagne, les Missions en France, et dans les colonies du royaume et ailleurs; la direction des séminaires, la régence dans les villes de province; la direction des religieuses et autres emplois semblables. »

Mais il appartenait à M. Becquet de donner une organisation officielle à cet apostolat colonial, d'orienter de ce côté les efforts de la petite Société, et, peu à peu, d'y faire participer ses membres eux-mêmes.

Au commencement de 1768, il écrivait à M. Berlin de Blagny, trésorier général des fonds particuliers du Roi, une suppli­que destinée à obtenir une subvention pour la construction de la chapelle, et, pour l'intéresser à l'entreprise, il lui disait : « Cette maison, établie par les lettres patentes de 1726, a pour objet de fournir des prêtres aux postes les plus abandonnés du royaume et de nos colonies : ce qu'elle a réalisé depuis 1703, époque de son premier établissement, à la satisfaction con­stante des évêques et du ministère. Elle a formé depuis 30 ans presque tous les Missionnaires qui ont été employés dans l'Àca­die et parmi les sauvages de cette presqu'île, On sait que M. Le Loutre n'est pas des moins méritants d'entre eux. Elle a également vu partir pour la Chine, la Cochinchine, le Siam et le Tong-King, des missionnaires qui avaient été nos élèves, et parmi lesquels il y a même des vicaires apostoliques. Par leurs souffrances et leurs travaux, ils ont soutenu et soutiennent encore la Religion dans ces pays lointains. »

A cette époque, le Canada, l'Acadie et Terre-Neuve sont devenus, de par le traité de Paris (10 février 1763) qui termina la désastreuse guerre de Sept ans, possessions britanniques. Dès lors, la France eut naturellement le désir de détacher de la juridiction de l'évêque de Québec les petites îles de St-Pierre et Miquelon, qui lui restaient, La Propagande, appréciant la légitimité de la demande du Roi de France, les érigea en 1766 en Préfecture apostolique. Ce fut alors que cette petite Mission fut offerte à M. Becquet, qui l'accepta et y fit nommer un de ses parents, prêtre du Séminaire, comme Supérieur ecclésias­tique.

La Compagnie de Jésus venait d'être supprimée en France et dans ses colonies (1764). Ces apostoliques religieux avaient été chargés de la Mission de la Guyane française en 1666 : ils la quittèrent cent ans plus tard, en 1768, après avoir consacré 111 des leurs au bien des colons européens, des Indiens et des Noirs, emportant l'estime, la reconnaissance et les regrets de la population entière.

Il fallait les remplacer. On s'aperçut bientôt combien la présence de bons prêtres en ce pays était nécessaire, et combien difficile il était de les trouver! On pensa aux Dominicains et aux Prémontrés ; mais les négociations n'aboutirent pas, et c'est alors que, sur les conseils de Mgr de Beaumont, archevêque de Paris, et de l'abbé de l'Isle-Dieu, aumônier général des Colo­nies (1), on se retourna vers le Séminaire du St-Esprit. Mal­heureusement, les terribles embarras suscités à M. Becquet par les constructions entreprises et qui avaient mis l'établis­sement à deux doigts de sa perte, retardèrent l'arrangement définitif jusqu'en 1775 : le 3 novembre de cette année s'embar­quèrent les quatre premiers missionnaires du St-Esprit pour la Guyane. Les lettres patentes réglant cette situation sont de juillet 1777. Elles débutent ainsi :

« Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre,
« À tous présent et à venir salut.
« Continuellement occupé du soin de faire fleurir la religion dans toutes les parties de nos États, nous avons résolu de confier la desserte des cures et l'éducation de la jeunesse dans notre colonie de Cayenne aux Prêtres de la Communauté du St-Esprit, établie à Paris. Persuadé qu'ils donneront, dans ces contrées éloignées, les mêmes preuves de zèle qu'ils ont fait paraître dans les différentes fonctions dont ils ont été chargés, Nous leur accorderons successivement les encouragements et les secours dont ils auront besoin pour former dans notre dite colonie de Cayenne, un établissement utile à la Religion et à l'État.

« A ces causes et autres à ce nous mouvant, de l'avis de notre Conseil et de notre science, pleine puissance et autorité royale, Nous avons ordonné et, par ces présentes signées de notre nom, ordonnons, voulons et nous plaît ce qui suit :

« ARTICLE PREMIER. - La Mission de Cayenne sera desservie à l'avenir, et jusqu'à ce que Nous en ayons autrement ordonné, par les Prêtres du Séminaire du St-Esprit, établi à Paris.

« ART. 2. - La dite Mission sera composée, d'un Préfet apostolique, d'un Vice-Préfet, et de dix-huit missionnaires au moins, lesquels desserviront toutes les cures qui sont actuellement établies à Cayenne.

« ART. 3. - Les dits prêtres seront aussi chargés de l'enseignement dans le collège, etc. »

Les autres articles règlent la situation matérielle des missionnaires, passages, entretien, dotation, etc.

De son côté, l'abbé de l'Isle-Dieu, dans une lettre au Cardinal Castelli, Préfet de la Propagande, appréciait ainsi la mesure prise :

« Je vous avoue, Monseigneur, que j'ai d'autant plus de satisfaction et de consolation de vous voir confier les Missions de Cayenne au Séminaire du St-Esprit que, pendant 38 ans que j'ai été chargé en qualité de Vicaire général de toutes les Mis­sions françaises et sauvages du vaste et immense diocèse de Québec, dans l'Amérique septentrionale, je n'ai jamais fait passer que des sujets élevés et formés au Séminaire du St­Esprit, et que tous ont toujours surpassé nos espérances sans que jamais aucun se soit démenti (1). »

IV. - La Congrégation en Afrique (1778).

Jusqu'alors, la Congrégation du St-Esprit n'avait pris néanmoins qu'une part indirecte aux Missions, en formant des prê­tres séculiers qui, d'abord, s'engageaient où ils voulaient, et qui, à partir de 1766, pour St-Pierre et Miquelon, et de 1775 pour la Guyane, furent officiellement consacrés à l'évangélisation de ces deux contrées.

Le 9 mars 1778 devait ouvrir pour la Congrégation une ère nouvelle : ce jour-là, MM. de Glicourt et Bertout, membres de la Société, quittèrent le Séminaire pour se rendre au Havre, où ils devaient s'embarquer à bord de la Mère-de-Famille, navire de la Compagnie d'Afrique, à destination de Cayenne. Un terrible naufrage les jette près du cap Blanc : ils tombent aux mains des Maures, errent captifs dans le Sahara, et, ramenés au bord de l'Océan, sont vendus comme esclaves au Sénégal, dont l'Angleterre était alors maîtresse. Expulsés de St-Louis par les Anglais et saisis par un corsaire français, ils reviennent à Paris, mettent le ministre de la Marine au courant de la situation qu'ils ont étudiée à St-Louis, puis, à bord d'une escadre habilement dirigée par M. de Glicourt, accompagné d'un confrère, M. Séveno (M. Bertout, malade, n'avait pu repartir), ils contribuent à faire rentrer la France en possession du Sénégal.

Cette mémorable équipée sera racontée plus tard en détail. Qu'il nous suffise ici de dire que MM. de Glicourt et Séveno entrèrent à St-Louis le 30 janvier 1777, au grand enthousiasme des habitants. Cette fois, la Congrégation du St-Esprit prenait possession, par ses propres membres, de la terre d'Afrique, qui sera plus tard le principal champ de son apostolat, le plus laborieux et le plus aimé...

M. de Glicourt resta à St-Louis jusqu'au 16 mai 1781, comme Préfet apostolique du Sénégal.

Après son retour en France, M. Becquet s'employa à fournir de bons prêtres à la Colonie, et c'est à partir de ce moment que, l'abbé de l'Isle-Dieu étant mort, le Supérieur du Séminaire et de la Congrégation du St-Esprit commença à remplir les fonctions d'intermédiaire entre la Sacrée Congrégation de la Propagande et le Gouvernement français, relativement aux Missions coloniales. C'est par lui, notamment, que les nouveaux Préfet et Vice-Préfet apostolique du Sénégal, MM. Coste et Faye, reçurent leurs pouvoirs du St-Siège (1783).

V. - Acquisition d'une maison de campagne près d'Orléans.

Avant d'aborder la question qui coûta le plus de soucis à M. Becquet, - la construction de la chapelle du Séminaire, disons un mot d'une acquisition que fit la Congrégation.

Une petite propriété, appelée la Chyperie ou la Chyplie, près d'Orléans, avait été donnée à M. Jacques Duflos, procureur du Séminaire, par Mme Marie-Magdeleine Angoust, veuve de Jac­ques Binet, de Paris. Désirant céder cette propriété à la Société, il lui fit, le 27 décembre 1777, un acte de donation entre vifs, après avoir obtenu du roi les lettres patentes néces­saires.

Ces lettres patentes sont du mois de juillet 177Î7 ; en voici le seul fragment que nous ayons pu trouver : « Désirant donner au dit Séminaire une nouvelle marque de notre protection, nous avons autorisé et autorisons par ces présentes les dona­tions qui pourraient être faites à la dite Communauté, des mai­sons et héritages appelés la Chyperie et les Sablons, situés paroisse St-Martin-de-Saran, près Orléans, leurs circonstances et dépendances consistant en 10 arpents ou environ. Permet­tons an Sr Becquet, Supérieur actuel de la dite Communauté, de disposer des dits héritages an profil d'icelle, par tel acte qu'il jugera à propos, dérogeant à cet effet à l'Édit du mois de mai 1749 et à toutes lois, usages et règlements à ce con­traires. »

La campagne de la Chyperie, quelquefois aussi appelée La Tournière, est située sur les bords fertiles de la Loire, dans l'Orléanais, aujourd'hui département du Loiret, en la paroisse St-Martin-de-Saran, village qui n'est éloigné de la ville d'Or­léans que de 6 kilomètres. Cette terre, de la contenance d'en­viron 16 arpents, plantés en vigne, comprenait dans son enceinte une, chapelle, une cour, des écuries, des étables, un corps de logis, un pressoir, un petit bois. Les supérieurs et directeurs du St-Esprit aimaient à aller passer leurs vacances dans cette agréable campagne, pour se reposer ou se remettre de leurs infirmités. Ainsi le testament de M. Bertout est daté de la Chyperie, 10 septembre 1832, quelques semaines seulement avant sa mort. M. Fourdinier et surtout M. Warnet s'y plaisaient beaucoup.

Cet immeuble, comme tous les autres appartenant à la Con­grégation, fut confisqué par la Révolution ; mais, comme on n'en avait pu trouver d'acheteur, il resta invendu, et, confor­mément au Concordat de 1801, il fut rendu à la Congrégation, par le décret de rétablissement du 23 mars 1805. A cause de son éloignement, on crut devoir ensuite le vendre, en 1848, sous l'administration de M. Monet, qui y fut autorisé par un décret du Gouvernement provisoire de la République.

VI. - Construction de la Chapelle du Séminaire (1769-1778).

En 1733, M. Bouic, au moment où s'achevait le grand édifice de l'Impasse des Vignes, écrivait à S. Ém. le Cardinal de Fleury : « Il nous manquera même encore plusieurs pièces bien nécessaires, des salles d'exercices, une chapelle et une bibliothèque. Cela se fera quand il plaira à Dieu. » - Hélas ! le bon et généreux Cardinal était mort le 29 janvier 1743.

Cependant, M. Becquet, partageant entièrement les vues de son prédécesseur, se proposait d'abord de construire, à droite de la porte d'entrée, une seconde aile faisant pendant à celle de l'Impasse des Vignes et devant contenir la chapelle et la bibliothèque, quelques cellules et des sous-sols, dans lesquels il devait y avoir, outre le « cimetière », une salle d'exercices et des salles de classes. Sa pensée était de remettre à plus tard la reconstruction de la maison de l'intérieur, faisant face au jardin.

Pour la réalisation de ces projets, il fallait des ressources assez considérables.

Or, ces ressources faisaient complètement défaut. Sans doute, il existait encore des bienfaiteurs ; mais les sommes qu'ils donnaient étaient à peine suffisantes pour subvenir aux dépenses ordinaires de la maison. Cependant, M. Becquet, plein de confiance en Dieu et en la Sainte Vierge, crut devoir commencer cet ouvrage qui s'imposait.

Vers le commencement de 1768, il adressa un mémoire à M. Bertin, contrôleur des finances, et, en même temps, il eut recours à la bienveillance de Mgr de Beaumont, archevêque de Paris. Le Prélat voulut bien, en date du 23 février 1768, écrire, à ce sujet, une lettre de recommandation à M. Bertin. Avant de prendre les ordres du Roi, ce dernier pria, le lendemain 24, M. de Sartine, lieutenant général de Police, de faire examiner les bâtiments du Séminaire. M. de Sartine chargea de ce soin M. Egresset, expert en bâtiments el architecte de la Police. Cet homme, aussi honnête qu'intelligent, après avoir visité, dans leurs moindres détails, le bâtiment de la chapelle et celui qui lui fait suite, présenta, le 14 mars 1768, son rapport à M. le lieutenant général de Police. Les bâtiments ont été trouvés, par lui en fort mauvais état : les murs lézardés, les cloisons et les planchers disloqués et disjoints, les fondations en partie hors de leur niveau ; ces deux maisons étaient inhabitables. Il y avait donc impossibilité de les réparer et nécessité de les démolir pour bâtir à neuf.

M. Le Camus de Mézières, architecte du Roi et expert en bâtiments, avait déjà fait, le 5 mars précédent, un rapport sur l'état de ces maisons : ses conclusions avaient été identiques à celles de M. Egressel. Le Supérieur du Saint-Esprit communiqua les deux rapports à M. Bertin et les fit accompagner d'une nouvelle supplique. La réponse fut qu'il y avait lieu d'accorder quelques secours, mais qu'au préalable on devait, d'une part, faire faire un devis des réparations et constructions à entreprendre ; et, d'autre part, présenter un état des ressources dont le Séminaire pour­rait disposer pour concourir à ces dépenses. Ce devis fut rédigé le 30 mars 1768 par M. Le Camus de Mézières; il montait à 200,000 livres. Quant aux ressources dont pouvait disposer l'établissement, elles ne consistaient que dans la carrière du jardin, d'où l'on pouvait tirer la pierre, les moellons et le sable.

Ce devis parut exorbitant à M. Bertin et ne fut point accepté.

Sans se décourager, avec l'appui de quelques protecteurs, M. Becquet fil de nouvelles instances auprès de lui pour le presser d'accorder quelques secours. Cette fois, une somme de 30,000 livres fut promise, dont 15,000 livres payables en 1769 et pareille somme en 1770, mais sous la condition expresse que M. Becquet abandonnerait son plan de 200,000 livres; qu'il se contenterait de faire les constructions nécessaires à une chapelle et à une bibliothèque, et qu'il justifierait de l'emploi des fonds alloués. Cette allocation fut faite le 22 janvier 1769.

M. Becquet l'accepta avec reconnaissance et, confiant en la divine Providence, il pria, le 10 février suivant, M. Bertin de lui donner un architecte et un entrepreneur pour se mettre à l'oeuvre. On lui envoya seulement un entrepreneur qui, après avoir examiné le projet, rédigea deux nouveaux devis montant l'un à 27,520 livres, l'autre à 30,045 livres. Ces deux projets parurent également inacceptables à M. Becquet, parce qu'en les suivant, on aurait défiguré le bel édifice de M. Bouie, et puis on n'aurait pas eu les pièces même indispensables pour le logement des séminaristes.

Le Supérieur du Saint-Esprit ayant fait part de ces difficultés à M. Le Camus de Mézières, celui-ci s'offrit à faire exécuter par M. Martin, entrepreneur, des constructions pour une chapelle et une bibliothèque. Comme ces deux Messieurs, par esprit de charité, ne demandaient pas d'honoraires, on pensa que les dépenses ne seraient pas trop considérables : ce devis fut de 60,000 livres, mais on ne proposait, pour le moment, que de faire la moitié des constructions nécessaires.

Il n'y eut pas d'opposition à ce nouveau projet. M. Martin, maitre-maçon, entrepreneur, commença les travaux en juin 1769, et, le 22 novembre suivant, Mgr de Beaumont vint en bénir la première pierre, que M. de Sartine se fit un honneur de poser lui-même. Le dictionnaire d'épigraphie de M. Migne contient l'inscription latine qui fut déposée dans les fondements [1].

Tout le temps qui s'était écoulé depuis les premiers travaux jusqu'au commencement de février 1770 avait été employé soit à extraire la pierre et le sable de la carrière, soit à construire les sous-sols, soit à élever les murs de la chapelle à une certaine hauteur.

Cependant, les dépenses occasionnées par ces ouvrages eurent bientôt épuisé les fonds disponibles, et M. Becquet, dans la nécessité,où il se trouvait, crut devoir adresser une nouvelle supplique à M. Bertin (11 février 1770). Cette sup­plique reçut un fort mauvais accueil de la part du ministre. Le 15 mars suivant, celui-ci écrivit à M. de Sartine pour se plaindre de M. Becquet, qui, selon lui, à l'encontre de ce qui était convenu, aurait voulu revenir à son plan de 200,000 livres. Bien plus, il donna un ordre formel de faire arrêter immédiatement, les travaux, et malgré tout l'intérêt que M. de Sartine portait au Séminaire, il se vit obligé de notifier à M. Becquet les ordres du ministre (17 mars 1770).

Dans la perplexité où le jetaient ces rigueurs, le Supérieur du St-Esprit s'adressa à Dieu et à 1a Sainte Vierge, en qui il mettait tout sa confiance ; ce qui ne l'empêcha pas, toutefois, de faire, par ailleurs, tout ce qui dépendait de lui pour écarter les obstacles qui entravaient l'exécution de l'entreprise. Il se ménagea la bienveillante protection de Mgr de Beaumont, de M. de Sartine, des duchesses de Grammont, de Villars, de Nivernais, et de la comtesse de Rupelmonde, carmélite.

M. de Sartine, toujours bienveillant envers les Prêtres du St-Esprit, essaya de justifier M. Becquet et, de faire comprendre au ministre qu'on n'avait nullement l'intention de revenir au plan de 200,000 livres ; mais qu'on se contenterait de mettre à exécution celui fait par M. de Mézières le 14 avril 1769, c'est-à-dire de construire les « souterrains » et le bâtiment de la chapelle et de la bibliothèque. Selon les désirs de M. Becquet, il pria M. Parent, chef de bureau de M. Bertin, d'aller sur les lieux pour se rendre compte de visu de ce qui avait été fait jusque-là. En même temps, il présenta au ministre un état des dépenses faites jusqu'à ce jour, avec pièces justificatives : les payements exécutés formaient la somme de 26,000 livres. Il essaya de faire comprendre qu'il suffisait de 14,000 livres pour terminer cette construction. En marge de cette lettre, M. Bertin traça ces mots : « Monsieur Parent il faudrait effectivement voir les choses et prier M. Soufflot d'y aller, s'il le peut. »

M. Soufflot, l'habile architecte de l'église Ste-Geneviève (Panthéon), se rendit donc au Séminaire du St-Esprit, examina avec soin tout, ce qui avait été fait et reçut un compte exact et détaillé de l'emploi des fonds. Le 26 juillet l770, il envoya à M. Parent un rapport tout à fait favorable à M. Becquet. Après avoir fait bonne appréciation des ressources que l'on tirait de la carrière du jardin, il fait mention « des plans et des soins d'un architecte (M. de Mézières) qui ne prend pour payement que la satisfaction de contribuer au bien d'un établissement. qui ne parait se soutenir que comme par miracle, des économies de toutes espèces, des transports de pierres que nous appelons bordages faits par les séminaristes à leurs heures de récréation, qui m'ont paru en cela un peu semblables à ces anciens religieux qui bâtissaient eux-mêmes leurs vastes habitations, etc. ». Il conclut qu'il faut « trouver les moyens de finir incessamment l'aile si bien et si économiquement commencée, dans laquelle doit être la chapelle, la classe et la salle d'étude. C'est un objet de 20 à 30,000 livres à ajouter à, ce que le ministre a déjà bien voulu procurer. Le ciel l'en bénira, et nous aussi. Pour moi, ne pouvant rien de plus, je m'offre à aider de mes soins toutes les fois que besoin en sera. » Cette lettre ou rapport exerça une heureuse influence sur M. Parent; mais il n'en fut pas ainsi de M. Berlin, puisque, par sa lettre du 27 septembre 1770, il réitéra son rerus d'accorder d'autres subsides.

Les travaux restèrent donc forcément interrompus du 11 mars 1770 au commencement de 1775. On conçoit la peine que durent éprouver les Prêtres du St-Esprit de ce fâcheux contretemps; mais ils ne se laissèrent point décourager, et leur confiance fat encore plus grande que leur déception. Toutefois, ils ne jugèrent pas opportun, pour le moment, de faire de nouvelles instances auprès du ministre, qui s'était si sèchement prononcé contre toute subvention ultérieure. Deux années s'écoulèrent ainsi, avec le chagrin de voir les ouvrages se détériorer et les matériaux entassés dans la cour dépérir de jour en jour. A la fin, M. Becquet ne put y tenir; il se décida à recommencer ses démarches auprès du ministre. Mgr de Beaumont eut encore la bienveillance d'appuyer la supplique par sa lettre du 20 mars 1772. M. Bertin répondit à l'Archevêque le 19 avril suivant : sa lettre n'est que l'expression d'un refus obstiné.

M. Becquet attendit, pour revenir à la charge, jusqu'au 10 septembre 1773, date du mémoire que, à sa prière, la duchesse de Nivernais et la comtesse de Rupelmonde voulurent bien adresser à M. Parent. Le duc de Nivernais eut la bonté de faire parvenir le mémoire à sa destination, avec une lettre d'appui de sa part (13 septembre 1773)[2] (1). Mais, pour évi­ter les malentendus et les inconvénients du passé, le mémoire crut pouvoir proposer de confier la direction des travaux ainsi que celle de l'emploi des fonds à un architecte du Gouvernement. Le 23 septembre suivant, le ministre accusa réception du mémoire et de la lettre; il donna quelque espoir, mais sans rien préciser.

Ce ne fut que le 28 mars 1774 qu'il commença à prendre en sérieuse considération les démarches faites. A cette date il écrivit à M. de Sartine pour l'informer que le Séminaire faisait une nouvelle demande d'un secours de 30,000 livres à prendre sur les loteries (comme les précédentes subventions) et pour le prier de vouloir bien charger M. Chalgrin, architecte distingué, grand prix de Rome, membre de l'institut, d'aller vérifier le devis de M. Le Camus de Mézières et de lui faire un rapport sur l'état des choses. M. Chalgrin fit cette vérification. Dans son rapport, il exprima l'opinion qu'il restait trois opérations à accomplir, savoir : achever la chapelle, y ajouter une nef, et construire un corps de bibliothèque. Dépense prévue : 143,743 livres. Il y a en matériaux la valeur de 26,557 livres. Reste donc à trouver 117,185 livres.

Comme on le pense bien, M. Becquet se garda bien de demander une somme aussi élevée. M. de Sartine, son intermé­diaire, fit comprendre au ministre la nécessité d'achever au moins le choeur, qui était commencé, et dont les ouvrages étaient découverts depuis plusieurs années. Il ne demanda pour ce travail que 21,592 livres.

Le 6 décembre 1774, M. Bertin écrivit à M. le duc de Nivernais : « J'ai l'honneur, Monsieur, de vous prévenir que le Roy a bien voulu accorder au Séminaire du St-Esprit, qui a pour vous tant d'intérêt, une somme de 25,000 livres, payables en deux ans... pour achever la construction de la chapelle seulement. »

On put donc, vers le printemps de 1775, reprendre les travaux. Mais M. Le Camus de Mézières fut alors, par ordre du ministre, remplacé par M. Chalgrin, comme architecte, et M. Martin par M. Mangîn, comme entrepreneur. Les nouveaux directeurs des constructions touchaient des honoraires prélevés sur les sommes allouées au Séminaire.

D'un autre côté, M. de Sartine, si bon, si dévoué à la Maison, qui venait d'être nommé par Louis XVI ministre de la Marine (24 août 1774), accorda aussi des subsides pris sur les fonds de son département. M. Bertin devint dès lors plus libéral, et les travaux purent être poussés avec vigueur. D'après une lettre de la duchesse de Nivernais à M. Parent, en date du 30 octobre 1718, les gros ouvrages de la chapelle, c'est-à-dire les quatre murs et la toiture, étaient terminés à cette date.

MM. Chalgrin et Mangin allaient largement en besogne sans trop regarder à la dépense. Des sculptures furent exécutées sous leurs ordres dans l'intérieur et surtout au portail de la chapelle : elles ont été en partie détruites par la Révolution. Dans un Mémoire des ouvrages de sculpture faits au Séminaire du St-Esprit, rue des Postes, à Paris, sous les ordres de M. Chalgrin, architecte du roi, etc., etc., exécutés en avril 1776 par M.Duret, sculpteur et ancien professeur de l'Académie de Saint-Luc, demeurant rue Pot-de-Fer, près Saint-Sulpice à Paris, l'artiste déclare « avoir arrangé et refait plusieurs morceaux d'un groupe colossal de 10 pieds de hauteur, et très défectueux, placé dans le milieu de l'arcade de la chapelle, derrière le maître-autel, y avoir ajouté plusieurs parties, comme têtes, bras, mains, nuages, parties de corps et de draperies... » Il ajoute : « Au-dessus de la porte principale faisant face sur la rue des Postes, est un carrelet où sont représentées les armes du Roy, ornées de branches de lauriers et de guirlandes de chêne. Cet ouvrage est de la grandeur de 10 pieds sur 5 de hauteur, exécuté en pierre de Conflans, 450 livres... » Puis : « Au portail de l'église avoir fait un grand bas-relief de la grandeur de 20 pieds 6 pouces sur 5 pieds 6 pouces de hauteur. Ce bas-relief représente la Prédication et le Baptême par des Missionnaires dans l'Inde. Les deux sujets sont composés de 26 figures de la proportion de 5 pieds. L'exécution de ce bas­relief est en pierre de Confians, ?,900 livres. » ... « Deux bas-­reliefs de la grandeur de 9 pieds 3 pouces de long sur 3 pieds 9 pouces de haut représentent : l'un, le St-Esprit descendant sur les Apôtres ; l'autre, la Conception de la Vierge. Ces bas­reliefs, richement composés, sont placés au-dessus des portes du sanctuaire, 3,400 livres. »

Enfin, la consécration ou plutôt bénédiction de la chapelle fut faite en grande solennité par Mgr François de Bonal, évêque de Clermont, le 16 juillet 1780. Sa construction avait duré 11 ans.

VII. - Construction de la maison longeant la rue des Postes et reliant la chapelle avec le grand édifice de l'Impasse (1778-1782).

En 1775, l'emplacement du Séminaire était séparé de la rue des Postes (aujourd'hui rue Lhomond) par un mur de clôture qui reliait les deux ailes, l'une, clle de l'impasse construite de 1732 à 1734, et l'autre, celle de la chapelle, bâtie de 1769 à 1780.

A égale distance de ces deux corps de bâtiments, ce mur était percé d'une porte cochère, à la gauche de laquelle se trouvait la loge du portier, un simple rez-de-chaussée.

Plus loin, faisant suite à la chapelle, une autre maison avait été construite par M, Chalgrin. Elle était destinée aux missionnaires de passage ou à ceux que l'âge ou les infirmités retenaient, en Europe.

Remplacer le mur de clôture par un grand bâtiment en har­monie avec les récentes constructions était chez M. Becquet un rêve depuis longtemps caressé. Mais comment le réaliser?

L'avènement au trône de France de Louis XVI, qui succéda à son grand-père le 10 mai 1774, permit de concevoir cet espoir. Dès le 24 août, le jeune monarque confia à l'excellent M. de Sartine le ministère de la Marine, dont relevaient les Colonies. L'année suivante (1776), le nouveau ministre conclut avec M. Becquet des arrangements d'après lesquels le Séminaire du St-Esprit, de l'agrément et approbation du St-Siège, devait être chargé de fournir à la Guyane française les prêtres devenus nécessaires depuis le départ des Jésuites. Ces arrangements furent confirmés en 1777 par des lettres patentes du Roi.

Dès lors, le Séminaire du St-Esprit, avait une situation officielle dans l'administration coloniale : c'était dans sa vie une étape nouvelle.

Des sommes furent allouées, et l'on se mit de nouveau à l'oeuvre, Malheureusement, la guerre avait éclaté, et M. de Sartine se vit dans l'impossibilité de réaliser ses promesses. M. Bertin, d'ailleurs, était toujours là, et, dans un mémoire, il rappelait les dépenses déjà faites.
64,000 livres prises sur les loteries;
47,475 livres accordées par la Marine;
34,000 livres fournies par le Séminaire.
Au total : 145,475 livres,

La pieuse duchesse de Nivernais intercéda en 1778, puis en 1779, cette fois en se faisant appuyer par Mgr de Beaumont. M. Chalgrin demandait 83,000 livres pour le tout.

M. Bertin, le 13 février 1780, accorda une subvention de 451,000 livres, payables en deux annuités. Malgré l'insuffisance de cette somme, M. Chalgrin termina les travaux de construction dans la première moitié de 1789 ; mais non sans laisser le Séminaire accablé de très fortes dettes.
Ce fut le cauchemar de M. Becquet et de son successeur.

VIII. - Liquidation des dettes. - Mort de M. Becquet.

Avant que ces travaux fussent terminés, les Prêtres du St­Esprit eurent la douleur de perdre la protection et l'appui si efficace de M. de Sartine, tombé en disgrâce le 14 octobre 1780, par suite des agissements de M. Necker.

A ce malheur s'en joignit bientôt un autre : Mgr de Beaumont, cet autre bienfaiteur de la Maison, mourut le 19 décem­bre 1781. Heureusement, il fut remplacé par un digne Prélat, Mgr de Juigné, également remarquable par sa charité.

Les constructions étaient sur le point d'être terminées, mais le Séminaire était obéré de dettes ; l'entrepreneur, les fournisseurs et les ouvriers, las d'attendre, commencèrent des poursuites et assignèrent le Supérieur et les directeurs à comparaître au Châtelet, tribunal de première instance.

Dans la perplexité où ils se trouvaient, ils redoublèrent de prières et présentèrent, tant à M. Bertin qu'à M. de Castries, le successeur de M. de Sartine au ministère de la Marine, une nouvelle supplique. Ce dernier chargea l'abbé Dalain, son parent, vicaire général de Cambrai, d'examiner le dossier du Séminaire du St-Esprit et de se rendre compte des constructions. Ce fait nous est révélé par une lettre du 4 octobre 1782, écrite par un M. Collart du Tilleul, probablement un employé de la Marine. A juger d'après la lettre que M. de Castries adressa à Mgr de Marbeul, évêque d'Autun, alors chargé de la feuille des bénéfices, les dispositions du nouveau ministre à l'égard du Séminaire étaient loin d'être aussi bienveillantes que celles de M. de Sartine. Le 20 novembre 1783, il écrivit à M. Becquet pour lui signifier qu'il n'avait plus rien à attendre du département de la Marine, mais il ajoutait que l'on pourrait, dans une conférence, examiner ensemble ce qu'il y aurait à faire dans des circonstances aussi critiques : s'il fallait, livrer cet établissement aux procès dont il était menacé, ou si l'Archevêque pourrait venir à son secours.

La conférence eut lieu. Mgr de Jaigné voulut bien y prendre part en personne et proposa de venir en aide aux prêtres du St-Esprit, au moyen des biens provenant de quelques maisons de Célestins supprimées dans le diocèse de Paris. La proposition de l'Archevêque fut prise en considération, et, le 29 décembre 1782, M. de Castries annonçait à l'évêque d'Autun cet heureux arrangement, ainsi que la surséance de 6 mois accordée par l'autorité royale à l'effet de suspendre les poursuites des créanciers.

A la prière de l'Archevêque de Paris, Mgr Champion de Cicé, archevêque de Bordeaux et agent général du Clergé, fit en outre accorder au Séminaire du St-Esprit, pour qu'il pût satisfaire aux exigences les plus pressantes, un acompte de 30,000 livres.

Les dettes de la maison montaient au chiffre énorme de près de 150,000 livres; mais le sursis ordonné par Louis XVI et les promesses de la Commission du Clergé amenèrent les créanciers, dans les premiers jours de mai 1783, à une transaction qui eut lieu au Châtelet, devant Me Etienne et son collègue Me Caux, notaires à Paris. Il fut convenu, en l'étude de Me Etienne, que 30,000 livres seraient versées en juin 1783, et que, pour liquider le restant, soit en principal, soit en intérêts, on payerait 20,000 livres par an jusqu'à entière extinction des dettes, à courir du 1er juillet 1783, ce qui embrassait une période de cinq années (1784-1788), et que, pour garantie, les créanciers auraient jusqu'à la fin de cette période droit d'hypothèque sur les biens meubles et immeubles du Séminaire. De leur côté, les créanciers donnèrent; main-levée de toutes les poursuites et oppositions au Séminaire pour le temps stipulé. On se basait sur l'arrêt du Conseil d'État du 21 juin 1783, par lequel Louis XVI accordait, sur les biens des Célestins, la somme de 130,000 livres, payables de la manière ci-dessus indiquée.

Les conditions de la transaction ayant été exécutées, il se trouva qu'au 11 juillet 1788, 130,000 livres avaient été versées pour l'acquittement des dettes. La situation s'éclaircissait donc ; mais il restait encore 18,425 livres à payer, lorsque, le 27 octobre 1788, M. Becquet alla recevoir au Ciel la récompense de ses travaux, de ses luttes et de ses souffrances, acceptés et endurés pour l'oeuvre de Dieu.
Il était âgé de 83 ans.

Pendant les 25 ans qu'il avait été Supérieur, M. Becquet avait beaucoup travaillé et beaucoup souffert. Cette construction de la chapelle et du grand bâtiment donnant sur la rue des Postes, commencée sans un sou, puis continuée, interrompue, reprise et finalement terminée dans des embarras continuels, des démarches sans fin, des déboires sans nombre, des procès et des compromis humiliants, dut souvent lui causer des peines profondes. Rien ne le découragea, et, par son énergique constance, il se montra vraiment digne de son vénérable prédécesseur, M. Bouic.

Mais, ce qui donne à l'administration de M. Becquet sa place hors pair, c'est l'orientation qu'il fit de l'oeuvre de Claude Poullart des Places vers les Missions coloniales, en 1775. Désormais, la Congrégation du St-Esprit n'avait plus qu'à marcher dans cette voie : c'était celle que la Providence lui avait destinée.

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[1] Voici cette, inscription :
PAUPERES EVANGELIZANTUR AD REVEL. GENT. ET GLOR.PLEB.
Ex MUNIFICENTIA REGIA, ORATORII SUB INVOC.S. SPIRITUS ET IMM. VIRGINIS PRIMARIUM LAPIDEM BENEDIXIT ILLUSTR. AC REVERINDISS. IN CHRISTO P.D.D. CHRISTOPHORUS DE BEAUMONT, ARCHIEP. PARIS., DUX S. CLODOALDI, PAR FRANCIAE, ORD. S. SPIRITUS C0MMENDAT0R, IMPOSUIT ILL. D. D. ANT. RAYM. JOAN. GUAL. GABR. DE SARTINE, REGI A SANCTIORIBUS CONSILIIS, DISCIPLINAE POLITICE PRIM. PRAEFECTUS, ANIN. MDCCLXIX ,22 Nov. ADFUERE FRANCISCUS BECQUET, SUPERIOR GENERALIS, J. DUFLOS, M. DUFLOS ET J. ROQUELIN, SEMIN. DIRECT. OPERIBUS GRATUIT0 PREFUIT NICOL. LE CAMUS DE MEZIERES EXPERT. REG. ACADEMIAEQUE, STUD. PARIS. ARCHIT.. CEMENTAVIT JULIANUS MARTIN.
[2] (1) Je suis chargé, Monsieur, par deux bonnes âmes, d'avoir l'honneur de vous présenter le mémoire cy-joint. Ces deux bonnes âmes sont ma femme e Mme la comtesse de Rupelmonde, la Carmélite, qui s'intéressent vivement au Séminaire du St-Esprit, en faveur duquel nous avons recours à vous. Ce Séminaire, comme vous le savez mieux que moy, Monsieur, est fort utile à la Religion... J'espère par toutes ces raisons, Monsieur, que vous voudrez bien accueillir cette demande. J'en auray la plus sincère reconnaissance, et les deux saintes qui m'emploient prieront Dieu pour vous avec bien de la ferveur... etc.

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